Petites histoires de la démesure, d’après Les Métamorphoses d’Ovide, texte et mise en scène de Géraldine Szajman

Petites histoires de la démesure, d’après Les Métamorphoses d’Ovide, texte et mise en scène de Géraldine Szajman

«Maintenant, je vais vous raconter des histoires.» dit Manon Combes. La triste histoire des rois, bien qu’on ne soit pas du côté de Shakespeare. Heureux comme un roi ? On devrait dire avide comme un roi, bête comme un roi, si l’on en croit les légendes moralistes et, mieux encore, philosophiques racontées par Ovide.
Erysichthon, roi de Thessalie, ordonne à ses serviteurs d’abattre le plus grand arbre de son domaine. Déjà écolos en ces temps légendaires, ils refusent et le roi porte lui-même la hache. Offense à Déméter, la Terre-Mère… Punition : la faim. Il pourra dévorer tous les produits de la terre mais il aura toujours faim.
Cela nous renvoie à quelque chose, aujourd’hui bien connue: la vanité (et le danger!) de la surconsommation. Variante : l’histoire du roi Midas. Pour avoir rendu un petit service à Dionysos, il a droit à un vœu : et si tout ce qu’il touchait, se changeait en or? On connaît la suite et sa détresse : il ne peut plus boire ni manger, ni serrer ceux qu’il aime dans ses bras…

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La bonne idée de ce spectacle pour jeune et moins jeune public : il n’y a rien sur le petit plateau des Déchargeurs et l’actrice fait tout : l’arbre, le vent dans les branches, la déesse, la crainte des serviteurs, le fleuve Pactole, les Rois, les serviteurs, le récit… Le son est assuré en direct par un musicien et son synthétiseur, malheureusement avec une encombrante et lassante boîte à rythme.Trop de son martelé dans ce petit espace… Boudons aussi contre l’intrusion de quelques termes « jeunes » et superflus : «J’ai du taf pour toi », une mission, dit Déméter à la nymphe. Verdict évident: même les enfants de sept ans comprennent le mot mission. Les nombreux adaptateurs d’Ovide devraient se souvenir qu’il est poète, à jamais.
La comédienne, en salopette, mouille sa chemise et joue aussi l’hôtesse qui n’oublie jamais le public…Avec une fluidité une grâce qui ne faiblit jamais. Et grâce aux douces rondeurs de son corps, elle réinvente ici la poésie de la légende. Virtuose, sans aucun doute mais aussi généreuse et sincère.
Elle ne se regarde jamais jouer, ne cherche pas à faire joli mais est tout entière au service de son arbre, de son roi… et des enfants qu’on assied au premier rang. Cette histoire dure fait peur ? Oui, et c’est comme ça qu’il faut la raconter, sans complaisance, même si le public a quand même le droit de rire. Voilà un spectacle qui peut aller partout:  écoles, bibliothèques, centre culturels… avec une actrice épatante.

Christine Friedel

Jusqu’au 28 mars, Théâtre Les Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs (Paris Ier). T. : 01 42 36 00 02.


Archive pour mars, 2023

Livres et revues Giselle, de Mats Ek, So Schnell, de Dominique Bagouet

Livres et revues

 Giselle, de Mats Ek, So Schnell, de Dominique Bagouet

L’ennui, avec le spectacle vivant : éphémère, il est destiné à ne vivre  dans les mémoires que pour un temps. On peut noter une chorégraphie ou une mise en scène, les décrire, les filmer, ou photographier, les raconter et leur consacrer livres et articles, mais chaque représentation en restera unique et appartenant au passé…
Nous gardons d’un spectacle-culte,  qui persiste dans nos mémoires et qui nous a fait rêver, ou que nous n’avons pas vu mais dont nous avons entendu parler, la seule fragile et immense construction de mots et d’images qui en a fait une légende. Avec, au centre, la foi en l’acte créatif qui l’a fait naître mais l’œuvre, elle, est définitivement perdue.

Cela n’interdit pas de chercher à la connaître. Les nouvelles éditions Scala (avec Mica danses-Paris) enrichissent leur catalogue focalisé sur l’art, avec une nouvelle collection, Chef-d’œuvre de la danse. Les premiers titres, Giselle de Mats Ek et So Schnell de Dominique Bagouet en indiquent l’objet: offrir à un public d’amateurs avertis ou à de futurs professionnels, le trousseau de clés permettant d’accéder à ces œuvres-cultes qui ont fait date. Analyse des œuvres dans leur contexte, biographies avec surtout, formation et sources du travail des chorégraphes, articles critiques, témoignages d’interprètes, illustrations : le travail à plusieurs mains a ses inconvénients (quelques redites et une relecture un peu rapide). Mais il est avant tout riche et utile.

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Agnès Izrine décrit ainsi avec précision, la recréation de Giselle par Mat Ek créé en 1982 à Stockholm). Mais aussi les gestes et parcours avec précision,en utilisant le vocabulaire de la danse classique que connaissent les petites filles rêvant de tutus et pointes : sissonne, saut de chat, tour, attitude, arabesque… Elle montre ainsi la chorégraphie de Mat Ek ne s’est pas écrite contre la Giselle romantique initiale mais avec elle, en explorant l’inconscient et en débusquant la folie cachée sous la légende. Dans cette logique critique, la danse de Mat Ek s’inspirerait de l’exhibition des hystériques à l’hôpital de la Salpêtrière par le docteur Charcot. Agnès Izrine fait apparaître la pensée, la réflexion sur l’histoire et la société qui construisent le ballet. Cela renouvelle, approfondit le regard sur ce Giselle mais aussi sur la danse et sur une querelle des Anciens et des Modernes, moins binaire qu’on ne l’avait cru.

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Raphaël de Gubernatis s’est chargé de la mémoire de So Schnell de Dominique Bagouet, créé en 1990 à Montpellier. Ironie du titre : en français : si vite , quand on pense à la carrière brève et décisive de ce danseur et chorégraphe, si fin, si précis… Il a été à la source du Centre Chorégraphique National de Montpellier, du festival Montpellier-Danse. Ils continuent sans lui mais toujours sous son impulsion. Danse contemporaine ? Il faisait observer qu’il créait une danse «d’aujourd’hui ». En reste la quête d’une grâce faite d’exigence, et pas seulement formelle. Seul, le geste vrai, compte sur au théâtre ou en danse.
Avec So Schnell, le public de la chance: Catherine Legrand, l’un des plus fidèles partenaires de Dominique Bagouet, a remonté la pièce et nous la transmet : cette pièce fondatrice du Centre Chorégraphique de Montpellier est actuellement en tournée : le spectacle n’est donc pas si éphémère et vit de générations successives…

Christie Friedel

So Schnell, La Coursive, La Rochelle (Charente-Maritime), le 16 mars. T.05 46 51 54 00.

