Over Dance, chorégraphie de Rachid Ouramdane et Angelin Preljocaj

Over Dance, chorégraphie de Rachid Ouramdane et Angelin Preljocaj

La danse contemporaine a souvent fait appel à des artistes âgés. Ainsi pour Kontakthof, Pina Bausch engagea des artistes de plus de soixante-cinq ans comme Jean-Claude Gallotta pour Trois Générations ou Thierry Thieû Niang pour Du printemps ! Ou encore Alain Platel, pour Du printemps ! Gigi Critoforreti qui dirige la compagnie Alterballetto, a proposé le thème du corps vieillissant à Rachid Ouramdane. Il a alors demandé à Angelin Preljocaj d’imaginer avec lui un spectacle de danse. Un thème très actuel, vu le vieillissement de la population occidentale. En fait, nous découvrons ici des corps âgés mais encore suffisamment alertes pour se mouvoir sur un plateau.

© J. Couturier

© J. Couturier

Pour la première partie: Un Jour nouveau, Rachid Ouramdane a choisi un couple de professionnels retraités, appartenant au Tap Dance, un courant révolu music-hall. Darryl Woods a dansé au Harlem Ballet et Herma Vos, au Lido et autres grands cabarets parisiens. Chez eux, s’installe une raideur corporelle et une perte de repères dans le temps et dans l’espace.
Comme tout droit sortis d’un film de Fellini, pendant quinze minutes, ils s’interpellent et cherchent d’autres partenaires: «Où sont passés les clowns?» répètent-ils, perdus au milieu de la scène.. Le temps est suspendu, l’émotion s’installe doucement…

Pour Birthday Party (cinquante minutes) Angelin Preljocaj a travaillé avec des artistes qui ont entre soixante-neuf et quatre-vingt-un ans. Ils ont tous eu une pratique sportive, qu’ils soient amateurs ou anciens professionnels, et cela se voit. Loin du naufrage que le vieillissement physiologique peut engendrer, chacun ici cherche inconsciemment à montrer qu’il est encore capable de briller. Mais quand le corps ne suit plus, la tendresse s’installe entre ces artistes d’un soir et l’image alors devient touchante sur la bande-son de Jean-Baptiste Julien et la voix off de Simone de Beauvoir interrogée sur la vieillesse.
Nous avons particulièrement remarqué une petite danseuse asiatique aux articulations envahies d’arthrose. Elle essayait de suivre le mieux possible cette folle farandole humaine décalée. Aux saluts, elle était éblouissante de bonheur et de ferveur comme ses partenaires heureux d’être ici, encore une fois, ou pour la première fois, sous les projecteurs. Il faut tous les citer: Mario Barzaghi, Sabina Cesaroni, Patricia Dedieu, Roberto Maria Macchi, Elli Medeiros, une chanteuse-star des années 80, Thierry Parmentier, Marie-Thérèse Priou et Bruce Taylor. Un beau défi poétique, grâce à ces chorégraphes qui nous ont donné leur vision du temps qui passe…

Jean Couturier.

Jusqu’au 23 février, Chaillot-Théâtre National de la Danse, 1 place du Trocadéro, Paris (XVI ème) T. : 01 53 65 30 00.


Archive pour 16 février, 2023

Plaisir du Théâtre

Plaisir du Théâtre

 

©Photo Lot

©Photo Lot

Ce prix fondé en 1972 par un industriel, Marcel Nahmias décédé en 98, est doté de 3.000 € et d’une belle médaille. Objectif : récompenser des personnalités théâtrales pour leur carrière.
Avec entre autres, d’abord en 72: Judith Magre (qui à 96 ans joue encore…), Laurent Terzieff, Michel Bouquet, André Dussolier et les metteurs en scène James Thierrée, Jean-Pierre Vincent, Joël Pommerat…

Mais juste deux femmes! L’actrice Dominique Blanc et la marionnettiste Emilie Valantin. Et cette année,  Yuming Jey et Didier Sandre. Armelle Heliot du Figaro a présidé la cérémonie à la S.A.C.D. et les prix ont été décernés par Philippe Chevilley, journaliste aux Echos et  par Jacques Nerson de L’Obs.

