Suzanne, chorégraphie et lumière d’Emanuel Gat
Suzanne, chorégraphie et lumière d’Emanuel Gat
Un concert de Nina Simone au Philharmonic Hall de New York en 1969 constitue la bande-son de cette nouvelle création du chorégraphe israélien, sur laquelle dansent huit jeunes interprètes du Inbal Dance Theater. Parmi les titres: Suzanne de Leonard Cohen. On retrouve dans cette pièce le rapport entre musique et danse de Lovetrain 2020, une œuvre pour quatorze danseurs sur la musique du groupe de pop rock Tears For Fears (voir Le Théâtre du blog).
En silence, Shachar Brenner, Noam Deutsch, Or Saadi, Amit Zaretsy, Ziv Besor, Eshed Weissman, Jonathan Shaal et Itay Meir investissent en souplesse le plateau dans les costumes clairs et fluides d’Omri Albo. La voix de Nina Simone les rejoint: avant de chanter, elle s’interroge sur le temps qui passe et enchaîne sur Who knows where time goes (Qui sait où va le temps) de Sandy Denny. Sur ce classique de la folk music britannique porté par un sentiment de nostalgie, les interprètes s’entrecroisent à deux, ou quatre dans des combinaisons infinies, jusqu’à ce que les applaudissements du Philarmonic Hall les incitent à des sautillements joyeux.
C’est à son amie Lorraine Hansberry, journaliste et activiste disparue en 1965, que Nina Simone dédie le deuxième morceau: un hymne à la beauté noire, Black is the color of my true love’s hair (Noir est la couleur des cheveux de mon aimé). Ce fameux chant d’amour infuse une sensualité à la danse, avec mouvements au sol et pas de deux. « His face so soft and wondrous fair/ The purest eyes/ And the strongest hands/ I love the ground on where he stands/ Black is the color of my true love’s hair/ Of my true love’s hair. Of my true love’s hair ».
Beaucoup plus enlevé, I’ve got no (Je n’ai rien) permet aux danseurs, toujours avec la même gestuelle, d’accélérer le tempo. Enfin le fameux Suzanne -mais son interprétation est bien différente de celle de Léonard Cohen-, déroule ses paroles hypnotiques: portrait d’une femme troublante au bord d’un fleuve. «A moitié folle », «vêtue de haillons et de plumes », elle offre «des oranges et du thé venus de la lointaine Chine parmi les déchets et les fleurs. » On retrouve ici l’écriture précise et fine d’Emanuel Gat: gestes et groupes se composent et recomposent en permanence en une myriade de propositions simultanées.
Le questionnement sur le temps introduit au premier chant et qui est une notion intrinsèque à la danse, résonne comme un retour aux sources pour Emanuel Gat. C’est aussi comme un hommage au passé : la première mondiale de cette pièce a eu lieu en 2020 au centre Suzanne Dellal, à Tel Aviv, où il a fait ses débuts et travaillé pendant quinze ans…
Mireille Davidovici
Spectacle vu le 1er avril, au Cent-Quatre, 5 rue Curial, Paris (XIX ème) T.: 01 53 35 50 00. Dans le cadre de Séquence Danse 2023 jusqu’au 17 mai.