Behind The Light, chorégraphie et interprétation de Christiana Morganti

Behind the Light, chorégraphie et interprétation de Christiana Morganti

Moving with Pina (2019), un solo de cette artiste avait été beaucoup apprécié (voir Le Théâtre du Blog). Et elle reçut le Prix de la meilleure interprète du Syndicat de la critique. Nous la retrouvons après une pandémie durant laquelle elle a subi bien des malheurs : perte des parents, départ de son conjoint et impossibilité de créer un spectacle avec cinq interprètes d’horizons et de nationalités différents.

©Ilania Constanzo

©Ilaria Constanzo

«Je voulais partir de quelque chose de très personnel, dit-elle, mais je traversais alors une période très sombre où j’essuyais des coups du sort les uns après les autres. J’ai finalement décidé de raconter exactement ce que je vivais ». Et avec un humour qui atténue la violence des faits, elle nous raconte comment réduire les coûts d’une création: un solo bien sûr avec quelques accessoires si possible gonflables pour le transport, des effets techniques limités, etc.
Elle nous raconte son extrême difficulté à s’extraire de l’héritage de Pina Bausch dont elle a été une interprète mythique.
Comment en effet devenir chorégraphe quand chaque geste, même le plus minimaliste comme la rotation d’un doigt, chaque mouvement, en particulier l’ondulation des bras, chaque musique, ethnique, jazz, sacrée… rappellent un glorieux passé : «Quand on commence à créer ses pièces et à enseigner, on se rend compte de tout ce que Pina a apporté, comme son attention au moindre détail et sa relation avec le public. »
Ce public orphelin qui gardait en mémoire les heures intenses vécues au Théâtre de la Ville et  qui était venu la voir en 2019 pour retrouver ses émotions… Ici, pendant une heure dix, malgré des moments parlés touchants, son expression physique est parfois peu lisible. Un solo qui nous fait ressentir la difficulté pour des intrerprètes à s’affranchir de ce qui aura été une des plus grandes aventures artistiques du XX ème siècle.

Jean Couturier

Jusqu’au 11 mars, Théâtre de la Ville-Les Abbesses, 31 rue de Abbesses, Paris (XVIII ème). T. : 01 42 74 22 77.


Archive pour 8 mars, 2023

ADN de Dennis Kelly, traduction de Philippe Le Moine, mise en scène de Marie Mahé

ADN de Dennis Kelly, traduction de Philippe Le Moine, mise en scène de Marie Mahé

Pièce ADN9

© D. R.

Le théâtre de Dennis Kelly violent, précis, efficaces,  littéralement  «au rasoir» de Débris (sa première pièce en 2003) Occupe-toi du bébéOrphelins, Amour et argent, ADN, Après la fin, Garçons et filles, Oussama, ce héros,  a été souvent joué en France (voir Le Théâtre du Blog). Avec  ADN  son écriture  s’avère une fois de plus en prise avec notre actualité.
Créée à Londres en 2009, cette œuvre résonne de façon particulière aujourd’hui après les nombreux cas de harcèlement qui ont conduit des jeunes au suicide, dernièrement Luca, au tout début 2023, en Lorraine… La pièce met en scène
 un groupe d’adolescents qui ont fait d’un de leur camarade, un souffre-douleur. En trois chapitres: L’Annonce, La Trahison, Le Miracle  l’auteur britannique brosse un tableau cruel de notre humanité.

Cela commence par un dialogue hésitant.  » Cathy : C’est la merde. John : Non, non, c’est pas la merde, Cathy, c’est pas la merde. Cathy : On est dans la merde. John : Non Cathy, on est pas…C’est pas…On n’est pas… Rien n’est… Cathy : Si c’est… »John (Tigran Mekhitarian, en alternance avec Achille Reggiani), Cathy (Marie Mahé) et Léa (Luce Busato) sont sidérés et ne trouvent pas les mots pour commenter un accident où ils ont laissé pour mort, Adam, leur tête de Turc : «Je veux dire, on rigolait juste, hein? On était tous, vous savez…Vous connaissez Adam, vous savez comment il est, donc on était là, enfin tu sais, à se moquer, enfin. » Ils voulaient juste le bousculer, pas le tuer…