So Schnell de Dominique Bagouet: Giselle de Mats Ek, collection Chefs-d’œuvre de la danse, Nouvelles éditions Scala.

House, texte et mise en scène d’Amos Gitaï

House,texte et mise en scène d’Amos Gitaï

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© Simon Gosselin

Jérusalem-Ouest, une rue, une maison en chantier. Tandis que  maçons et tailleur de pierres s’affairent à coups de truelles et de marteau, les habitants successifs de la maison racontent comment ils ont perdue, achetée, rachetée, rénovée ce bâtiment… Il y a ceux qui sont partis à l’étranger, ceux qui sont venus d’ailleurs, d’autres qui sont restés mais se trouvent spoliés et  déracinés. En hébreu, arabe, anglais, français, yiddish, leurs paroles se croisent et cristallisent  le conflit sans issue qui déchire cette ville cosmopolite, et, au-delà, le Moyen-Orient. À partir d’un documentaire, une trilogie censurée par la télévision d’Etat La Maison (1980), Une Maison à Jérusalem (1997), News from home/News from house (2005), le réalisateur israélien porte à la scène la mémoire de ces pierres qui parlent d’hommes et femmes arrachées à leur terre…

Au bas de grands échafaudages, se succèdent les anciens habitants, le nouveau propriétaire, les voisins et les ouvriers. Au fil de leurs récits, est reconstituée l’histoire de ces lieux sur plus de soixante-quinze ans. Parti en 1948, lors de la guerre israélo-arabe, un Palestinien, le docteur Mahmoud Dajani, s’est vu confisquer sa maison par l’Etat, au nom de la loi dite : propriété des absents. « Voici la vieille maison où j’ai grandi, dit-il, revenant sur les lieux. (…) A côté, celle de mon frère… Il y a trois pièces en bas. Je mettais mon âne dans l’une d’elles… »

Un couple d’Algériens a ensuite été locataire, puis d’autres colons ont acheté une partie de la maison, dont Claire (Irène Jacob), née en Turquie et venue de Stockholm,: « Vous voulez que je vous parle de ce médecin qui était malheureux de revoir la maison de son enfance habitée par d’autres, dit-elle, je suis désolée mais ce n’est pas moi qui ai fait l’Histoire. Je ne l’ai pas faite mais je ne veux pas la défaire non plus …Quand je vais en Turquie, je pleure, parce que je vais voir la maison où je suis née… »

Chaque personne a ses raisons pour occuper la maison. Un jeune artiste belge (Micha Lescot) a rejoint par patriotisme, Israël après la Guerre des six jours, au nom d’une partie de sa famille assassinée par les nazis… Claire justifie son installation en Israël par une histoire familiale mouvementée. Un autre a échappé de justesse aux rafles allemandes. Le nouveau propriétaire décrit son projet de rénovation et son architecte vient inspecter le travail des deux maçons arabes… Ceux-ci, demeurés muets pendant toutes ces allées et venues  prendront enfin la parole pour raconter comment, restés sur place, ils ont été spoliés de leurs terres au profit des colons. L’un explique que, dans son village, les Israéliens construisent sur les ruines des maisons palestiniennes, que les champs de son père sont souillés par les égouts de Jérusalem et qu’on va démolir sa maison neuve, faute d’un permis de construire en règle…

Ces témoignages successifs, portés par huit acteurs et cinq musiciens, constituent une sorte d’enquête de terrain, la plus honnête possible, mais Amos Gitaï donnera ici le dernier mot aux Palestiniens. Nous sentons dans quel sens, pour lui, penche la balance de l’injustice mais il laisse à chacun sa vérité. «Témoin attentif dès ses premiers films documentaires où il montre les proximités et les écarts entre Palestiniens et Juifs israéliens, écrit l’historien du cinéma Jean-Michel Frodon, Amos Gitaï a apporté un soin extrême à réunir dans sa distribution, des personnes aux origines et aux statuts différents, à faire entendre les langues et les intonations de cette région du monde… Il ne s’agit pas là d’un œcuménisme bien-pensant mais de rendre sensible ce qui distingue et de garder une trace. »

Cette succession de paroles en différentes langues (surtitrées) pourrait à la longue paraître monotone, si elle n’était soutenue par un fond sonore permanent et quelques images de ses documentaires. Comme dans ses films, le metteur en scène fait la part belle à la musique: aux bruits du chantier, se mêlent les notes de la cithare et les harmonies orientales du violon d’Alexey Kochetkov, un compositeur qui a déjà travaillé avec lui. Des intermèdes chantés apportent des respirations bienvenues entre les séquences parfois un peu statiques : Dima Wahab (soprano), Benedict Flynn (ténor) et Laurence Pouderoux (mezzo-soprano), un chœur dirigé par Richard Wilberforce.

Amos Gitaï refond ici son travail documentaire en un montage théâtral kaléidoscopique où les acteurs, israéliens, palestiniens et français donnent chair à leur alter-ego du film. Avec un jeu sensible, souvent adressé au public, ils apportent des points de vue nuancés à cette anthropologie historique. En ouverture de House apparaît à l’écran où se projetteront ensuite des images du chantier en cours, Jeanne Moreau lit une lettre adressée au réalisateur par sa mère*. Une façon d’ancrer la pièce dans une vision très intime de cette histoire douloureuse qui dépasse celle de la maison.

Comme il l’a fait dans ses films, réemployant images et sons des précédents opus, Amos Gitaï apporte au théâtre ces sédiments pour creuser dans la mémoire de son pays. Une archéologue, qui intervient dans la pièce , en retrait du chantier, est un peu son porte-parole: « Nous communiquons avec la nature humaine à travers les objets et les pierres ». Ses mots font écho à ceux du metteur en scène : « Au Moyen-Orient, plus qu’ailleurs, le geste de l’artiste se rapproche de celui de l’archéologue. Il s’agit de prendre en considération les strates, les mémoires et les histoires pour approcher des situations humaines contemporaines. » Face aux récents événements qui agitent ce pays,  ce spectacle ne manquera pas de faire débat. Et c’est tant mieux. Dès lors à chacun de juger.

