Némésis, d’après Philip Roth, adaptation de Tiphaine Raffier et Lucas Samain,mise en scène de Tiphaine Raffier

 

Némésis, d’après Philip Roth, adaptation de Tiphaine Raffier et Lucas Samain, mise en scène de Tiphaine Raffier

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© Sylvain Gossselin

Été 1944: à Weequahic, un quartier en grande partie juif de Newark (New Jersey) une épidémie mortelle de poliomyélite frappe un à un les enfants du club sportif, animé par Buck Cantor. «La ville aussi était en guerre.» Ce jeune homme réformé pour myopie, alors que ses amis se battent sur tous les fronts, se consacre à son métier, comme à un sacerdoce. Sa mission (impossible) : protéger ses ouailles, consoler les parents, lutter contre les préjugés qui accusent Italiens, bistrotiers, Juifs, le vent, les poubelles… d’être responsables d’un virus dont on ignore tout.
Poussé par sa fiancée, il se réfugie au camp de vacances d’Indian Hill, un petit coin paradisiaque où l’on joue aux Indiens intrépides et qui semble épargné par l’épidémie… Jusqu’au jour où des enfants, puis Bucky, sont frappés par la maladie. Ce grand garçon sportif et sain à l’image du rêve américain, va renoncer à son mariage et nous le retrouverons des années plus tard, estropié, ressassant son malheur.

En trois tableaux et trois heures, la metteuse en scène restitue -mais laborieusement- le dernier roman de Philip Roth (1933-2018). Némésis, déesse de la vengeance, donne son nom à ce livre paru, il y a treize ans. L’écrivain américain s’interroge, à travers son héros sur la responsabilité d’une tragédie qui s’est abattue sur une Amérique fière de sa puissance et qui niait esclavagisme et génocide des peuples premiers: «Il y a une épidémie, il {Bucky} a besoin de lui trouver une raison. Il faut qu’il se demande pourquoi. Pourquoi? Pourquoi? Que cela soit gratuit, contingent, absurde et tragique, ne saurait le satisfaire. Que ce soit un virus qui se propage ne saurait le satisfaire. Il cherche désespérément une cause plus profonde, ce martyr, ce maniaque du pourquoi et il trouve le pourquoi, soit en Dieu, soit en lui-même.»

La narration est portée par la voix off d’Arnold Mesnikoff, l’un des enfants du terrain de jeu, lui aussi victime de la polio. Un personnage tenu à l’écart qui apparaîtra en chair et en os dans l’épilogue. Pour le reste, le spectacle s’attarde à des  séquences souvent anecdotiques,  trop longues ou superflues, comme le passage à l’avant-scène, pendant le changement de décor, d’une sorcière échevelée (Némésis ou l’esprit de la Terre ?)

Tiphaine Raffier respecte la chronologie du roman et les effets de mise en scène -appuyés- sont plutôt réussis. Il y a des trouvailles, comme cette belle maquette d’une maison bourgeoise, mais elles tombent à plat et n’aident pas les interprètes. Le décor gris et enfermant du premier tableau laisse le héros dans le noir, devant une grille qui masque l’orchestre et réduit les acteurs à des ombres sans substance et fantomatiques hurlant dans des micros mal réglés. Les femmes sont devenues hystériques et Bucky lui-même (Alexandre Gonin) semble une âme en peine, comme si son destin était inscrit par avance. Où est le fier lanceur de javelot, le boy-scout « toujours prêt », imaginé par l’auteur ?

Au deuxième tableau, le rideau se lève sur un magnifique paysage de lac et montagne, une toile peinte devant laquelle jouent des enfants rieurs et les gentils organisateurs déguisés en Indiens d’opérette. La tragédie vire à la comédie musicale, avec dialogues chantés en anglais par les acteurs et le chœur d’enfants du Conservatoire de Saint-Denis, dirigé par Erwan Picquet. Un canoë flotte sur une nappe de brouillard, emmenant Bucky et Marcia, sa fiancée (Clara Bretheau) vers un tipi nuptial.  Un plongeur s’élance dans le vide avec un salto du plus bel effet… Des images amusantes mais qui finissent par lasser malgré la vivacité des jeunes interprètes de l’orchestre Miroirs Etendus et les compositions toniques de Guillaume Bachelé.

Nous devrons attendre le troisième tableau pour atteindre l’essence du roman. Dans un décor écroulé, on retrouve notre héros en 1971 dans un émouvant face à face avec le narrateur.   Bucky âgé (Stuart Seide) et Arnold Mesnikoff (Maxime Dambrin) font le bilan de cette tragédie qui a bouleversé leur vie. A Arnold revient le mot de la fin, à propos de Bucky: «Je dois dire que, quelle que soit ma sympathie pour lui, face à l’accumulation de catastrophes qui brisèrent sa vie, cette attitude n’est rien d’autre chez lui qu’un orgueil stupide, non pas l’orgueil de la volonté ou du désir, mais l’orgueil d’une interprétation religieuse enfantine, chimérique
T
iphaine Raffier avait, jusque là, monté ses propres textes avec plus ou moins de bonheur (voir Le Théâtre du Blog). Et nous retrouvons son habileté dans quelques morceaux de bravoure comme les scènes d’opérette, style Disneyland. Mais la virulence de Philip Roth est absente de cet ambitieux Némésis… et mieux vaut lire le roman.

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 21 avril, Odéon-Théâtre de l’Europe, Ateliers Berthier, 1 rue André Suarès, Paris (XVII ème). T. : 01 44 85 40 40.

Les 16 et 17 mai, Théâtre de Lorient (Morbihan).

Némésis, traduction Maris-Claire Pasquier, éditions Gallimard.

 

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