On ne paye pas de Dario Fo et Franca Rame, mise en scène de Bernard Lévy
On ne paye pas de Dario Fo et Franca Rame, traduction et adaptation de Toni Cecchinato et Nicole Colchat, mise en scène de Bernard Lévy
Non si paga, non si paga!, après avoir été créée en 1974 a été actualisée en 2007 par Dario Fo, sous le titre: Sotto paga ! Non si paga ! (Sous-payés ! On ne paie pas !) quand avait surgi la crise des subprimes aux Etats-Unis.La pièce a aussi été créée en français, notamment par Jacques Nichet en 2005.
Cela se passe à Milan dans un quartier populaire, à un moment où le prix des produits alimentaires ne cesse de grimper. Vous avez dit: rebelote ? Des femmes d’ouvriers exaspérées décident alors de payer l’ancien prix mais volent aussi tout ce qu’elles peuvent dans le supermarché. Le directeur, débordé, laisse faire. Antonia planque ses vols dans un sac et fait croire qu’elle est enceinte. Cette ruse envahit le quartier: toutes les femmes le deviennent subitement prennent le pouvoir face à des maris qui ne comprennent rien à cette affaire. (La pièce était déjà teintée des revendications de Mitout!) La police, elle aussi dépassée, va quand même faire quelques perquisitions…
Ici, Dario Fo (1926-2016) évoque aussi les maux connus en Italie et en Europe, délocalisation, chômage, salaires très bas dans les entreprises ou dans la police, menaces d’expulsion pour cause de loyers impayés, pouvoirs abusifs du gouvernement, maternités non souhaitées….Un spectacle inspiré de l’actualité italienne mais tout proche de la commedia dell’arte et de la farce. Avec des personnages grotesques, voire caricaturaux qui parlent sans arrêt, ou courent pour échapper à leur destin. Grâce au jeu des acteurs, tous crédibles même quand ils en jouent plusieurs, avec rapides changements de costumes et quelques postiches… et qui nous embarquent dans des aventures invraisemblables virant au délire complet. Mais ici plus, c’est faux et délirant, plus nous entrons dans le jeu de Dario Fo qui met en scène cette satire sociale, avec un sens du dialogue comique et une mise en abyme remarquables.
Du grand art théâtral proche des clowns, l’auteur et metteur en scène aida les célèbres Colombaioni à se faire connaître. Et ils furent vite ovationnés en France après que Jean Digne les avait invités à jouer à Aix, ville ouverte aux saltimbanques, la première grande opération très réussie de spectacles de rue.
Ici une chambre-cuisine d’H.L.M. : peu d’accessoires mais significatifs : une table de cuisine et trois chaises en stratifié des années cinquante, un évier, une gazinière avec des bouteilles d’oxygène pour aider à l’allumage au cas où… Et un grand lit: on planquera en dessous la nourriture volée. Mais, loin de tout naturalisme ou à dose homéopathique, c’est le règne de la parodie, de l’outrance et de la mise en abyme : l’armoire à vêtements devient ainsi un petit bureau où s’enferme régulièrement cet ouvrier après s’être disputé avec sa femme. Le texte comme ceux de Mistero Buffo,Mort accidentelle d’un anarchiste, L’Enterrement du Patron, un farce militante (1969),Couple ouvert à deux battants, est d’une rare efficacité. Comme dans les années 2000, avec Ubu roi, Ubu bas, et L’Anomalo bicefalo, des pièces virulentes contre Silvio Berlusconi.
Dario Fo, avec sa bonhommie et sa gentillesse -nous l’avions interviewé quand il avait monté son fameux Mistero Buffo au festival d’Avignon- était aussi un redoutable adversaire politique du capitalisme, du Vatican et de la toute puissante Eglise catholique italienne à cette époque-là. Et il les dénonça sans cesse avec ses acteurs dans des endroits qui n’étaient pas toujours des lieux de spectacles.
Mais cet homme de théâtre engagé à l’extrême gauche et adulé, paya très cher son anticonformisme : l’Etat italien le traîna dans la boue, censura ses pièces et, en 74, son épouse Franca Rame fut enlevée, torturée et violée par des militants d’extrême droite !
Anticonformiste et provocateur, Dario Fo devra affronter plusieurs fois la justice italienne et sera même interdit de séjour aux Etats-Unis ! Ce n’était pas au Moyen-Age mais il y a quarante ans…
Dans une remarquable scénographie de Damien Caille-Perret où, à la fin, tout se détraque : une étagère bascule avec les casseroles, les portes de la chambre et celle de la gazinière s’ouvrent toutes seules, les murs tombent… Eddie Chignara, Anne-Élodie Sorlin, Jean-Philippe Salério, Flore Babled, Jules Garreau et Elie Chapus, pas très loin parfois de Laurel et Hardy mais aussi de Macha Makeïeff et Jérôme Deschamps ont tous une gestuelle d’une rare efficacité et par rapport à la moyenne nationale, une diction très précise! Et cela fait un bien fou !
La mise en scène de Bernard Lévy est impeccable: invention et rythme soutenu, direction d’acteurs au cordeau, costumes intelligents comme la scéno en accord absolu avec le jeu. Et s’il voulait bien renoncer à quelques lumières stroboscopiques qui font mal aux yeux, ce serait encore mieux. Bref, un travail d’un rare qualité où les acteurs, sans être jamais vulgaires, font rire une salle entière, ce qui est plutôt exceptionnel dans le théâtre actuel qui fait plutôt dans le noir et le tragique. Chapeau! Le public surtout une bande de collégiens, les a donc longuement applaudis.
N’hésitez pas à aller jusqu’à la Cartoucherie mais attention, cela ne se joue pas longtemps et les navettes ne sont pas toujours fréquentes, alors mieux vaut prendre le bus. Il faut espérer que ce spectacle soit repris et joué longtemps…
Philippe du Vignal
Jusqu’au 18 mars, Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de manœuvre. T. : 01 43 28 36 36.
Métro Château de Vincennes + navette gratuite ou bus 112 (zone 3), toutes les vingt minutes; arrêt : Cartoucherie.
Faut pas payer, traduction de Valeria Tasca et Toni Cecchinato est éditée aux Tréteaux de France.
On ne paie pas! On ne paie pas!, traduction de Toni Cecchinato et Nicole Colchat), L’Arche-Editions ( 2015 )