Mireille Davidovici

Jusqu’au 13 avril, Théâtre national de la Colline, 15 rue Malte Brun Paris (XX ème) T. : 01 44 62 52 52.

*Tirée de La Correspondance d’Efratia Gitaï, lue par Jeanne Moreau à l’Odéon (2010) et publiée par Gallimard.

** Amos Gitaï et l’enjeu des archives de Jean-Michel Frodon,Collège de France, 2021

Une projection de la trilogie House aura lieu du 25 au 27 mars au Centre Georges Pompidou, Paris (IIIème)
Et le 1er avril au MK2 Beaubourg, Paris (III ème).

 

Dans la Solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès, mise en scène de Kristian Frédéric

Dans la Solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès, mise en scène de Kristian Frédéric

La pièce (1987) -une des plus jouées du théâtre contemporain- a été créée par Patrice Chéreau en 87, avec Laurent Malet (Le Client) et Isaac de Bankolé (Le Dealer), au Théâtre des Amandiers-Nanterre. Il l’a ensuite reprise dans d’autres mises en scène, d’abord au festival d’Avignon et à la Manufacture des Oeillets à Ivry-sur-Seine.
Depuis
Dans la Solitude des champs de coton a souvent été mise en scène et récemment par Roland Auzet, (voir Le Théâtre du Blog), avec cette fois, des actrices : Anne Alvaro  (Le Dealer) et Audrey Bonnet (Le Client).
Ici, dans une ville indéterminée, la nuit, un client cherche ce qu’un dealer peut lui offrir. Contradiction: ils dépendent l’un de l’autre. Il y a donc un marché, et un commerce au sens financier mais aussi humain, avec la notion de désir : un mot souvent répété ici dans ce dialogue :en fait deux monologues habilement tricotés par l’auteur. «Et la seule frontière qui existe est celle entre l’acheteur et le vendeur, mais incertaine, tous deux possédant le désir et l’objet du désir, à la fois creux et saillie, avec moins d’injustice encore qu’il y a à être mâle ou femelle parmi les hommes ou les animaux. »

Et tout se passe ici comme si ces personnages voulaient s’affronter oralement avant un possible conflit physique à la fin: «Le premier acte de l’hostilité, juste avant le coup, dit Bernard-Marie Koltès dans Prologue, c’est la diplomatie, qui est le commerce du temps. Elle joue l’amour en l’absence de l’amour, le désir par répulsion. Mais c’est comme une forêt en flammes traversée par une rivière : l’eau et le feu se lèchent, mais l’eau est condamnée à noyer le feu, et le feu forcé de volatiliser l’eau. L’échange des mots ne sert qu’à gagner du temps avant l’échange des coups, parce que personne n’aime recevoir de coups et tout le monde aime gagner du temps. »

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Il y a la superbe langue de Bernard-Marie Koltès ! Ciselée, très écrite et légèrement cadencée, et pas si loin à bien y regarder, de celle d’un Marivaux, d’un Beaumarchais ou d’un Choderlos de Laclos: «Je ne suis pas là pour donner du plaisir, mais pour combler l’abîme du désir. (…) «Les souvenirs sont les armes secrètes que l’homme garde sur lui lorsqu’il est dépouillé, la dernière franchise qui oblige la franchise en retour; la toute dernière nudité. » (…)
« Je ne veux, moi, ni vous insulter, ni vous plaire; je ne veux être ni bon, ni méchant, ni frapper, ni être frappé, ni séduire, ni que vous tâchiez de me séduire. Je veux être zéro. Je redoute la cordialité, je n’ai pas la vocation du cousinage, et plus que celle des coups, je crains la violence de la camaraderie. Soyons deux zéros bien ronds, impénétrables l’un à l’autre, provisoirement juxtaposés, et qui roulent, chacun dans sa direction. »
Ou encore : «Alors, ne me refusez pas de me dire l’objet, je vous en prie, de votre fièvre, de votre regard sur moi, la raison, de me la dire  et s’il s’agit de ne point blesser votre dignité, eh bien, dites-la comme on la dit à un arbre, ou face au mur d’une prison, ou dans la solitude d’un champ de coton dans lequel on se promène, nu, la nuit; de me la dire sans même me regarder.»

Kristian Frédéric a demandé à son vieux complice Enki Bilal, les costumes et une scénographie où il y a, en surplomb, côté cour, une sorte de plaque rocheuse noire avec des strates où on verra souvent, surtout au début, le Dealer (Yvan Morgan) s’adressant en position dominante mais très statique au Client (Xavier Gallais). Un climat qui rappelle l’univers apocalyptique et les personnages inquiétants du célèbre auteur de B.D. qui a aussi créé, entre autres, le décor et les costumes de Roméo et Juliette d’Angelin Preljocaj (voir Le Théâtre du Blog).
Xavier Gallais et Yvan Morgan, en bons acteurs expérimentés, font ici un travail d’interprétation remarquable. Une vraie performance, puisqu’ils ne quittent jamais le plateau sur ces deux heures! Et avec une diction et une gestuelle très précises, ils font entendre le texte (malgré quelques criailleries), comme rarement. C’est au moins cela de gagné!
Pour le reste, tous aux abris! Et nous serons plus que réservés sur cette mise en scène incompréhensible et sans aucune subtilité, avec une sorte de chorégraphie compliquée! Pourquoi cette presque obscurité permanente inutile et ces personnages qui bougent à peine et le plus souvent statiques? (on discerne juste les visages mais jamais les regards des acteurs, ce qui est quand même embêtant au théâtre!) Pourquoi cette noirceur qui va jusqu’au noir gluant dont, à la fin les acteurs s’enduisent le le corps?
Et pourquoi ces poncifs du théâtre actuel: basses de musique électronique redondantes, voix  (même celle de Tcheky Karyo) et chœurs en sourdine comme pour soutenir le texte qui n’a absolument pas besoin de cela, jets de fumigènes à gogo et voix des acteurs souvent amplifiées? Questions sans réponse. Tout cela, donc prétentieux, conventionnel et qui dessert la pièce don on n’entend même pas la fin! Pourquoi cette insupportable lenteur d’un jour sans pain, avec des silences qui cassent le rythme de la pièce, déjà un peu longue? Pourquoi aussi ces effets pléonastiques, comme ce noir dont à la fin, s’engluent les acteurs, ou ces quelques phrases en araméen (la langue du Christ et de ses disciples ici sur-titrées en français), sur Abel, le berger et  son frère Caïn, le cultivateur de La Genèse).
Les spectateurs ont applaudi poliment les acteurs… Cette mise en scène mérite-t-elle le déplacement? En aucun cas et vous pouvez relire le texte chez vous! Reste à savoir pourquoi Emmanuel Demarcy-Motta a programmé une chose aussi inconsistante et aussi dérisoire mais qui anéantit à coup sûr le texte de Bernard-Marie Koltès. Le théâtre contemporain a parfois de ces mystères!

