Festival La Tête dans les nuages (suite)

Festival La Tête dans les nuages (suite)

En onze jours avec treize propositions, ce festival offre de belles découvertes, preuve une fois de plus  que de théâtre jeune public n’est pas un art mineur comme certains le croient, Ces spectacles font écho à l’esprit d’Angoulême, ville de la bande dessinée et de l’image. (voir Le Théâtre du Blog).

Cartoon de Mike Kenny, traduction de Séverine Magois, mise en scène d’Odile Grosset-Grange

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© Christophe Raynaud de Lage

 Dans un paysage urbain de carton-pâte, à l’avant-scène, deux châssis figurent une maison ordinaire. Nous sommes à Normal-Ville, Normal Street, chez la Famille Normal. Il y a la mère, Norma, le père, Norman, la fille, Dorothy et le fils, Jimmy qui sera un peu le fil rouge de la pièce. Et une bébé, un chien et un poisson rouge qui parle.

En costumes colorés style années soixante-dix, tranchant avec l’univers monochrome du décor, ils se présentent en chantant: «Pas des gens à faire des histoires/On ne fait pas de vagues… » Mais il ne faut pas se fier aux apparences : ces gens «normaux» n’ont rien d’ordinaire.  La scénographie de Stephan Zimmerli, pourrait passer comme une convention théâtrale mais se révèle être le lieu d’un dessin animé où les personnages sont voués à suivre éternellement le même scénario. «Tout peut arriver, dit l’un d’eux, on est des cartoons, des dessins animés … On ne ressent jamais la douleur (…) on est accompagnés de musique (…) On ne vieillit jamais et jamais on ne meurt… »Sans passé ni futur, ils vont d’épisode en épisode: explosion, course-poursuite, bagarres, escalades vertigineuses, ils sortent toujours indemnes des dangers et l’espace se transforme, s’ouvre et se referme, en créant un grand nombre d’images…

Mais un jour, la vie de Jimmy bascule: Norma Normal, une grande scientifique, confond le biberon de Bébé avec une potion qu’elle a inventée : Bébé devient alors invisible et Jimmy qui a goûté au breuvage, se met à grandir, à souffrir… Craig -la petite brute du quartier qui martyrise toujours notre héros- se rend compte de l’anormalité des Normal… Traquée par les médias, la famille devra déménager une fois encore et recommencer à zéro ses sempiternelles aventures.

Jimmy, lui, renonce à son destin de cartoon en trois dimensions et à ses super-pouvoirs, pour devenir un simple mortel. Il sortira définitivement du cadre lumineux bordant l’avant-scène, indiqué par Mike Kenny pour symboliser le dedans et le dehors mais aussi l’écran de télévision ou de cinéma que nos héros choisissent, ou non de traverser.

Odile Grosset-Grange met en scène et en images avec maestria cette pièce inédite de l’auteur britannique dont elle a déjà monté cinq autres. Elle transpose avec les moyens artisanaux du théâtre, les effets spéciaux des cartoons d’autrefois. François Chary, Julien Cigana, Antonin Dufeutrelle, Delphine Lamand, Pierre Lefebvre-Adrien, et Pauline Vaubaillon jouent avec rythme et rigueur ces figures archétypales de la famille américaine moyenne, figées dans une permanente bonne humeur : ils courent, volent, passent à travers les murs grâce à la magie des trucages. La marionnette du chien est hilarante et les répliques du poisson rouge à la mémoire trouée font merveille: le jeune public réagit au quart de tour.
Les prouesses techniques, des gags à la Tex Avery ou Walter Lantz, la drôlerie des situations font vibrer les cinq cents enfants dans la grande salle du Théâtre. 
Mike Kenny traite de la douloureuse mutation d’un corps pour accéder à l’humanité -comme La Petite Sirène, en moins dramatique-  ou plus simplement de la transformation du corps adolescent et de l’adieu à l’enfance, et son message s’insinue en filigrane dans ce spectacle grand format réjouissant de vitalité. `

Avion Papier d’Arthur Delaval, mise en scène de Laura Dahan

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Avion Papier ©Pierre ACOBAS

Une vieille caravane installée sur la place, le temps d’un ciné-concert abrite un théâtre miniature accueillant jusqu’à dix-huit spectateurs.  Tout petits et grands- vont passer vingt minutes d’enchantement visuel et sonore. Un musicien et bruiteur joue d’instruments pour enfants (piano, saxophone, percussions) sur des boucles enregistrées en direct avec les moyens du bord. A la fois projectionniste, régisseur-lumière, accessoiriste… il fait tintinnabuler des objets au plafond et le long des murs. Sur plusieurs écrans, une voyageuse intrépide marche dans des paysages urbains,  croise d’étranges humains, tombe dans des gouffres, gravit de hautes tours ou s’envole en ballon dans un ciel traversé d’avions en papier et parfois d’oiseaux.

