Molière-matériau(x) de et avec Pierre Louis-Calixte

Molière-matériau(x)   de et avec Pierre Louis-Calixte

«Je t’appellerai Jean-Baptiste»: les premiers mots de ce portrait de Molière qui ressemble aussi aussi une confession intime sur l’influence que le grand dramaturge a pu avoir sur  l’acteur encore enfant, quand il jouait maquillé en Harpagon dans la salle de classe, puis enfin quand il fut appelé par Muriel Mayette pour reprendre le rôle de Cléante dans Tartuffe à, ce qu’on appelle encore et heureusement, la maison de Molière. Adolescent, il y vit ses pièces avec son autre grand-père. Donc une très ancienne et belle complicité avec le plus grand dramaturge français.

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Sur le plateau, une petite table avec une lampe, un fauteuil de salle et un portant avec des costumes. Au sol, quelques livres sur Molière dont il citera quelques extraits. Molière, un dramaturge et un personnage d’exception pour lui comme pour tout Français qui a lu ou au moins entendu quelques répliques. (Nous avions neuf ans seulement quand notre instituteur nous faisait lire les célèbres mots d’ Harpagon : «Ma cassette , ma cassette. »
Molière-matériau(x) est comme une sorte de monologue directement adressé à l’écrivain et acteur qui vécut dans une maison située à l’endroit où se trouve le Studio. «Quelque chose de sa personne privée, dit Pierre-Louis Calixte, que j’aimerais cerner, qui se devine dans ses pièces, comme voilé, entre les lignes, et qui me permettrait d’accéder à celui qu’il était derrière son masque de comédie, à celui qu’il était une fois le rideau tombé. Un rêve donc, une utopie, toujours devant, toujours fuyante, vers laquelle je marche. »

Mais à travers la vie de Molière, que l’acteur tutoie et appelle Jean-Baptiste « comme on le ferait avec un aïeul bienveillant », il a cherché et trouvé des correspondances entre sa vie et la sienne. Et la vie d’un acteur, c’est souvent passionnant. Pierre -Louis Calixte évoque les souvenirs qu’il a de son grand-père, et de sa canne qu’il a sur le plateau. Objets inanimés, avez-vous donc une âme, disait Lamartine. L’acteur raconte comme un signe du destin le canapé qu’il est allé acheter pour meubler sa loge dans un immeuble situé à Auteuil, petit village de campagne à l’endroit même où Molière allait écrire loin des tumultes de la ville. (Au début du XX ème siècle, il y avait encore des vaches place de la Muette ! )

Il raconte aussi qu’Éric Ruf lui avait téléphoné pour lui proposer  de faire un hommage à Molière, au moment où, chez ses parents, il voyait les dégâts de la maladie d’Alzheimer sur son père. Une mémoire qui disparait et une autre qu’il allait faire revivre. Comment ne pas être ému par cette coïncidence… Et nous savons tous que les histoires qui ne se racontent plus ou très peu, basculent vite dans l’oubli et surtout celles concernant le théâtre contemporain très fragiles et les représentations de pièces encore plus vite. Qui est ce Jean Vilar dont on voit le nom et le visage partout, nous demandait l’an passé à Avignon un jeune apprenti-comédien. Même chose à Chaillot quelques années seulement après la mort d’Antoine Vitez !
Pierre-Louis Calixte évoque aussi avec une émotion qui gagne vite le public une soirée où trois acteurs du Français dont le grand Daniel Znyk, jouaient à contrefaire le mort. Mais le soir même, celui-ci s’écroulait, victime d’une crise cardiaque dans le hall de son immeuble. Il avait joué notamment dans L‘Opérette Imaginaire de Valère Novarina, Cléante dans le Tartuffe de Molière, mis en scène par Marcel Bozonnet,  Géronte dans Le Menteur de Pierre Corneille et L’Espace furieux de Valère Novarina. Et  Pierre-Louis Calixte fait aussi le lien avec les mots d’Argan dans Le Malade imaginaire que Molière joua quatre fois seulement avant de mourir: « N’y a-t-il point quelque danger à contrefaire le mort ? » Et l’acteur se souvient sans doute de Louis Jouvet qui avait lu la prière de Willette à la messe du mercredi des Cendres à Saint-Germain-l’Auxerrois pour ceux qui vont mourir dans l’année. Il disparut six mois plus tard…
Et Pierre-Louis Calixte dit aussi avoir rencontré cette fois un personnage: Louis, le narrateur de Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce qui avait monté Le Malade imaginaire de Molière, alors qu’il se savait atteint par le sida. Et l’acteur arrive à faire partager avec le public, une question qui ne cesse de le tarauder. «Quel est l’étrange parcours des mots d’un personnage au-dedans du corps des acteurs ? Qu’est-ce qu’ils y sèment ? Pour engendrer quelles secrètes métamorphoses ?
Ce très bon acteur, sociétaire de la Comédie-Française, a aussi un don merveilleux de conteur et il nous embarque en un peu plus d’une heure dans son aventure humaine et artistique. Et quand il évoque la mort de Daniel Znik juste devant son costume de Cléante et que les couturières ont dû ensuite ajuster pour lui, c’est un grand moment de théâtre.
Mais pourtant cet acteur,  des plus expérimentés, a bizarrement par moments une diction approximative et surtout, au début, adopte un rythme saccadé : au neuvième rang de cette petite salle, on l’entendait très mal. A ces réserves près, ce solo très intense qui sonne toujours juste  (et garanti sans fumigènes et lumières stroboscopiques!) mérite amplement d’être vu.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 11 juin, Comédie-Française, Studio, Galerie du Carrousel du Louvre, place de la Pyramide inversée, 99 rue de Rivoli, Paris (Ier). .T. : 01 44 58 98 41

Le texte est publié aux éditions Actes Sud.