Yuming Jey

Cette icône LGBTQI, acteur et mannequin de quarante ans, a été formé au Conservatoire National. Visiblement très ému et au bord des larmes, il a reçu ce prix pour sa carrière exemplaire depuis une dizaine d’années. On a pu le voir dans la série Netflix Osmosis  et plus récemment dans la saison 3 d’Emily in Paris. Et au théâtre en 2019, dans Jungle Book mise en scène de Bob Wilson au Théâtre de la Ville (voir Le Théâtre du Blog). Et aussi au Théâtre 14, à Paris, dirigé par Matthieu Touzé qui, exigeant, « l’a toujours soutenu dans son parcours et a toujours été d’un amour infini avec lui. »
Yuming Jey a aussi remercié les journalistes qui ont eu, dit-il, «des mots gentils et encourageants que je n’avais pas toujours avec moi-même. «Ils m’ont donné la force de monter en scène chaque soir. Grandir sous le regard des autres est une aventure périlleuse. » Et il a tenu à remercier son attachée de presse Dominique Racle qui a cru en lui et a tenu à le faire savoir. Enfin il a eu un mot de reconnaissance pour les personnes inter-sexes et pour Herculine Barbin dont il a joué au théâtre 14, Archéologie d’une révolution, mise en scène par Catherine Marnas. En 1868, à Paris, un médecin légiste avait découvert à côté du corps d’Abel Barbin, vingt-huit ans, une lettre expliquant son suicide et un manuscrit Mes souvenirs, un récit trouvé par Michel Foucault, d’une personne qui avait été brutalement déclarée de sexe masculin.

Didier Sandre

D’une autre génération, Didier Sandre (74 ans) est un acteur exceptionnel mais qui n’a été formé ni rue Blanche à Paris  comme disait (l’actuelle E.N.S.A.T.T. à Lyon) ni  au Conservatoire National mais chez la grande Tania Balachova. Et il a suivi, preuve d’une grande curiosité des stages chez le nec plus ultra de l’avant-garde des années soixante-dix:  Eugenio Barba et Jerzy Grotowski. Grand travailleur, il a fréquenté tous les plus grands auteurs et il est sans conteste l’un des meilleurs comédiens français. Et chaque année depuis 1970, nous l’avons vu,  dirigé par les plus grands, notamment Catherine Dasté, la remarquable metteuse en scène et initiatrice du théâtre pour enfants et entre autres, Bernard Sobel, Jean-Pierre Vincent, Giorgio Strehler, Patrice Chéreau, Luc Bondy et Antoine Vitez dont il fut l’incomparable Don Rodrigue dans Le Soulier de satin de Paul Claudel, Christian Schiaretti, Alain Françon…

Mais il a joué aussi dans le théâtre privé:  Un Mari idéal (Molière 1996) et Collaboration. Et aussi de nombreux films comme entre autres, La Java des ombres de Romain Goupil, Petits arrangements avec les morts de Pascale Ferran, Conte d’automne d’Eric Rohmer, Au bout du conte d’Agnès Jaoui, Pas son genre de Lucas Belvaux, Un Amour imposssible de Catherine Corsini, et récemment J’accuse de Roman Polanski. A la télévision, Il a été aussi Louis XIV dans L’Allée du Roi et le baron de Charlus dans A La Recherche du temps perdu de Nina Companeez.
Didier Sandre, passionné de musique, est aussi souvent récitant  dans des œuvres classiques, ou avec, entres autres, le pianiste Alexandre Tharaud, François Zygel, Emmanuel Bertrand ou le Quatuor Ludwig. Et en 2013, il est entré à la Comédie-Française  et il en est maintenant sociétaire. Bref, le parcours d’un acteur très cultivé, discret et exemplaire.

Ce prix qui honore les meilleurs de la profession théâtrale, est remis, et à juste titre, dans ce lieu emblématique qu’est la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques. Cette institution fondée en 1777 par Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais (en buste sur la photo avec les acteurs) défend les auteurs de spectacles en salle ou de rue, audiovisuel, cinéma, web. Et les metteurs en scène, compositeurs, réalisateurs, scénaristes… La S.A.C.D. les accompagne aussi pour leurs démarches fiscales, sociales et professionnelles et elle soutient la création  financée par les 25 % de rémunération pour copie privée (3. 566. 700  en 2010). Elle finance et organise actions et événements, pour faire émerger les nouveaux talents et projets, avec des aides à l’écriture.

Philippe du Vignal

Le 13 février, à la S.A.C.D. 11 bis rue Ballu, Paris (VIII ème).

