Grand Palais de Julien Gaillard et Frédéric Vossier, mise en scène de Pascal Kirsch

Grand Palais de Julien Gaillard et Frédéric Vossier, mise en scène de Pascal Kirsch

Grand Palais_ spectacle0238

© Geraldine Aresteanu_

 Un spectacle qui donne corps et images à un dialogue post-mortem en forme d’élégie entre Francis Bacon et son amant et modèle qui s’est suicidé deux jours avant la rétrospective du peintre, au Grand-Palais, à Paris. Julien Gaillard prête sa plume à Francis Bacon: un texte tout en circonvolutions entre présent et passé, truffés de références littéraires et picturales.  Frédéric Vossier, lui, adopte pour George Dyer une langue abrupte, pour montrer le traumatisme d’un homme en déshérence, tandis que son amoureux triomphe. Vincent Dissez (George Dyer) et Arthur Nauzyciel (Francis Bacon) incarnent ce double chant triste.

 Le 26 octobre 1971, au restaurant du Train Bleu, gare de Lyon à Paris, Francis Bacon dînait avec le Tout-Paris venu le féliciter pour son exposition. «Je tiens mes yeux en laisse, dit-il, il ne faut pas pleurer.» Mais l’image de George Dyer le hante. Pascal Kirsch a conçu un dispositif scénique où il place Arthur Nauzyciel à l’avant-scène, portant avec toutes les nuances, la parole d’une homme après la catastrophe.
George Dyer, lui, comme un fantôme éternellement figé dans la mort, évolue derrière la vitre d’un cercueil en verre où son image se reflète dans des miroirs déformants, à la manière des peintures de Francis Bacon qui l’ont immortalisé. L’amant déserté appelle vainement à l’aide, seul dans la chambre d’hôtel où il va se donner la mort par surdose d’alcool et médicaments…
De cette image, naîtront les “triptyques noirs“: In Memory of George Dyer, où le peintre reconstitue les circonstances de sa mort, notamment quand il l’a découvert assis sur les toilettes, tête baissée. Le peintre inconsolé s’adresse au défunt autant qu’à lui-même et se remémore aussi des moments heureux, comme un repas bien arrosé chez des amis à la campagne, parmi les dahlias…

A ces soliloques croisés, se superposent, tels des appels d’air oniriques, les citations qui émaillent le texte de Francis Bacon: «Je me suis amusé à en truffer sa parole, dit Julien Gaillard, j’en ai même inventé de fausses, pseudo- shakespeariennes ». Elles se matérialisent ici par les apparitions fantomatiques de Guillaume Costanza, devenant un personnage iconique disant des vers d’Eschyle ou Shakespeare, en français avec bribes d’anglais… Il est aussi la voix et la silhouette du maître d’hôtel rappelant épisodiquement au peintre qu’il est attendu pour le dîner.

Prenant au pied de la lettre la didascalie: (Un peuple d’images qui semble sourdre des murs), le metteur en scène a choisi de projeter les tableaux cités par l’auteur comme entre autres, les zoopraxographies (décompositions de la locomotion animale) du photographe Eadweard Muybridge, Le Bœuf écorché, ou un des autoportraits de Rembrandt, La Descente du Christ au tombeau de Velasquez… En discrète surimpression, ces œuvres rythment le jeu d’Arthur Nauzyciel. Grâce aux compositions musicales jouées en direct de Richard Comte et à la présence des acteurs, Pascal Kirsch en scène fait dialoguer avec justesse ces écritures et a su traduire avec force images, jeux de lumière et de miroirs, l’univers baroque et tourmenté de Francis Bacon. 

Grand Palais_ spectacle0423

© Geraldine Aresteanu_

Avec subtilité, il fait aussi advenir la parole de Georg Dyer : le sortant de son cercueil de verre, comme Frédéric Vossier l’a sorti du champ magnétique de Francis Bacon, il l’amène sur le devant de la scène dans une adresse directe au public pour dire le cruel manque d’amour, la solitude, le désespoir qui l’ont conduit à la mort. Vincent Dissez devient l’être sacrifié au bucher de l’art… Une belle métaphore du rapport entre l’artiste et son modèle… «  Il y a d’un côté un homme qui crée, et de l’autre un homme qui crève »,  résume Frédéric Vossier.

 Objet littéraire, pictural et théâtral, Grand Palais fait appel à notre sensibilité et notre sens esthétique. Une tragédie d’une heure vingt-cinq  à flux tendu, sans pathos dont les mots et les images nous resterons en mémoire. Souhaitons lui une longue vie.

 

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 16 mars, Théâtre National de Strasbourg, Espace Klaus Michael Grüber, 18 rue Jacques Kablé, Strasbourg (Bas-Rhin). T. : 03 88 24 88 24.

 Le 9 novembre, Espace Marcel Carné, Saint-Michel-sur-Orge (Essonne) ; du 15 au 18 novembre, Théâtre National de Bretagne, Rennes (Ille-et-Vilaine) et les 23 et 24 novembre, Comédie de Béthune (Pas-de-Calais).

 Le texte de Grand Palais est publié aux Solitaires Intempestifs.

 

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...