Le Théorème du pissenlit de Yann Verburgh mise en scène d’Olivier Letellier

Le Théorème du pissenlit de Yann Verburgh mise en scène d’Olivier Letellier

 Cette fleur des champs qui sème à tout vent ensemence ce conte à cinq voix et nous embarque dans une histoire où un garçon de chez nous, qui pourrait être n’importe lequel des jeunes spectateurs, reçoit pour son anniversaire ; un cadeau.
Dans la boîte, il trouve quelques graines de pissenlit et une lettre, écrite par Li-Na, qui a fabriqué son jouet et lui raconte son triste destin. A sa lecture, le garçon se mobilise pour aider Li-Na, mais en même temps lutte face aux adultes. L’auteur nous emmène au Pays-de-la-Fabrique-des-Objets-du-Monde, sur les traces de Tao et Li-Na qui habitent le village du rocher. Leurs parents sont partis travailler à la ville et ces enfants vivent avec les anciens, libres de jouer et découvrir la nature.
Mais le jour de ses treize ans, Tao doit quitter le village. Li-Na part à la recherche de son ami et, au terme d’un périlleux voyage, le retrouve dans une usine, exploité et abruti. Il souffre de «la maladie de l’oubli» et ne la reconnaît pas Elle le rejoint à la chaîne et rencontre d’autres gamins, tout aussi déshumanisés : «Ne pas parler, ne pas s’arrêter, ne pas se tromper» dit la lettre, sous peine d’être broyé par « la grande gueule ». Dans sa lettre ,la fillette dénonce le travail illégal des enfants.

 Les acteurs nous guident dans ce double récit de facture contrastée. Le monde d’ici est familier et celui de Li-Na et Tao relève d’un imaginaire un peu exotique et nous plonge dans une autre réalité. Li-Na brise la chaîne de l’usine, elle va là où le vent mène les aigrettes des pissenlits, ce vent qui portera la révolte des enfants…Mais après bien des efforts, la lettre sera enfin portée au grand jour et rendue publique.

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage


Au centre du plateau nu, un mystérieux cube bleuté. Les comédiens vont le démonter et, au gré du récit, emboîter comme des pièces de lego, des casiers à bouteilles (scénographie de Cerise Guyon). Ils  évoqueront maisons, montagnes, radeau pour descendre le fleuve, arches, portiques immeubles, postes de travail à la chaîne, forêt…. A ce décor, répond une fluidité des déplacements, réglés par Thierry Thieû Niang. La pièce s’est construite avec toute l’équipe. « Yann a écrit avec les interprètes en puisant dans leurs improvisations, dit Olivier Letellier qui  a donné à Fiona Chauvin, Anton Euzenat, Perrine Livache, Alexandre Prince, Antoine Prud’homme de la Boussinière, la liberté d’incarner plusieurs personnages, indifféremment fille ou garçon…
Ils forment un chœur alternant récits et micro-scènes et en une heure, nous embarquent dans une histoire à la fois réaliste et imaginaire. «Yann et moi souhaitons poser, depuis l’enfance, un regard critique sur le monde adulte et lui inspirer le souffle d’une révolte aussi candide qu’engagée.», dit le metteur en scène. Avec douceur et poésie, l’équipe se pose en lanceuse d’alerte. La graine est semée. Au jeune public de la replanter, comme les héros de ce Théorème du Pissenlit

Ce spectacle est promis à une belle tournée comme les dix spectacles au répertoire du Théâtre du Phare, une compagnie créée en 2000 par Olivier Letellier. Récompensé en 2010 par le Molière du spectacle Jeune Public pour Oh! Boy, il a, l’année dernière, été nommé à la direction des Tréteaux de France-Centre Dramatique National itinérant, avec un projet tourné vers la jeunesse et les écritures contemporaines. Il faudra suivre ses créations sur les routes de l’Hexagone et au-delà.

Mireille Davidovici

 Jusqu’au 18 mars, Théâtre de la Ville-Les Abbesses, 31 rue des Abbesses, Paris (XVIII ème). T. 01 42 74 22.

Du 23 au 25 mars,Théâtre de la Manufacture, Nancy (Meurthe-et-Moselle) ; les 29 et 30 mars,Espace des Arts, Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire) ; du 5 au 7 avrilLe Grand T, Nantes (Loire-Atlantique) ; du 12 au 14 avril,Maison des Arts, Créteil (Val-de Marne).

Du 19 au 21 avril,Théâtre de Sartrouville (Yvelines).

Les 4 et 5 mai, Le Quai, Angers( Maine-et-Loire) ; les 11 et 12 mai, Le Canal, Théâtre du pays de Redon (Ille-et-Vilaine); les 15 et 16 mai, Scène nationale du Sud-Aquitaine, Bayonne (Pyrénées-Atlantiques) ; les 25 et 26 mai,Théâtre d’Angoulême (Charente).

Du 1er au 3 juin, Théâtre de Lorient (Morbihan).


