La Fugue, texte et mise en scène de Thibaut Prigent

La Fugue, texte et mise en scène de Thibaut Prigent

Il n’est pas tout à fait un inconnu et avait joué Arlequin dans La Double Inconstance de Marivaux, mise en scène de Galin Stoev au Théâtre de la Cité à Toulouse puis à la Porte Saint-Martin (voir Le Théâtre du Blog). Mais le spectacle avait dû être interrompu pour cause de covid. Et, écrivait notre amie Christine Friedel, «il tient les enjeux du personnage, en particulier, ce sens des droits qui ne le quitte pas, au cœur même de la tentation. »

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Ce jeune acteur se lance ici dans un monologue écrit et joué par lui avec une vingtaine de personnages… et une chaise en bois pour tout accessoire. Stéphane est employé dans une entreprise où il vend des cuisines. Mais dans une réunion où le directeur commercial veut établir une nouvelle stratégie marketing, il  le voit en train de rêver et lui demande alors de simuler une vente. Marc : « On se détend. Je veux que vous tombiez amoureux de vos clients. Je veux voir de l’amour dans vos yeux. Je veux plus qu’une relation, je veux du désir. Je veux : du cul. » (…) Alors, vends-moi cette putain de cuisine américaine ! Il est 15 h, nous sommes samedi. Scénario de base ! Un couple, la trentaine, vient d’entrer. Ils veulent acheter une cuisine, ils hésitent, il sont dans un tumulte d’achat compulsif. «Inconscient», très important, je te demande Stéphane de le rendre conscient. »
Mais le jeune employé va alors perdre ses moyens devant ce directeur qui l’intimide et il quittera tout à coup la réunion. Ses collègues ricanent ! Sans doute déstabilisé quand il traverse la rue, il ne voit pas une voiture qui le percute. Devenu amnésique, il est soigné dans un hôpital psychiatrique. Là, il affronte la directrice un peu curieuse! et un médecin:
« Bonjour Monsieur Stéphane. Je suis le docteur Jean-Benoît. Vous êtes au service neurologique de l’hôpital Nackard, Monsieur Stéphane. (Les mains sur le dossier de la chaise) Alors ? Vous avez bien dormi ? Vous avez bien mangé ? Vous avez bien rigolé ? Hein !??…Asseyez-vous… Ah oui, vous êtes déjà assis. Bon. Je m’assois. Je ne vais pas y aller par quatre chemins, ni par cinq, ni par six, ni par sept… hahahaha ! Il faut rire Monsieur Stéphane, très important le rire ! Très ! Nous vous avons récupéré hier matin dans un état, comment dire… plutôt…moyen, moyen. Je ne vais pas vous cacher non plus, que vous avez eu un accident. »

Et Stéphane va être obligé de s’adapter aux autres malades Paul, Joseph et les autres… qu’il repère physiquement. Comme il y a une chute brutale des moyens financiers, le minibus faute d’essence, ne peut plus rouler. Et les clés de ce minibus sont dans le bureau du remplaçant de la directrice. Qu’importe, Stéphane, avec courage, va prendre les choses en main…

Ici aucun fumigène, pas de vidéo, micro HF, lumières stroboscopiques ou latérales rasantes mais juste une chaise en bois pour un sens du dialogue comique et du bateleur, au meilleur sens du terme. Thibaut Prigent nous raconte cette histoire loufoque avec un art du mime tout à fait virtuose et il passe d’un personnage à l’autre sans aucune difficulté. Il y a parfois chez lui du Buster Keaton… Il a la même souplesse, le même sens de l’espace, la même précision gestuelle mais, à la différence du toujours impassible Buster Keaton du cinéma muet, il a un visage d’une extrême mobilité. Aucun temps mort : il parle vite et beaucoup et, avec une excellente diction et une grande maîtrise de son texte, il réussit à faire souvent rire le public, ce qui, dans le théâtre contemporain, n’est pas si fréquent. Même si cette Fugue est parfois encore brut de décoffrage (Thibaut Prigent abuse un peu des onomatopées et quelques coups de ciseaux à la fin seraient les bienvenus), ce solo reste assez exceptionnel. Flavie Fontaine, la directrice de La Flèche, a bien fait de l’accueillir.  Ce petit lieu est vite devenu une sorte d’incubateur et de tremplin efficace comme il y en a peu dans Paris. Hier il était plein malgré un horaire pas facile et ce spectacle mériterait amplement d’être programmé ailleurs tous les soirs… N’hésitez pas à aller voir ce jeune auteur-acteur; attention, c’est seulement le jeudi à 19 h mais il y a encore une dizaine de représentations…  

Philippe du Vignal

 Théâtre La Flèche, 77 rue de Charonne, Paris (XI ème). T. : 01 40 09 70 40. 


