Adieu Lucien Attoun

Adieu Lucien Attoun

Il avait quatre-vingt sept ans et cela faisait longtemps que nous ne l’avions pas  rencontré au théâtre où il allait très souvent. Nous nous doutions bien qu’il avait des ennuis de santé. La dernière fois, il y a déjà plus d’un an, je lui avais proposé de venir déjeuner. Il avait accepté avec joie mais ensuite, il m’avait appelé et avoué être trop fatigué pour venir…

© X Lucien dans Les Perses ( à droite ) à Mers-el-Kebir près d'Oran en 1959

© x  Photo de répétition Lucien Attoun (à droite) dans Les Perses  à Mers-el-Kebir près d’Oran en 1959.

Nous l’avons connu il y a déjà plus de soixante ans, au Groupe de Théâtre Antique de la Sorbonne et nous avons souvent joué ensemble Les Perses, spectacle mis en scène par Maurice Jacquemont en mai 36 avec un grand succès, puis constamment repris jusqu’en 61. Ce groupe avait été fondé à cette date par Roland Barthes qui jouait le roi Darios dans Les Perses et quelques autres étudiants et était un peu comme une école de théâtre à la Sorbonne avec les Théophiliens dirigé par Gustave Cohen qui jouait des pièces du Moyen-Age et avait encouragé la naissance du G.T.A. où douze autres pièces d’Eschyle, Sophocle, Euripide, Plaute furent ainsi mises en scène jusqu’en 74.
Lucien qui avait vingt ans, devait s’occuper à seize ans, de sa petite sœur après la mort de leur mère. Pas du tout riche comme nous tous, il multipliait les petits boulots. Il y avait déjà chez lui une volonté d’en découdre et une passion du théâtre solidement ancrée, à la fois pour en faire mais aussi pour en discuter. Nous nous étions un peu perdus de vue mais retrouvés  une première de 1789, au Théâtre du Soleil dans la mise en scène d’Ariane Mnouchkine (1970). C’était  hier…

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En 58, Lucien fonda le Cercle international de la jeune critique. Boulimique, il écrit des articles pour la revue EuropeLes Nouvelles Littéraires et Témoignage chrétien. Et à France- Culture, en 67 déjà, avec Claire Jordan, il anime Matinée Spectacles. Mais il s’essaya aussi à la mise en scène pour une compagnie qu’il avait fondée avec Rafael Rodrigues, un jeune artiste péruvien qui faisait aussi partie du Groupe de Théâtre Antique.

Il créa à France-Culture le Nouveau répertoire dramatique radiophonique pour aider les jeunes auteurs vivants et repèra ainsi  la première pièce de Bernard-Marie Koltès et fit aussi connaître en France, des auteurs étrangers comme Thomas Bernhard (1931-1989) avec L’Ignorant et le fou. Plus tard, en 1970, il créa Théâtre ouvert, une collection d’ inédits chez Stock et proposa à Jean Vilar (1912-1971) qui dirigeait encore le festival d’Avignon mais qui devait mourir l’année suivante, non des représentations mais ce qu’il appelait des « mises en espace » d’inédits avec tous les risques que cela comportait: peu de répétitions et auteurs inconnus du grand public.
Ce qui n’existait pas du tout à l’époque et ne manquait ni d’ambition, ni de courage. Dans la belle Chapelle des Pénitents Blancs, ces mises en espace eurent très vite un succès mérité… Lucien était aussi lucide et savait que tous les textes n’avaient pas le même niveau que ceux d’un Koltès ou d’un Lagarce… Mais cette expérience correspondait aussi à un nouvel état d’esprit issu de mai 68 pour le public d’Avignon
Jean Vilar lui n’avait jamais vraiment réussi à imposer dans la seconde et petite salle du TN.P., impasse Récamier près du métro Sèvres-Babylone, des auteurs contemporains qui avaient une vision du théâtre plus proche des dialogues de cinéma ou de récits. L’expérience dura d’octobre 59 à mai 61… Il y a avait à l’époque un problème d’identité! Pour le public, T.N.P. signifiait Chaillot et non cette salle qui n’était pas vraiment reconnue comme théâtre…
En fait, Lucien Attoun voulait mettre en place un lieu permanent de création axé sur les auteurs contemporains. Ce qu’il fera avec Théâtre Ouvert, solidement accompagné par son épouse Micheline et ce nouveau lieu très vite connu des Parisiens, bénéficiera ensuite d’une subvention du Ministère de la Culture. Entre temps, les relations avec Paul Puaux qui succéda à Jean Vilar s’étaient détériorées. Lucien et Micheline Attoun quittèrent donc le festival d’Avignon.

Ils trouvèrent un lieu très calme pour accueillir les créations de pièces inédites: il appartenait au Moulin-Rouge, à Pigalle, au bout de la cité Véron, dans une impasse avec maisons et jardins (où avait habité Boris Vian) Une curieuse salle surmontée d’une rotonde pas toujours facile à gérer pour les metteurs en scène, avec une autre plus petite et quelques bureaux. Le succès venant, un comité de lecture fut mis en place et là, furent ainsi jouées des œuvres, entre autres, de Jean-Luc Lagarce, Bernard-Marie Koltès, Eugène Durif, Noëlle Renaude, Michel Vinaver… Puis, quand Alain Crombecque (hélas, mort brutalement en 2009) se vit confier la direction du festival d’Avignon en 85, ils retrouvèrent la chapelle des Pénitents Blancs.
Neuf ans plus tard, sous le règne de Jack Lang, grâce à Robert Abirached, remarquable directeur du théâtre et des spectacles au ministère de la Culture, Théâtre ouvert fut enfin reconnu Centre Dramatique National de création et publiera des pièces dans une collection nommée Tapuscrit.

Une belle victoire obtenue grâce à la ténacité de Micheline et Lucien Attoun. Après des années où ils firent un vrai travail de recherche, ils quittèrent en 2014 cet important vaisseau amiral du théâtre français, maintenant installé avenue Gambetta et dirigé par Caroline Marcilhac avec les autrices et auteurs d’aujourd’hui.

Lucien, infatigable et généreux, avait un jugement sans failles. Il voyait beaucoup de spectacles et visait juste: il savait reconnaître le bien-fondé d’une pièce et les partis-pris d’un metteur en scène. Mais il avait la dent dure et ne faisait aucun cadeau à la médiocrité d’un texte et/ou d’une réalisation. Quand nous discutions ensemble à la sortie d’un théâtre, il m’avait une fois rappelé cette phrase du grand Charles Dullin dans les années trente, que je lui avais citée une fois: «Les critiques ne sont pas assez sévères.» Merci Lucien, pour tout ce que tu auras donné au théâtre contemporain et au public. Nous embrassons très affectueusement Micheline.