Philippe du Vignal

Jusqu’au 29 mars, Théâtre de la Ville-Espace Pierre Cardin, 2 avenue Gabriel, Paris (VIII ème). T. : 01 42 74 22 77.

La pièce est publiée aux éditions de Minuit.

Des Femmes qui nagent de Pauline Peyrade, mise en scène d’Emilie Capliez

Des Femmes qui nagent de Pauline Peyrade, mise en scène d’Emilie Capliez

 «Que nous disent les actrices de cinéma, leurs poses, leurs choix, leur parcours, leurs corps, des corps et des choix, des prises de position des femmes aujourd’hui?» En évoquant une multitudes de films, interprètes et réalisatrices, l’autrice explore les failles qui se cachent derrière le glamour des stars et les paillettes d’Hollywood.
Odja Llorca, Catherine Morlot, Alma Palacios (en alternance, avec Louise Chevillotte) et Léa Sery incarnent ici Marilyn Monroe, Romy Schneider, Natalie Wood mais aussi Delphine Seyrig, Gena Rowlands, Naomi Kawase, Adèle Haenel, Chantal Akerman… La liste est longue.  Nous sommes au bord de La Piscine de Jacques Deray, puis dans le désert du Nevada, avec Les Misfits de John Huston. On nous détaille le scénario complexe de Mulholland Drive de David Lynch, nous entendons une réplique de Peau d’âne de Jacques Demy… Pour finir, quatre Sigourney Weaver (Ellen Ripley dans Alien) nous résument en chœur les scénarios de cette série...

Puis on voit sur le podium au festival de Cannes ou à la cérémonie des Césars 2020 désertée, des actrices en colère. On entend dans des extraits d’interviews, la pression qui pèse sur ces femmes en vue, le vieillissement qui les guette et l’image qu’on leur impose d’offrir… Et à la fin, en contre-point de cette avalanche de scènes, une ouvreuse vient accueillir les spectateurs et raconte en voix off, son quotidien, loin des projecteurs…Pauline Peyrade fait fi de la chronologie et ce montage se traduit par une cavalcade d’ actrices en quête de leurs personnages, avec d’incessantes entrées et sorties. Les portes claquent et il y a d’acrobatiques changements de costume.
Difficile pour un public non cinéphile de saisir les clins d’œil en référence à ces stars. Et, même si nous reconnaissons ça et là, un film, un personnage, ce foisonnement de tableaux nous laisse au bord de la route. Et la mise en scène peine à faire image, malgré les recoins du décor à tout faire d’Alban Ho Van : un hall de cinéma avec portes à battant, un escalier dérobé et un appareil à pop-corn derrière la vitre de la billetterie.

Cette heure quarante-cinq tient grâce à l’énergie des actrices qui incarnent une icône figée dans son cadre, une comédienne qui répète, la réalisatrice en création.Elles s’emparent avec humour et intelligence de ces personnages fugitifs et surnagent dans ce tsunami verbal. «Un film pour la scène. Un scénario impossible, selon Pauline Peyrade…

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 19 mars, Théâtre Gérard Philipe, 59 boulevard Jules Guesde, Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). T. : 01 48 13 70 00.

Du 19 au 21 avril, Comédie-Centre Dramatique National de Reims (Marne).

 Le texte de la pièce est publié aux Solitaires Intempestifs.

Qui êtes-vous monsieur Didou ?

Qui êtes-vous monsieur Didou ?

A seize ans, en Ardèche, en vacances avec ses parents, il jonglait dès qu’il en avait l’occasion. Et il a rencontré des vendeurs d’articles de jonglerie et deux punks. Un spectacle de rue s’est alors improvisé : sa famille a joué de la musique et Félix Didou a alterné avec l’un d’eux, des numéros de jongles enflammés. L’autre faisait office de monsieur Loyal, avec des tours de magie. À la fin, il lui a proposé de garder la recette mais de payer la tournée au bar. Et il lui a appris ses premiers tours de magie.

Après avoir été vendeur de costumes et articles de magie et cirque, Félix Didou a été orthopédiste pendant trois ans. Puis, il a voulu unir des techniques de jonglerie à la magie; il a alors arrêté l’orthopédie et est entré dans une école de cirque pour trois ans. « J’ai appris la magie grâce aux livres et essayais d’appliquer les principes à mes propres créations pour l’école. On nous demandait de produire souvent des numéros et cela a été un très bon laboratoire qui permettait de me rendre compte très vite, de ce qui fonctionnait ou pas. »Il a ensuite suivi la formation en magie nouvelle au Centre National des Arts du Cirque. Jusque-là autodidacte, il a pu y rencontrer de nombreux intervenants très pédagogues. Sorti en 2018, il se sent continuellement apprenant, toujours à l’affût des livres d’occasion et remet toujours en cause sa façon d’aborder son art.

« Une des rencontres les plus importantes de ma vie, dit-il, est celle avec Jordan Enard. À l’époque, je travaillais dans un magasin de déguisements, jonglerie et magie à Brest. Il est venu acheter un paquet de cartes et nous nous sommes liés d’amitié. Nous avons travaillé, lui, dans la production et diffusion des spectacles, et moi dans la création. Dix ans plus tard, il monte Baron Production une boîte qui s’occupe de gérer les spectacles de magie et de cirque… Sans cette rencontre, je n’aurais jamais osé me lancer dans cette folle aventure. »

« En 2013, avec Jordan, nous avons voulu aller (sans avoir beaucoup de sous! ) au Magic History Day 6 /misdirection, organisé à Paris par le Collectoire et Jean Merlin.  Mais Paris, c’était loin de Brest ! Nous voulions faire l’aller et  retour dans la journée, nous nous sommes levés à quatre heures du matin et avons pris des passagers en covoiturage mais un pneu a crevé et nous n’avions pas de roue de secours… Nous avons quand même réussi à arriver vers midi : nous avions raté la moitié de la journée ! Mais nous nous sommes serré les coudes et ne nous sommes plus quittés!»