 


Archive pour mai, 2023

Breaking the Waves, d’après le film de Lars von Trier, musique de Missy Mazzoli , livret de Royce Vavrek, direction musicale de Mathieu Romano, mise en scène de Tom Morris `

Breaking the Waves, d’après le film de Lars von Trier, musique de Missy Mazzoli , livret de Royce Vavrek, direction musicale de Mathieu Romano, mise en scène de Tom Morris

5 Breaking the waves

DR S. Brion

Bess aime Jan, un étranger, employé sur une plate-forme pétrolière, mais son comportement amoureux hors-normes ne sied pas aux austères paroissiens. Jusque là, fidèle à son Eglise, elle découvre le plaisir sexuel, anticipant la nuit de noces dans les toilettes du banquet de mariage… Un pacte charnel l’unit à Jan, comme le pacte de bonté instauré avec Dieu, avec qui elle dialogue en faisant les questions et les réponses.
Elle baigne dans la joie physique et mystique… Jusqu’au jour où un hélicoptère rapatrie son homme blessé et désormais infirme. Jan demande à Bess, qui avait ardemment prié Dieu pour son retour, de coucher avec des inconnus afin que, par procuration, lui et leur amour soient sauvés.
Bess, avec toute sa bonté d’âme, se plie à son désir et se sacrifie. En « brisant les vagues » elle agit à contre-courant. Exclue de sa communauté à cause de sa vie jugée scandaleuse, elle finira dans le ruisseau, poignardée. Mais Jan guérira et lui survivra, Lars von Trier a voulu faire de cette bonté, la « force dynamique » de son film. «On confond souvent le bien avec autre chose -quand on ne le méconnaît pas totalement- et parce que c’est une chose tellement rare, des tensions naissent, forcément .»

© S Brion

© S Brion

Royce Vavrek a écrit un livret qui est fidèle au scénario et il essaye d’’expliciter ces tensions. Les paroissiens, la mère de Bess, Dodo sa meilleure amie, le médecin, n’ont pas la même conception qu’elle, de la bonté. Ils ne peuvent la suivre sur le chemin épineux qu’elle emprunte au nom de l’amour suprême.
Ici, un chœur de paroissiens amplifie le conflit entre Bess et les villageois à la doxa puritaine, qui n’entendent rien au dévouement christique de la jeune femme. En contrepoint, un chœur fantomatique incarne le dialogue de l’héroïne avec son Seigneur.  « Cet opéra est une sorte de Passion, dit le metteur en scène, une tragédie aux enjeux opposés où l’entourage de Bess voit bien sa profonde compassion mais ne peut faire autrement que de participer à sa destruction. Au fond, c’est ce thème qui distingue l’opéra, du film. »

Le spectacle n’est pas le brûlot de Lars von Trier et ne cherche pas à imiter l’inimitable. Missy Mazzoli instille dans sa partition, une douceur à la rudesse de cette tragédie. La musique va au plus profond dans la psychologie de l’héroïne. Pour entrer dans la logique de Bess et décentrer le thème -très critiqué à l’époque où le film est sorti- de la salvation masculine à travers un sacrifice féminin, la compositrice donne voix à Bess sous forme de nombreuses arias: une version opératique des gros plans cinématographiques. Solos instrumentaux, moments chantés a cappella ou avec des motifs répétés, traduisent les moments de tendresse ou d’intimité : «J’ai essayé de donner à Bess la faculté de chanter sa propre histoire pour exister, dit Missy Mazzoli. Et, même après le dénouement tragique, la compassion de Bess reste présente dans la musique. »

Sous la baguette de Mathieu Romano, l’orchestre transmet toute la finesse d’une composition qui procède par couches et mêle différents styles, avec parfois des accents de musique populaire. Il y a ici quelque parenté avec Benjamin Britten dans l’ornementation quasi baroque et les lignes vocales et instrumentales. Mais aussi la douceur de Claude Debussy et la grammaire répétitive de John Adams. Les instruments se détachent clairement pour les solos et duos intimes : basson, batterie, guitare électrique mais les amples phrases des cordes soutiennent les scènes tragiques.

Soutra Gilmour a imaginé une scénographie sobre et intelligente avec des colonnades. Sous les lumières de Richard Howell, conjuguées avec les projections vidéo de Will Duke, ces piliers deviennent contreforts d’église, falaise,  plateforme pétrolière… Le décor tourne pour nous emmener au sein de l’église, parmi les ouvriers de la plateforme ou dans les lieux de perdition fréquentés par Bess au troisième acte. Cette mobilité permet une fluidité dans la mise en scène et une liberté de mouvement des artistes.

L’interprétation évite le pathos, mais la scène sanguinolente du meurtre sacrificiel de Bess n’est pas sans rappeler la Crucifixion. Un effet un peu facile contrebalancé par la dernière séquence où Jan fait ses adieux au corps de Bess, qu’il a volé pour le confier à l’océan. La musique reprend les vibrants motifs pour un chant d’amour final.