Les Géants de la Montagne de Luigi Pirandello, adaptation et mise en scène de Marie-José Malis

Les Géants de la Montagne de Luigi Pirandello, adaptation et mise en scène de Marie-José Malis

Que faire d’autre, quand on est une troupe de comédiens ? Jouer et jouer encore. Mais la troupe de la comtesse Ilse ne trouve plus de théâtre où poser La Fable du fils Substitué. Échec, sifflets et pourtant il faut jouer quand même… Voire. Le magicien Cotrone les reçoit à la villa des Guignards, au pied d’une montagne mais les renvoie à leur médiocrité : si le public, si le peuple vous siffle, c’est que vous n’êtes pas bons. Ne parlons pas de ceux qui le manipulent en faisant appel au rire le plus bas, façon de lui maintenir la tête sous l’eau. Et le magicien demande aux acteurs d’avoir le courage de dépasser les limites du convenu et faire craquer les coutures. « Nous sommes ici, Comtesse, aux jointures de la vie. Sur un ordre, ces jointures se descellent : c’est l’invisible qui entre ; le fantômes s’exhalent. C’est chose naturelle. Il se passe ce qui arrive d’ordinaire dans les rêves ». Voilà pour la magie : « Tout l’infini dans les hommes, vous le trouverez à l’intérieur et autour de cette villa. »

© N. Mergui

© N. Mergui

Dans cette pièce, le grand Pirandello met aux prises des artistes qui voudraient apprendre et qui, en même temps ; ne le veulent pas, avec cette «magie» qu’ils espèrent mais qui les effraie. Il développe une réflexion inouïe sur le théâtre et sur l’art en général, d’une profondeur sidérante. Si l’on n’a pas affaire, à force de travail, recherche, humilité paradoxale et orgueil, au désir et à l’inconscient, alors à quoi bon ?

Marie-José Malis s’est donné des principes de mise en scène et elle les tient. Cela fonctionne mais étonne parfois. La cage de scène reste à vue, comme outil et lieu de travail. Cela n’interdit en rien les jeux de rideaux et trappes, qui deviennent presque des acteurs de la pièce. La directrice du Théâtre de la Commune  rend poreuse la frontière entre scène et salle, parfois éclairée, en espérant que le public ne demande qu’à être «éclairé ». Elle demande aussi à ses interprètes de donner leur juste durée au geste et à la réplique,  de prendre le temps de les écouter et de les regarder, comme des spectateurs engagés. Ici, pas de cavalcade qui écraserait au passage cette occasion de réfléchir et de contempler, et qu’on appelle avec complaisance le rythme.

En hommage à l’histoire du théâtre depuis Thespis, la comtesse arrive sur un chariot rempli de paille, pour la rencontre entre les «Guignards » et la troupe qui est avec nous: formidable, impressionnante. Et ses acteurs donnent tout leur art à cette pièce étrange: ils vont très loin dans le jeu de la pensée comme dans les métamorphoses et moments burlesques. Humains, marionnettes, pantins, ils sont vrais dans leurs déguisements, comme le révèle le magicien : vous n’avez pas choisi ce costume par hasard. Et, bien que le mot inconscient ne soit pas prononcé, on l’entend comme le mot : désir.

Au commencement, devant un panneau peint figurant une nature sauvage, une végétation griffue d’où sortent deux têtes (vivantes) baroques, un texte évoque la pièce du jeune Treplev dans La Mouette d’Anton Tchekhov : l’âme universelle plane sur ces montagnes dont on redoute les Géants.  Ensuite, magiciens et comédiens pourront entrer. Nous retrouvons la  compagnie de Marie-José Malis que nous avions déjà connue avec Pirandello et ses riches ambiguïtés : On ne sait comment en 2011, La Volupté de l’honneur (ou Le Plaisir d’être honnête). Mais aussi avec Hypérion d’Hölderlin et Dom Juan de Molière. Ils ont acquis et exercé ensemble une belle maîtrise qui donne toute sa force au spectacle. Qu’importent les âges et les silhouettes, ils sont beaux dans des costumes exceptionnels imaginés et réalisés par Pascal Batigne, l’un d’entre eux. Avec des morceaux de fripes, follement élégants, bien coupés et dignes. Ces Arlequins rapiécés sont des princes : c’est cela aussi, le théâtre.

On se dit que la pièce, inachevée, est interminable. Stefano Pirandello a reconstitué le troisième acte en écoutant son père qui lui dit l’avoir enfin trouvé quelque heures avant sa mort. Malgré tout, elle reste opaque et sa fin ouverte. Qui sont ces Géants menaçants ? Le calcul égoïste des dominants qui ne se soucient d’amuser leurs serviteurs que pour mieux les soumettre ? Et le théâtre ? S’il n’est pas capable de donner au peuple l’imaginaire dont il a besoin, alors qu’ils crèvent les artistes! Pour reprendre le titre emblématique que Tadeusz Kantor avait donné  son beau spectacle (1985). Et nous leur donnerons un sursis: ils  nous ont déroutés et nous les avons admirés. Ils nous ont offert l’un des plus beaux textes théoriques qui soit sur le théâtre. Qu’ils vivent, les artistes… mais les vrais, les courageux!

Christine Friedel

Jusqu’au 19 février, Théâtre de la Commune-Centre Dramatique National 2, rue Edouard Poisson, Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). T. : 01 48 33 16 16

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