Qui êtes-vous monsieur Didou ?
A seize ans, en Ardèche, en vacances avec ses parents, il jonglait dès qu’il en avait l’occasion. Et il a rencontré des vendeurs d’articles de jonglerie et deux punks. Un spectacle de rue s’est alors improvisé : sa famille a joué de la musique et Félix Didou a alterné avec l’un d’eux, des numéros de jongles enflammés. L’autre faisait office de monsieur Loyal, avec des tours de magie. À la fin, il lui a proposé de garder la recette mais de payer la tournée au bar. Et il lui a appris ses premiers tours de magie.
Après avoir été vendeur de costumes et articles de magie et cirque, Félix Didou a été orthopédiste pendant trois ans. Puis, il a voulu unir des techniques de jonglerie à la magie; il a alors arrêté l’orthopédie et est entré dans une école de cirque pour trois ans. « J’ai appris la magie grâce aux livres et essayais d’appliquer les principes à mes propres créations pour l’école. On nous demandait de produire souvent des numéros et cela a été un très bon laboratoire qui permettait de me rendre compte très vite, de ce qui fonctionnait ou pas. »Il a ensuite suivi la formation en magie nouvelle au Centre National des Arts du Cirque. Jusque-là autodidacte, il a pu y rencontrer de nombreux intervenants très pédagogues. Sorti en 2018, il se sent continuellement apprenant, toujours à l’affût des livres d’occasion et remet toujours en cause sa façon d’aborder son art.
« Une des rencontres les plus importantes de ma vie, dit-il, est celle avec Jordan Enard. À l’époque, je travaillais dans un magasin de déguisements, jonglerie et magie à Brest. Il est venu acheter un paquet de cartes et nous nous sommes liés d’amitié. Nous avons travaillé, lui, dans la production et diffusion des spectacles, et moi dans la création. Dix ans plus tard, il monte Baron Production une boîte qui s’occupe de gérer les spectacles de magie et de cirque… Sans cette rencontre, je n’aurais jamais osé me lancer dans cette folle aventure. »
« En 2013, avec Jordan, nous avons voulu aller (sans avoir beaucoup de sous! ) au Magic History Day 6 /misdirection, organisé à Paris par le Collectoire et Jean Merlin. Mais Paris, c’était loin de Brest ! Nous voulions faire l’aller et retour dans la journée, nous nous sommes levés à quatre heures du matin et avons pris des passagers en covoiturage mais un pneu a crevé et nous n’avions pas de roue de secours… Nous avons quand même réussi à arriver vers midi : nous avions raté la moitié de la journée ! Mais nous nous sommes serré les coudes et ne nous sommes plus quittés!»
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Une des expériences a failli le dégoûter de la magie lors de son premier concours, où il présentait son numéro de sortie d’école L’Extra-Quotidien. Un des commentaires du jury disait qu’il n’était pas magicien mais jongleur. Forte déception : il y avait investi beaucoup de temps, d’argent et d’amour. « Que l’on n’aime pas le numéro, l’univers, le costume… je l’entends et l’accepte. Mais personne ne peut réfuter ce titre, à partir du moment où on pratique, on étudie et on se donne à cet art : on fait alors partie de cette grande famille. Heureusement, je ne me suis pas démonté et j’ai continué mon chemin… J’aime toujours autant cet art et je refuse qu’il soit accaparé par une minorité qui essaye d’en avoir l’exclusivité. »
Félix Didou travaille surtout dans les théâtres, lieux de spectacles et de cirque contemporain, ce qui lui donne accès au milieu artistique du secteur public. Avec des créations mêlant jonglerie et magie, il aime bricoler des trucs qui n’existent pas sur le marché et utiliser des classiques de magie moderne, les modifier pour que cela colle à ce qu’il veut raconter. « Cela, dit-il, m’oblige à être curieux de tout: les grandes illusions, la marionnette, le «quick change ». Une technique de mentalisme me permettrait de faire une lévitation : ce serait dommage de passer à côté, même si ce n’est pas mon domaine. Mais l’intention est la plus importante. Si un effet est fantastique mais dévie le propos d’une création, je l’abandonne… J’ai une grande pratique de la jongle et des techniques faisant appel à l’adresse, mais, comme j’ai commencé par là, difficile de savoir si elle facilite l’apprentissage de la magie. »
Un Jour de Neige a été le premier long spectacle de sa compagnie L’Ombre. Il avait envie d’écrire un spectacle de cirque avec des contraintes claires : partir d’un univers quotidien, y insérer des événements surnaturels, pour qu’à la fin, le public ne puisse être en mesure de dire si ce qui a été raconté, était vrai, ou pas. Il aime beaucoup entraîner le public à douter de ses perceptions et devoir choisir lui-même en quoi il va croire. « Dans la Nouvelle Fantastique, la narration se fait à la première personne, dit-il. Et sur scène, j’ai abordé les effets magiques, comme si c’était des trous de mémoire de celui qui n’aurait pas été en mesure de raconter les événements. Le public comme le personnage, le vivent alors comme une disparition. » Il a nommé sa compagnie L’Ombre. En effet, quand il créait des numéros pour l’école de cirque, l’ombre y était toujours sous-jacente. Il a testé des écritures dans beaucoup de genres : fausse conférence, dramatique, comique. Mais à chaque fois, l’ombre, sous plusieurs formes : matière physique ou symbolique, était là..
