Dom Juan ou Le Festin de Pierre de Molière adaptation et mise en scène de David Bobée
Dom Juan ou Le Festin de Pierre de Molière adaptation et mise en scène de David Bobée
Le directeur du Théâtre du Nord à Lille est honnête : il précise bien qu’il s’agit d’une adaptation de la pièce-culte de Molière qui sous une forme ou sous une autre, est sans cesse jouée. « En relisant Dom Juan, écrit David Bobée, j’ai réalisé que chaque scène qui compose cette pièce représente quelque chose contre lequel je lutte depuis toujours. Dom Juan est tour à tour classiste, sexiste, discriminant sur le plan linguistique, dominant.»
Comment ne pas être partagé ? Il ne s’agit pas du Dom Juan original donc nous ne pouvons reprocher à David Bobée, une lecture… très personnelle. Et pour le festin de pierre on est servi…D’abord avec une image séduisante, Ilissos, un fleuve de la région d’Athènes représenté ici par une grande sculpture ( plus de 3 m de hauteur) d’un homme nu allongé, le sexe mutilé qu’on pouvait voir sur la façade Ouest du Parthénon avec, à jardin, un grand buste.
A cour, la fameuse statue du Commandeur dont le visage abîmé, a visiblement reçu des coups et qui, vers la fin, sera séparée en deux et posée au sol. La fin d’un mythe? Et ce n’est plus le Commandeur qui tue Dom Juan, lequel succombera aux coups de revolver du Spectre. Il y aura aussi, entre temps, l’arrivée d’une autre sculpture : celle d’un conquistador sur son cheval mais allongé sur le côté. Et aussi des fragments d’autres statues: mains, torses… Comprenne qui pourra. Une scénographie d’une rare beauté et à laquelle on ne peut être indifférent. Cette installation d’art plastique réussie ne met pas les acteurs en valeur… voire, les écrase!
Comme le dit Marie-José Mondzain, « Toute image est toujours image de quelque chose qui lui est substantiellement étranger.» Ici, quel est le rapport entre le texte revu par David Bobée et cette sculpture d’un très grand format jamais vu et composée de nombreux éléments, comme le laissent voir les découpes? Et il y a d’autres belles images et David Bobée n’arrête pas de faire joujou avec la vidéo comme cette eau qui coule ou ces têtes en pierre sur l’écran du fond. Cet écran, pour reprendre encore les mots de Marie-José Mondzain, instaure un «nouveau rapport entre la mimésis et la fiction. »
Mais tout se passe comme si le metteur en scène voulait se faire souvent plaisir. Il use et abuse d’effets faciles comme entre autres cinq jets de sable très fin qui vont tomber en permanence. Sans doute pour figurer l’écoulement du temps auquel Dom Juan voudrait résister. Une image efficace mais qui brouille de plus en plus les choses et envoie de la poussière dans le public!
Il a voulu moderniser la pièce au prix d’une réduction souvent facile. Même s’il garde le texte, la dramaturgie en prend un coup. Ici, Dom Juan n’est plus celui à qui Molière voulait s’en prendre: un jeune représentant de la noblesse, insolent, athée, orgueilleux et égoïste, méprisant la parole donnée, avide de sexe et trouvant normal de passer d’une jeune femme à l’autre sans aucun état d’âme. Et presque sadique envers Elvire. Mais aussi généreux et trouvant normal d’être puni, comme si c’était son destin.
Ici, nous avons affaire à un petit mec de banlieue en marcel blanc et pantalon noir; un dragueur à l’aise, un peu fade, bi-voltage et embrassant sur la bouche Pierrot,le jeune paysan mais aussi M. Dimanche: une façon de clouer le bec à ce bourgeois venu lui réclamer une dette.
Après tout, pourquoi pas? Oui, mais voilà, toute la dimension métaphysique de la pièce disparaît et les fameux silences de Dom Juan ne sont pas du tout mis en valeur… Quant aux scènes avec Pierrot, Charlotte, le metteur en scène les fait jouer par des acteurs chinois (avec surtitrage) qui parlent aussi très bien français, une idée comme une autre… Et c’est une meilleure idée que d’avoir confié le rôle de Dom Carlos, un des frères d’Elvire à une remarquable jeune actrice: Nine d’Urso. Jim Xuan Mao joue Pierrot, et Mathurine la jeune paysanne, l’amie de Charlotte. Et aussi La Ramée et La Violette, les deux valets. Et c’est le Spectre qui tuera Dom Juan. Gare à la confusion…
Distribution très inégale: en Dom Juan de quartier, le jeune comédien Radouan Leflahi a une diction précise mais ne semble pas très à l’aise; il est ensuite plus convaincant, un peu triste, voire minable face à ses conquêtes et à la mort qui l’attend. Mais il y a un net déséquilibre! Sganarelle est magnifiquement joué par le très jeune acteur congolais Shade Hardy Garvey Moungondo. D’une souplesse incroyable, le regard pétillant, il a une présence fabuleuse et est toujours juste, quand il nargue son maître. De la graine de grand comédien, il nous a fait penser au merveilleux Daniel Sorano (1920-1962). Souvenirs, souvenirs…Comme lui, il roulait des yeux et campait un Sganarelle aussi drôle que fantasque auprès de Jean Vilar/Dom Juan.
Et Catherine Dewitt, la complice depuis longtemps du metteur en scène, est aussi très bien dans le rôle de la mère de Dom Juan, un copié-collé du rôle du Père, imaginé par David Bobée, on ne sait pourquoi. Mais rien à faire, Nadège Cathelineau n’arrive pas à incarner Elvire: au début, comme pour s’affirmer, elle tape sur les mots et, à la fin, n’arrive pas vraiment à exprimer sa colère de femme bafouée.
Bref, une mise en scène à effets au rythme trop lent (quelques coups d’accélérateur seraient les bienvenus!) et encore allongée par de petits intermèdes dansés par l’actrice chinoise. David Bobée semble ne pas se rendre compte qu’il utilise inutilement des poncifs théâtraux du genre: lumières stroboscopiques, images d’eau courant sur la grande statue, fumigènes à gogo et sans raison, micros H.F. sans doute pour faire face aux musiques électroniques avec basses, dispensées tout au long de la représentation comme si ce texte magnifique avait besoin de cette béquille, incursions dans la salle de personnages comme Sganarelle et Dom Juan…
Au moins, on entend bien le célèbre texte mais ces suites d’effets, d’abord scénographiques mais surtout lumineux et sonores, font long feu. Manquent aussi à cette réalisation rythme et précision. Ce spectacle, un poil prétentieux dans ses intentions est décevant. Le public lui semblait partagé…
Philippe du Vignal
Spectacle vu le 20 avril à la Maison des arts de Créteil ( Essonne).
Du 25 et 28 avril, Comédie de Clermont-Ferrand-Scène Nationale ( Puy-de-Dôme).
Les 4 et 5 mai, La Filature, Scène Nationale, Mulhouse ( Haut-Rhin)
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