White Dog, d’après le roman éponyme de Romain Gary, mise en scène de Camille Trouvé

White Dog, d’après le roman éponyme de Romain Gary, adaptation de Camille Trouvé et Romain Berthoud, mise en scène de Camille Trouvé

Une fois de plus, le Théâtre 14 à Paris ( XIV ème), dirigé depuis trois ans par Mathieu Touzé et Édouard Chapot, se fait remarquer par l’excellence de sa programmation. Et ce samedi à 16 h, la salle était pleine avec un public de tout âge, ce qui n’est pas si fréquent dans la capitale et ailleurs.
Ce White Dog se passe aux Etats-Unis qui vivent une période difficile et très violente: le pasteur noir Martin Luther King qui, en 64, a été le plus jeune prix Nobel de la paix, est assassiné quatre ans plus tard à Memphis (Tennessee). Probablement, avec l’appui du F.B.I. qui l’avait espionné. Il y était venu soutenir les éboueurs noirs en grève pour obtenir un meilleur salaire et un meilleur traitement. Il avait aussi commencé alors à se battre contre la guerre au Viêt nam et conte la pauvreté qui accablait la communauté noire. Et il l’entraînera à lutter sans relâche pour la défense de ses droits civiques. 

Le diplomate et écrivain Romain Gary et l’actrice Jean Seberg, son épouse qui vivaient à l’époque aux Etats-Unis, recueillent un chien abandonné. Ils le nomment Batka. Doux et affectueux, il a pourtant été dressé à attaquer et tuer les Noirs. Keys, un ami noir du couple le rééduquera mais ne veut pas redonner ce chien à son maître. On comprendra pourquoi. « Retourné », il s’en prend en effet aux Blancs et attaquera Romain…

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Ici, Camille Trouvé se sert de tableaux de papier, de théâtre d’ombres mais aussi et surtout, de grandes marionnettes pour raconter cette histoire et figurer ce chien et les humains qui s’occupent de lui. La metteuse en scène utilise aussi d’anciennes images d’actualités télévisées avec un présentateur blanc commentant les manifestations de Noirs réclamant, souvent au risque de leur vie, l’égalité des droits civiques. Arnaud Biscay à la batterie, rythme les moments de ce «basculement du familier» selon Romain Gary. «Quel espoir, dit Camille Trouvé, pour le rêve de fraternité et de réconciliation, lorsque bêtise humaine rime avec férocité animale et quand la manipulation prend des allures de dressage? Peut-on désapprendre la haine ? »
Et c’est un des grands mystères de la marionnette et une des réussites de ce spectacle: grâce à elles, et à cette distance qu’elles offrent, nous sommes encore plus sensibles  à cette histoire et nous sentons monter la tension dans le couple Gary-Seberg et les deux communautés.
L’occasion pour Romain Gary, d’une réflexion sur la grande violence et le racisme que traverse à cette époque-là, la société toute entière aux Etats-Unis.

Ce White Dog choral, aux images souvent très intéressantes, est mis en scène avec une grande précision par Camille Trouvé. Elle l’a réalisé avec Saskia Berthod, monteuse de cinéma qui a donné un rythme particulier aux images ( mais un peu petites!) qui se succèdent, notamment sur un petit poste de télévision des années soixante.  Loin, et heureusement, des adaptations souvent faiblardes de romans ou nouvelles qui envahissent les plateaux et où les metteurs en scène se contentent le plus souvent, de retranscrire vite fait-mal fait, les dialogues. Le spectacle doit beaucoup à l’acteur-marionnettiste noir Tadié Tuéné, et au marionnettiste blanc Brice Berthoud, ainsi qu’ à Yvan Bernardet. Arnaud Biscay à la batterie, rythme avec cette efficacité, cette intrigue où ce pauvre chien avait été dressé dans un but clairement raciste.

La scénographie avec de multiples écrans en papier blanc comme la compagnie La Part des Anges en utilise souvent (voir Le Théâtre du Blog), un pont en tubes de fer, un plateau tournant.  avec perches en bois et figurines en carton mobiles, est un peu compliquée et moins convaincante. « Il tourne sur lui-même  pour changer notre point de vue de l’histoire,  dit son concepteur. » Mais cela ne fonctionne pas vraiment.
L
a réalisation des marionnettes très finement sculptées du chien Bakta, de Keys, son dresseur noir, et de Romain Gary est, elle, tout à fait remarquable (plus que celle d’une Jean Seberg aux cheveux dorés) comme leur manipulation.

Comment justifier cette débauche de papier, sans doute jeté après chaque représentation? Camille Trouvé aurait pu trouver d’autres solutions (merci pour la planète!) et devrait se souvenir que Martin Luther King, en génial précurseur, critiquait déjà le train de vie et la consommation excessive de produits aux Etats-Unis…
Les applaudissements ont été chaleureux.
Après la pandémie qui touche encore toutes les salles, voir un public sans doute assez local, curieux et attentif, cela fait du bien… Non, le spectacle n’est pas mort! Une pensée pour le grand Jean-Marie Serreau, disparu il y a juste cinquante ans et qui a fait découvrir entre autres,  Samuel Beckett, Jean Genet, Eugène Ionesco, Kateb Yacine, Aimé Césaire, Ramón María del Valle-Inclán.. Il avait aussi créé le Théâtre de la Tempête à la Cartoucherie. Le Théâtre 14 porte son nom et celui qui fut l’un des premiers à avoir introduit des éléments audio-visuels dans ses créations, serait heureux d’avoir programmé ce White Dog 

Philippe du Vignal 

Jusqu’au 25 mars, Théâtre 14-Jean-Marie Serreau, 20 avenue Marc Sangnier, Paris (XIV ème). T. : 01 45 45 49 77.