Archive pour 18 mars, 2023

Pépé Chat ou comment Dieu a disparu, texte et mise en scène de Lisaboa Houbrechts, direction musicale de Pedro Berisa (en néerlandais surtitré)

Pépé Chat ou comment Dieu a disparu, texte et mise en scène de Lisaboa Houbrechts, direction musicale de Pedro Berisa (en néerlandais surtitré)

vake poes; of hoe god verdween, lisaboa houbrechts

© Kurt van der Elst

Comme l’indique ce titre à tiroir : une sombre histoire de violence familiale, sur plusieurs générations, transcendée par la pureté des chants et le regard lumineux d’une fillette sur les turpitudes du monde. Treize interprètes dont quatre solistes, et quatre enfants réunis pour cette saga entre théâtre et opéra.  Dans le clair obscur du plateau, s’avance, comme une proue de bateau,  un grand cube noir. En scène, une petite fille, de blanc vêtue, et son grand-père vont remonter le temps. Revit sous leurs yeux un petit garçon, poursuivi, avec une ribambelle de gamins, par des curés libidineux. À l’image: les soutanes noires des prêtres tourbillonnent derrière ces enfants qui s’enfuient dans une course-poursuite soutenue par des chants sacrés. Un étrange personnage, sorte de sorcier, danse à l’écart, portant une marionnette de papier, symbolisant l’enfant-martyre et le Christ crucifié…

«Je suis un garçon de dix ans, un enfant de chœur .», dit Pépé Chat enfant. Elève d’une école catholique, il vit la montée du nazisme. Pendant l’occupation allemande de la Belgique, les enseignants sont remplacés par des pro-nazis qui vont mettre un terme aux abus sexuels des curés. Il se marie et a un fils qui sera violé à son tour par un oncle revenu brisé de la guerre: une grenouille de bénitier, comme Mémé Chat, sa sœur. Le père et le fils s’arrachent au prêchi-prêcha de leur famille catholique et vont renier Dieu … Au grand dam de Mémé Chat qui les menace de l’Enfer…

 Lisaboa Houbrechts raconte ce voyage de la petite fille dans le temps, avec force images saisissantes. Filip Peeters a imaginé ce cube noir central qui s’ouvrira avec fracas sur les secrets d’un sanctuaire familial immaculé malgré les violences qu’il renferme. Ici tout est symbole: des journaux déchiquetés jonchent l’espace de jeu comme autant de déchirures intimes (ils rappellent aussi que la mère est femme de ménage dans une imprimerie.) La marionnette de papier sera aussi mise en lambeaux comme le Christ mis à mort par les victimes de la religion. La veste bleue de Papa Chat tranche avec le noir et blanc dominant des costumes d’Oumar Dicko : blanc pour la petite fille et sa grand-mère, noir ou gris pour les autres personnages.

«Nous sommes tous frappés par les traumatismes liés à cette institution qu’est l’Eglise et qui ressortent aujourd’hui», dit la metteuse en scène qui vient d’une famille catholique du Nord de la Belgique et dont les parents sont choqués par l’athéisme des nouvelles générations. Le débat religieux des personnages sur la foi, le pardon, et le sacrifice, nous dépasse un peu, surtout à cause d’un surtitrage abondant. Mais on peut toujours se laisser porter par les images et la musique.

vakepoes; of hoe god verdween, lisaboa houbrechts

© Kurt van der Elst

Dans les moments les plus violents, la musique de La Passion selon Saint-Jean de Jean-Sébastien Bach, intimement mêlée au récit, produit un effet cathartique. Les solos et les chœurs  sont interprétés par les chanteurs et les comédiens et un accordéon fait le lien entre la musique enregistrée de l’orchestre. Seul instrument sur scène, il accompagne aussi l’action d’une époque à l’autre, avec une partition en contrepoint de la musique enregistrée. Une belle performance de Philippe Thuriot, également ténor. « J’aime beaucoup cette œuvre où, dit Lisaboa Houbrechts, la passion du Christ engendre le deuil mais aussi la joie.  La beauté de cette musique infuse une spiritualité consolatrice à cette histoire sordide et permet de surmonter les traumatismes vécus par la petite fille. Un récit un peu surnaturel mais qui porte un message sur la possibilité de la beauté et de la grâce et en montre aussi l’horreur profonde. »

 Papa Chat ou comment Dieu a disparu a été créé à l’Opéra Ballet des Flandres à Gand. L’artiste belge a rejoint en 2017 La Toneelhuis à Anvers et a, depuis, réalisé des spectacles musicaux sur Brueghel et le génocide des Roms pendant la seconde guerre mondiale. Après cette belle et troublante pièce lyrique, elle mettra bientôt en scène Médée d’Euripide à la Comédie-Française.

 Mireille Davidovici

 Du 16 au 18 mars, MC 93, 9 boulevard Lénine, Bobigny (Seine-Saint-Denis).T. : 01 41 60 72 72.

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