Sydney Mancasola incarne avec une grande sensualité Bess McNeill. La soprano américaine à la voix chaude a fait ses débuts à l’Opéra de Los Angeles, dans la reprise de Breaking the Waves et interprétera bientôt Eurydice dans Orphée aux Enfers au Komische Oper de Berlin. Ses duos, avec le baryton américain Jarrett Ott (Jan), dans les positions érotiques les plus osées sont d’un grand naturel. Une belle performance partagée avec la mezzo-soprano canadienne, Wallis Giunta, (la confidente, Dodo, qui l’accompagne de ses arias affectueux). Il faut aussi saluer la prestance vocale et physique du chœur avec l’Ensemble Aedes Orchestre de chambre de Paris et les chefs de chant: Nicolas Chesneau et Yoan Héreau. Cette intervention du chœur n’a rien d’ornemental ni d’anecdotique.

Nous sommes entrés lentement mais sûrement dans cette tragédie d’aujourd’hui. La musique coule et l’on en perçoit toutes les subtilités grâce au jeu direct et sans esbroufe des chanteurs, à un livret sobre et à une direction musicale très présente. La teneur théologique de cette œuvre parlera sans doute davantage aux spectateurs anglo-saxons ou américains, plus sensibles au puritanisme. Lars Von Trier, comme Ingmar Bergman ou Carl Theodor Dryer, est travaillé par un mysticisme douloureux, mais dans son film, il montre aussi la pression sociale exercée- encore aujourd’hui- par les ultra-religieux dans les pays protestants.

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DR S. Brion

Il est intéressant de rencontrer une œuvre musicale actuelle qui, une fois n’est pas coutume, est signée d’une femme. A quarante-trois ans, Missy Mazzoli est un compositrice en vue aux Etats-Unis et qui se réjouit de l’essor de l’opéra dans son pays. Et les grandes maisons américaines passent beaucoup de commandes. Elle écrit actuellement pour le Metropolitan Opera de New York une adaptation du roman de George Saunders, Lincoln au bardo, où il y aura cent douze personnages. « Il y a, dit-elle, un grand appétit de musique et de récit, c’est un moment exaltant. »

Mireille Davidovici

 Jusqu’au 31 mai, Théâtre national de l’Opéra-Comique, 1 Place Boieldieu, Paris (II ème). T. : 01 70 23 01 31.

 

Circusnext : lauréats 2023

 Circusnext : les lauréats 2023

Sous la direction à Paris de Cécile Provôt, ce dispositif international fête Circusnext fête ses vingt ans. Anciennement Jeunes Talents Cirque fondé par Fred Cardon et labélisé par la Commission européenne, il a été mis en place pour soutenir le cirque contemporain en effervescence… Deux décennies à accompagner des artistes venus de partout et incontournables comme Baro d’Evel, Camille Boitel, Galaktik Ensemble, Alexander Vantournhout… Et bien d’autres qui ont conquis les pistes de cet art hors classe. Circusnext  doit bientôt s’installer à la Ferme Montsouris, un nouveau lieu de la Ville de Paris consacré au cirque. Une promesse de belles découvertes.

Un jury de professionnels et artistes des nations partenaires a, en février 2022, sélectionné sur dossier parmi cent dix-neuf artistes, trente-six qui ont bénéficié de laboratoires dans cinq pays d’Europe. Parmi eux, douze finalistes ont eu droit à une coproduction et à des résidences dans les lieux membres de Circusnext Plateforme en Europe. A l’arrivée, quatre projets de spectacles sont présentés sous un format de vingt minutes: des travaux en devenir mais suffisamment aboutis. Dans leur singularité, ils témoignent de l’être au monde des artistes. Poétiques, politiques, drôles ou étranges, ils ont tous un fort potentiel qui convaincra sans doute les lieux de résidence ou diffusion de les accueillir pour peaufiner leur travail,  et pour ensuite les programmer.

Cá entre nós par la compagnie Doisacordes

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© Christophe Reynaud de Lage

Encordés, accordés, désaccordés, le Chilien Roberto Willcock et le Brésilien Thiago Souza se livrent à un jeu de pouvoir avec pour accessoire de longues cordes: qui entravera l’autre ou lui échappera ? L’un veut dominer mais l’autre réussit à s’esquiver. Par de savantes manipulations de leurs agrès, avec des nœuds qui se font, se défont ou coulissent, ils sont d’une grande précision au sol comme dans les airs.

De violent à ludique, ce numéro dit les rapports de force mais aussi un essai d’équilibre pour nouer des relations autres… Cá entre nós : une expression brésilienne impliquant une confiance, que l’on peut traduire par : « cela reste entre nous”. Ces artistes qui se sont connus à l’École nationale de cirque du Brésil, ont installé leur compagnie à Barcelone en 2022 : cette première création sera finalisée dans deux ans. Avec un savant jeu de lumières, une sobriété gestuelle, une construction cohérente et une solide maîtrise corporelle, un beau duo en perspective…

Masha par la compagnie Palimsesta

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© Christophe Reynaud de Lage

 Étrange dispositif : une étroite piste revêtue de graisse où deux silhouettes, torse nu et se font face. L’homme massif, la femme frêle, à genoux ou assis sur le sol luisant d’une scène bi-frontale, glissent l’un vers l’autre puis reculent ou pivotent. Nous les voyons donc de profil. Cette progression lubrifiée semble d’abord aisée, voire agréable, mais quelques difficultés surviennent rendant alors toute avancée impossible. «La graisse glisse de nos corps sur le sol : faire un pas en avant implique le risque de glisser» disent Andrea Rodriguez de Liébana chercheuse circassienne, enseignante et architecte et Sergio González, à la fois travailleur social et artiste.