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Une des expériences a failli le dégoûter de la magie lors de son premier concours, où il présentait son numéro de sortie d’école L’Extra-Quotidien. Un des commentaires du jury disait qu’il n’était pas magicien mais jongleur. Forte déception : il y avait investi beaucoup de temps, d’argent et d’amour. « Que l’on n’aime pas le numéro, l’univers, le costume… je l’entends et l’accepte. Mais personne ne peut réfuter ce titre, à partir du moment où on pratique, on étudie et on se donne à cet art : on fait alors partie de cette grande famille. Heureusement, je ne me suis pas démonté et j’ai continué mon chemin… J’aime toujours autant cet art et je refuse qu’il soit accaparé par une minorité qui essaye d’en avoir l’exclusivité. »

Félix Didou travaille surtout dans les théâtres, lieux de spectacles et de cirque contemporain, ce qui lui donne accès au milieu artistique du secteur public. Avec des créations mêlant jonglerie et magie, il aime bricoler des trucs qui n’existent pas sur le marché et utiliser des classiques de magie moderne, les modifier pour que cela colle à ce qu’il veut raconter. « Cela, dit-il, m’oblige à être curieux de tout: les grandes illusions, la marionnette, le «quick change ». Une technique de mentalisme me permettrait de faire une lévitation : ce serait dommage de passer à côté, même si ce n’est pas mon domaine. Mais l’intention est la plus importante. Si un effet est fantastique mais dévie le propos d’une création, je l’abandonne… J’ai une grande pratique de la jongle et des techniques faisant appel à l’adresse, mais, comme j’ai commencé par là, difficile de savoir si elle facilite l’apprentissage de la magie. »

Un Jour de Neige a été le premier long spectacle de sa compagnie L’Ombre. Il avait envie d’écrire un spectacle de cirque avec des contraintes claires : partir d’un univers quotidien, y insérer des événements surnaturels, pour qu’à la fin, le public ne puisse être en mesure de dire si ce qui a été raconté, était vrai, ou pas. Il aime beaucoup entraîner le public à douter de ses perceptions et devoir choisir lui-même en quoi il va croire. « Dans la Nouvelle Fantastique, la narration se fait à la première personne, dit-il. Et sur scène, j’ai abordé les effets magiques, comme si c’était des trous de mémoire de celui qui n’aurait pas été en mesure de raconter les événements. Le public comme le personnage, le vivent alors comme une disparition. » Il a nommé sa compagnie L’Ombre. En effet, quand il créait des numéros pour l’école de cirque, l’ombre y était toujours sous-jacente. Il a testé des écritures dans beaucoup de genres : fausse conférence, dramatique, comique. Mais à chaque fois, l’ombre, sous plusieurs formes : matière physique ou symbolique, était là..

Il a été influencé par Norbert Ferré avec FISM et par Yann Frisch avec Baltass. Ces artistes lui ont permis de se rendre compte que la virtuosité n’était pas antagoniste avec la magie. Le Syndrome de Cassandre de Yann Frisch et Le Soir des monstres d’Étienne Saglio  (voir Le Théâtre du Blog) lui ont fait sentir que l’on pouvait avoir un univers très puissant sans chercher pour autant à impressionner. Il admire aussi Gaëtan Bloom pour ses bricolages astucieux, la gestion du contrôle de l’attention et la sympathie qu’il dégage. Et Xavier Mortimer qu’il a vu seulement en vidéo avec L’Ombre Orchestre mais qu’il l’a inspiré, dit-il, dans son subconscient.

« J’ai aussi beaucoup d’admiration pour le travail de Léa Kyle qui a révolutionné la technique du « quick change». J’aime beaucoup l’écriture de Valentina Cortese et ses mises en scène très ingénieuses qui donnent une sensation d’étrangeté avec peu d’effets. Émilie Rault est une metteuse en scène et magicienne très inspirante aussi. Allez découvrir son prochain travail dans le off en Avignon avec Calista Sinclair. Je préfère réaliser des numéros avec des objets, plutôt que du mentalisme: cela doit venir de mon côté jongleur. Je suis curieux de toutes les magies. Et en ce moment, je suis dans une période « quick change » et grandes illusions. Mes livres qui m’ont le plus marqué ? Strong Magicet Concevoir des miracles de Darwin Ortiz, Fondation d’Eberhard Riese et L’Arc-en-Ciel magique de Juan Tamariz.

Félix Didou se reconnait vraiment dans la magie nouvelle et aime aussi beaucoup l’école espagnole dont il trouve le travail à la fois efficace et beau: «Comme Arthur Chavaudret (Ticho), ses artistes ont une rigueur incroyable sur ce qu’est le mouvement vrai et ne font pas de concession là-dessus. Cela me fait rêver. Je viens du cirque et j’ai baigné dans de nombreux spectacles. Chez Les Dodos du P’tit Cirk, j’ai adoré les utilisations de la guitare qu’ils en font.
Je crois que le détournement d’objets est une composante essentielle chez moi.Comme les circassiens, je m’inspire de la danse et du théâtre. Leïla Ka est une danseuse fantastique et Albert Dupontel; sans doute le cinéaste qui m’inspire le plus. »

Aux débutants, il conseille d’être curieux de tout et de ne pas avoir peur de travailler des techniques difficiles pour progresser. « Les raccourcis avec objets technologiques peuvent être séduisants, dit-il, mais arrive toujours un moment où il y a une mise à jour à faire ; avec un savoir-faire technique bien maîtrisé, on l’a toujours avec soi. On cite souvent Ascanio pour qui  « La magie, c’est 10% de technique. « Mais les 90% restants sont exponentiels. Et il y faut de la patience car le temps est le plus bel outil pour façonner l’art. »

Sur la magie actuelle, à son avis, on arrive à un tournant. Il a l’impression que, d’abord renfermée sur elle-même, elle évolue. «Le mouvement initié par la compagnie 14.20 n’est pas le seul responsable de cette ouverture qui doit aussi beaucoup à Mario Lopez, Daniel Daortiz ou Danny Goldsmith. J’ai un sentiment ambigu sur ce que je souhaite, et le secret est vital pour notre art. Actuellement, il est protégé de manière mercantile et le créateur enfin rémunéré à leur juste valeur mais c’est un frein énorme pour les débutants qui veulent avoir un autre rapport au monde et qui pourraient enrichir la diversité des propositions artistiques. Qui n’a pas été dégoûté d’avoir acheté un tour «révolutionnaire » mais qui, en fait, est impraticable? Je suis admiratif des sites comme Artefake qui permettent d’aborder gratuitement ce milieu  mais qui n’en dévoilent pas les secrets. »

