Théorème /Je me sens un cœur à aimer toute la terre d’Amine Adjina, d’après Pier-Paolo Pasolini, mise en scène d’Amine Adjina et Émilie Prévosteau

 Théorème /Je me sens un cœur à aimer toute la terre d’Amine Adjina, d’après Pier-Paolo Pasolini, mise en scène d’Amine Adjina et Émilie Prévosteau

Une villa au bord de la mer. Une famille bourgeoise type : la Grand-Mère, le Père, la Mère, le Fils et la Fille, et Nour, une domestique. Survient Le garçon, invité par l’aïeule. Tous sous le charme de cet inconnu qui a « le cœur à aimer la terre entière ». Écrite sur mesure pour la troupe de la Comédie-Française, la pièce s’inspire du roman, et du film éponyme qui fit scandale à la Mostra de Venise en 1968, mais n’en a pas la virulence.

Se croisent la thématique du visiteur venu perturber le quotidien d’une famille bourgeoise, et les personnages du Dom Juan, de Molière. « Je me sens un cœur à aimer toute la terre », prononcé par le séduisant visiteur est une réplique de Dom Juan et le personnage d’Elvire infuse la pièce. De même, à l’instar de la fin apocalyptique de Molière, plane ici une sensation de danger imminent (climatique, politique…)  

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©V. Pontet

Au prologue, le Garçon à l’avant-scène évoque un été caniculaire, les corps alanguis sur la plage, les désirs rôdant sous le soleil… Et le rideau se lève sur une maison aux espaces éclatés, devant une vaste toile aux vagues claires d’une Méditerranée sereine. Une   scénographie peu esthétique et encombrante. Dans ce cadre de villégiature, il y a quelque chose de délétère et la tension est tout de suite perceptible au sein de la famille. Le Père, un chef d’entreprise, s’inquiète du climat social et lorgne vers l’extrême droite. Son épouse se sent coincée dans ses vêtements de marque et une vie étriquée. La Fille, apprentie-comédienne, s’exerce au chant et répète le rôle d’Elvire avec Nour qui, elle, prend cette héroïne au pied de la lettre. Le Fils se rêve en artiste et réalise une galerie de portraits-vidéo pour une future exposition… La communication entre générations circule mal…

Les metteurs en scène travaillent depuis 2012 avec la compagnie du Double sur les mythes anciens et modernes, de Phèdre à Marilyn Monroe. Et nous avions apprécié leur Histoire(s) de France, un spectacle parodique et politique destiné au jeune public (voir Le Théâtre du blog).
Ici nous sommes dans un autre registre. Des personnages archétypaux au fil des situations gagnent en humanité, révélés à eux-mêmes par la présence du Garçon. Des dialogues forts et sans apprêt, alternent avec des monologues plus poétiques mais parfois trop explicatifs sur les états d’âme de chacun :

Même si Amine Adjina a tendance à trop en dire, il mêle habilement ces modes d’écriture. Un peu d’humour apparaît quand, à des séquences qui pourraient être scabreuses, la mise en scène substitue des surtitres-didascalies. Les portraits- vidéo réalisés par le Fils nous offrent quelques gros plans des protagonistes, comme si nous entrions dans leur intimité. Et la musique discrète de Fabien Aléa Nicol, aux moments les plus dramatiques, se glisse dans les quelques interstices de temps suspendu.

Birane Ba incarne avec légèreté cet étranger, objet de fantasmes et de peurs. Seul personnage à rester énigmatique - qui est-il, d’où vient-il ?- il a la grâce féline de ces ragazzi chers à Pier Paolo Pasolini: l’assassinat du poète sur une plage est ici évoqué comme un signe avant-coureur de futures catastrophes. Coraly Zahonero campe une Mère rigide et frustrée mais se décoince un peu se disant « fendue en deux » par le jeune homme: « Mon adolescence s’est liquéfiée dans ce confort bourgeois (…)  Il m’a rendue à ma vie d’avant ». Marie Oppert (la Fille) adopte volontairement la brusquerie d’une adolescente et on lui découvre une voix surprenante (elle a été nommée Révélation artiste lyrique aux Victoires de la Musique classique). Adrien Simion joue un Fils gauche et introverti, qui se lâche progressivement au contact du visiteur, mais avec peu de consistance. Nour, pendant féminin du Garçon, se démarque de l’univers familial, en se dérobant au rôle traditionnel de domestique et en refusant le paternalisme de ses patrons. Elle trouve en Elvire, qu’elle découvre pendant les répétitions de la Fille, un écho à sa révolte. Claïna Clavaron nous transmet la colère froide de ce personnage. Moins convaincant, Alexandre Pavloff est un Père monolithique. Mention spéciale à Danièle Lebrun qui donne une distance à cette Grand-Mère anticonformiste et une juste tonalité à cette comédie de mœurs plutôt noire.