Avec cette première collaboration commencée en 2021 et au résultat prévu pour 2024 ils veulent:« Fournir une histoire critique sur l’annulation du sujet, à travers les nouvelles formes de capitalisme. ».Masha, construit sur la tension entre burlesque, et tragique, met en évidence de façon très fine, dans cette proximité, les tactiques de corps adverses pour rester debout et continuer. En faisant observer de près ses tentatives pour aller vers l’autre et dépasser les difficultés, Masha exprime la force vitale qui anime les individus.

 Fora d’Alice Rende

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Christophe Reynaud de Lage

 Enfermée dans une haute et étroite cage de verre face à un miroir, la contorsionniste va essayer d’en sortir. « Fora » signifie dehors, en portugais, catalan, occitan, sarde… Comment échapper à cette prison aux murs lisses ? Colère, rage et désespoir n’y feront rien. Alice Rende avec des reptations spectaculaires apprivoise l’espace et se hisse après plusieurs glissades hors de ce cercueil transparent, métaphore de la condition féminine et de l’aspiration à en sortir.

Encore faudra-t-il s’habituer à la liberté et une fois dehors rejeter l’aliénation qui habite encore son corps. Ce que nous réserve la seconde partie de cette puissante et élégante narration corporelle. Fora verra le jour à la B.I.A.M., à Marseille, l’hiver prochain. Ce sera le deuxième solo d’Alice Rende, italo-brésilienne formée à l’Ecole Nationale de Cirque du Brésil, puis à l’Ecole Supérieure des Arts du Cirque de Toulouse où elle avait créé son premier solo: Passages.

 Le Repos du guerrier d’Édouard Peurichard

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© Christophe Reynaud de Lage

Ce Français, acrobate, jongleur et lanceur de couteaux, va nous parler de son parcours lié à ses spectacles mais aussi de ses expériences en « cirque adapté», une pratique utilisant le cirque comme moyen pédagogique ou thérapeutique. Né en milieu hospitalier pour aider les handicapés, cette pratique s’ouvre aujourd’hui à un public plus large dont des jeunes en rupture. Son but : retisser les liens sociaux.
Petite démonstration avec un spectateur, ici un adolescent souriant. Édouard Peurichard montre, comment établir des liens de confiance à partir de situations déstabilisantes… Mais rien de pédagogique dans ce solo humoristique où son auteur nous fait voir le cirque sous un jour nouveau. Le repos du guerrier  sera finalisé le 1er octobre prochain à la Grainerie à Toulouse.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 25 mai au Théâtre de la Cité Internationale, 17 boulevard Jourdan, Paris (XIV ème) T. : 01 85 53 53 85.

www.circusnext.eu

In Situ,performance, texte de Patrick Bouvet, mise en scène de Joël Jouanneau

In Situ, performance, texte de Patrick Bouvet, mise en scène de Joël Jouanneau

Un spectacle en co-réalisation avec le Théâtre Nanterre-Amandiers-Centre dramatique national. Il y a plus de vingt ans, Patrick Bouvet, chanteur et compositeur dans un groupe rock, auteur d’installations sonores, publiait ce texte où il convoque habilement en une écriture répétitive: faits de guerre, terrorisme, camps de réfugiés, périphéries de villes, déserts criblés d’obus, frontières et zones de transit, aires de surveillance généralisée et une femme qui « aurait traversé les barrages avec une arme à feu dans son sac.  »
Patrick Bouvet n’est pas un inconnu au théâtre puisque
Shot  et Direct avaient été mis en scène en 2003 par Cyril Teste avec le collectif MxM au festival d’Avignon. «Un texte disait le metteur en scène, est avant tout une parole; le travail musical, que nous avons expérimenté avec les comédiens et le compositeur sous forme de lecture à la table, reste pour nous primordial. À l’installation à partir d’une mise en voix et d’un travail vidéo sur les rouages de l’information télévisuelle et des conséquences que cela peut avoir sur un événement réel… »

 

© Géraldine Astrénai

© Géraldine Aresteanu

Joël Jouanneau met aujourd’hui en scène ce In Situ avec simplicité et très efficacement, avec la très bonne actrice Cécile Garcia Fogel que l’on a souvent vue dans les mises en scène de Christopher Rauck (voir Le Théâtre du Blog), et avec le musicien Pierre Durand. Cet écrivain maintenant confirmé faisait apparaître en 2003 de nombreuses images qui sont maintenant d’une incroyable actualité. »Les grands poètes, les philosophes, les prophètes, disait déjà Charles Baudelaire, sont des êtres qui, par le pur et libre exercice de la volonté, parviennent à un état où ils sont à la fois cause et effet, sujet et objet. 

