La Tête dans les nuages : vingt-sixième édition
La Tête dans les nuages : vingt-sixième édition
« Le théâtre pour enfants, disait Constantin Stanislavski en 1907, c’est le théâtre pour adultes, en mieux.» Ambition de ce festival créé à la Scène Nationale d’Angoulême en 1997 par André Curmi, directeur et Chantal Rocailleux, secrétaire générale.
Un des premiers festivals jeune public offert par une Scène nationale, suivi par Odyssées 78 à Sartrouville, Méli’môme à Reims, Momix à Kingersheim, À pas contés à Dijon, L’Échappée belle à Blanquefort…
Ici, Sonia Kéchichian a repris le flambeau il y a trois ans et ouvert la programmation aux adolescents, voire aux jeunes adultes et aux tout-petits. Pendant onze jours avec treize propositions. Pour faire grandir La Tête dans les nuages, elle a associé un groupe de jeunes volontaires à ses choix avec un « club prod » pour les intégrer au travail de la programmation. Un projet mené en parallèle avec le Nest à Thionville.
Dans ces villes, une dizaine de jeunes gens entre quinze et vingt ans examine des dossiers et en sélectionne quatre. Pour, après débat, choisir un projet. Cette année, Tenir Debout de Suzanne de Baecque, un solo issu des Croquis de Voyage de l’Ecole du Nord (voir Le Théâtre du blog). L’actrice opère une plongée dans les coulisses du concours Miss Poitou-Charentes.
Elle s’y était elle-même présentée et a vécu la violence de cette course à l’écharpe. Suzanne devient Laureline, en une langue d’aujourd’hui vitaminée au «globish» : une version simplifiée de l’anglais : «Je suis pas une fille de groupe, tu vois. Mais, meuf, la vie elle est courte, alors, profite ! Go, go, go!»Suzanne de Baecque a su trouver la bonne distance pour faire exister, sans la caricaturer, cette jeune femme très «girly», fan des séries Gossip Girl et Pretty Little Liars… Une histoire émouvante qui donne voix à l’une de ces personnes qu’on n’entend jamais, confinées dans ces «territoires perdus de la République» titre du livre d’Emmanuel Brenner.
Les plus jeunes pourront assister à Gadoue de Nathan Israël et Luna Rousseau créé au festival d’Alba-la-Romaine (Ardèche). Sur une piste blanche, un jongleur en élégant costume bleu marine, joue avec une boule d’un blanc immaculé, et défie l’argile gluante sur le plateau. Malgré tous ses efforts, la boule y tombera et Nathan Israël s’y vautrera mais non sans plaisir, jusqu’à devenir une statue aux postures bizarres. Pour la plus grande joie du public, complice de cette transgression pendant une demi-heure.
De belles découvertes aussi comme Avion Papier d’Arthur Delaval et une nouvelle création Cartoon de Mike Kenny d’Odile Grosset-Grange. Ces spectacles font écho à l’esprit d’Angoulême, ville de la bande dessinée où on voit partout des murs, voire du mobilier urbain, peints par les artistes qui séjournent à la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image. Cette institution et un musée ont été créés en marge du fameux festival. (voir Le Théâtre du blog)
A côté du théâtre et du cirque, la danse avec P.I.E.D. de Bérénice Legrand, un spectacle ludique suivi d’un moment immersif pour les petits et Villes de papier de Cécile Loyer qui donne corps et voix aux migrants. Le cinquième art sera aussi à l’honneur dans les futures éditions, avec deux projets présentés ici lors d’une journée professionnelle de l’O.A.R.A. (Office Artistique Régional de Nouvelle Aquitaine) qui aide la création et la diffusion des spectacles dans cette vaste région. L’Odéon, troisième salle de la Scène Nationale, est déjà au complet pour la présentation de deux créations à venir, dont les metteurs en scène sont à la recherche de production.
Valse avec Wrungdilstilbletrodasgoridasglou de Marc Lacourt
Le danseur est devenu chorégraphe il y a dix ans, avec «l’envie de parler à la jeunesse : avec les enfants, les parents s’initient au théâtre et à la danse, grâce à des propositions jeune public ». Dans cette pièce six interprètes et des objets s’animeront sur un fond d’ un tableau bleu d’Yves Klein. Le plateau sera traversé de monstres «passeurs qui nous éloignent de nos peurs».
Marc Lacourt rêve aussi d’y planter des arbres et une nature envahissante. Avec un conteur, un philosophe et une dessinatrice, il se laisse le temps de trouver une proximité avec les spectateurs, pour leur «dire la diversité des corps» et leur communiquer l’envie de danser…
Rites de passage de Sylvie Balestra
«Dans une société qui n’a plus de rite de passage pour l’entrée dans l’âge adulte, dit la chorégraphe, je m’adresse directement aux adolescents et leur propose un rituel.» Ses créations se nourrissent d’observations anthropologiques dans différents milieux. Ce projet s’appuie sur un travail artistique mené avec des mineurs placés en Centre éducatif fermé à Bergerac (Dordogne)qui a été inauguré l’an passé A partir d’anciens ballons de football et rugby découpés, ils ont confectionné des masques en cuir, aidés par la maroquinerie proche de Nontron : «Ils se sont construit une deuxième peau, une armure. »
Soit sept masques et un film qui feront l’objet d’une exposition à la Fabrique Pola, quai de Brazza à Bordeaux. Des masques exposés au Musée du quai Branly et les danses de passage africaines ont aussi inspiré les jeunes gens.
« La balle, dit Sylvie Balestra, nous a mis en mouvement.» Elle espère construire un solo pour une danseuse-performeuse dans une grande proximité avec ces êtres mutants dont Françoise Dolto disait qu’ils sont comme le homard pendant la mue, sans carapace et exposés à tous les dangers et à la nécessité d’en «suinter» une autre. Installée en Dordogne, la compagnie Sylex a déjà à son actif, des créations collectives fondées sur des rites actuels survivants. A suivre…
Mireille Davidovici
Jusqu’au 11 mars, Théâtre d’Angoulême-Scène Nationale, avenue des Maréchaux, Angoulême (Charente). T. : 05 45 38 61 62.