Il a été influencé par Norbert Ferré avec FISM et par Yann Frisch avec Baltass. Ces artistes lui ont permis de se rendre compte que la virtuosité n’était pas antagoniste avec la magie. Le Syndrome de Cassandre de Yann Frisch et Le Soir des monstres d’Étienne Saglio (voir Le Théâtre du Blog) lui ont fait sentir que l’on pouvait avoir un univers très puissant sans chercher pour autant à impressionner. Il admire aussi Gaëtan Bloom pour ses bricolages astucieux, la gestion du contrôle de l’attention et la sympathie qu’il dégage. Et Xavier Mortimer qu’il a vu seulement en vidéo avec L’Ombre Orchestre mais qu’il l’a inspiré, dit-il, dans son subconscient.
« J’ai aussi beaucoup d’admiration pour le travail de Léa Kyle qui a révolutionné la technique du « quick change». J’aime beaucoup l’écriture de Valentina Cortese et ses mises en scène très ingénieuses qui donnent une sensation d’étrangeté avec peu d’effets. Émilie Rault est une metteuse en scène et magicienne très inspirante aussi. Allez découvrir son prochain travail dans le off en Avignon avec Calista Sinclair. Je préfère réaliser des numéros avec des objets, plutôt que du mentalisme: cela doit venir de mon côté jongleur. Je suis curieux de toutes les magies. Et en ce moment, je suis dans une période « quick change » et grandes illusions. Mes livres qui m’ont le plus marqué ? Strong Magicet Concevoir des miracles de Darwin Ortiz, Fondation d’Eberhard Riese et L’Arc-en-Ciel magique de Juan Tamariz.
Félix Didou se reconnait vraiment dans la magie nouvelle et aime aussi beaucoup l’école espagnole dont il trouve le travail à la fois efficace et beau: «Comme Arthur Chavaudret (Ticho), ses artistes ont une rigueur incroyable sur ce qu’est le mouvement vrai et ne font pas de concession là-dessus. Cela me fait rêver. Je viens du cirque et j’ai baigné dans de nombreux spectacles. Chez Les Dodos du P’tit Cirk, j’ai adoré les utilisations de la guitare qu’ils en font.
Je crois que le détournement d’objets est une composante essentielle chez moi.Comme les circassiens, je m’inspire de la danse et du théâtre. Leïla Ka est une danseuse fantastique et Albert Dupontel; sans doute le cinéaste qui m’inspire le plus. »
Aux débutants, il conseille d’être curieux de tout et de ne pas avoir peur de travailler des techniques difficiles pour progresser. « Les raccourcis avec objets technologiques peuvent être séduisants, dit-il, mais arrive toujours un moment où il y a une mise à jour à faire ; avec un savoir-faire technique bien maîtrisé, on l’a toujours avec soi. On cite souvent Ascanio pour qui « La magie, c’est 10% de technique. « Mais les 90% restants sont exponentiels. Et il y faut de la patience car le temps est le plus bel outil pour façonner l’art. »
Sur la magie actuelle, à son avis, on arrive à un tournant. Il a l’impression que, d’abord renfermée sur elle-même, elle évolue. «Le mouvement initié par la compagnie 14.20 n’est pas le seul responsable de cette ouverture qui doit aussi beaucoup à Mario Lopez, Daniel Daortiz ou Danny Goldsmith. J’ai un sentiment ambigu sur ce que je souhaite, et le secret est vital pour notre art. Actuellement, il est protégé de manière mercantile et le créateur enfin rémunéré à leur juste valeur mais c’est un frein énorme pour les débutants qui veulent avoir un autre rapport au monde et qui pourraient enrichir la diversité des propositions artistiques. Qui n’a pas été dégoûté d’avoir acheté un tour «révolutionnaire » mais qui, en fait, est impraticable? Je suis admiratif des sites comme Artefake qui permettent d’aborder gratuitement ce milieu mais qui n’en dévoilent pas les secrets. »
Pour Félix Didou, il faut que la magie, pour être entière, s’adresse à nos émotions formées par notre culture et notre sensibilité et qui serait un casse-tête si la personne qui pratique était l’unique détentrice du secret. «Selon Tuan Tamariz, les tours qui perdurent sont ceux qui touchent à notre intimité. Pour moi, un tour est une sorte de lasagne. Derrière le magicien, il y a l’acteur, et derrière lui, l’auteur, et derrière l’auteur, il y a l’être humain. Et avant lui, l’enfant influencé par son éducation, sa condition sociale et sa culture. La « belle magie » est une superposition de couches. »
Sébastien Bazou
Entretien réalisée à Dijon, le 14 mars.
https://cielombre.com/
À voir :Un jour de Neige.https://www.youtube.com/watch?v=2dGoLn2zIpA
Le 15 novembre, à La Courneuve (Seine-Saint-Denis), aura lieu le Festival de la rencontre des jonglages.