Livres et revues Art, culture et management, Arts en entreprise et spécificités de l’économie culturelle s
Livres et revues
Art, culture et management, Arts en entreprise et spécificités de l’économie culturelle sous la direction de Jean-Michel Huet et Christelle Vandrille
C’est une bien vieille histoire que les relations entre l’entreprise, les banques (en gros: l’argent) et les artistes. Déjà à Rome, un certain Caius Maecenas, homme politique proche de l’empereur Auguste, est resté célèbre pour avoir consacré sa fortune à promouvoir les arts et les lettres. Et les mots: mécènes et mécénat sont couramment employés… Cela fait même maintenant plus chic, que l’anglicisme et très laid « sponsor ».
Ce livre édité par Pearson à Londres, supervisé par Jean-Michel Huet et Christelle Vandrille a été écrit (en français) par un collectif de diplômés et enseignants de la Neoma Bussiness School. Et remarquablement préfacé par un des membres du syndicat national des cabarets et music-halls, Jean-Victor Clerico, directeur général du Moulin-Rouge à Paris, une des entreprises culturelles privées importante, avec 450 collaborateurs. Sous-titré «arts en entreprise et spécificités de l’économie culturelle», ce gros ouvrage fait le point sur la convergence entre arts et sciences de gestion.
De plus en plus en effet, qu’on le veuille ou non, les musées, les grands ou petits théâtres, les Maisons de la Culture, les festivals, les fondations, les salles de spectacle appartenant à l’Etat, aux Communes ou aux collectivités territoriales mais aussi et/ou, au domaine privé,doivent être gérées au mieux. Comme le rappelle Jean-Victor Clerico: « Au delà de la mission qu’on leur a confiée, elle restent des entreprises. Elles doivent être organisées, afin de pouvoir assurer leur pérennité, tout en s’accordant avec leurs publics, leurs artistes, leurs mécènes ou toutes autres partie prenantes usuelles . »
Mais on ne dirige pas une entreprise culturelle comme une autre: il faut à la fois que les techniciens et le personnel administratif, et d’un autre côté, les metteurs en scène et artistes bénéficient d’une gestion efficace et saine… sans que cela entrave la création.Parois la quadrature du cercle. Un metteur en scène comme Jérôme Savary qui a dirigé douze ans le Théâtre National de Chaillot et que certains prenaient pour un bateleur, donnait souvent un coup d’œil sur l’ordinateur où s’affichait le nombre de places vendues et d’invitations et, au besoin, rectifiait le tir…
Art, culture et management participe d’une réflexion à l’heure où l’Etat se désengage souvent et où des banquiers (mais souvent loin du pire) investissent dans le théâtre et le spectacle en général. Il y a eu ces dernières années, une évolution possible d’un monde où l’art et la culture pourraient sinon se marier, du moins se pacser…
Le livre est d’abord axé sur cette double influence dans les entreprises. Avec le développement de la curiosité comme levier du processus créatif, avec l’improvisation théâtrale ou la scénothérapie (sic) à base de scènes choisies comme support d’innovation mais aussi pour développer une meilleure oralité… Et depuis longtemps, nombre d’acteurs gagnent (un peu) leur vie en enseignant l’éloquence à des avocats, chefs d’entreprise, etc. Ou encore certaines entreprises avouent acheter des peintures et sculptures dans un but fonctionnel: favoriser la production et la rentabilité de la boîte, «en rendant l’environnement plus stimulant sur le lieu de travail et avec un «impact psychologique », en « boostant la créativité et la performance », «l’émulation des équipes»… Tous aux abris ! Mais cela sert aussi, comme dans les grosses banques, à mettre en confiance la clientèle. Sur l’air de : « nous sommes des gens bien, et nous avons un intérêt commun avec vous pour les arts, donc nous sommes du même monde ». Pas besoin d’avoir lu Karl Marx pour comprendre que les ficelles sont un peu grosses. Mais comme les artistes ont besoin de vendre leurs œuvres…
Dans une seconde partie, sont examinées, de façon plus intéressante et sans doute plus rigoureuse, les particularités de plusieurs secteurs de la culture. Avec entre autres, un chapitre consacré à l’économie du livre où cela ne se sait pas toujours mais certains éditeurs «fabriquent» une littérature sur le développement personnel qui vulgarise la philo et la psychologie, voire la poésie pour les classes moyennes.
Il y a aussi un chapitre consacré à la structuration juridique et fiscale des activités culturelles. Technique mais très clair, il est fortement recommandé aux directeurs ou futurs directeurs de lieux de culture. Surtout à un moment où les plate-formes envahissent ce qu’i faut bien appeler un marché, moment mal vécu par par toute l’industrie du cinéma… On ne peut tout détailler mais ce livre donne un bon éclairage sur l’économie de nombre d’activités culturelles : cinéma, théâtre, musique, danse. Même si on regrette que les exemples soient choisis dans un monde culturel un peu académique. Nous aurions aimé que ce collectif d’auteurs examine d’un peu plus près tout un travail marginal en dehors des institutions, celui qui prépare la culture de demain.
Mais bon, cette réflexion générale, dont la lecture est parfois ardue, en lien étroit avec une récente actualité artistique, et sur les liens entre le monde de la culture et l’économie, pour ne pas dire la finance, est vraiment la bienvenue. Après tout, rares sont les ouvrages récents qui en traitent correctement… Rappelons L’Economie de la culture de Françoise Benhamou, un ouvrage de référence mais édité en 2017, où l’auteure avait fait une analyse économique du spectacle, des industries et marchés culturels. Depuis la pandémie de covid, les cartes ont été rebattues mais s’il y a des salles de théâtre pas très pleines, surtout les petites, les créations des grands théâtres subventionnés attirent de nouveau le public enfin surtout celui de cinquante ans et plus, vu un prix des places en nette augmentation…
Comme si ce public avait les mêmes réflexes que sur les marchés de produits frais: prêt à payer assez cher, entre autres, pour voir en direct et non sur un écran, un grand spectacle de théâtre, d’opéra ou de cabaret. Mais il est réticent quand il lui faut prendre un risque. Bref, tout se passe comme s’il exigeait une garantie de qualité… Sauf quand le spectacle est gratuit comme avec le théâtre dit « de rue » dans de grands festivals comme Chalon, Aurillac, ou petits festival comme Marcolès ( Cantal).
Les créateurs de spectacle dit vivant, finiront-ils par mieux utiliser les nouvelles technologies et les outils numériques? Depuis quelque cinq ans, cela a bouleversé l’offre culturelle mais avec des résultats souvent très décevants. Il y a aussi un variable d’ajustement: le coût exponentiel de ces nouvelles technologies! Et cela se voit tous les soirs quand on va au spectacle… où le meilleur côtoie le pire.
Philippe du Vignal
Editions Pearson. 28 €.