Le 25 mai Théâtre municipal d’Aurillac (Cantal).

Les 7 et 8 juin, Théâtre de Bourg-en-Bresse (Ain).

Chien Blanc est édité chez Gallimard.


Archive pour 13 mars, 2023

Grand Palais de Julien Gaillard et Frédéric Vossier, mise en scène de Pascal Kirsch

Grand Palais de Julien Gaillard et Frédéric Vossier, mise en scène de Pascal Kirsch

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© Geraldine Aresteanu_

 Un spectacle qui donne corps et images à un dialogue post-mortem en forme d’élégie entre Francis Bacon et son amant et modèle qui s’est suicidé deux jours avant la rétrospective du peintre, au Grand-Palais, à Paris. Julien Gaillard prête sa plume à Francis Bacon: un texte tout en circonvolutions entre présent et passé, truffés de références littéraires et picturales.  Frédéric Vossier, lui, adopte pour George Dyer une langue abrupte, pour montrer le traumatisme d’un homme en déshérence, tandis que son amoureux triomphe. Vincent Dissez (George Dyer) et Arthur Nauzyciel (Francis Bacon) incarnent ce double chant triste.

 Le 26 octobre 1971, au restaurant du Train Bleu, gare de Lyon à Paris, Francis Bacon dînait avec le Tout-Paris venu le féliciter pour son exposition. «Je tiens mes yeux en laisse, dit-il, il ne faut pas pleurer.» Mais l’image de George Dyer le hante. Pascal Kirsch a conçu un dispositif scénique où il place Arthur Nauzyciel à l’avant-scène, portant avec toutes les nuances, la parole d’une homme après la catastrophe.
George Dyer, lui, comme un fantôme éternellement figé dans la mort, évolue derrière la vitre d’un cercueil en verre où son image se reflète dans des miroirs déformants, à la manière des peintures de Francis Bacon qui l’ont immortalisé. L’amant déserté appelle vainement à l’aide, seul dans la chambre d’hôtel où il va se donner la mort par surdose d’alcool et médicaments…
De cette image, naîtront les “triptyques noirs“: In Memory of George Dyer, où le peintre reconstitue les circonstances de sa mort, notamment quand il l’a découvert assis sur les toilettes, tête baissée. Le peintre inconsolé s’adresse au défunt autant qu’à lui-même et se remémore aussi des moments heureux, comme un repas bien arrosé chez des amis à la campagne, parmi les dahlias…

A ces soliloques croisés, se superposent, tels des appels d’air oniriques, les citations qui émaillent le texte de Francis Bacon: «Je me suis amusé à en truffer sa parole, dit Julien Gaillard, j’en ai même inventé de fausses, pseudo- shakespeariennes ». Elles se matérialisent ici par les apparitions fantomatiques de Guillaume Costanza, devenant un personnage iconique disant des vers d’Eschyle ou Shakespeare, en français avec bribes d’anglais… Il est aussi la voix et la silhouette du maître d’hôtel rappelant épisodiquement au peintre qu’il est attendu pour le dîner.

Prenant au pied de la lettre la didascalie: (Un peuple d’images qui semble sourdre des murs), le metteur en scène a choisi de projeter les tableaux cités par l’auteur comme entre autres, les zoopraxographies (décompositions de la locomotion animale) du photographe Eadweard Muybridge, Le Bœuf écorché, ou un des autoportraits de Rembrandt, La Descente du Christ au tombeau de Velasquez… En discrète surimpression, ces œuvres rythment le jeu d’Arthur Nauzyciel. Grâce aux compositions musicales jouées en direct de Richard Comte et à la présence des acteurs, Pascal Kirsch en scène fait dialoguer avec justesse ces écritures et a su traduire avec force images, jeux de lumière et de miroirs, l’univers baroque et tourmenté de Francis Bacon. 

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© Geraldine Aresteanu_

Avec subtilité, il fait aussi advenir la parole de Georg Dyer : le sortant de son cercueil de verre, comme Frédéric Vossier l’a sorti du champ magnétique de Francis Bacon, il l’amène sur le devant de la scène dans une adresse directe au public pour dire le cruel manque d’amour, la solitude, le désespoir qui l’ont conduit à la mort. Vincent Dissez devient l’être sacrifié au bucher de l’art… Une belle métaphore du rapport entre l’artiste et son modèle… «  Il y a d’un côté un homme qui crée, et de l’autre un homme qui crève »,  résume Frédéric Vossier.

 Objet littéraire, pictural et théâtral, Grand Palais fait appel à notre sensibilité et notre sens esthétique. Une tragédie d’une heure vingt-cinq  à flux tendu, sans pathos dont les mots et les images nous resterons en mémoire. Souhaitons lui une longue vie.

 

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 16 mars, Théâtre National de Strasbourg, Espace Klaus Michael Grüber, 18 rue Jacques Kablé, Strasbourg (Bas-Rhin). T. : 03 88 24 88 24.

 Le 9 novembre, Espace Marcel Carné, Saint-Michel-sur-Orge (Essonne) ; du 15 au 18 novembre, Théâtre National de Bretagne, Rennes (Ille-et-Vilaine) et les 23 et 24 novembre, Comédie de Béthune (Pas-de-Calais).

 Le texte de Grand Palais est publié aux Solitaires Intempestifs.

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