Sur le plateau nu, les acteurs, sac à dos et en survêtement, se déplacent autour d’un banc. Quelque part entre banlieue et forêt. En fond de scène, une toile d’Ymanol Perset reproduit en gros plan,les doigts de Dieu et d’Adam tendus l’un vers l’autre dansLa Création d’Adam, l’une des neuf  fresques inspirées du livre de la Genèse que Michel-Ange a peintes sur le plafond de la chapelle Sixtine en 1511. Mais des doigts tout rouges 

comme les mains de John, Cathy et Léa. Désemparés, les trois  jeunes gens vont s’en remettre à Phil (Maxime Boutéraon), le caïd du lycée. Pour résoudre le problème, élabore un plan machiavélique qui se refermera sur eux comme un piège… Mâle dominant, il s’en lave les mains qu’il n’a pas grimées en rouge comme ses camarades: «C’est moi qui commande, dit-il. Tout le monde est plus heureux comme ça. Quel est le plus important; une seule personne, ou bien tout le monde? »

 Dennis Kelly pose un regard d’anthropologue sur cette tribu d’adolescents. «Il paraît que les bonobos sont nos cousins les plus proches, dit Léa, qui s’avère la plus lucide de la bande. «Les bonobos sont l’inverse des chimpanzés. Quand un bonobo se blesse la main, mais chez les chimpanzés probablement, on le chasse ou on lui arrache sa main, chez les bonobos, au contraire, ils viennent s’occuper de lui et ils ont l’air tout tristes qu’un des leur a mal. De l’empathie. C’est ça qu’ils ressentent, les bonobos. » Une infime différence d’ADN, selon elle, entre ces espèces. Et c’est justement une recherche d’ADN sur un homme accusé par les lycéens du meurtre d’Adam qui va faire basculer la pièce et qui lui a donné son titre.

«J’essaye de donner à voir ce que je ressens de ce monde, dit Marie Mahé. Si l’individu ne veut être ni un perroquet ni un singe, il lui faut savoir comment les hommes vivent et se comportent en commun.» Nous sommes invités à suivre les comportements opportunistes mais si humains de ces jeunes gens. Leur panique, leurs stratagèmes, leur lâcheté, leur solidarité et leur cruauté.
Marie Mahé a réduit le nombre d’acteurs de onze à quatre (de plus John et Adam sont joués par le même comédien) et a modifié la fin de la pièce, en la rendant plus ouverte et moins noire. Efficace et précise, la mise en scène demande aux acteurs un jeu à flux tendu qui confine parfois à la surenchère et au paroxysme. Ils ont tendance à crier et sur-jouer mais restent crédibles et donnent du punch à une œuvre que nous aurons toujours plaisir à lire ou entendre.

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 19 mars, Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de Manœuvre. Métro : Château de Vincennes + navette gratuite. T. : 01 43 28 36 36.
La pièce est publiée par L’Arche éditeur.

 

Nous survivrons d’après L’Homme des bois d’Anton Tchekhov, traduction d’André Marcowicz et Françoise Morvan, mise en scène de Nathalie Béasse

 

Nous survivrons, d’après L’Homme des bois d’Anton Tchekhov, traduction d’André Marcowicz et  Françoise Morvan, mise en scène de Nathalie Béasse