Philippe du Vignal

A lire : un livre d’entretiens, Pour un théâtre contemporain d’Antoine de Baecque, Actes Sud (2014).


Archive pour avril, 2023

La Fugue, texte et mise en scène de Thibaut Prigent

La Fugue, texte et mise en scène de Thibaut Prigent

Il n’est pas tout à fait un inconnu et avait joué Arlequin dans La Double Inconstance de Marivaux, mise en scène de Galin Stoev au Théâtre de la Cité à Toulouse puis à la Porte Saint-Martin (voir Le Théâtre du Blog). Mais le spectacle avait dû être interrompu pour cause de covid. Et, écrivait notre amie Christine Friedel, «il tient les enjeux du personnage, en particulier, ce sens des droits qui ne le quitte pas, au cœur même de la tentation. »

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Ce jeune acteur se lance ici dans un monologue écrit et joué par lui avec une vingtaine de personnages… et une chaise en bois pour tout accessoire. Stéphane est employé dans une entreprise où il vend des cuisines. Mais dans une réunion où le directeur commercial veut établir une nouvelle stratégie marketing, il  le voit en train de rêver et lui demande alors de simuler une vente. Marc : « On se détend. Je veux que vous tombiez amoureux de vos clients. Je veux voir de l’amour dans vos yeux. Je veux plus qu’une relation, je veux du désir. Je veux : du cul. » (…) Alors, vends-moi cette putain de cuisine américaine ! Il est 15 h, nous sommes samedi. Scénario de base ! Un couple, la trentaine, vient d’entrer. Ils veulent acheter une cuisine, ils hésitent, il sont dans un tumulte d’achat compulsif. «Inconscient», très important, je te demande Stéphane de le rendre conscient. »
Mais le jeune employé va alors perdre ses moyens devant ce directeur qui l’intimide et il quittera tout à coup la réunion. Ses collègues ricanent ! Sans doute déstabilisé quand il traverse la rue, il ne voit pas une voiture qui le percute. Devenu amnésique, il est soigné dans un hôpital psychiatrique. Là, il affronte la directrice un peu curieuse! et un médecin:
« Bonjour Monsieur Stéphane. Je suis le docteur Jean-Benoît. Vous êtes au service neurologique de l’hôpital Nackard, Monsieur Stéphane. (Les mains sur le dossier de la chaise) Alors ? Vous avez bien dormi ? Vous avez bien mangé ? Vous avez bien rigolé ? Hein !??…Asseyez-vous… Ah oui, vous êtes déjà assis. Bon. Je m’assois. Je ne vais pas y aller par quatre chemins, ni par cinq, ni par six, ni par sept… hahahaha ! Il faut rire Monsieur Stéphane, très important le rire ! Très ! Nous vous avons récupéré hier matin dans un état, comment dire… plutôt…moyen, moyen. Je ne vais pas vous cacher non plus, que vous avez eu un accident. »

Et Stéphane va être obligé de s’adapter aux autres malades Paul, Joseph et les autres… qu’il repère physiquement. Comme il y a une chute brutale des moyens financiers, le minibus faute d’essence, ne peut plus rouler. Et les clés de ce minibus sont dans le bureau du remplaçant de la directrice. Qu’importe, Stéphane, avec courage, va prendre les choses en main…

Ici aucun fumigène, pas de vidéo, micro HF, lumières stroboscopiques ou latérales rasantes mais juste une chaise en bois pour un sens du dialogue comique et du bateleur, au meilleur sens du terme. Thibaut Prigent nous raconte cette histoire loufoque avec un art du mime tout à fait virtuose et il passe d’un personnage à l’autre sans aucune difficulté. Il y a parfois chez lui du Buster Keaton… Il a la même souplesse, le même sens de l’espace, la même précision gestuelle mais, à la différence du toujours impassible Buster Keaton du cinéma muet, il a un visage d’une extrême mobilité. Aucun temps mort : il parle vite et beaucoup et, avec une excellente diction et une grande maîtrise de son texte, il réussit à faire souvent rire le public, ce qui, dans le théâtre contemporain, n’est pas si fréquent. Même si cette Fugue est parfois encore brut de décoffrage (Thibaut Prigent abuse un peu des onomatopées et quelques coups de ciseaux à la fin seraient les bienvenus), ce solo reste assez exceptionnel. Flavie Fontaine, la directrice de La Flèche, a bien fait de l’accueillir.  Ce petit lieu est vite devenu une sorte d’incubateur et de tremplin efficace comme il y en a peu dans Paris. Hier il était plein malgré un horaire pas facile et ce spectacle mériterait amplement d’être programmé ailleurs tous les soirs… N’hésitez pas à aller voir ce jeune auteur-acteur; attention, c’est seulement le jeudi à 19 h mais il y a encore une dizaine de représentations…  

Philippe du Vignal

 Théâtre La Flèche, 77 rue de Charonne, Paris (XI ème). T. : 01 40 09 70 40. 

Ne quittez pas (s’il vous plait), texte et mise en scène de Maud Galet-Lalande

Ne quittez pas (s’il vous plait) , texte et mise en scène de Maud Galet-Lalande

 Qui n’a jamais patienté longuement au téléphone d’une administration, après détour par une boîte vocale, ou été importuné par des télé-opérateurs ? Et nous écoute-t-on vraiment, au bout du fil, dans les services publics? « Paradoxalement, le téléphone est un objet qui rapproche mais qui éloigne aussi, dit Maud Galet- Lalande, ces répondeurs et sonneries dans le vide mettent à distance les usagers, de l’institution. »

©N. Helle

©N. Helle

L’autrice et metteuse en scène a créé un spectacle d’une heure quinze, nourri par les témoignages de démarcheurs ou démarchés…  Des voix enregistrées se font entendre en guise de prologue, et entre les différents tableaux de cette pièce aux situations emblématiques : un entretien,proche de l’absurde, entre le conseiller d’une plate-forme sociale et une demandeuse d’allocation, puis une émission de radio : L’Appel du cœur où un animateur est censé résoudre en direct les problèmes sentimentaux des auditeurs. Et enfin un questionnaire à choix multiples (Q.C.M.) proposé par une enquêtrice à un interlocuteur anonyme pour finalement lui vendre des prestations sportives…

Les séquences, habilement rythmées, sont interprétées avec finesse par Gaëlle Héraut et Philippe Lardaud. On reconnaît ici les protocoles interdisant toute véritable communication et renvoyant chaque interlocuteur à sa solitude. La metteuse en scène ménage aux interprètes des espaces isolés  et chacun dans sa bulle,  joue alternativement l’instrument d’un pouvoir manipulateur: télé-opérateur, journaliste…ou une allocataire, un consommateur… Mais il y a du flottement entre les scènes, auquel les effets de lumière, la chorégraphie et des fumigènes ne peuvent remédier.