Pour Félix Didou, il faut que la magie, pour être entière, s’adresse à nos émotions formées par notre culture et notre sensibilité et qui serait un casse-tête si la personne qui pratique était l’unique détentrice du secret. «Selon Tuan Tamariz, les tours qui perdurent sont ceux qui touchent à notre intimité. Pour moi, un tour est une sorte de lasagne. Derrière le magicien, il y a l’acteur, et derrière lui, l’auteur, et derrière l’auteur, il y a l’être humain. Et avant lui, l’enfant influencé par son éducation, sa condition sociale et sa culture. La « belle magie » est une superposition de couches. »

Sébastien Bazou

Entretien réalisée à Dijon, le 14 mars.

https://cielombre.com/

À voir :Un jour de Neige.https://www.youtube.com/watch?v=2dGoLn2zIpA

Le 15 novembre, à La Courneuve (Seine-Saint-Denis), aura lieu le Festival de la rencontre des jonglages.

 

White Dog, d’après le roman éponyme de Romain Gary, mise en scène de Camille Trouvé

White Dog, d’après le roman éponyme de Romain Gary, adaptation de Camille Trouvé et Romain Berthoud, mise en scène de Camille Trouvé

Une fois de plus, le Théâtre 14 à Paris ( XIV ème), dirigé depuis trois ans par Mathieu Touzé et Édouard Chapot, se fait remarquer par l’excellence de sa programmation. Et ce samedi à 16 h, la salle était pleine avec un public de tout âge, ce qui n’est pas si fréquent dans la capitale et ailleurs.
Ce White Dog se passe aux Etats-Unis qui vivent une période difficile et très violente: le pasteur noir Martin Luther King qui, en 64, a été le plus jeune prix Nobel de la paix, est assassiné quatre ans plus tard à Memphis (Tennessee). Probablement, avec l’appui du F.B.I. qui l’avait espionné. Il y était venu soutenir les éboueurs noirs en grève pour obtenir un meilleur salaire et un meilleur traitement. Il avait aussi commencé alors à se battre contre la guerre au Viêt nam et conte la pauvreté qui accablait la communauté noire. Et il l’entraînera à lutter sans relâche pour la défense de ses droits civiques. 

Le diplomate et écrivain Romain Gary et l’actrice Jean Seberg, son épouse qui vivaient à l’époque aux Etats-Unis, recueillent un chien abandonné. Ils le nomment Batka. Doux et affectueux, il a pourtant été dressé à attaquer et tuer les Noirs. Keys, un ami noir du couple le rééduquera mais ne veut pas redonner ce chien à son maître. On comprendra pourquoi. « Retourné », il s’en prend en effet aux Blancs et attaquera Romain…

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Ici, Camille Trouvé se sert de tableaux de papier, de théâtre d’ombres mais aussi et surtout, de grandes marionnettes pour raconter cette histoire et figurer ce chien et les humains qui s’occupent de lui. La metteuse en scène utilise aussi d’anciennes images d’actualités télévisées avec un présentateur blanc commentant les manifestations de Noirs réclamant, souvent au risque de leur vie, l’égalité des droits civiques. Arnaud Biscay à la batterie, rythme les moments de ce «basculement du familier» selon Romain Gary. «Quel espoir, dit Camille Trouvé, pour le rêve de fraternité et de réconciliation, lorsque bêtise humaine rime avec férocité animale et quand la manipulation prend des allures de dressage? Peut-on désapprendre la haine ? »
Et c’est un des grands mystères de la marionnette et une des réussites de ce spectacle: grâce à elles, et à cette distance qu’elles offrent, nous sommes encore plus sensibles  à cette histoire et nous sentons monter la tension dans le couple Gary-Seberg et les deux communautés.
L’occasion pour Romain Gary, d’une réflexion sur la grande violence et le racisme que traverse à cette époque-là, la société toute entière aux Etats-Unis.

Ce White Dog choral, aux images souvent très intéressantes, est mis en scène avec une grande précision par Camille Trouvé. Elle l’a réalisé avec Saskia Berthod, monteuse de cinéma qui a donné un rythme particulier aux images ( mais un peu petites!) qui se succèdent, notamment sur un petit poste de télévision des années soixante.  Loin, et heureusement, des adaptations souvent faiblardes de romans ou nouvelles qui envahissent les plateaux et où les metteurs en scène se contentent le plus souvent, de retranscrire vite fait-mal fait, les dialogues. Le spectacle doit beaucoup à l’acteur-marionnettiste noir Tadié Tuéné, et au marionnettiste blanc Brice Berthoud, ainsi qu’ à Yvan Bernardet. Arnaud Biscay à la batterie, rythme avec cette efficacité, cette intrigue où ce pauvre chien avait été dressé dans un but clairement raciste.

La scénographie avec de multiples écrans en papier blanc comme la compagnie La Part des Anges en utilise souvent (voir Le Théâtre du Blog), un pont en tubes de fer, un plateau tournant.  avec perches en bois et figurines en carton mobiles, est un peu compliquée et moins convaincante. « Il tourne sur lui-même  pour changer notre point de vue de l’histoire,  dit son concepteur. » Mais cela ne fonctionne pas vraiment.
L
a réalisation des marionnettes très finement sculptées du chien Bakta, de Keys, son dresseur noir, et de Romain Gary est, elle, tout à fait remarquable (plus que celle d’une Jean Seberg aux cheveux dorés) comme leur manipulation.

Comment justifier cette débauche de papier, sans doute jeté après chaque représentation? Camille Trouvé aurait pu trouver d’autres solutions (merci pour la planète!) et devrait se souvenir que Martin Luther King, en génial précurseur, critiquait déjà le train de vie et la consommation excessive de produits aux Etats-Unis…
Les applaudissements ont été chaleureux.
Après la pandémie qui touche encore toutes les salles, voir un public sans doute assez local, curieux et attentif, cela fait du bien… Non, le spectacle n’est pas mort! Une pensée pour le grand Jean-Marie Serreau, disparu il y a juste cinquante ans et qui a fait découvrir entre autres,  Samuel Beckett, Jean Genet, Eugène Ionesco, Kateb Yacine, Aimé Césaire, Ramón María del Valle-Inclán.. Il avait aussi créé le Théâtre de la Tempête à la Cartoucherie. Le Théâtre 14 porte son nom et celui qui fut l’un des premiers à avoir introduit des éléments audio-visuels dans ses créations, serait heureux d’avoir programmé ce White Dog 

Philippe du Vignal 

Jusqu’au 25 mars, Théâtre 14-Jean-Marie Serreau, 20 avenue Marc Sangnier, Paris (XIV ème). T. : 01 45 45 49 77.