Au départ, une pièce du grand dramaturge qui a été la matrice dix ans auparavant du fameux Oncle Vania avec des personnages proches. A l’arrivée, un spectacle-performance, au titre inspiré d’une réplique de cette pièce: «Nous allons vivre, oncle Vania, toi et moi.  »
L’ensemble tient surtout d’une performance artistique dans la lignée du dadaïsme conjuguée avec de courts extraits du texte original, dits, plutôt que joués, par une actrice et deux acteurs.
La performance artistique, qu’on le veuille ou non, est entrée depuis longtemps dans l’histoire de l’art contemporain avec des règles quasi immuables depuis quelque soixante ans: durée courte, aucune parenté avec la performance socio-économique aux notions de record et d’efficacité. Aucune véritable commercialisation ni codes scéniques habituels, petit lieu (souvent une galerie, une ancienne usine, un appartement vide, un sous-sol ou un parking comme récemment au T2G à Gennevilliers, avec des participants et un public en nombre limité, introduction fréquente d’une marche sur place et/ou de quelques pas de danse souvent répétitifs et face public, sous l’influence de chorégraphes comme Simone Forti, Trisha Brown, Yvonne Rainer, Steve Paxton, Lucinda Childs, musique enregistrée ou sur scène avec dans les années soixante les compositeurs John Cage, La Monte Young…  nombreux silences, peinture de fresque ou sous forme de jets, pas de lumière électrique ou des plus limitées… signification immédiate de l’action scénique à la suite de « l’action-painting » de Jacskon Pollock dans les premiers happenings d’Allan Kaprow qui se revendiquait « peintre d’actions », importance d’un champ visuel neutre mais avec séries d’objets identiques ou non, matières organiques : eau, sang, terre ou plutôt terreau, ou boue dès 56 avec Shozo Shimamoto, (Marcher là-dessus, s’il vous plait), du célèbre mouvement Gutaï japonais. Il y a une tendance actuelle où il s’agit de transmettre un texte limité et le plus souvent non théâtral, voire sans  absent.  Comme déjà en 1975 avec La Construction d’un fauteuil Louis XV par deux ouvriers tapissiers du Polonais Wieslaw Hudon sous l’influence entre autres de Grotowski. Une action de type scénique qui a à voir avec les arts plastiques, comme celles des New Yorkais du Wooster Group qui ont travaillé aussi de façon expérimentale sur Tchekhov, et en France, de Grand Magasin.

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Ici, un plateau au sol gris avec, au fond, un mur de papier blanc et côté jardin, une quinzaine de seaux en plastique noir alignés. Côté cour, une grande bâche recouvrant quelque chose, une belle table -plateau en bois et pieds inox comme ceux autour de cinq chaises-coque. Y sont attachées cinq baudruches: quatre blanches et une verte… Une jeune femme, assise dans le public, allume les cinq bougies d’un gâteau qu’elle posera sur la table  et elle les éteindra aussitôt. Et elle versera l’eau d’une carafe dans cinq verres (sans doute les cinq personnages évoqués?) puis coupera avec de petits ciseaux, les fils des baudruches qui s’en iront dans les cintres. Comprenne qui pourra… Mehmet Bozkurt, lui est né de parents kurdes en Turquie, Julie Grelet, à Abidjan de parents ivoiriens et Sorina Fabo, en France de parents guinéens. Ces jeunes acteurs qui ont apporté un trophée de cerf et un oiseau empaillé, se présentent et disent quels personnages ils vont figurer dans cette ébauche écrite dix ans avant Oncle Vania mais rarement montée, sinon par Roger Planchon avec, entre autres, Jean-Paul Darroussin, Laurence Causse… Mais bon,  ces jeunes interprètes  disent à peu près tous les rôles de leur sexe. Il y a ici Voïnitski, un velléitaire qui finira par se suicider, sa nièce la belle Sonia (qui dans Oncle Vania ne l’est pas vraiment…), Serebriakov, son beau-frère, un vieux professeur malade  et sa jeune épouse Elena qui fascine les hommes, Khrouchtchov, le médecin de campagne que l’on appelle le Génie de la forêt… « Il n’y a pas besoin de sujet, écrivait le grand dramaturge, la vie ne connaît pas de sujets, dans la vie tout est mélangé, le profond et l’insignifiant, le sublime et le ridicule. » « Dans tout ce qu’a écrit Tchekhov, avait dit le metteur en scène russe d’origine arménienne Georges Pitoëff (1884- 1939) qui le fit découvrir en France il y a un siècle déjà avec La Mouette, Oncle Vania puis Les Trois sœurs, vous ne trouverez pas un seul héros. Pas de héros. Tout Tchekhov est là. Il nous montre la vie telle qu’elle est. Il nous parle de ces hommes, de ces femmes que nous voyons partout et toujours. (…) Ce sont ces êtres-là que Tchekhov a choisis pour nous les montrer, pour nous dire que ces inconnus de la grande vie qu’il a profondément aimés sont dignes d’être vus de plus près, que c’est peut-être, précisément, dans leurs âmes que nous trouverons la «vraie » beauté, le« véritable amour ».