Sur le plateau, rien que les nombreuses boîtes à pédale pour le son, disposées et une sorte d’aide-mémoire écrit à la craie. Cette performance est rythmée à la fois par les accords de guitare, une partition additionnelle de sons et la langue. Celle que fait brillamment entendre Cécile Garcia Fogel qui dit toute la difficulté qu’ont les pauvres humains à vivre sur une planète où leurs grands-parents, leurs parents et eux-même ont tout fait pour ne plus avoir le contrôle de ce qui se passe et va se passer dans un proche avenir.
« Un désastre esthétique doublé d’un fiasco technique » (…) «Dans un premier temps il faut éviter de jeter de l’huile sur le feu » il faut éviter le général président il peut faire faire fleurir la mort il peut jeter les enfants dans le feu le général président est un arbre mort(…) Du matériel de surveillance a été placé dans un dirigeable publicitaire qui tourne en permanence du matériel publicitaire a été placé du matériel publicitaire qui tourne en permanence la sécurité est à son niveau maximal en permanence du matériel publicitaire à son niveau maximal (…) Les ordinateurs serviront à vendre le site des ordinateurs dans les fonds marins des ordinateurs ivres de requins au centre d’un site sacré. »

Cécile Garcia Fogel, en pantalon noir et chemise blanche, a une gestuelle et diction impeccables et s’empare de ce texte avec la grande maîtrise qu’on lui connait. En une heure et quelque, elle réussit sans difficulté à faire passer ce flux poétique insolite, bien entendu influencé par la musique répétitive qu’a su créer son auteur. Côté mise en scène, nous aurions aimé que Joël Jouanneau la fasse parler de temps en temps sans micro. Quel bonheur d’entendre alors sa belle voix quelques minutes sans ! Et il aurait pu nous épargner ces jets de fumigène inutiles et polluants (pour nous, le quatrième en quatre jours!)
A ces réserves près, une performance chaleureusement applaudie qui mérite d’être reprise.

 Philippe du Vignal

Performance jouée du 23 au 27 mai au Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette. T. : 01 43 57 42 14.

Portrait d’une femme de Michel Vinaver, mise en scène de Matthieu Marie avec les élèves du studio de formation théâtrale à Vitry-sur-Seine

Portrait d’une femme de Michel Vinaver, mise en scène de Matthieu Marie avec les élèves du studio de formation théâtrale à Vitry-sur-Seine

Fondée par des comédiens, cette école assure des formations de trois ans, avec « l’apprentissage des outils essentiels que sont le corps, la voix et l’imaginaire » et cours d’interprétation, diction, chant, danse, histoire du théâtre et dramaturgie. Il prépare aussi aux concours des écoles nationales. Sous la gouverne de Matthieu Marie, les onze élèves de dernière année interprètent cette pièce peu jouée: un travail déjà bien avancé :  en une dizaine de jours, le metteur en scène a réussi à garder la fluidité du texte, éclaté en brèves séquences bousculant la chronologie et l’unité de lieu.

En 1953, un procès défraya la chronique. Celui de Pauline Dubuisson, 26 ans,  jugée et condamnée pour le meurtre de son amant, tué à bout portant à son domicile.  Michel Vinaver, intéressé par l’affaire en collecte tous les comptes-rendus dans le journal Le Monde. A cette époque il a déjà  publié deux romans : Lataume et L’Objecteur, chez Gallimard sous l’impulsion d’Albert Camus mais ne tournera vers le Théâtre que plus tard, avec Les Coréens (1956). Ce n’est que trente ans plus tard qu’il écrira Portrait d’une femme.

 Avec le recul du temps, il reconstitue le procès de la criminelle devenue de l’énigmatique personnage de Sophie. Déclarations de l’accusée, témoignages et plaidoiries se mêlent de courtes scènes : reconstitution du crime, rencontre de son amant et Sophie à la Faculté de médecine, errances sentimentales de la jeune femme et différents avec ses parents… La pièce nous plonge dans la France de l’après-guerre et fouille l’adolescence de Sophie pendant cette période trouble, où elle a perdu ses deux frères et s’est liée avec des occupant allemands. «  Elle ne pouvait pas ne pas être coupable » dit son avocate, dans la pièce.

 

© Hervé Bellamy

© Hervé Bellamy

Rien n’arrête le flux des séquences qui passent rapidement d’un lieu à l’autre et enjambent les époques. Les mots sont précis, les prises de paroles brèves et ce groupe de jeunes comédiens interprète ce texte d’un rythme nerveux, sans décor,  avec quelques accessoires pour changer de personnage. Alexandre Bécourt, Arthur Boucheny, Lou Dubernat, Inès Fakhet, Grégory Gilles, Clémence Henry, Kessy Huebi-Martel, Matéo Nédellec, Julien Ottavi, Joana Rebelo, Emile Rigaud, Malou Vezon s’engagent à fond dans leurs rôles.