 Pour autant, le texte, incisif, restitue non sans humour des situations où les personnages ne sont parfois pas loin de déroger aux strictes règles imposées par leurs employeurs : on voit un téléopérateur licencié par son superviseur pour cause d’empathie avec une usagère en détresse ; une journaliste débordée par un auditeur qui utilise son émission en direct pour brandir ses convictions  écologiques…Ces petits dérapages sont des espaces de liberté entre ces paroles étouffées par l’interdiction  d’avoir des relations sincères.

 Poursuivant sa démarche, la compagnie Les Heures Paniques, installée à Metz en 2010 et associée à la Manufacture de Nancy, a ouvert une ligne téléphonique pour recueillir témoignages et coups de gueule, anonymes ou non : « Nous avons ainsi récolté, précise Maud Galet-Lalande, une cinquantaine de messages provenant de personnes de tout âge, genre et parties du monde. Impossible de faire entendre tous les interviews menés en résidence et interventions mais nous avons mis en ligne:  les enregistrements sonores sur un site: nqp-svp.fr, classés par thématiques et lieux d’enregistrement.  »
A l’heure où les gens font retentir les casseroles pour dénoncer la surdité des institutions, ce lieu d’écoute et partage d’une parole libre, est le bienvenu…

 Mireille Davidovici

Spectacle vu le 25 avril au Théâtre de Belleville, 16 passage Piver, Paris (XI ème). T. : 01 48 06 72 34.

Du 7 au 26 juillet, au 11, boulevard Raspail, festival d’Avignon off (Vaucluse).

Les 15 et 16 octobre, Théâtre de Macouria (Guyane).

Et en avril 2024, Le Tropique Atrium, (Martinique).

Sarah Bernhardt, Et la femme créa la star, une exposition au Petit Palais

Sarah Bernhardt, Et la femme créa la star

Cette exposition  au Petit Palais à Paris célèbre le centenaire de sa disparition, le 26 mars 1923. Appelée par Victor Hugo: la voix d’or mais aussi par d’autres: la Divine ou l’Impératrice du théâtre, Sarah Bernhardt est sans doute la plus grande tragédienne française. Et elle  fut la première à  faire des tournées triomphales sur les cinq continents.

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Jean Cocteau inventa pour elle l’expression: monstre sacré. Immortalisée par le photographe Félix Nadar (1820-1910), elle a marqué son temps par sa vie personnelle et son aura de comédienne et déchaîna les passions. L’écrivain et acteur Sacha Guitry la considérait comme sa seconde mère: « Qu’on veuille la comparer à d’autres actrices, qu’on la discute ou qu’on la blâme, cela ne m’est pas seulement odieux : il m’est impossible de le supporter. (..) Ils croient qu’elle était une actrice de son époque.(…) Ils ne devinent donc pas que si elle revenait, elle serait de leur époque. »

Elle découvre, avant le chorégraphe Serge Diaghilev, le pouvoir de la communication auprès du grand public. Ses excentricités et sa liberté ont contribué à créer un personnage qui très vite est devenu un mythe. Elle écrit dans son autobiographie : Ma double vie. Mémoires de Sarah Bernhardt (1907), à propos de son départ de l’Odéon pour la Comédie-Française, en 1892 : «Je laissai le mobilier de ma loge à une petite artiste. Je laissai mes costumes, mes petits bibelots de toilette. Je partageais tout. Je sentais que là s’arrêtait ma vie d’espérances. Je sentais que le terrain était mûr pour l’éclosion de tous les rêves mais que la lutte avec la vie allait commencer. Et je devinais juste. Ma première station à la Comédie-Française m’avait mal réussi. Je savais que j’entrais dans la cage des fauves.»

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©x Lithogaaphie d’Alfons Mucha

Devenue elle aussi une bête de scène et de nombreux peintres et sculpteurs l’ont immortalisée dans des œuvres ici exposées. Comme les célèbres affiches d’Alfons Mucha (1860-1939)  pour ses grands rôles dans La Dame aux Camélias, Médée, Hamlet. Son portrait en pied par Georges Clairin, un ami de longue date ou l’aquarelle de Marie-Désiré Bourgoin qui représente l’atelier de Sarah Bernhardt qui avait aussi des talents de sculptrice mais aussi de peintre : on découvre un Autoportrait en Arlequin.

©x Autoportrait

©x Autoportrait


Cette riche
exposition retrace, avec plus de 400 œuvres, la vie et sa carrière de cette artiste et montre aussi aussi des aspects de sa vie moins connus : photos et tableaux montrent son travail de peintre dans son atelier, Et elle réalise aussi
quelques bronzes dont un buste d’Émile de Girardin et un de Louise Abbéma, aujourd’hui au musée d’Orsay à Paris. Et elle était aussi écrivaine…

Sa célèbre voix et sa silhouette longiligne, atypique à l’époque, fascinent  le public comme le monde artistique et littéraire qui lui voue un véritable culte. Amie des peintres Gustave Doré, Georges Clairin, Louise Abbéma, Alphons Mucha, Alfred Stevens. Mais aussi des écrivains: Emile Zola, Victor Hugo, Victorien Sardou… et de musiciens comme Reynaldo Hahn.

On peut aussi voir de nombreux objets qui lui ont appartenu, et ses beaux vêtements et costumes de scène comme le bustier de Froufrou dans la pièce éponyme d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy (1869)  le pagne et le pectoral de Cléopâtre (1890) ; l’aumônière de Jeanne d’Arc (1909) ou le corset qu’elle portait dans Hernani de Victor Hugo à la Comédie-Française en 1877. Mais aussi et son intérieur, rappelant son goût pour les excentricités. Et toujours à l’affût des nouveautés, elle utilise au mieux son image pour sa publicité. Un volet de l’exposition est consacré aux tournées qu’elle fit dans le monde entier.

