Le Malentendu d’Albert Camus, traduction de Marianne Kalbari, mise en scène de Yannis Houvardas

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Le Le Le Le Le Malentendu d’Albert Camus, traduction de Marianne Kalbari, mise en scène de Yannis Houvardas

Une pièce écrite en 1942-1943 au Chambon-sur-Lignon (un village de Haute-Loire en France qui a résisté de façon exceptionnelle à l’occupant allemand et accueilli de nombreuses familles juives) et où  l’écrivain soignait une tuberculose. Ce fait-divers relaté dans L’Etranger figure aussi dans plusieurs contes populaires d’Europe centrale et devient ici une allégorie de la condition humaine.

Après avoir fait fortune au loin et s’être marié, Jan arrive incognito en Bohème dans l’auberge que tiennent sa sœur, Martha et sa mère. Elles ont pris habitude d’assassiner les riches voyageurs pour les dévaliser. L’une a des scrupules mais l’autre est mue par le ressentiment. Quand elles découvrent qui est leur dernière victime, la mère se suicide et Martha aussi, après avoir crié sa haine du monde. Il n’y a plus personne pour consoler Maria, l’épouse de Jan. Et le vieux domestique se montre insensible à sa détresse.

En somme, le fils prodigue n’a pas trouvé les mots appropriés et cet homme de bonne volonté a été un piètre metteur en scène et acteur. En se faisant passer pour un autre, il a lui-même mis en marche l’engrenage qui va le broyer. Les malencontreuses interventions du domestique empêchent ces femmes de connaître l’identité de leur future victime. La lassitude de la mère, l’inhumanité de Martha, frustrée de bonheur, contribuent aussi à un dénouement qui aurait pu être évité.

Dans ce lieu clos où l’on est exilé pour toujours, les personnages communiquent difficilement et les silences sont pesants. Avec cette fable, Albert Camus actualise le vieux schéma du quiproquo tragique. Comme dans les tragédies Iphigénie en Tauride, Œdipe roi et surtout Électre. Mais ici, il y a une différence fondamentale: Albert Camus venait d’écrire dans Le Mythe de Sisyphe, que le destin est «une affaire d’hommes qui doit être réglée entre les hommes».
Construction en trois actes, strict respect des unités, dialogues et monologues de haut niveau: on a placé Le Malentendu du côté de la tradition théâtrale, à un moment où elle était contestée.   Chaque mise en scène de Yannis Houvardas est un essai porteur de signes, avec un méta-texte enrichissant les notions-clés, sous-entendus et non-dits. Et il demande à ses acteurs de prendre une distance par rapport au texte, et pour éviter sentimentalité et expression émotionnelle, de parler lentement et clairement.

Sur le plateau, le bar tout en longueur de l’auberge où rentrent ivres,  la mère et la  fille est un praticable où Blaine L. Reininger joue des mélodies blues mélancoliques tout au long du spectacle. Il y a aussi un  cafard géant que mère et fille embrassent souvent (une marionnette, clin d’œil à Kafka). En haut de la scène, une boîte étroite comme un  cercueil:  la chambre de Jan. Un univers hypnotique et hallucinogène

Marianne Kalbari crée avec une clarté remarquable le personnage de la Mère, une morte-vivante se décomposant au ralenti, qui veut mais ne peut pas mourir et qui incarne la fatigue, telle une condition existentielle. Pénélope Tsilika est Martha, vaisseau palpitant de désirs insatisfaits et écrasés, corps souillé par la solitude  et transformé de manière déchirante en un cygne noir qui laisse ses ténèbres se répandre. Flomaria Papadaki (Maria) et Anastassis Roïlos (Jan) font bien passer tous les doutes, fêlures et phobies qui deviendront cynisme, violence et culpabilité…  Un spectacle de haut niveau à ne pas manquer ! 

 Nektarios-Georgios Konstantinidis 

 Théatro Technis Karolos Koun, 14 rue Frynichou, Plaka, Athènes. T. : 00302103228706.


Archive pour 25 février, 2023

Une Démocratie splendide d’arbres forestiers, d’après l’œuvre et la correspondance de John Keats, mise en scène de Nicolas Sruve

Une Démocratie splendide d’arbres forestiers, d’après l’œuvre et la correspondance de John Keats, adaptation de la traduction originale de Robert Davreu, mise en scène de Nicolas Sruve 

Ce très bon acteur que l’on a vu souvent dans les pièces de Valère Novarina mais aussi de Bernard-Marie Koltès, Racine ou Ibsen, est aussi passionné et traducteur de la littérature russe. Et il avait récemment monté un  beau spectacle à partir de la correspondance entre Anton Tchekhov et Lydia Mizinova( voir Le Théâtre du Blog)

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Cette fois, il a voulu, aidé par Mico Nissim au synthé, nous faire découvrir ou redécouvrir le célèbre poète anglais John Keats (1795-1821). Pratiquement méconnu, il ne publiera de son vivant que trois livres : Poems, Endymion et Lamia, Isabella, Eve of Saint-Agnès and other poems. Tuberculeux, il meurt d’hémorragie seul à Rome. Il avait vingt-six ans!
Dans le silence de ce merveilleux studio aux murs tapissés de boiseries, un sol couvert de cartons, et sur une petit bureau, des livres, quelques fleurs dans un vase, des pinceaux, et au fond, un synthé et les accessoires électroniques (belle scénographie de Raymond Sarti). Et surtout des portraits en pied, sur des cartons kraft, de la famille et des amis de John Keats que Nicolas Struve disposera un partout autour de lui.
Il évoque avec une diction parfaite et grâce à un habile tricotage, les amitiés et amours de l’écrivain et nous lit aussi ses lettres et poèmes, d’une puissance et d’une beauté étonnante. Un spectacle intéressant mais trop long (une heure aurait suffi) et auquel il manque la musique de l’anglais. Pourquoi ne pas avoir glissé quelque poèmes dans la langue originale?
Nicolas Struve a moins bien réussi son coup qu’avec Tchekhov. Après un sérieux élagage (il y a des tunnels surtout vers la fin) et en trouvant un meilleur rythme, il pourrait faire nettement progresser ce spectacle. Un travail en cours et à suivre.

Philippe du Vignal 

Jusqu’en mars, Théâtre de l’Epée de bois, Cartoucherie de Vincennes. Métro: Château de Vincennes+ navette.
Poèmes de John Keats éditions Belin.
Le texte du spectacle est publié chez Arléa.

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