 Dans une atmosphère devenue cataclysmique : la Grand-Mère meurt, la terre tremble, la tempête se déchaîne sur la mer et les murs de la villa se fissurent… L’auteur donne le mot de la fin à Nour la domestique qui adresse au public la supplique d’Elvire à Dom Juan  : «Je vous ai aimé avec une tendresse extrême, rien au monde ne m’a été si cher que vous ; j’ai oublié mon devoir pour vous, j’ai fait toutes choses pour vous et toute la récompense que je vous en demande, c’est de corriger votre vie, et de prévenir votre perte. Sauvez-vous, je vous prie, ou pour l’amour de vous, ou pour l’amour de moi. » On en retiendra peut-être le message de cet épilogue qui semble faire écho au prologue, en ce que les deux monologues sont portés par des personnages racisés, extérieurs à la famille et à la classe bourgeoise. Ils sont les témoins et révélateurs d’une société en décadence. 

Le public a bien accueilli ce spectacle ambitieux de deux heures quinze, servi par une mise en scène rigoureuse, et une direction d’acteurs sobre qui ne verse jamais dans le psychologique.  Nous serons cependant plus réservés :  il y a un certain manque de distance et de légèreté, par rapport à un texte  qui  en dit parfois trop et qui gagnerait en force si  l’humour était là.

Amine Adjina et Émilie Prévosteau sont des artistes-complices de la Scène Nationale d’Angoulême et artistes-associés de la Halle aux Grains à Blois et du Théâtre 71 à Malakoff. Un autre de leurs spectacles Nos Jardins, est actuellement en tournée.

Mireille Davidovici

Jusqu’au 11 mai, Comédie-Française-Théâtre du Vieux-Colombier, 21 rue de Vieux-Colombier, Paris (VI ème). T. : 01 44 58 15 15.

La pièce est publié chez Acte Sud Papiers


Archive pour 13 avril, 2023

Un Sentiment de vie de Claudine Galea, mise en scène de Jean-Michel Rabeux

Un Sentiment de vie de Claudine Galea, mise en scène de Jean-Michel Rabeux

Reprise de la dernière pièce qui avait déjà été jouée au Théâtre de la Bastille (voir Le Théâtre du Blog) Claude Degliame joue une autrice. Bien après la mort de son père, elle lui dit combien elle l’aimait. «Mais cette pièce raconte d’abord la relation entre deux générations, dit Jean-Michel Rabeux. Et, comme dans tant de familles, on parle de politique pour taire son affection. Le père est un militaire des guerres coloniales, pied-noir, réac, comme on dit. Mais ce père doux et pudique est terriblement vivant, drôle et joyeux.»

Et en filigrane, il y a l’ombre des événements d’Algérie, pour ne pas dire une guerre qui aura marqué plusieurs générations à la fois dans ce pays et dans la France profonde. Ici, avec parfois un père et une mère qui était pour l’indépendance. «On dit peu l’amour ressenti envers son père ou sa mère. Un amour inconditionnel quand il existe. Un amour affectif et physique. » 

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Mais il y a aussi des allers et retours entre Lenz et Büchner sur le plateau, un fauteuil Voltaire noir où est assise Claude Degliame. A ses côtés, un homme en costume noir, chaussures à talon style XVIII ème, bas blancs et tricorne, immobile face public appuyé sur une canne droite et un rideau de fils qui servira d’écran où on le voit aussi parcourant une forêt enneigée: une présence étonnante, celle de l’acteur et musicien Nicolas Martel qui chante, siffle des airs ou joue quelques notes à la guitare.
Et ensuite une incursion dans 
 My Way qui se réfère a la chanson de Frank Sinatra qu’écoutent dans la voiture, la fille et son père qu’elle emmène à l’hôpital. Vers la fin, Claudine Galea parle aussi la mort d’artistes peintres mais aussi d’écrivains et dramaturges qui l’ont touchée: «Virginia Woolf remplit ses poches de pierres et entre dans la rivière l’Ouse, ou Sarah Kane se pend avec ses lacets dans la salle de bains à l’hôpital London’s King College. »
Le texte de Claudine Galea part dans tous les sens et c’est formidable : vie et  mort omniprésentes, images de neige revenant en boucles obsédantes comme le passé et le présent, la folie de Lenz et la sagesse. Elle a rencontré l’auteur allemand Falk Richter qu’elle évoque ici, et elle va comme lui, écrire sur ses parents dans My secret Garden, trois mots répétés comme pour mieux exorciser un récit parfois douloureux.
L
e metteur en scène maîtrise parfaitement cette écriture si particulière à laquelle, malgré quelques longueurs, on ne peut rester indifférent. Et il y a la remarquable interprétation de Claude Degliame, à la voix et à la diction si particulière. Un petit (soixante minutes) mais grand spectacle et tout à fait réussi. Jean-Michel Rabeux dit qu’il va arrêter la mise en scène. Si c’est vrai, dommage! Mais il aura au moins quitté son métier avec panache…

 Philippe du Vignal

Le LoKal, 3, rue Gabriel Péri,  Saint-Denis ( Seine-Saint Denis).

 

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