Le dessin animé d’Arthur Delaval au graphisme nous transporte dans un univers mélancolique en noir et blanc, aux arbres dénudés et où les cheminées crachent des fumées grisâtres. Ses habitants se désagrègent, perdent leur tête, s’aplatissent, puis se relèvent. Après une série de chutes vertigineuses et d’ascensions délicates, la petite dame à la valise trouve enfin un passage vers le haut, en couleurs.

Guilhem Bréard a repris ce beau spectacle ambulant qui  tourne depuis sept ans. Son auteur, lui, travaille à un nouvel opus: Fantôme, à La Méandre, à Châlon-sur-Saône, un collectif de théâtre de rue: «La réunion d’initiatives artistiques porte sur quelques axes: chatouiller l’espace public, titiller la rue, terrain fort de jeux et d’enjeux.» On attend avec impatience cette création le 2 juin pour le festival Tous dehors, à la Scène Nationale de Gap (Hautes-Alpes).

 Mireille Davidovici

 Spectacles vus les 1er et 2 mars; 

le festival La tête dans les nuages se poursuit jusqu’au 11 mars. Théâtre d’Angoulême-Scène Nationale, avenue des Maréchaux, Angoulême (Charente). T. :05 45 38 61 62.

 Cartoon, les 10 et 11 mars à L’Azimut Scène Nationale-Théâtre La Piscine, Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine) ; les 21 et 22 mars, Comédie de Valence, Valence (Drôme)

Du 4 au 6 avril, La Coursive, La Rochelle (Charente-Maritime); du 14 au 16 avril, La Ferme du Buisson, Noisiel (Seine-et-Marne).

Les 4 et 5 mai, Gallia Théâtre, Saintes (Charente-Maritime); le 26 mai, Théâtre de Gascogne-Le Pôle, Mont-de-Marsan (Landes).


Archive pour 4 mars, 2023

La Tête dans les nuages : vingt-sixième édition

La Tête dans les nuages : vingt-sixième édition 

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Hall du Théâtre d’Angoulême© M Davidovici

« Le théâtre pour enfants, disait Constantin Stanislavski en 1907, c’est le théâtre pour adultes, en mieux.» Ambition de ce festival créé à la Scène Nationale d’Angoulême en 1997 par André Curmi, directeur et Chantal Rocailleux, secrétaire générale.

Un des premiers festivals jeune public offert par une Scène nationale, suivi par Odyssées 78 à Sartrouville, Méli’môme à Reims, Momix à Kingersheim, À pas contés à Dijon, L’Échappée belle à Blanquefort…

Ici, Sonia Kéchichian a repris le flambeau il y a trois ans et ouvert la programmation aux adolescents, voire aux jeunes adultes et aux tout-petits. Pendant onze jours avec treize propositions. Pour faire grandir La Tête dans les nuages, elle a associé un groupe de jeunes volontaires à ses choix avec un « club prod » pour les intégrer au travail de la programmation. Un projet mené en parallèle avec le Nest à Thionville.

Dans ces villes, une dizaine de jeunes gens entre quinze et vingt ans examine des dossiers et en sélectionne quatre. Pour, après débat, choisir un projet. Cette année, Tenir Debout de Suzanne de Baecque, un solo issu des Croquis de Voyage de l’Ecole du Nord (voir Le Théâtre du blog). L’actrice opère une plongée dans les coulisses du concours Miss Poitou-Charentes.
Elle s’y était elle-même présentée et a vécu la violence de cette course à l’écharpe. Suzanne devient Laureline, en une langue d’aujourd’hui vitaminée au «globish» : une version simplifiée de l’anglais : «Je suis pas une fille de groupe, tu vois. Mais, meuf, la vie elle est courte, alors, profite ! Go, go, go!»Suzanne de Baecque a su trouver la bonne distance pour faire exister, sans la caricaturer, cette jeune femme très «girly», fan des séries 
Gossip Girl et Pretty Little Liars… Une histoire émouvante qui donne voix à l’une de ces personnes qu’on n’entend jamais, confinées dans ces «territoires perdus de la République» titre du livre d’Emmanuel Brenner.