Le 25 mai Théâtre municipal d’Aurillac (Cantal).

Les 7 et 8 juin, Théâtre de Bourg-en-Bresse (Ain).

Chien Blanc est édité chez Gallimard.

Grand Palais de Julien Gaillard et Frédéric Vossier, mise en scène de Pascal Kirsch

Grand Palais de Julien Gaillard et Frédéric Vossier, mise en scène de Pascal Kirsch

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© Geraldine Aresteanu_

 Un spectacle qui donne corps et images à un dialogue post-mortem en forme d’élégie entre Francis Bacon et son amant et modèle qui s’est suicidé deux jours avant la rétrospective du peintre, au Grand-Palais, à Paris. Julien Gaillard prête sa plume à Francis Bacon: un texte tout en circonvolutions entre présent et passé, truffés de références littéraires et picturales.  Frédéric Vossier, lui, adopte pour George Dyer une langue abrupte, pour montrer le traumatisme d’un homme en déshérence, tandis que son amoureux triomphe. Vincent Dissez (George Dyer) et Arthur Nauzyciel (Francis Bacon) incarnent ce double chant triste.

 Le 26 octobre 1971, au restaurant du Train Bleu, gare de Lyon à Paris, Francis Bacon dînait avec le Tout-Paris venu le féliciter pour son exposition. «Je tiens mes yeux en laisse, dit-il, il ne faut pas pleurer.» Mais l’image de George Dyer le hante. Pascal Kirsch a conçu un dispositif scénique où il place Arthur Nauzyciel à l’avant-scène, portant avec toutes les nuances, la parole d’une homme après la catastrophe.
George Dyer, lui, comme un fantôme éternellement figé dans la mort, évolue derrière la vitre d’un cercueil en verre où son image se reflète dans des miroirs déformants, à la manière des peintures de Francis Bacon qui l’ont immortalisé. L’amant déserté appelle vainement à l’aide, seul dans la chambre d’hôtel où il va se donner la mort par surdose d’alcool et médicaments…
De cette image, naîtront les “triptyques noirs“: In Memory of George Dyer, où le peintre reconstitue les circonstances de sa mort, notamment quand il l’a découvert assis sur les toilettes, tête baissée. Le peintre inconsolé s’adresse au défunt autant qu’à lui-même et se remémore aussi des moments heureux, comme un repas bien arrosé chez des amis à la campagne, parmi les dahlias…

A ces soliloques croisés, se superposent, tels des appels d’air oniriques, les citations qui émaillent le texte de Francis Bacon: «Je me suis amusé à en truffer sa parole, dit Julien Gaillard, j’en ai même inventé de fausses, pseudo- shakespeariennes ». Elles se matérialisent ici par les apparitions fantomatiques de Guillaume Costanza, devenant un personnage iconique disant des vers d’Eschyle ou Shakespeare, en français avec bribes d’anglais… Il est aussi la voix et la silhouette du maître d’hôtel rappelant épisodiquement au peintre qu’il est attendu pour le dîner.

Prenant au pied de la lettre la didascalie: (Un peuple d’images qui semble sourdre des murs), le metteur en scène a choisi de projeter les tableaux cités par l’auteur comme entre autres, les zoopraxographies (décompositions de la locomotion animale) du photographe Eadweard Muybridge, Le Bœuf écorché, ou un des autoportraits de Rembrandt, La Descente du Christ au tombeau de Velasquez… En discrète surimpression, ces œuvres rythment le jeu d’Arthur Nauzyciel. Grâce aux compositions musicales jouées en direct de Richard Comte et à la présence des acteurs, Pascal Kirsch en scène fait dialoguer avec justesse ces écritures et a su traduire avec force images, jeux de lumière et de miroirs, l’univers baroque et tourmenté de Francis Bacon. 

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© Geraldine Aresteanu_

Avec subtilité, il fait aussi advenir la parole de Georg Dyer : le sortant de son cercueil de verre, comme Frédéric Vossier l’a sorti du champ magnétique de Francis Bacon, il l’amène sur le devant de la scène dans une adresse directe au public pour dire le cruel manque d’amour, la solitude, le désespoir qui l’ont conduit à la mort. Vincent Dissez devient l’être sacrifié au bucher de l’art… Une belle métaphore du rapport entre l’artiste et son modèle… «  Il y a d’un côté un homme qui crée, et de l’autre un homme qui crève »,  résume Frédéric Vossier.

 Objet littéraire, pictural et théâtral, Grand Palais fait appel à notre sensibilité et notre sens esthétique. Une tragédie d’une heure vingt-cinq  à flux tendu, sans pathos dont les mots et les images nous resterons en mémoire. Souhaitons lui une longue vie.

 

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 16 mars, Théâtre National de Strasbourg, Espace Klaus Michael Grüber, 18 rue Jacques Kablé, Strasbourg (Bas-Rhin). T. : 03 88 24 88 24.

 Le 9 novembre, Espace Marcel Carné, Saint-Michel-sur-Orge (Essonne) ; du 15 au 18 novembre, Théâtre National de Bretagne, Rennes (Ille-et-Vilaine) et les 23 et 24 novembre, Comédie de Béthune (Pas-de-Calais).

 Le texte de Grand Palais est publié aux Solitaires Intempestifs.

Showgirl , conception, texte, et interprétation de Jonathan Drillet et Marlène Saldana

Showgirl, conception, texte, et interprétation de Jonathan Drillet et Marlène Saldana

 

© J. Pique

© J. Pique

Ce spectacle, librement inspiré du film de Paul Verhoeven, a affiché complet sur les quatre représentations à Chaillot. «Peut-on se contenter d’un regard surplombant sur une réalité désespérément inhabitée était-il écrit dans Le Monde en janvier 1996), si rien ne vient meubler un récit qui se contente de ses conventions et n’invente que l’idée qu’il se fait de sa propre intelligence? Le vide, même avec la conscience de la vacuité, reste le vide. »

Depuis, Showgirl est devenu un film classique et la vie misérable d’une strip-teaseuse que le cinéaste situait dans un cabaret à Las Vegas, reste une réalité. Jonathan Drillet incarne le régisseur et confident de la strip-teaseuse et avec Marlène Saldana, nous emportent dans leur monde. Loin de Jacques Demy, un des personnages des Idoles de Christophe Honoré, un rôle qui lui valut le Prix de la meilleure comédienne du Syndicat de la Critique en 2019, cette actrice  nous surprend encore et réalise ici une performance crue et provocatrice.

