Appels d’urgence d’Agnès Marietta, mise en scène d’Heidi-Eva Clavier

Appels d’urgence d’Agnès Marietta, mise en scène d’Heidi-Eva Clavier

Sur la petite scène, quelques socles avec un ordinateur pour régler quelques lumières et console pour le son, le tout manié à vue par Coco Felgeirolles, et à cour, un peu en retrait, un gros et ancien poste de télévision. En bord de plateau et sur un des murs de la salle, une quinzaine de photos -rendues anonymes- de l’actrice, de la petite enfance à aujourd’hui. Et Qu’elle invite à à venir les voir avant le spectacle.

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Pour la jeune metteuse en scène, fille de Coco Felgeirolles et François Clavier, acteur et metteur en scène (bon sang ne saurait mentir!) il s’agit «de traiter en creux de la position à laquelle on assigne les femmes qui dépassent un certain âge, position de plus en plus réduite mais on peut se libérer, à tout âge, se rebeller et choisir sa vie. »

Et derrière, en filigrane, le spectre de ce qu’on appelle, les nouvelles technologies : « Il m’en a fallu du temps pour m’y faire (…)il m’a fallu plus de temps que la moyenne déjà la télé j’étais un peu snob à l’époque la télé pas question je disais à mon mari mon ex-mari pas question et on était d’accord j’ai tenu un certain temps les enfants râlaient et c’est lui mon mari qui a fini par craquer à cause de Roland Garros c’était très peu de temps avant qu’on se quitte il est revenu avec une télé énorme sans me demander mon avis alors que la veille, il m’avait dit : tu as raison, pas de télé, si les enfants s’ennuient ils n’ont qu’à lire comment on faisait nous on lisait et tiens Roland Garros (…)

« Le coup de la télé bien sûr c’était un détail mais de le voir enfermé avec les enfants les yeux rivés sur l’écran à regarder cette connerie de match pim pam pim pam .(…) Toujours est-il la télé est arrivée dans ma vie et on ne peut pas dire qu’elle l’ait altérée pas que je sache celle de mes enfants oui mon fils j’ai l’impression qu’à cette période il s’est assis sur le canapé et qu’il ne s’est jamais relevé jamais dans la continuité il y a eu les jeux vidéo l’ordinateur les jeux en ligne le portable. » Et chez sa fille, c’est l’addiction à la télécommande que cette mère ne supporte pas: «ça l’intéressait plus que le programme, changer toutes les deux secondes zapper zapper. » Elle-même ne la regarde pas ou très peu et préfère jardiner deux heures ou aller au théâtre.
Agnès Marietta a eu envie d’écrire pour Coco Felgeirolles sur le thème de l’obsolescence d’une mère de famille ou, comment en arrive-t-on à être la vieille ou le vieux de quelqu’un d’autre, surtout en ces temps de technologies qui changent en quelques années. Alors que Georges Perec a d’abord vécu dans un quartier du XXème à Paris, où il n’y avait pas encore l’électricité! et encore moins le téléphone, la télévision, et bien sûr, l’ordinateur, les réseaux sociaux, les portables, etc. Et on est passé du disque 78 tours aux 33 tours puis aux CD et DVD puis aux  programmes dématérialisés, avant un retour en grâce limité des 33 tours et de la cassette audio…
C’était mieux avant? Pas sûr, mais plus lent et donc moins stressant. Dans une société  coupée en eux dont une France rurale vite sacrifiée sur l’autel de la toute puissante modernité, l’Etat français macronien ne jurant que par Internet, a quand même été obligé de rétro-pédaler (mais sans jamais l’avouer!) et de créer fissa des «hôtels numériques» (charmante formulation!) pour compenser la disparition de nombreux services dans la France profonde. Haro sur le papier, prière d’aller vous connecter aux services nationaux comme Impôts, E.D.F., Chèques Emploi Service, Sécurité sociale, Caisses de retraite, agences bancaires, postales SNCF… Donc, via des écrans et un assistant, on aide (mais au minimum!) ces pauvres abrutis -jeunes ou moins jeunes- ne disposant pas, et/ou ne sachant pas se servir d’un ordinateur et dont le téléphone portable ne peut fonctionner chez eux par manque d’antennes-relais correctement placées (exemples sur demande).
Appels d’urgence est née d’un travail de tricotage féminin à base d’interviews de la comédienne fait par l’autrice et la metteuse en scène entre fiction et réalité. Avec en filigrane, le portrait de madame Waller, la prof de français-latin de Coco Felgeirolles dans les années soixante. « Une femme brillante, atypique, intransigeante avec une grande aura sur les élèves. »
« Madame Waller, dit Heidi-Eva Clavier, est un point de départ, Coco est le point d’arrivée. Ou l’inverse. Dans le texte, c’est le nom du personnage, de cette femme. Mais pour le public, il ne sera jamais prononcé. Opérer ce tissage entre réalité et fiction et comme les couturières, retirer tous les faux-fils pour qu’à la fin, il soit impossible de distinguer qui, de l’actrice ou du personnage, s’est exprimé. Voilà le cœur de ce spectacle. Et pour souder ce lien entre Madame Waller et Coco, des photos de familles, souvenirs d’enfance anonymisés tapissent l’espace du public. »

Un monologue sans prétention et solidement écrit, où Coco Felgeirolles dirigée face public par Heidi-Eva Clavier qui sait bien faire. Réalité? Fiction ? Sans doute les deux… »Au fil de la pièce, dit aussi la metteuse en scène, elle remonte le fil de sa vie à l’aune des nouvelles technologies, des difficultés, embûches ou soutiens qu’elles lui ont donné et lui donnent encore. La toile d’araignée des réseaux sociaux, qui permet de façonner sa vie en fonction de celui qui va la recevoir. Qui permet une certaine ubiquité : être ici et ailleurs en même temps, mais aussi être là et pas là en même temps.( …) Ce qu’elle cherche, son enquête, son but, c’est comment réussir à avoir un rapport vrai, simple. »

Et mais ce n’est pas dit ici, reste une question récurrente : que nous apporte finalement cette débauche de technologie, sinon une exigence massive d’énergie pour faire fonctionner la moindre visite, le moindre clic sur internet. Comme si nous avions peur d’entendre cette vérité écologique ! Là, l’autrice aurait pu aller plus loin…
Mais en une heure, cette messe du temps passé est dite, et bien dite. Heidi-Eva Clavier a les capacités pour aborder la mise en scène de solos, voire de pièces, plus difficiles. Et on passe un bon moment, loin des technologies prétentieuses qui encombrent en ce moment les plateaux de théâtre… Quelques projos et quelques musiques, c’est tout. Et dans une grande proximité avec cette actrice qui nous raconte à son rythme, cette difficile adaptation des humains au monde d’aujourd’hui… Un monde qui ne pourra plus être celui de demain, si nous voulons encore vivre comme à la fin du XX ème siècle et ne pas voir que la fourniture d’énergie est déjà devenue une arme géopolitique…

 Philippe du Vignal

 Jusqu’au 29 mars, Manufactures des Abbesses, 7 rue Véron, Paris (XVIII ème). T. : 01 42 33 42 03.

 

 

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