L’Avare de Molière, mise en scène de Jérôme Deschamps
L’Avare de Molière, mise en scène de Jérôme Deschamps
Harpagon, un bourgeois de soixante ans, veuf et riche, mais très avare, veut contrôler la vie de ses enfants Élise, amoureuse de Valère, l’intendant de son père, et Cléante qui souhaite épouser Marianne, une jeune femme vivant chez sa mère, elle, loin d’être riche. Valère ne supporte pas l’avarice de ce père qui a caché dans le jardin une cassette de dix mille écus d’or et qui a une peur bleue qu’on lui vole. Seul et malheureux, il se méfie donc de tous. Mais encore vert, estime-t-il, il veut épouser la jeune Marianne et aussi marier Élise (sans dot) à Anselme, un vieux bourgeois, et Cléante, à une veuve. Sa fille refuse catégoriquement et Valère, en jeune homme rusé, va le piéger.
Cléante, lui, a besoin de quinze mille francs. La Flèche, son valet, lui a trouvé un prêteur mais à un taux exorbitant. Catastrophe: le fils découvre que c’est son père! Violente altercation entre eux. Frosine, la femme de chambre et bonne intrigante, va persuader Harpagon que Marianne préfère les hommes âgés comme lui et n’a pas de gros besoins. Mais lui soupçonne que les jeunes filles sans dot ont une conduite suspecte.
Pour ce mariage, Harpagon invite Marianne à dîner mais demande à Maître Jacques le cuisinier, de faire au moins cher… Et Valère soutient Harpagon.
Marianne est horrifiée par cet Harpagon qu’elle ne connaissait pas et quand Cléante arrive, elle reconnaît son amoureux… qui va retirer alors une bague coûteuse du doigt de son père et l’offre à Elise. Harpagon n’y comprend rien…
Elise et Valère demandent à Frosine, qu’elle intervienne pour qu’Harpagon renonce à ce mariage mais il a des soupçons sur leur relation. Mais hypocritement, il dit y renoncer. Alors Valère avoue tout à son père qui le maudit. Maître Jacques fait croire à chacun d’eux que l’autre ne veut plus de Marianne. Brève réconciliation mais La Flèche arrive avec la cassette. Harpagon veut trouver qui est le coupable et le faire arrêter. Il demande à un commissaire de police de faire une enquête et veut faire interroger tous les Parisiens. Maître Jacques se venge de Valère et déclare que c’est lui le voleur. Malentendu total: Valère avoue qu’il est fiancé en secret avec Marianne et Harpagon explose alors de fureur.
Anselme qui doit en principe se marier avec Elise comprend au récit de Valère que lui et Marianne sont ses enfants, alors qu’il les croyait disparus il y a longtemps dans un naufrage. Valère opère alors un habile chantage : Harpagon récupèrera sa cassette s’il lui laisse Élise. Et Cléante lui veut toujours épouser Marianne.Harpagon finir par accepter mais à condition qu’Anselme paye tous les frais des deux mariages et il lui offre l’ habit neuf qu’il exige aussi… Dernière image pathétique, le vieil homme se retrouvera seul avec sa chère cassette.
Ici, un fond de scène bleuâtre avec, au centre, un carré légèrement plus clair et une lune ronde. Et des pendrillons, côtés cour et jardin d’abord sous une lumière bleue puis virant au rouge. Une scénographie pas vraiment laide mais pas non plus justifiée. Et, à un moment, juste une chaise, une table pliante et des bancs en pin. Comprenne qui pourra…
Pour les costumes, on aura connu Macha Makeieff mieux inspirée: celui d’Harpagon est un sobre pourpoint gris noir, avec des trous sous les aisselles non recousus. Elise est en grande robe jaune pas très réussie. Et son fils porte un veste bordée de dentelle rose aux poignets. Soit un mélange de costumes vaguement XVII ème et tenues ridicules des Deschiens mais cela ne fonctionne pas.
Cette comédie-culte en cinq actes avec intermèdes musicaux est ici mise en scène de façon trop sage, et un peu tristounette. Manque à l’évidence un parti-pris. Flore Babled ou Bénédicte Choisnet, Lorella Cravotta,Vincent Debost, Jérôme Deschamps, Fred Épaud, Hervé Lassïnce, Louise Legendre, Yves Robin, Stanislas Roquette, Geert Van Herwijnen font tous leur boulot. Oui, mais voilà le jeu reste pâle et manque singulièrement d’unité.
Seul en cuisinier/cocher, Vincent Debost réussit à s’imposer mais on aura connu Loretta Cravotta (Frosine) plus convaincante dans les anciens spectacles de Jérôme Deschamps. Lui, réussit à rendre Harpagon parfois émouvant dans sa parano mais les autres personnages n’ont rien de crédible ni de vraiment attachant. «J’ai pris, dit le metteur en scène, le parti de la nudité. Il n’y a presque rien. Un fauteuil et une table qui jouent quelques minutes. Sinon, que les acteurs, leur passion et cette langue sublime. Il y a une verve chez Molière. une prose extraordinaire. C’est drôle tout le temps. »
Soit, et pourquoi pas ce plateau nu, comme l’avait aussi imaginé Antoine Vitez pour ses Quatre Molière? Au moins, cette langue d’une magnifique fluidité est-elle sauvée! Mais rien n’est vraiment drôle, comme le croit Jérôme Deschamps dans cette mise en scène honnête mais où le comique comme le farcesque sont gommés. La faute à quoi? A une direction d’acteurs aux abonnés d’absents. Le spectacle a déjà été joué et est bien rodé, mais manque singulièrement de folie… Surtout à la fin, avec ces invraisemblables retrouvailles où Molière s’amuse et qui, ici, n’est pas bien traitée.
Jérôme Deschamps reste pour nous ce grand metteur en scène et créateur avec Macha Makeieff que nous avions découverts en 79 avec La Famille Deschiens et Les Oubliettes. Et nous avions beaucoup aimé Les Précipitations, La Veillée, et ce spectacle-culte Lapin-Chasseur (1989). Mais aussi Un Fil à La patte de Georges Feydeau ou encore Les Brigands à l’Opéra-Bastille… Mais nous avions déjà peu apprécié son Bourgeois gentilhomme. Ici, au moments des saluts, il semblait avoir l’intuition que le compte n’y était pas…
Jérôme Deschamps est assez expérimenté pour comprendre qu’il lui faut retravailler d’urgence cette mise en scène décevante et donner une véritable ampleur comique à ce texte et une unité que le spectacle n’a pas, avant d’aller jouer en plein air cet été devant le château de Grignan. A suivre…
Philippe du Vignal
Jusqu’au 19 avril, Théâtre de la Ville-Les Abbesses, 31 rue des Abbesses, Paris (XVIII ème).
Du 23 juin au 19 août, Fêtes nocturnes de Grignan (Drôme).