 Parfois, vêtue d’un seul string, elle occupe le plateau durant une heure vingt-cinq. Avec des phrases qu’un psychiatre pourrait qualifier de “dissociées »  et ici, chantées : « Des seins, des culs, des chattes, des bites… » Ou proclamées : « Si tu veux faire de l’expressionnisme à poil, tu te mets au bûto (…) c’est la victoire de l’ironie sur la tragédie (…) on va tous crever, on va finir crevés ». Des phrases aux nombreuses significations. Cette confession dans un club sordide, rythmée par la musique électro de Rebeka Warrior, pleine d’humour est une remarquable performance de Marlène Saldana…

 Jean Couturier

 Spectacle joué du 8 au 11 mars, à Chaillot-Théâtre National de la Danse, 1 place du Trocadéro, Paris (XVI ème). T: 01 53 65 30 00.

Mélisande, d’après Pelléas et Mélisande de Maurice Maeterlinck et Claude Debussy, direction musicale de Florent Hubert, mise en scène de Richard Brunel

Mélisande, d’après Pelléas et Mélisande de Maurice Maeterlinck et Claude Debussy, direction musicale de Florent Hubert, mise en scène de Richard Brunel

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© JeanLouisFernandez

Dans cette adaptation, le destin tragique de l’héroïne est scellé: elle nous apparaît mourante sur un lit d’hôpital avec, à ses côtés, un médecin qui nous la présente comme l’une des femmes de Barbe-Bleue et contrairement aux autres, elle a réussi à s’échapper… Et nous allons découvrir comment elle en est arrivée là.

Dans cette blancheur morbide, Judith Chemla (Mélisande) brille d’un éclat singulier: avant même qu’elle ne chante, elle s’impose par sa voix presqu’enfantine et sa frayeur de biche aux abois quand,  fugitive, dans un tourbillon de feuilles mortes, elle rencontre Golaud, au bord de l’eau où elle a jeté sa couronne maudite. C’est aussi dans l’eau qu’ensuite, troublée par la présence de Pelléas, elle égarera la bague de mariage offerte par Golaud qui l’avait recueillie dans son austère château et épousée.

 L’action se focalise sur le triangle Mélisande-Golaud-Pelléas mais seuls les duos entre Pelléas (Benoît Rameau) et Mélisande seront chantés, Golaud étant, lui, incarné par un acteur Jean-Yves Ruf. Antoine Besson joue le Médecin, le Serviteur et d’autres rôles secondaires, autant de témoins du drame. Face à sa stature massive de Jean-Yves Ruf – un géant, dit le livret- Judith Chemla incarne une Mélisande délicate et fragile mais résolue à affronter son destin, dans un amour libératoire et fatal. Elle nous charme par son jeu subtil et intense qui trouve son point d’orgue dans les parties chantées, particulièrement réussies: le duo du balcon d’où s’évadent les cheveux de l’héroïne et l’ultime et déchirante scène d’amour interrompue par le surgissement fantomatique d’un Golaud devenu un ogre sanguinaire et aveuglé par la jalousie. «Elle chante quand elle voit Pelléas, dit Richard Brunel. Elle chante sa peine ou sa frayeur. »

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®JeanLouisFernandez

Nous retrouvons alors la magie de ce conte cruel, grâce aussi à l’orchestration et aux arrangements à la fois fidèles et transgressifs de Florent Hubert, saxophoniste et clarinettiste de jazz. Nous l’avions apprécié Orfeo-Je suis mort en Arcadie (2017), mise en scène de Jeanne Candel et Samuel Achache (voir Le Théâtre du blog). « L’accordéon, dit le directeur musical, est, comme un petit orgue, garant du mélodique et de l’harmonique. Les percussions accentuent les rythmes et se justifient par l’intérêt qu’avait Claude Debussy pour le gamelan indonésien. La harpe, instrument qui lui était cher, souligne la féérie. Le violoncelle apporte le lyrisme qu’on pourrait perdre en ne choisissant pas de vent. »  Cette formation réduite avec Yi-Ping Yang (percussions), Marion Sicouly (harpe), Sven Riondet (accordéon), Nicolas Seigle (violoncelle) et Benoit Rameau, (saxophone) respecte la sobriété voulue par Claude Debussy, même si la musique reste parfois trop en retrait.

Le décor d’Anouk Dell’Aiera  traduit l’austérité des lieux et l’âpreté du récit : un grand lit surmonté de tubulures, un escalier métallique et une longue table banale occupent l’espace de jeu. Autant d’obstacles à franchir pour Mélisande, toujours en équilibre au bord du gouffre… Mais rien de féérique dans cette scénographie encombrante, ni dans les costumes peu stylés et les bassines en plastique blanc symbolisant l’eau, élément omniprésent chez Maeterlink: rivière, mer, fontaine…

Hybride et dépouillé, à l’inverse de son modèle romantique, le spectacle qui hésite entre théâtre et opéra, ne nous a pas entièrement convaincus. Reste le charme de Judith Chemla qui irradie la pièce de sa présence énigmatique. Musicienne, chanteuse et actrice, après un bref passage à la Comédie-Française (2007-2009) elle avait triomphé dans Célimène du Misanthrope, mis en scène par Lukas Hemleb. elle a repris sa liberté: «La sécurité me flatte mais m’engourdit, dit-elle. J’ai besoin de vide, de vertige, d’inconnu, pas de confort. Rien n’y surgit.» Comme Mélisande choisissant l’amour, plutôt que le confort conjugal, un rôle qu’elle avait déjà tenu dans Pelléas et Mélisande, réalisé par Benjamin Lazar. On la retrouvera sous sa direction pour une reprise de Traviata, vous méritez un avenir meilleur, au Théâtre des Bouffes du Nord, à l’automne prochain.

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 19 mars, Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis boulevard de la Chapelle, Paris (X ème) T. : 01 46 07 34 50.

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