 Oui, mais après que faire avec cet Homme des Bois? Ici, dans une sorte de montage habilement tricoté,  Ils prennent des voiles en plastique que de gros ventilateurs gonflent puis s’en couvrent la tête. Avant d’enfiler les uns sur les autres des pulls, robes, vestes entassés sous la grande bâche… On pense bien sûr à Christian Boltanski et à ses accumulations de vêtements. Puis, ils les enlèvent. Et ils déplaceront la table plusieurs fois mais sans véritable raison. A un moment, les jeunes acteurs courent sur place face public, de longues minutes. Enfin, vieux stéréotype des performances, éclate une bagarre entre les deux jeunes acteurs avec de la tourbe qui couvrira le centre de la scène. Avant que tous les trois, ils alignent des seaux de peinture, gris bleu, vert tendre et vert foncé et se mettent à faire une sorte de mauvaise fresque sur la partie gauche du mur de papier. Tout cela est malheureusement, sous un vernis de modernité,  d’un redoutable conformisme…

Restent très bien dites, les phrases prophétiques d’Anton Tchekhov écrites il y a déjà plus d’un siècle : par la voix de Khrouchtchov: «Toutes les forêts craquent sous la hache, des milliards d’arbres sont tués, on change en désert les habitations des animaux et des oiseaux, les rivières baissent et tarissent, des paysages merveilleux disparaissent sans retour, tout ça parce que l’homme, dans sa paresse, n’a pas le bon sens de se baisser pour prendre son combustible dans la terre. Il faut être un barbare sans conscience pour brûler dans son poêle toute cette beauté, pour détruire ce que nous ne pouvons pas créer. »

Qu’a voulu faire Nathalie Béasse ? Monter comme des bribes de texte dans une forme courte mais en créant en même temps, une performance d’art plastique. «On est, dit-elle sur une sorte de mémoire du texte, ce qui ressort de ma lecture de L’Homme des bois, quels fragments, je garde et ce que j’en fais. Quand on efface presque tout, qu’est-ce qu’on a envie de dire sur tout cela :comment il faut sauver cette nature, sauver les relations, et être dans une écoute globale de notre monde… Le projet était d’avoir une forme courte et itinérante. »

Mais cette traversée de L’homme des bois par cette metteuse en scène formée à l’École des Beaux-Arts puis au Conservatoire à rayonnement régional d’Angers. Puis Nathalie Béasse s’est nourrie des apports du performing-art à la Haute École d’arts plastiques de Braunschweig en Allemagne, où enseigna la célèbre artiste et performeuse Marina Abramović dont on sent ici l’influence. C’est un travail bien fait avec de jeunes acteurs solides mais… qui ne fonctionne pas vraiment ! Ceux qui vont contre le vent ( 2022) (voir Le Théâtre du Blog) participait déjà d’un catalogue d’effets vus dans les happenings; avec, entre autres poncifs: espace vide avec lumière intense, bataille à coup de jets d’eau, giclées de peinture rouge sur un costume ou une surface blanche, introduction ex-abrupto de phrases dites ou lues. «Nous revivrons, dit Nathalie Béasse, propose une partition libre autour de ce texte, où l’important se joue entre les lignes, dans la poésie des corps et des silences.» On veut bien mais mais alors, pourquoi ne pas nous avoir proposé soit une vraie mise en scène ou une simple lecture, au lieu de procéder à un collage laborieux avec des éléments d’art plastique imposants. Cet ensemble à des fins sémiologiques avec comparaisons visuelles, fréquentes ellipses, répétitions, accumulations… ne fait pas très bon ménage avec l’expression théâtrale. Le groupe Mu dans les années quatre-vingt avait déjà bien montré que les images avec des couleurs, des formes, une texture étaient des signes pleins, et non la seule expression de signes figuratifs. Alors, comment arriver à les concilier avec ces bribes de texte? A l’impossible, nul n’est tenu, disaient nos grands-mères et cette « représentation » même si elle dure une heure quinze seulement, ne nous a pas convaincu et nous sommes resté sur notre faim. A vous de voir… si cela vaut le voyage chez madame Béasse.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 31 mars, Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, Paris (XI ème). T. : 01 43 57 42 14.

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