À sa mort en 1923 à soixante-dix neuf ans, elle était depuis longtemps une véritable star et l’engouement du public préfigurait le culte des grandes étoiles au cinéma. Mais elle avait des rapports difficiles avec les institutions…
Entrée à la Comédie-Française, elle en est renvoyée en 1866 pour avoir giflé une sociétaire, Nathalie parce qu’ elle avait bousculé sa sœur qui avait marché sur sa traîne. De nouveau recrutée au Français et élue sociétaire en 1875, elle en démissionne cinq ans plus tard: « Monsieur l’Administrateur, vous m’avez forcée à jouer alors que je n’étais pas prête. Vous ne m’avez accordé que huit répétitions sur la scène et la pièce n’a été répétée que trois fois dans son ensemble. Je ne pouvais me décider à paraître devant le public. Vous l’avez absolument exigé.
Ce que je prévoyais est arrivé. Le résultat de la représentation a dépassé mes prévisions. Un critique a prétendu que j’avais joué Virginie de
L’Assommoir au lieu de Doña Clorinde de L’Aventurière. Qu’Emile Zola et Émile Augier m’absolvent. C’est mon premier échec à la Comédie, ce sera le dernier. Je vous avais prévenu le jour de la répétition générale. Vous avez passé outre. Je tiens parole. Quand vous recevrez cette lettre, j’aurai quitté Paris. Veuillez, monsieur l’Administrateur, recevoir ma démission immédiate, et agréer l’assurance de mes sentiments distingués. »

Véritable icône publicitaire, elle se repose souvent dans un cercueil capitonné et  s’y fait photographier pour vendre photos et cartes postales…Sarah Bernhardt sut être aussi une femme engagée et fut infirmière pendant la guerre de soixante-dix contre la Prusse. Mais elle devint aussi propriétaire de plusieurs théâtres… Ne ratez pas cette très riche exposition.

Jean Couturier

Jusqu’au 27 août, Petit Palais, avenue Winston Churchill, Paris (VIII ème). T. : 01 53 43 40 00.
A voir : l’espace muséographique qui lui est consacré à Belle-Isle en-mer (Morbihan).

 

 

Mary said what she said (Mary a dit ce qu’elle a dit) de Darryl Pinckney, mise en scène de Robert Wilson

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Mary said what she said
(Mary a dit ce qu’elle a dit) de Darryl Pinckney, mise en scène de Robert Wilson

Isabelle Huppert est à nouveau chez Cardin-Théâtre de la Ville pour reprendre ce monologue que Bob Wilson avait créé ici il y a trois ans (voir Le Théâtre du Blog). Elle y incarne Mary Stuart, reine catholique d’Ecosse et épouse de François II, donc reine de France. Mais à quarante-quatre ans, elle va être exécutée après avoir été assignée à résidence sur ordre d’Elisabeth I ère, reine d’Angleterre protestante qui la soupçonne d’intriguer contre elle. Une histoire singulière dont se sont emparés de nombreux auteurs de romans, films, pièces de théâtre… entre autres: La Reine d’Écosse d’Antoine de Montchrestien (1604), Marie Stuart, reine d’Écosse d’Edme Boursault (1694), et  sans doute celle qui est restée la plus connue Marie Stuart de Friedrich von Schiller (1800).

 Mary Stuart se souvient de son enfance à la Cour de France puis de son mariage à seize ans François II, mais elle sera veuve un an plus tard. Et une seconde fois, quand elle revient en Écosse: son mari Lord Darnley est assassiné. Et rien ne sera épargné à ce personnage mythique: guerre entre protestants et catholiques, emprisonnements, séparation de son fils…
Isabelle Huppert obéit à une mise en scène: son, lumières, parole et jeu réglée au millimètre. Dans une esthétique ultra-raffinée, mais un peu mécanique et sèche, comme celle que Bob Wilson applique depuis au moins dix ans à toutes ses mises en scène sans exception: éclairages pastel aux multiples nuances dont il use et abuse, ombres chinoises et fumigènes pour créer un brouillard très épais, heureusement ici coupé de la salle par un tulle. Rien à dire: une indéniable réussite technique et esthétique. Bob Wilson maîtrise toujours aussi bien un art de l’image somptueux… sans toutefois chercher beaucoup à se renouveler.

Isabelle Huppert, en ample et longue robe à panier presque noire, est absolument immobile face public sur fond lumineux mais son visage n’est pas éclairé, un peu plus ensuite. Elle dit, ou plutôt débite, voire hache presque le texte. Avec toute la maestria qu’on lui connaît, souvent à toute vitesse et par saccades : bref, un exercice de style ou de diction qui peut être utile dans une école de théâtre mais qui n’a pas grand chose à faire sur un plateau de théâtre.
Cela reste sans émotion, sauf un peu mais à la fin relativement plus calme.
Ici, nous avons droit à une très exceptionnelle performance orale, parfois en voix off pendant une heure et demi! Visiblement imposée par le maître et côté gestuelle, Isabelle Huppert, là aussi, est magnifique quand elle reprend les fameux pas dansés en diagonale et d’avant en arrière imaginés par Lucinda Childs dans le sublime opéra Einstein on the beach de Phil Glass que Bob Wilson avait créé en 76 au festival d’Avignon. Souvenirs, souvenirs…

Oui, mais pourquoi la musique enregistrée de Ludovico Einaudi couvre-t-elle ici en permanence la voix de l’actrice, surtout fortement au début. Elle est pourtant munie d’un micro H.F. mais cela ne suffit pas et comme en plus elle crie souvent, ce texte est rendu inaudible. Mauvaise balance dans cette petite salle? On en doute mais plutôt intention  du Maître de bousculer et déconstruire, quitte à faire joujou avec le texte? Tout se passe comme si pour cette reprise, il avait juste suivi quelques répétitions…
En tout cas, même si les séquences du texte sont répétées plusieurs fois, on en perçoit et comprend juste quelques phrases, aux rares moments où la musique se fait plus discrète, ou qu’arrive enfin un peu de silence. Ce spectacle assez figé a bien du mal à s’imposer. Reste le jeu incomparable d’Isabelle Huppert. Mais va-t-on au théâtre pour la seule performance d’une interprète?
Nous aurions aimé moins de virtuosité, d’esthétisme gratuit et plus d’émotion, plus de vrai théâtre. Ce qui est loin d’être le cas ici. Et le public? Très impressionné par l’actrice  -chaque représentation doit être pour elle une épreuve mentale- mais pas vraiment convaincu par cette mise en scène un peu prétentieuse et qui rate son but. Dommage! Un certain maniérisme est devenu comme une seconde nature chez Bob Wilson. Donc à vous de voir si cela vaut le coup: les places sont à 36 € et si vous êtes professionnel, la « détaxe », comme on dit, est quand même à 26 € !

Philippe du Vignal

Jusqu’au 6 juillet, Théâtre de la Ville, Espace Cardin, 1 avenue Gabriel, Paris (VIII ème). T. : 01 42 74 22 77.

Yé ! (l’eau), par le Circus Baobab, mise en scène de Yan Ecauvre

 Yé ! (l’eau), par le Circus Baobab, mise en scène de Yan Ecauvre

Une compagnie créée en 1998 à Conakry. Avec, à l’origine, un film de Laurent Chevallier. Une rencontre inédite entre la culture guinéenne et les techniques éprouvées du cirque occidental, avec en particulier l’aide de Pierrot Bidon qui a codirigé le fameux Archaos en 1987 avec Guy Carrara, un cirque très novateur, labellisé en 2012 Pôle national Cirque par le ministère de la Culture.
Aujourd’hui, Circus Baobab a déjà une longue histoire et il est venu dès 2001 en Europe puis s’est dispersé huit ans plus tard; aujourd’hui, il renait grâce à Kerfalla Bakala Camara, un de ses anciens acrobates qui en est le nouveau directeur. Circus Baobab  a aussi un but social. Sous la conduite des plus anciens, ces jeunes acrobates se sont entraînés au début, sur les plages de Conakry, et ensuite un peu partout, et ont fini par intégrer cette compagnie.