Matthieu Marie, un familier de l’œuvre de Michel Vinaver, a notamment mis en scène La Visite du chancelier autrichien, un plaidoyer contre l’extrême-droite où l’auteur dresse le portrait d’une Europe aux prises avec ses démons. Il veut poursuivre ce travail et le dramaturge, qui en avait vu une ébauche quelques jours avant sa disparition, l’avait encouragé.  Souhaitons qu’il y parvienne car nous avons eu  plaisir à découvrir une écriture brillante et la spontanéité des jeunes acteurs.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 25 mai au Théâtre de la Reine blanche, 2 bis passage Ruelle, Paris (XVIII ème).  T. :  01 40 05 06 96.  info@alv-communication.com
Portrait d’une femme de Michel Vinaver est publié chez Actes Sud.,

Médée, d’après Euripide, traduction de Florence Dupont, adaptation et mise en scène de Lisaboa Houbrechts

Médée, d’après Euripide, traduction de Florence Dupont, adaptation et mise en scène de Lisaboa Houbrechts

De mémoire de spectateur  cette pièce aura rarement été autant bousculée que par cette mise en scène radicale: texte réduit au minimum dont il ne reste que l’intrigue et non la substance tragique. Et, par volonté d’ancrer Médée dans notre quotidien, la metteuse en scène fait glisser les rôles du masculin, au féminin et la condition racisée de Médée devient l’un des fils conducteurs.

Malgré l’élégance du décor et l’utilisation subtile de lumières et clairs-obscurs, nous ne retrouvons rien ici, des qualités de la belle et troublante pièce lyrique Papa Chat ou comment Dieu a disparu (voir Le Théâtre du Blog) de cette artiste belge associée depuis 2017 à la Toneelhuis d’Anvers. Elle y a réalisé des spectacles musicaux avec pour thème, Peter Brueghel ou le génocide des Roms pendant la seconde guerre mondiale.

 A l’avant-scène, un personnage déplore l’enchaînement implacable des événements qui a mené Médée au désespoir : « Médée,  humiliée, noyée dans le chagrin. Avec pour leitmotiv : « si seulement tout cela ne s’était pas produit. »
Bakary Sangaré ( on le comprend grâce au programme ! ) interprète la Nourrice. Il a plutôt le rôle d’un narrateur qui regarde, tapi dans l’ombre et qui ponctue dans sa barbe, les événements de ce « si seulement ».  Témoin des grandes scènes tragiques où les personnages se déchirent, il commente avec ironie : « C’est charmant ! » Il semble représenter  la part sorcière de Médée.

 Quand le rideau s’ouvre, un voile s’élève, solennel, au centre du plateau, vers les cintres, sur un cri atroce couvert par une musique tonitruante et laisse apparaître une imposante silhouette vêtue de noir, avec sur la poitrine, un gros cœur rouge feu. Séphora Pondi, puissante mais effondrée. A terre, littéralement, elle maudit Créon, le roi de Corinthe, qui veut l’expulser de son pays, Jason, son homme qui va épouser Créuse, la fille de ce roi et Aphrodite qui lui a planté l’amour dans le cœur afin que, par passion pour Jason, elle l’aide à conquérir la Toison d’or.
Pour lui, et elle le répétera à l’envie, elle a trahi son père, tué son frère, quitté son pays pour un exil douloureux… Loin de sa Colchide, la fille du Soleil, déchue, est une étrangère indésirable qu’on exile avec ses deux fils sans autre forme de procès: Créon lui laisse un seul un jour de délai pour partir.

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage

Un temps suffisant pour étrangler mortellement Aphrodite (Léa Lopez), personnage ajouté à la pièce. Puis rencontrer et maudire le fragile Jason. Dans une dernier corps à corps, il essaye de la ramener à la raison et lui explique qu’il épouse la fille de Créon pour le bien de leurs enfants. Enfin, libérée d’Aphrodite, donc de tout affect autre que la soif de vengeance, elle va assassiner Créuse, la promise de Jason avec un voile empoisonné offert en cadeau de noces. Et, acte suprême annoncé depuis le début, elle poignardera ses enfants, réduits ici à de vulnérables baudruches et à quelques pleurs…

Les acteurs, contraints à entrer dans de belles images, sont souvent dans l’ombre  et nous aurions aimé mieux entendre et voir Bakary Sangaré avec ses précieux commentaires.

Séphora Pondi, malgré une gestuelle un peu guindée, réussit à exprimer vocalement la douleur sous toutes ses formes, du cri tétanisant, à la rage sourde, du tremblement, aux larmes de chagrin. « J’ai beaucoup travaillé le son, dit-elle, pour montrer plusieurs facettes du personnage. Les murmures, les cris les pleurs… Il s’agit de passer par plusieurs états et établir ainsi une variation autour de la douleur» Elle retrouve peu à peu ses mots et sa superbe pour trôner en majesté à Athènes où Egée l’a accueillie.

L’excellente Suliane Brahim nous révèle, avec un jeu nuancé, un Jason inhabituel : fragile et émouvant face à son imposante ex-épouse. Didier Sandre, en Créon,  peine, malgré son talent à faire le poids face à Médée: ses lamentations, à la mort de Créuse, nous parviennent difficilement. Engoncés dans des costumes stylisés, entre antique et futurisme, les chœurs de Colchide (Serge Bagdassarian) et d’Athènes (Marina Hands) accompagnés de trois actrices de l’Académie de la Comédie-Française, ont du mal à trouver leur place sur le plateau et n’échangent que quelques paroles…

Malgré un brillant emballage – sobre et élégante scénographie de Clémence Bezat- et de bons acteurs  ce Médée n’est pas  un cadeau! Il promet du moins d’être clivant.