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Gadoue © La Cascade

 Les plus jeunes pourront assister à Gadoue de Nathan Israël et Luna Rousseau créé  au festival d’Alba-la-Romaine (Ardèche). Sur une piste blanche, un jongleur en élégant costume bleu marine, joue avec une boule d’un blanc immaculé, et défie l’argile gluante sur le plateau. Malgré tous ses efforts, la boule y tombera et Nathan Israël s’y vautrera mais non sans plaisir, jusqu’à devenir une statue aux postures bizarres. Pour la plus grande joie du public, complice de cette transgression pendant une demi-heure.

 De belles découvertes aussi comme Avion Papier d’Arthur Delaval et une nouvelle création Cartoon de Mike Kenny d’Odile Grosset-Grange. Ces spectacles font écho à l’esprit d’Angoulême, ville de la bande dessinée où on voit partout des murs, voire du mobilier urbain, peints par les artistes qui séjournent à la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image. Cette institution et un musée ont été créés en marge du fameux festival. (voir Le Théâtre du blog

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P.I.E.D. de Bérénice Legrand© Christophe Raynaud de Lage

 A côté du théâtre et du cirque, la danse avec  P.I.E.D. de Bérénice Legrand, un spectacle ludique suivi d’un moment immersif pour les petits et Villes de papier de Cécile Loyer qui donne corps et voix aux migrants. Le cinquième art sera aussi à l’honneur dans les futures éditions, avec deux projets présentés ici lors d’une journée professionnelle de l’O.A.R.A. (Office Artistique Régional de Nouvelle Aquitaine) qui aide la création et la diffusion des spectacles dans cette vaste région. L’Odéon, troisième salle de la Scène Nationale, est déjà au complet pour la présentation de deux créations à venir, dont les metteurs en scène sont à la recherche de production.

Valse avec Wrungdilstilbletrodasgoridasglou de Marc Lacourt

Le danseur est devenu chorégraphe il y a dix ans, avec «l’envie de parler à la jeunesse : avec les enfants, les parents s’initient au théâtre et à la danse, grâce à des propositions jeune public ». Dans cette pièce six interprètes et des objets s’animeront sur un fond d’ un tableau bleu d’Yves Klein. Le plateau sera traversé de monstres «passeurs qui nous éloignent de nos peurs».
Marc Lacourt rêve aussi d’y planter des arbres et une nature envahissante. Avec un conteur, un philosophe et une dessinatrice, il se laisse le temps de trouver une proximité avec les spectateurs, pour leur «dire la diversité des corps» et leur communiquer l’envie de danser…

 Rites de passage de Sylvie Balestra

«Dans une société qui n’a plus de rite de passage pour l’entrée dans l’âge adulte, dit la chorégraphe, je m’adresse directement aux adolescents et leur propose un rituel.» Ses créations se nourrissent d’observations anthropologiques dans différents milieux. Ce projet s’appuie sur un travail artistique mené avec des mineurs placés en Centre éducatif fermé à Bergerac (Dordogne)qui a été inauguré l’an passé A partir d’anciens ballons de football et rugby découpés, ils ont confectionné des masques en cuir, aidés par la maroquinerie proche de Nontron : «Ils se sont construit une deuxième peau, une armure. »
Soit sept masques et un film qui feront l’objet d’une exposition à la Fabrique Pola, quai de Brazza à Bordeaux. Des masques exposés au Musée du quai Branly et les danses de passage africaines ont aussi inspiré les jeunes gens.
« La balle, dit Sylvie Balestra, nous a mis en mouvement.» Elle espère construire un solo pour une danseuse-performeuse dans une grande proximité avec ces êtres mutants dont Françoise Dolto disait qu’ils sont comme le homard pendant la mue, sans carapace et exposés à tous les dangers et à la nécessité d’en «suinter» une autre. Installée en Dordogne, la compagnie Sylex a déjà à son actif, des créations collectives fondées sur des rites actuels survivants. A suivre…

Mireille Davidovici

Jusqu’au 11 mars, Théâtre d’Angoulême-Scène Nationale, avenue des Maréchaux, Angoulême (Charente). T. : 05 45 38 61 62.

 

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