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Ils sont venus plusieurs fois en Europe et en France. Le spectacle, parfaitement rodé, est d’une grande précision et en même temps, ce qui n’est pas incompatible, d’une rare poésie.
En avant et en arrière d’un plateau rembourré (cela vaut mieux!), des centaines de bouteilles en plastiques écrasées et une seule à moitié pleine au milieu. Pour signifier l’importance de ce bien si convoité aujourd’hui en Afrique et particulièrement en Guinée: l’eau indispensable au quotidien et le plastique sous toutes ses formes polyester comme polystyrène, etc. qui a envahi ce continent il y a quelque soixante ans. Utile mais  peu recyclable et devenu un fléau omniprésent dans les rues, le ciel, la brousse…
Un thème prétexte à un ensemble de chants, danses et acrobaties exceptionnelles où il y a une grande solidarité entre ces treize acrobates de dix-huit à trente deux ans, dont Amara Camara, un contorsionniste tout à fait étonnant.

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En une heure, c’est un festival de portés, corps-à corps, roulés boulés, pyramides humaines avec, en haut, deux jeunes femmes: Aïcha Keïta et M’mahawa Sylla, propulsées en l’air par leurs camarades avec une précision remarquable, avant de faire quelques sauts périlleux impressionnants et de retomber au sol. Le tout dans un enchaînement permanent et sans aucune pause.
Il y a aussi
Fodé Kaba Sylla qui se lance parfois dans de remarquables breakdance... Coté bémols: il faudrait revoir la fin qui flotte un peu, des fumigènes qui n’ont  rien à faire là et un éclairage (passager) de lumière stroboscopique blanche face public qui fait mal aux yeux.  Mais sinon, quel régal!
La Guinée peut être fière d’avoir un tel Baobab Circus et dans une Scala pleine, le public enthousiaste dont beaucoup d’enfants a très longuement applaudi ces artistes virtuoses qui appartiendront vite à la légende circassienne. Actuellement, il y a peu de spectacles de haut niveau comme celui-ci. Il  y a prolongations,  ne le ratez donc surtout pas.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 10 juin, La Scala, 13 boulevard de Strasbourg, Paris (X ème). T. : 01 40 03 44 30.

N’habite pas à l’adresse indiquée d’Anne-Clotilde Rampon et Idir Chender, mise en scène d’Idir Chender

N’habite pas à l’adresse indiquée d’Anne-Clotilde Rampon et Idir Chender, mise en scène d’Idir Chender

Dans leur studio, un jeune couple, Marie et Adam  passent beaucoup de temps à être ensemble sur un petit canapé mais la moindre chose dégénère vite en querelle. Sur l’air bien connu de: jamais avec toi mais jamais sans toi. Un paquet à la bonne adresse sans être à leur nom  mais à celui de Schaeffer, arrive dans leur boîte aux lettres où il est maintenant curieusement inscrit. (On ne voit pas bien comment il peut passer dans cette boîte mais bon!) Visiblement, une erreur de livraison. Mais alors, arrivera aussi bizarrement une bonne vingtaine d’autres paquets qui vont occuper l’espace d’Adam et Marie.  La meilleure  séquence de cette pièce et qui fonctionne bien.

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«Quand le repli sur soi devient la norme, que reste-t-il de nos humanités? En mêlant questionnements existentiels et situations de comédie,disent ses auteurs ,nous avons eu envie d’écrire une pièce jouissive à interpréter pour des acteurs, un numéro de duettistes qui demande de l’énergie et du rythme. Comme les héros d’Hanokh Levin dans Une laborieuse entreprise, mais avec vingt ans de moins et un Alzheimer précoce, Adam et Marie sont confrontés à leurs peurs, leurs défauts, bref, à leur humanité.»

Les auteurs ont été influencés par les univers fermés d’Eugène Ionesco: Les Chaises et Amédée ou comment s’en débarrasser. Mais aussi par Harold Pinter dont Le Monte-Plats a été récemment monté sur cette même petite scène. Ou, comme ils le disent, par Hanock Levin avec Une laborieuse entreprise. Mathilde Weil et Idir Chender sont sympathiques, ont une diction irréprochable, de l’énergie à revendre et une belle présence: les profs des Conservatoires dont Nada Strancar, ont fait leur boulot.
Oui, mais voilà, la direction d’acteurs n’est pas au rendez-vous: Idir Chender crie trop souvent et inutilement, la mise en scène manque de rythme et il y a des longueurs… En fait, la dramaturgie qui fait allusion à des univers parallèles, et au métavers désignant des espaces numériques rendus plus vivants par l’utilisation de la réalité virtuelle ou augmentée, est un peu légère.
Le texte appartient plus à ce qu’on appelait autrefois un lever de rideau, c’est à dire une piécette…
N’habite pas à l’adresse indiquée a du mal à démarrer avec ces petites querelles entre amoureux qui font long feu. Cela commence en fait, quand les paquets  arrivent Et ce qui pourrait être un très bon sketch comique, ne tient pas tout à fait la route sur une heure et il faudrait absolument resserrer le texte. Donc à suivre, mais pas facile de faire progresser un spectacle quand il est joué un jour par semaine…Les temps sont difficiles pour les jeunes auteurs et metteurs en scène…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 10 juin, le samedi à 19h, Théâtre La Flèche, 77 rue de Charonne, Paris (XI ème). T. : 01 40 09 70 40

Au Bord de Claudine Galea, interprétation et mise en scène de Marine Gesbert

Au Bord de Claudine Galea, interprétation et mise en scène de Marine Gesbert, regard artistique de Christophe Patty