 Mireille Davidovici

 Jusqu’au 24 juillet en alternance, Comédie-Française, salle Richelieu, Place Colette Paris (Ier). T . : 01 44 58 15 15.

Même si le monde meurt de Laurent Gaudé, conception et mise en scène de Laetitia Guédon

Même si le monde meurt de Laurent Gaudé, conception et mise en scène de Laëtitia Guédon

Un spectacle produit par le Théâtre de la Cité-Centre Dramatique National de Toulouse avec les huit jeunes interprètes de la troupe éphémère de l’Atelier-Cité. Ce spectacle, long poème lyrique et, comme dit Laëtitia Guédon, directrice des Plateaux sauvages à Paris,  « une dystopie qui résonne avec notre actualité. Un groupe de huit personnes issues d’un monde et d’une époque très proches de la nôtre, fait face à une annonce, celle de la fin du monde. Nous suivons leurs réactions, tantôt extrêmes, tantôt raisonnées, et, au milieu d’elles et eux : le parcours d’une femme. Elle attend un enfant… dont elle comprend qu’il ne naîtra pas. Vient alors pour elle l’urgence de le mettre au monde et de le connaître. Avec Laurent Gaudé, nous poserons ensemble la question de nos propres fins… et de nos commencements. »

IMG_0122Sur cette grande scène, une remarquable scénographie signée Amélie Vignals : sol de copeaux de bois, cinq petits plateaux en caillebotis de fer noir avec, sous le plus grand, une trentaine de bougies allumées. A jardin, un plateau rond et tout aussi noir où sont éparpillés des fragments de bois noir ( déjà une belle œuvre en soi et visiblement inspirée de l’art minimal américain). Côté cour, en hauteur un grand tondo (une œuvre peinte ou sculptée en rond) ; les plus connus étant celui représentant Septime Sévère avec sa femme et son fils, et le fameux Bain Turc d’Ingres. Ici, une magnifique vidéo de toute beauté conçue par Benoît Lahoz où défilent des nuages dans une lumière crépusculaire rouge et, à plusieurs reprises, deux mains inspirées de Michel-Ange qui se rejoignent. Et parfois de gros chiffres.

Cette scénographie s’apparente à une installation d’art plastique, et en parfaite adéquation avec l’esthétique revendiquée par Laëtitia Guédon qui conjugue avec bonheur texte, vidéo et musique, pour faire dire par de jeunes acteurs, cette histoire de fin du monde écrite à un moment où fleurissent épidémies, tremblements de terre, invasions de pays proches, guerres internationales ou civiles (curieux adjectif!) mais aussi inondations, attentats, catastrophes industrielles… Le catalogue est fourni et Laurent Gaudé avait toutes les sources d’inspiration nécessaires pour  traiter cette fin du monde imminente…
« C’est une pièce, dit-il, qui veut explorer la question du cadre dans lequel nous vivons. Est-ce qu’une annonce pareille détruit immédiatement toute possibilité de collectif. Reste-t-il de la place pour un «nous»? Les trajectoires individuelles ont-elles encore un sens? C’est aussi une pièce sur la peur. En quoi la certitude de la mort peut-elle être libératrice? Est-ce que la brièveté du temps qu’il reste à vivre, ne devient pas un incroyable territoire d’intensité? »

Comme le souhaite l’auteur, Laëtitia Guédon a, pour traiter de ces questions métaphysiques, surtout travaillé sur la langue poétique de ce romancier et dramaturge, avec ces jeunes acteurs interprétant des personnages qui n’en sont pas vraiment, comme celle d’une jeune femme enceinte qui devrait normalement accoucher après cette fin du monde programmée.
Après un travail à la table avec Laurent Gaudé venu plusieurs fois à Toulouse, Laëtitia Guédon a essayé de traduire l’écriture serrée de ce théâtre-récit plutôt que dialogué, et en deux parties: avant le désastre final de l »humanité et après. Même si le monde meurt  a quelque chose à voir avec la mythologie et le sacré, mais n’est pas facile à porter sur un plateau. Pourtant la metteuse en scène dirige Marine Déchelette, Mathieu Fernandez, Élise Friha, Marine Guez, Alice Jalleau, Thomas Ribière, Julien Salignon et Jean Schabel avec une rigueur exemplaire. Ils ont pris à bras-le-corps la parole de Laurent Gaudé et, très engagés et concentrés, ils donnent le meilleur d’eux-même et font tous un beau travail. Mention spéciale à Marine Guez qui porte en elle quelque chose d’incandescent.
Précision et poésie -ce n’est pas incompatible- dans ce travail avec de jeunes acteurs, pas forcément entraînés dans les écoles d’où ils sortent à ce genre de marathon poétique. Côté bémols: le texte, trop long, gagnerait beaucoup à subir quelques coupes, surtout dans la deuxième partie, moins solide que la première.
La metteuse en scène aurait pu nous épargner ces fumigènes qui ne servent à rien (une mode bien facile héritée des spectacles rock et matches de foot). Même si, dit-elle, avant la représentation, ils sont inoffensifs. Mais c’est la quatrième fois pour nous, cette semaine! Et on entend assez mal: il faudrait revoir les choses -mais c’est une avant-première – certains monologues ou répliques: le chuchotement est un art du genre pas commode- surtout quand les acteurs viennent par moments jouer dans la salle, une autre vieille manie du théâtre contemporain usée jusqu’à la corde et qui n’a aucun intérêt.

