Perdre son sac et Ranger, textes et mise en scène Pascal Rambert
Perdre son sac et Ranger, textes et mise en scène Pascal Rambert
Perchée sur son échelle, et, au moins provisoirement, au bas de l’échelle sociale, la Fille, Bac +5, est laveuse de vitrines. En concurrence avec des sans-papiers, elle propose ses services aux commerçants, avec seau, éponge et raclette à manche télescopique. Elle tombe sur une onglerie (occasion pour Pascal Rambert d’une réflexion caustique et bien envoyée sur ces nouveaux mots et ces nouvelles choses dérisoires et désolantes), et sur une fille, Sandrine. Quand on tombe, on tombe, amoureuse. Et avec ce prénom, sur une subtile barrière de classes ; au début on n’y pense pas, et puis ça s’impose. La Fille perd pied et finit par perdre son sac, son argent, ses affaires, son petit monde provisoire et son identité bousculée.
Cet accident n’est pas au centre de la pièce, ni l’angoisse enfantine qu’il pourrait générer, mais la perte amoureuse et la perte de soi qu’il révèle. La Fille a perdu l’autre, quand la confusion du désir a laissé place à ce qui ne peut être entendu entre classes sociales. La jeunesse n’est pas homogène : une bourgeoise pauvre reste une bourgeoise, une beurette qui a fait de solides études reste une beurette.
Pascal Rambert saisit au vol les frottements et frictions entre la langue d’une privilégiée et celle d’une prolétaire, qui ne se voit pas comme telle, et peut-être assise sur le privilège d’être «de souche». Et l’auteur chope aussi quelques ridicules contemporains, comme la déglingue commerciale de la langue.
Lyna Khoudri est sincère et charmante, désarmée. Scénographie simple et vite faite mais efficace : une bâche de chantier et quelques accessoires. On croit peu à cette pièce: les pistes tracées ne sont pas longtemps suivies mais nous avons eu le plaisir d’entendre cette écriture rapide, pointue, et bien ajustée.
Ranger a plus de corps, et pour cause : le texte, écrit pour Jacques Weber, semble avoir a davantage inspiré l’auteur. Un homme se retrouve dans une chambre d’hôtel confortable et anonyme, après un congrès où il a reçu un prix: un objet pseudo-design aussi laid et inutile qu’une coupe de sport.
Le décor (Pascal Rambert et Aliénor Dyrand) est parfaitement blanc, fonctionnel, anonyme, confortable, aseptisé: comment décrire ce vide sans une cascade d’adjectifs? L’Homme a emporté une photo encadrée de sa femme, morte un an plus tôt et il lui parle. En oubliant les échos de sa vie professionnelle qu’il étrille au passage avec esprit, il écoute ceux de sa vie d‘amour. Sans tristesse : ils ont bu ensemble, se sont défiés à la cocaïne et se sont aimés puis disputés avec passion et légèreté. Il a dans sa valise ce qu’il faut de munitions: bouteille et poudre, et un vieil ours en peluche, tel qu’ils étaient pour cette génération, durs, bourrés de paille de bois, usés, que sa femme ne quittait pas… C’est aussi un voyage sentimental mais aussi un regard sur toute une vie. Après quoi, on peut s’en aller. Le cheminement dramatique de ce solo tient la route.
Cela pourrait être l’équivalent contemporain de l’antichambre ou du «cabinet superbe et solitaire» celui du Bérénice de Racine et de la tragédie classique. Jacques Weber et ce texte écrit pour lui s’entendent à merveille : un grand acteur, et un auteur affûté par quarante pièces en quarante ans, sans compter les films et autres performances. Ce n’est pas du côté de ses « grandes pièces » qu’il faut chercher Pascal Rambert. Il se souvient avec douleur de l’échec des Parisiens à Avignon en 1989, avec pourtant une distribution éblouissante, Jean-Paul Roussillon en tête, et Olivier Py en remplaçant. Architecture, récemment, avec une distribution tout aussi brillante, ne nous avait pas non plus convaincus. Au moins, cela avait été l’occasion d’une belle rencontre avec Jacques Weber.
Mais l’auteur et metteur en scène se trouve à la bonne place quand il écrit pour les actrices et acteurs, en face-à-face : Audrey Bonnet et Stanislas Nordey dans Clôture de l’amour. cette pièces qui a été très jouée dans le monde. Et avec toujours Stanislas Nordey et Charles Berling: Deux amis. Audrey Bonnet et Marina Hands dans Sœurs, etc. Plaisir du texte, plaisir d’acteur : le public n’est pas volé et entre dans l’intimité de ces deux personnages, sauvée de l’impudeur par une élégance certaine.
Christine Friedel
Jusqu’au 18 février,Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis boulevard de la Chapelle, Paris (XIX ème). T. : 01 46 07 34 50.
Perdre son sac à 19 h, spectacle créé à Rabat (Maroc), le 28 octobre dernier).
Ranger à 21 h, spectacle créé le 20 janvier au Théâtre National de Bretagne, Rennes (Ille-et-Villaine).
Le 24 février, L’Octogone, Pully (Suisse).
Le 18 mars, L’Astrada, Marciac (Gers); les 21 et 22 mars, Théâtre Saint-Louis, Pau (Hautes-Pyrénées; du 28 au 31 mars, Comédie de Béthune-Centre Dramatique National (Pas-de-Calais).
Les 5 et 6 avril, Théâtre Municipal de Villefranche (Rhône) et le 13 avril, Le Canal, Redon (Ille-et-Villaine).
Les textes de Pascal Rambert sont édités aux éditions Actes-Sud Papiers et aux Solitaires intempestifs.