Cette pièce avait été lue à La Mousson d’été, dirigée par David Lescot avec Nathalie Richard en 2011, et a depuis souvent été  mise en scène; comme, sur le même thème, le monologue de George Brant, Clouée au sol, magistralement joué par Pauline Bayle (voir Le Théâtre du Blog).
Claudine Galea a écrit ce texte, à partir de la célèbre photo qu’on a vue en 2004 dans le Washington Post. Lyndie England, une soldate américaine tient en laisse un prisonnier nu allongé par terre, dans une prison à Abou Ghraib pendant la seconde guerre d’Irak
: «J’ai reçu l’instruction de personnes gradées de me mettre debout là, tenir cette laisse, regarder l’appareil photo ».
Elle fut condamnée à trois ans de prison. Un exemple entre autres, des nombreux viols, sévices, humiliations sexuelles, tortures à l’électricité, etc. subies par les détenus… Bravo l’armée américaine et George Bush!
L’image a beaucoup touché Claudine Galea qui a essayé en vain d’écrire un texte puis elle a lu
En laisse de Dominique Fourcade qui traite de ce même scandale et, en 2005, elle a repris un travail d’écriture. «Ce n’est pas, dit-elle, une pièce de théâtre au sens habituel du terme, encore qu’aujourd’hui le théâtre soit « off limits » pour reprendre le titre d’une magnifique pièce d’Arthur Adamov. Mais c’est un texte pour la scène, c’est un texte à porter en public. »
Claudine Galéa reste obsédée par l’image de cette jeune soldate et voit aussi se réveiller chez elle
des blessures intimes et la relation compliquée qu’elle a eu avec sa mère qui l’a brutalisée et humiliée.
«Je suis cette laisse,
dit-elle. (…) « Je suis cette femme qui regarde cette femme qui tient en laisse un corps. Un corps nu. (je crois que le corps est nu).
Je suis cette femme dans la contemplation de cette femme qui tient en laisse un homme nu. (je crois que c’est un homme) Je ne regarde pas l’homme. Je ne regarde pas la victime.Le mec traîné au sol. C’est elle que je regarde. Je la regarde elle son corps lisse imberbe ses cheveux courts son treillis ses bottes. On dirait un garçon mais je sais je le sais depuis mon ventre que c’est une fille. J’écris au bord. Je n’y arrive pas. Je reste au bord. Je reste à côté de la fille. Je suis la fille. A côté de la fille il y a l’homme. Je ne suis pas l’homme. Je suis debout tout contre la fille. Je m’attache à la fille. Je suis cette laisse en vérité. Je suis cette fille que la fille tient au bout de sa laisse. »

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Dans une seconde partie, l’autrice évoque une récente rupture douloureuse avec une fille qu’elle a profondément aimée. Mais elle nous parle aussi de sexe et de sa passion pour le corps féminin.
Avec une série d’anaphores: «Je pense que… elle nous ouvre à un texte libre et poétique, intime, érotique e
t parfois très cru; l’autrice confesse dans une rêve éveillé ou sous une sorte d’hypnose, des fantasmes érotiques et obsessions…

Comme l’écrivait notre amie Christine Friedel dans Le Théâtre du Blog : «C’est impressionnant, souvent très beau, parfois ardu. (…) C’est de la pensée, de la poésie en actes. C’est une écriture qui déplie sans cesse les recoins de l’image, des sens, des passions, de la pensée même sur ces images, sentiments et sensations. »
Pour rejoindre l’intime, s’éloigne de plus en plus le motif premier: cette terrible image grise et un peu floue qui sur l’écran,continuera à flotter en permanence derrière Marine Gesbert. Cette jeune actrice s’est dirigée elle-même et interprète de façon remarquable ce texte difficile mais la scénographie bi-frontale qu’elle a conçue, n’est pas adaptée à cette pièce intimiste! Elle se déplace trop souvent d’un endroit à un autre, et cela nuit à son jeu…
Malgré cette réserve, allez voir Marine Gesbert que nous avions déjà repérée quand elle était au Conservatoire National. Rigueur du jeu, gestuelle et diction impeccables, intelligence du texte et sensibilité: cette jeune actrice est tout à fait intéressante et ira loin…

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 22 avril, au Théâtre La Flèche, 77 rue de Charonne, Paris (XI ème). T. : 01 40 09 70 40.

 

Dom Juan ou Le Festin de Pierre de Molière adaptation et mise en scène de David Bobée

Dom Juan ou Le Festin de Pierre de Molière adaptation et mise en scène de David Bobée

Le directeur du Théâtre du Nord à Lille est honnête : il précise bien qu’il s’agit d’une adaptation de la pièce-culte de Molière qui sous une forme ou sous une autre, est sans cesse jouée. « En relisanDom Juan, écrit David Bobée, j’ai réalisé que chaque scène qui compose cette pièce représente quelque chose contre lequel je lutte depuis toujours. Dom Juan est tour à tour classiste, sexiste, discriminant sur le plan linguistique, dominant.»

Comment ne pas être partagé ? Il ne s’agit pas du Dom Juan original donc nous ne pouvons reprocher à David Bobée, une lecture… très personnelle. Et pour le festin de pierre on est servi…D’abord avec une image séduisante, Ilissos, un fleuve de la région d’Athènes représenté ici par une grande sculpture ( plus de 3 m de hauteur) d’un homme nu allongé, le sexe mutilé qu’on pouvait voir sur la façade Ouest du Parthénon avec, à jardin, un grand buste.

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© x Dom Juan et  Sganarelle


A cour, la fameuse statue du Commandeur dont le visage abîmé, a visiblement reçu des coups et qui, vers la fin, sera séparée en deux et posée au sol. La fin d’un mythe? Et ce n’est plus le Commandeur qui tue Dom Juan, lequel succombera aux coups de revolver du Spectre. Il y aura aussi,  entre temps, l’arrivée d’une autre sculpture : celle d’un conquistador sur son cheval mais allongé sur le côté. Et aussi des fragments d’autres statues: mains, torses… Comprenne qui pourra. Une scénographie d’une rare beauté et à laquelle on ne peut être indifférent. Cette installation d’art plastique réussie ne met pas les acteurs en valeur… voire, les écrase!

Comme le dit Marie-José Mondzain, « Toute image est toujours image de quelque chose qui lui est substantiellement étranger.» Ici, quel est le rapport entre le texte revu par David Bobée et cette sculpture d’un très grand format jamais vu et composée de nombreux éléments, comme le laissent voir les découpes? Et il y a d’autres belles images et David Bobée n’arrête pas de faire joujou avec la vidéo comme cette eau qui coule ou ces têtes en pierre sur l’écran du fond. Cet écran, pour reprendre encore les mots de Marie-José Mondzain, instaure un «nouveau rapport entre la mimésis et la fiction. »
Mais tout se passe comme si le metteur en scène voulait se faire souvent plaisir. Il use et abuse d’effets faciles comme entre autres cinq jets de sable très fin qui vont tomber en permanence. Sans doute pour figurer l’écoulement du temps auquel Dom Juan voudrait résister. Une image efficace mais qui brouille de plus en plus les choses et envoie de la poussière dans le public!

