Grammaire des mammifères de William Pellier, mise en scène de Jaques Vincey
Grammaire des Mammifères de William Pellier, mise en scène de Jacques Vincey
Une pièce écrite il y a dix-huit ans sans véritable scénario ni personnages mais très dense et avec un dialogue-fleuve haché menu. Jacques Vincey y a vu la possibilité d’une aventure et d’un travail hors-normes avec Alexandra Blajovici, Garance Degos, Marie Depoorter, Cécile Feuillet, Romain Gy, Hugo Kuchel, Tamara Lipszyc et Nans Mérieux.
Ces jeunes comédiens sont issus de l’ensemble artistique du Centre Dramatique National de Tours que dirige Jacques Vincey. Mais on comprend mal son admiration pour ce texte qui a bénéficié d’une bourse de l’association Beaumarchais-S.A.C.D. D’abord dans le hall, une présentation maladroite de l’auteur par les jeunes comédiens, visiblement peu aguerris à ce genre de sport. Puis cela se passe sur le grande scène du Méta-C.D.N. de Poitiers, dans un univers de plantes tropicales, et cachées au début par des bâches en vinyl, il y a quelques rangées de fauteuils rouges de théâtre où viendront s’asseoir et/ou jouer les acteurs. Le metteur en scène, pour faire face à cette logorrhée, a demandé leur aide à la dramaturge Vanasay Khamphommala et au chorégraphe Thomas Lebrun. La scène devient ainsi un vaste terrain d’expérimentation pour un tsunami-profération de mots et un exercice de gestuelle permanent.
«Dans ce bouillonnement incessant, les acteurs-mammifères se cherchent une grammaire commune. Une certaine représentation du monde se dessine peu à peu, crue, sans faux semblant, provocante. » Puisqu’on on vous le dit… Oui, mais voilà, le texte est loin d’être à la hauteur et tient plutôt d’une bouillie sonore sans grande unité, bavarde et assez prétentieuse, que Jacques Vincey va nous servir pendant deux heures et demi! Et il s’agirait d’une adaptation du texte original qui est lui, encore plus long! «Il faut imaginer, dit William Pellier, poète et dramaturge, qu’au-delà du bavardage des dizaines d’événements s’entremêlent : rencontres, complots, alliances, flirts, repas, expériences, jeux, comme si les comédiens jouaient sur deux tableaux dissociés, mais qui se reflètent l’un dans l’autre : l’un fait de ce qu’ils disent, l’autre de ce qu’ils font. Enfin un rôle muet, égaré au centre de ce bavardage, n’est pas à exclure. » Et au moins, l’auteur est honnête: «La danse et la musique ne racontent rien. J’ai envie d’écrire un théâtre qui ne raconte rien mais qui est une expérience. »
Bavardage, voici le maître-mot et, pour bavarder, cela bavarde, avec souvent, chez cet auteur de cinquante-huit ans, une petite coloration d’absurde:«Je veux prendre le temps d’aller vite. », «Les mots sont morts dans notre bouche. », « Nous formons une communauté attablée à la même parole.» Mais n’est pas Samuel Beckett qui veut ni Valère Novarina avec son amour des listes auquel on pense parfois. Certes, il y a quelques belles images comme chez Bob Wilson autrefois: là Jacques Vincey sait faire mais la chose fait penser à une entreprise de déménagement: les jeunes acteurs poussent et repoussent à n’en plus finir des praticables à roulettes. Tous aux abris…
Il y a au début des personnages tout revêtus d’herbe et il y a constamment un peu de secse (sic) dans l’air, ce qui émoustille les nombreux ados dans la salle. Cela semble se passer dans une partouze mais, comme il ne faut pas effrayer le public poitevin, les acteurs sont légèrement habillés. Et il y aussi un moment d’émission télé, et quelque chose d’une réunion de famille, puis d’une leçon d’anatomie, et peut-être pour aérer, quelque chose qui ressemble à un petit vaudeville. Et des pensées tout à fait « innovantes », entre autres sur le théâtre! Tout cela d’une écriture prétentieuse et malgré quelques airs d’avant-garde, bien conventionnel, souvent confus et répétitif. Et sans aucun doute possible, long, long comme quatre jours sans pain. « Ce bombardement de mots et situations est particulièrement ouvert à l’interprétation et à l’invention, dit Jacques Vincey. Il aide à repousser les limites du théâtre. C’est ce que je recherche. »
Mais on s’ennuie terriblement! Après avoir vu à Potiers, un premier spectacle Dan Dâ Dan Dog rigoureux et de haut niveau (voir Le Théâtre du Blog), nous avons, quand même avec deux courageuses critiques, voulu pénétrer dans cette Grammaire des Mammifères. Attirés par le titre et par cette expérience avec de jeunes acteurs? Nos autres collègues s’étaient abstenus et ont eu raison. Tant qu’à faire, nous avons voulu boire le verre jusqu’à la lie et aller jusqu’au bout, mais c’était sans espoir ! Un travail de pro sans doute mais pour fabriquer un théâtre vieillot, interminable et qui tourne à vide. Peut-être imaginable à la rigueur en soixante minutes et quelque mais, refrain habituel, qui ne tient absolument pas la route sur deux heures et demi.
Quelques spectateurs ont fui cet ovni mais le public en majorité très jeune, semblait intéressé. Enfin deux bons points: ces jeunes acteurs prouvent qu’ils sont assez solides pour tenir ce brouet qui ne les mérite pas, et nous aimerions les revoir dans autre chose de plus convaincant, en particulier la remarquable Garance Degos. Et les éléments de décor et costumes choisis par eux, viennent d’un recyclage en règle. Mais va-t-on au théâtre pour cela? A vous de décider.
Philippe du Vignal
Spectacle vu le 25 janvier au Méta-Centre Dramatique National de Poitiers (Vienne).
Du 8 au 18 mars, Le Monfort Théâtre, 106 rue Brancion, Paris ( XVème). T. : 01 56 08 33 88.