Mélisande, d’après Pelléas et Mélisande de Maurice Maeterlinck et Claude Debussy, direction musicale de Florent Hubert, mise en scène de Richard Brunel
© JeanLouisFernandez
Dans cette adaptation, le destin tragique de l’héroïne est scellé: elle nous apparaît mourante sur un lit d’hôpital avec, à ses côtés, un médecin qui nous la présente comme l’une des femmes de Barbe-Bleue et contrairement aux autres, elle a réussi à s’échapper… Et nous allons découvrir comment elle en est arrivée là.
Dans cette blancheur morbide, Judith Chemla (Mélisande) brille d’un éclat singulier: avant même qu’elle ne chante, elle s’impose par sa voix presqu’enfantine et sa frayeur de biche aux abois quand, fugitive, dans un tourbillon de feuilles mortes, elle rencontre Golaud, au bord de l’eau où elle a jeté sa couronne maudite. C’est aussi dans l’eau qu’ensuite, troublée par la présence de Pelléas, elle égarera la bague de mariage offerte par Golaud qui l’avait recueillie dans son austère château et épousée.
L’action se focalise sur le triangle Mélisande-Golaud-Pelléas mais seuls les duos entre Pelléas (Benoît Rameau) et Mélisande seront chantés, Golaud étant, lui, incarné par un acteur Jean-Yves Ruf. Antoine Besson joue le Médecin, le Serviteur et d’autres rôles secondaires, autant de témoins du drame. Face à sa stature massive de Jean-Yves Ruf – un géant, dit le livret- Judith Chemla incarne une Mélisande délicate et fragile mais résolue à affronter son destin, dans un amour libératoire et fatal. Elle nous charme par son jeu subtil et intense qui trouve son point d’orgue dans les parties chantées, particulièrement réussies: le duo du balcon d’où s’évadent les cheveux de l’héroïne et l’ultime et déchirante scène d’amour interrompue par le surgissement fantomatique d’un Golaud devenu un ogre sanguinaire et aveuglé par la jalousie. «Elle chante quand elle voit Pelléas, dit Richard Brunel. Elle chante sa peine ou sa frayeur. »
®JeanLouisFernandez
Nous retrouvons alors la magie de ce conte cruel, grâce aussi à l’orchestration et aux arrangements à la fois fidèles et transgressifs de Florent Hubert, saxophoniste et clarinettiste de jazz. Nous l’avions apprécié Orfeo-Je suis mort en Arcadie (2017), mise en scène de Jeanne Candel et Samuel Achache (voir Le Théâtre du blog). « L’accordéon, dit le directeur musical, est, comme un petit orgue, garant du mélodique et de l’harmonique. Les percussions accentuent les rythmes et se justifient par l’intérêt qu’avait Claude Debussy pour le gamelan indonésien. La harpe, instrument qui lui était cher, souligne la féérie. Le violoncelle apporte le lyrisme qu’on pourrait perdre en ne choisissant pas de vent. » Cette formation réduite avec Yi-Ping Yang (percussions), Marion Sicouly (harpe), Sven Riondet (accordéon), Nicolas Seigle (violoncelle) et Benoit Rameau, (saxophone) respecte la sobriété voulue par Claude Debussy, même si la musique reste parfois trop en retrait.
Le décor d’Anouk Dell’Aiera traduit l’austérité des lieux et l’âpreté du récit : un grand lit surmonté de tubulures, un escalier métallique et une longue table banale occupent l’espace de jeu. Autant d’obstacles à franchir pour Mélisande, toujours en équilibre au bord du gouffre… Mais rien de féérique dans cette scénographie encombrante, ni dans les costumes peu stylés et les bassines en plastique blanc symbolisant l’eau, élément omniprésent chez Maeterlink: rivière, mer, fontaine…
Hybride et dépouillé, à l’inverse de son modèle romantique, le spectacle qui hésite entre théâtre et opéra, ne nous a pas entièrement convaincus. Reste le charme de Judith Chemla qui irradie la pièce de sa présence énigmatique. Musicienne, chanteuse et actrice, après un bref passage à la Comédie-Française (2007-2009) elle avait triomphé dans Célimène du Misanthrope, mis en scène par Lukas Hemleb. elle a repris sa liberté: «La sécurité me flatte mais m’engourdit, dit-elle. J’ai besoin de vide, de vertige, d’inconnu, pas de confort. Rien n’y surgit.» Comme Mélisande choisissant l’amour, plutôt que le confort conjugal, un rôle qu’elle avait déjà tenu dans Pelléas et Mélisande, réalisé par Benjamin Lazar. On la retrouvera sous sa direction pour une reprise de Traviata, vous méritez un avenir meilleur, au Théâtre des Bouffes du Nord, à l’automne prochain.
Mireille Davidovici
Jusqu’au 19 mars, Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis boulevard de la Chapelle, Paris (X ème) T. : 01 46 07 34 50.