Il a voulu moderniser la pièce au prix d’une réduction souvent facile. Même s’il garde le texte, la dramaturgie en prend un coup. Ici, Dom Juan n’est plus celui à qui Molière voulait s’en prendre: un jeune représentant de la noblesse, insolent, athée, orgueilleux et égoïste, méprisant la parole donnée, avide de sexe et trouvant normal de passer d’une jeune femme à l’autre sans aucun état d’âme. Et presque sadique envers Elvire. Mais aussi généreux et trouvant normal d’être puni, comme si c’était son destin.
Ici, nous avons affaire à un
 petit mec de banlieue en marcel blanc et pantalon noir; un dragueur à l’aise, un peu fade, bi-voltage et embrassant sur la bouche Pierrot,le jeune paysan mais aussi M. Dimanche: une façon de clouer le bec à ce bourgeois venu lui réclamer une dette.
Après tout, pourquoi pas? Oui, mais voilà, toute la dimension métaphysique de la pièce  disparaît et les fameux silences de Dom Juan ne sont pas du tout mis en valeur… Quant aux scènes avec Pierrot, Charlotte, le metteur en scène les fait jouer par des acteurs chinois (avec surtitrage) qui parlent aussi très bien français, une idée comme une autre
… Et c’est une meilleure idée que d’avoir confié le rôle de Dom Carlos, un des frères d’Elvire à une remarquable jeune actrice: Nine d’Urso. Jim Xuan Mao joue Pierrot, et Mathurine la jeune paysanne, l’amie de Charlotte. Et aussi La Ramée et La Violette, les deux valets. Et c’est le Spectre qui tuera Dom Juan. Gare à la confusion…

Distribution très inégale: en Dom Juan de quartier, le jeune comédien Radouan Leflahi a une diction précise mais ne semble pas très à l’aise; il est ensuite plus convaincant, un peu triste, voire minable face à ses conquêtes et à la mort qui l’attend.  Mais il y a un net déséquilibre! Sganarelle est magnifiquement joué par le très jeune acteur congolais Shade Hardy Garvey Moungondo. D’une souplesse incroyable, le regard pétillant, il a une présence fabuleuse et est toujours juste, quand il nargue son maître. De la graine de grand comédien, il nous a fait penser au merveilleux Daniel Sorano (1920-1962). Souvenirs, souvenirs…Comme lui, il roulait des yeux et campait un Sganarelle aussi drôle que fantasque auprès de Jean Vilar/Dom Juan.
Et Catherine Dewitt, la complice depuis longtemps du metteur en scène, est aussi très bien dans le rôle de la mère de Dom Juan, un copié-collé du rôle du Père, imaginé par David Bobée, on ne sait pourquoi. Mais rien à faire, Nadège Cathelineau n’arrive pas à incarner Elvire: au début, comme pour s’affirmer, elle tape sur les mots et, à la fin, n’arrive pas vraiment à exprimer sa colère de femme bafouée.

Bref, une mise en scène à effets au rythme trop lent (quelques coups d’accélérateur seraient les bienvenus!) et encore allongée par de petits intermèdes dansés par l’actrice chinoise. David Bobée semble ne pas se rendre compte qu’il utilise inutilement des poncifs théâtraux du genre: lumières stroboscopiques, images d’eau courant sur la grande statue, fumigènes à gogo et sans raison, micros H.F. sans doute pour faire face aux musiques électroniques avec basses, dispensées tout au long de la représentation comme si ce texte magnifique avait besoin de cette béquille, incursions dans la salle de personnages comme Sganarelle et Dom Juan…
Au moins, on entend bien le célèbre texte mais ces suites d’effets, d’abord scénographiques mais surtout lumineux et sonores, font long feu. Manquent aussi à cette réalisation rythme et précision. Ce spectacle, un poil prétentieux dans ses intentions est décevant. Le public lui semblait partagé…

 

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 20 avril à la Maison des arts de Créteil ( Essonne).

Du 25 et 28 avril, Comédie de Clermont-Ferrand-Scène Nationale ( Puy-de-Dôme).

Les 4 et 5 mai, La Filature, Scène Nationale, Mulhouse ( Haut-Rhin)

 

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La Viet nam magic company de Nguyễn Vũ Thế Trường

La Viet nam magic company de Nguyễn Vũ Thế Trưo’ng

Il s’est intéressé à la magie à cinq ans. Influencé par les tours que lui montraient les enfants du quartier et par des films hong-kongais. Il a alors commencé à apprendre des tours simples, à partir de livres de magie pour enfants et les montrait aux jeunes. Au début des années 2000, cet art n’était pas très populaire au Vietnam. Et se procurer tours et accessoires de bonne qualité n’était pas facile et il se servait des objets du quotidien : élastiques, jeux de cartes chinois, etc.

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«Au lycée, un ami a utilisé le jeu Svengali devant moi. J’étais vraiment impressionné : pour la première fois, je voyais des tours aussi incroyables exister vraiment et non à la télévision. Cet ami m’a alors mis au défi de découvrir le secret d’un tour. Et sans l’aide de Google et YouTube (qui n’étaient pas très connus chez nous à cette époque), je l’ai découvert. Mon ami m’a emmené dans la seule boutique de magie d’Hanoï et j’ai vraiment vu des merveilles. Après ça, j’ai commencé à apprendre, en y achetant des tours et accessoires et le propriétaire m’aidait à les faire. Mon ami et moi apprenions ensemble, que ce soit sur Internet, à la télévision ou dans cette boutique. Puis,  nous avons rencontré un groupe de jeunes passionnés et ensemble nous avons monté un club d’apprentissage.

À dix-huit ans, j’ai commencé à travailler comme vendeur et démonstrateur dans cette boutique et j’ai alors eu accès à une grande variété d’accessoires et tutoriels. Mais dommage cette boutique a fermé. J’ai ensuite travaillé pour une autre de 2014 à 18. Je suis aussi connu par de nombreux magiciens, comme principal vendeur dans l’un des très rares magasins au Vietnam. En parallèle, de nombreux clients m’ont embauché pour présenter des spectacles ou enseigner la magie. »

À vingt-trois ans, il avait travaillé assez longtemps dans ce domaine et a compris que, dans son pays, cet art n’obtenait pas la reconnaissance qu’elle méritait : goût du public, manque de créativité des artistes et d’éthique professionnelle dans la communauté magique à cette époque. Il a alors  quitteé son travail à la boutique et a passé un an à réfléchir au développement de la magie dans son pays.
Ensuite Nguyễn Vũ Thế Trường a essayé de trouver des opportunités ailleurs en essayant d’appliquer les compétences de cette discipline et cela l’a beaucoup aidé. Il y a trois ans, un célèbre magicien vietnamien l’a invité à rejoindre sa compagnie, mais après trois mois, il découvert que ce n’était pas l’endroit idéal pour développer la magie car cet homme faisait aussi des affaires dans de nombreux autres domaines.
Il est alors parti et a créé sa propre entreprise. Il a travaillé de nombreuses années, faisant et enseignant la magie de rue, de scène et de grandes illusions,. Mais il a vite compris que sa mission était d’inspirer les autres et d’organiser des réunions communautaires. Et il a fondé un club en 2014, ce qui marqué le début du développement de cet art au Vietnam.
« Aujourd’hui, la vingtaine de jeunes magiciens connaissent ou participent à nos activités. Truong Cong Tuan, très influent sur les réseaux sociaux, a déjà remporté le premier prix d’un concours que nous avons organisé en 2012, alors qu’il avait dix-neuf ans. J’ai été directeur exécutif chez Vietnam Magic Company, pour aider les magiciens à créer des spectacles et j’enseigne actuellement à l’école bilingue internationale Hanoï Academy.