Archive pour 28 avril, 2023

Ne quittez pas (s’il vous plait), texte et mise en scène de Maud Galet-Lalande

Ne quittez pas (s’il vous plait) , texte et mise en scène de Maud Galet-Lalande

 Qui n’a jamais patienté longuement au téléphone d’une administration, après détour par une boîte vocale, ou été importuné par des télé-opérateurs ? Et nous écoute-t-on vraiment, au bout du fil, dans les services publics? « Paradoxalement, le téléphone est un objet qui rapproche mais qui éloigne aussi, dit Maud Galet- Lalande, ces répondeurs et sonneries dans le vide mettent à distance les usagers, de l’institution. »

©N. Helle

©N. Helle

L’autrice et metteuse en scène a créé un spectacle d’une heure quinze, nourri par les témoignages de démarcheurs ou démarchés…  Des voix enregistrées se font entendre en guise de prologue, et entre les différents tableaux de cette pièce aux situations emblématiques : un entretien,proche de l’absurde, entre le conseiller d’une plate-forme sociale et une demandeuse d’allocation, puis une émission de radio : L’Appel du cœur où un animateur est censé résoudre en direct les problèmes sentimentaux des auditeurs. Et enfin un questionnaire à choix multiples (Q.C.M.) proposé par une enquêtrice à un interlocuteur anonyme pour finalement lui vendre des prestations sportives…

Les séquences, habilement rythmées, sont interprétées avec finesse par Gaëlle Héraut et Philippe Lardaud. On reconnaît ici les protocoles interdisant toute véritable communication et renvoyant chaque interlocuteur à sa solitude. La metteuse en scène ménage aux interprètes des espaces isolés  et chacun dans sa bulle,  joue alternativement l’instrument d’un pouvoir manipulateur: télé-opérateur, journaliste…ou une allocataire, un consommateur… Mais il y a du flottement entre les scènes, auquel les effets de lumière, la chorégraphie et des fumigènes ne peuvent remédier.

 Pour autant, le texte, incisif, restitue non sans humour des situations où les personnages ne sont parfois pas loin de déroger aux strictes règles imposées par leurs employeurs : on voit un téléopérateur licencié par son superviseur pour cause d’empathie avec une usagère en détresse ; une journaliste débordée par un auditeur qui utilise son émission en direct pour brandir ses convictions  écologiques…Ces petits dérapages sont des espaces de liberté entre ces paroles étouffées par l’interdiction  d’avoir des relations sincères.

 Poursuivant sa démarche, la compagnie Les Heures Paniques, installée à Metz en 2010 et associée à la Manufacture de Nancy, a ouvert une ligne téléphonique pour recueillir témoignages et coups de gueule, anonymes ou non : « Nous avons ainsi récolté, précise Maud Galet-Lalande, une cinquantaine de messages provenant de personnes de tout âge, genre et parties du monde. Impossible de faire entendre tous les interviews menés en résidence et interventions mais nous avons mis en ligne:  les enregistrements sonores sur un site: nqp-svp.fr, classés par thématiques et lieux d’enregistrement.  »
A l’heure où les gens font retentir les casseroles pour dénoncer la surdité des institutions, ce lieu d’écoute et partage d’une parole libre, est le bienvenu…

 Mireille Davidovici

Spectacle vu le 25 avril au Théâtre de Belleville, 16 passage Piver, Paris (XI ème). T. : 01 48 06 72 34.

Du 7 au 26 juillet, au 11, boulevard Raspail, festival d’Avignon off (Vaucluse).

Les 15 et 16 octobre, Théâtre de Macouria (Guyane).

Et en avril 2024, Le Tropique Atrium, (Martinique).

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