Avant les années 2000, être magicien n’était pas commode et seul un très petit nombre travaillait dans les fédérations de cirque dirigées par l’État. Le lent développement d’Internet au Vietnam a rendu très difficile l’accès à la culture magique et sa seule approche passait par certains livres pour enfants mais de très mauvaise qualité. À partir de 2008, elle a commencé à se développer ici avec l’apparition de clubs, boutiques et par avoir un accès privilégié à la magie dans le monde via Internet. « Mais, dit-il, nous sommes très en retard. A cause de l’absence de culture du divertissement et d’un manque de créativité chez les artistes qui dépendent d’accessoires chinois bon marché. Notre profession ne reçoit pas assez de considération et nous n’avons pas de revenu stable. Et de nombreux artistes talentueux doivent abandonner leur carrière. »

La Vietnam Magic Company a été créée en 2021, avec la volonté d’ aider à construire des numéros et faire en sorte que la société connaisse mieux la magie. Il faut aussi convaincre les artistes d’abandonner les performances stéréotypées et d’imiter presque à 100% le répertoire mondial. « Nous les aidons, dit Nguyễn Vũ Thế Trường , à créer leur spectacle et à s’adapter à la majorité des publics. Nous faisons de notre mieux pour créer du travail, des revenus et la reconnaissance que ces artistes méritent. À ce jour, nous sommes la première et la seule entreprise professionnelle au Vietnam. J’ai très vite réalisé que la magie peut aussi devenir un outil avec un ensemble de compétences pour n’importe quel autre travail. Donc il faut former et soutenir des professionnels et nous organisons aussi des cours pour enfants et amateurs, pour qu’ils aient la magie comme passe-temps et qu’il l’ancrent dans la société vietnamienne.
Et nous souhaitons aussi devenir un fournisseur d’accessoires, en signant des contrats avec nos principaux collègues dans le monde. Mais à l’heure actuelle, cela ne s’est pas encore réalisé. Le vol des droits d’auteur, la contrebande d’accessoires et le téléchargement illégal de vidéos au Vietnam sont toujours d’énormes problèmes quand on veut  développer un système transparent et une économie saine. »

Nguyễn Vũ Thế Trường a été influencé par David Copperfield qui a inspiré plusieurs générations et son répertoire comme ses mise en scène ont marqué le monde de façon admirable. Et il pense que beaucoup d’autres, au Vietnam ou dans le monde, sont très impatients de réaliser les mêmes tours que lui. «Une autre personne qui m’a inspiré est « le magicien des magiciens » Daryl Easton. En plus de sa façon de jouer, délicate et impressionnante, il avait une compréhension très profonde de cet art et une manière à lui de le transmettre. Ses tutoriels sont tous fondés sur une analyse approfondie et des explications précises. Il savait comment attiser la passion d’apprendre la magie aux autres. »

 Nguyễn Vũ Thế Trường trouve que le style le plus attrayant est celui adapté à la culture de chaque région et quand on utilise des objets de la vie quotidienne. Et il préfère les bonnes surprises et l’humour, plutôt que les performances où on crée une tension et un mystère. D’une famille militaire et sportive, il avoue ne pas trop savoir d’où viennent ses influences artistiques. «Je pense, dit-il, que je poursuivais simplement les rêves d’un enfant et adulte, j’étais passionné par la recherche, l’apprentissage, l’impression des autres et l’inspiration. »

Quel conseil à un débutant ? «Vous pouvez faire ce que vous aimez et le maîtriser, mais vous devez faire passer les attentes du public en premier. Il ne se souciera jamais que vous ayez dépensé dix ans ou dix jours, dix millions ou dix dollars. Et il ne vous aimera, que si votre spectacle l’impressionne. Concentrez-vous donc sur la façon dont vous présentez un numéro, plutôt que sur sa réalisation. »
« En plus, dit-il, je suis aussi chef d’entreprise mais le contexte mondial n’est vraiment pas simple. Après la crise du covid 19, il y a maintenant une crise économique et la guerre en Ukraine. Et toute l’industrie du divertissement et de la magie en particulier, sont affectées. A cause des réseaux sociaux et télécommunications, nous avons plus tendance à apprécier l’art sur les écrans.
Mais c’est un grand défi pour nous : les gens ne passent plus de temps à aller voir des spectacles. Et quand les effets vidéo ressemblent de plus en plus à la réalité, les illusions créées par la magie n’auront plus autant la même valeur qu’autrefois. La technologie a changé la façon dont les gens interagissent les uns avec les autres .
Notre art doit aller dans la bonne direction pour être largement connu et reconnu. En dix ans, nous avons vu beaucoup de tours sur des applications mobiles et arriver la magie numérique et les hologrammes, l’interaction avec des écrans LED… La magie devra continuer à évoluer et s’adapter plus vite..
Pour un petit pays comme le nôtre en développement après une guerre, les gens, dit-il ont besoin d’accéder aux arts et divertissements. Mais s’ils n’apprécient pas les disciplines artistiques, votre spectacle, aussi unique soit-il, n’aura pas de valeur pour lui. Et de nombreux jeunes magiciens abandonnent. Il faut donc être bien conscient de la culture de son public, avant de décider ce qu’il doit, ou peut faire. Au Vietnam, quand vous disiez à quelqu’un que vous vouliez lui montrer un tour, sa première réaction était de serrer son portefeuille et de rester loin de vous, même dans un endroit public. Je dois remercier les applications TikTok et YouTube: elles ont aidé de plus en plus de gens à connaître et à être curieux de la magie. »

Nguyễn Vũ Thế Trường étudie aussi  les modèles commerciaux et financiers: c’est aussi un homme d’affaires… Il apprend le fonctionnement des réseaux sociaux pour les exploiter dans sa profession. Il participe aussi à des programmes de formation et pendant son temps libre, il aime jouer au billard…

Sébastien Bazou

Interview réalisé à Dijon le 30 mars.

https://hocvienaothuat.vn/ao-thuat-gia-the-truong/

 

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