A ces réserves près, il est très intéressant de voir ici comment huit acteurs débutants (quatre filles et quatre garçons) arrivent à s’emparer de ce texte poétique difficile, d’un écrivain contemporain, grâce à un travail de mise en scène exemplaire et ce terrain d’exercice théâtral d’une rare efficacité. Loin des pauvres « écritures de plateau » et solos adaptations -la plupart sans aucun intérêt- de romans ou autobiographies déguisées qui inondent actuellement par dizaines les plateaux parisiens et bientôt avignonnais. Jouer ensemble à huit: cela devient de plus en plus rare, sur un beau plateau dans d’excellentes conditions professionnelles, avec la collaboration des artistes et techniciens d’un grand théâtre et c’est un cadeau royal !
Ces jeunes acteurs ont montré ici qu’ils le méritaient tous et peuvent remercier Galin Stoev, directeur du Théâtre de la Cité qui a imaginé cette opération. Chaque interprète de ce texte a aussi travaillé à cette occasion en binôme avec des étudiants du master Ecriture dramatique et création scénique de l’université Toulouse-Jean Jaurès, des groupes de lycéens, des patients de l’hôpital de jour Gérard Merchant…

Philippe du Vignal

Avant-première de ce spectacle vue le 25 mai, au Théâtre de la Cité-Centre Dramatique-National de Toulouse-Occitanie (Haute-Garonne).

Création les 2 et 3 juin 2023, au Kiasma, à Castelnau-le-Lez dans le cadre du Printemps des Comédiens de Montpellier (Hérault).

Necesito, pièce pour Grenade, chorégraphie de Dominique Bagouet, par l’ensemble du Conservatoire national supérieur de musique et de danse

Necesito, pièce pour Grenade, chorégraphie de Dominique Bagouet, par l’ensemble du Conservatoire national supérieur de musique et de danse

Créée en 91 pour le festival d’Avignon à Villeneuve-lès-Avignon (Gard), cette pièce rend des spectateurs nostalgiques mais ceux, nés après la mort du chorégraphe un an après, découvrent ce ballet avec grand plaisir.
Dominique Bagouet a laissé ses chorégraphies en héritage. Les Carnets Bagouet, rassemblés par les membres de sa compagnie, notamment Olivia Granville, permettent de reconstituer son travail et de le perpétuer. Au fil des transmissions, le conseil artistique qui gère ces carnets, surtout composé de ses anciens danseurs, a permis cette pérennisation et son œuvre est ainsi entrée au répertoire de nombreuses compagnies, en France et à l’étranger. C’est un phénomène rare de transmission, comme celui qu’avait voulu Merce Cunningham avant sa disparition. Danseurs et collaborateurs ont suivi le Cunningham Legacy Plan qu’ils avaient mis au point avec lui.

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Cette pièce d’une heure vingt a des moments d’une grande beauté mais quelques-uns sont moins forts. Comme chez Pina Bausch, la bande-son est toujours d’une grande qualité, avec musiques traditionnelles: airs du Moyen-âge, rock espagnol, d’autres évoquant l’arabo-andalouse Grenade et chant d’une fontaine. Induisant naturellement le mouvement. Les jeunes danseurs du Conservatoire, exceptionnels par leur engagement intègrent aisément l’unique décor, l’image d’une fresque au sol avec fragments de mosaïque et de marbre couleur terre battue.
Laurence Louppe disait à une conférence qu’elle avait faite en 1995 sur Dominique Bagouet: «Même à quarante ans, il avait l’air d’en avoir dix-huit. Il a toujours gardé, y compris dans son corps, une part d’enfance. On dit toujours que l’artiste garde quelque chose de l’enfant en lui. Dominique a gardé cette part d’enfance dans son corps, et cela fait une des beautés de son œuvre. » Et nous la retrouvons totalement dans cette pièce légère et gaie -un moment de grâce charmant- mais ce fut la dernière ! Pour cette re-création, il y a dans la feuille de salle, le texte du programme du festival d’Avignon.

Jean Couturier

Spectacle vu le 24 mai, à Chaillot-Théâtre National de la Danse, 1 place du Trocadéro, Paris (XVI ème). T.: 01 53 65 30 00.

Le Rêveur rêvé de Marc-Antoine Mathieu, mise en scène et sons d’Hélène Berschand et Wilfried Wendling

Le Rêveur rêvé de Marc-Antoine Mathieu, mise en scène et en sons d’Hélène Berschand et Wilfried Wendling

Le Rêveur rêvé de Marc-Antoine Mathieu, mise en scène et sons d’Hélène Berschand et Wilfried Wendling dans actualites

© Lysiane Louis

Au sein de La Muse en circuit, le duo Imaginarium : Hélène Breschand, harpiste et improvisatrice, et Wilfried Wendling, compositeur de musique électronique, ont imaginé une série d’explorations oniriques sonores et visuelles. Marc-Antoine Mathieu, travaille, lui, sur la matérialité même du livre : dans son fameux Julius Corentin Acquefacques, prisonnier des rêves. Cet album, avec une mise en abyme des images, devient lieu et cause des aventures vécues par le héros et ses compagnons .
Le point de fuite et la perspective disparaissent et arrive une troisième dimension avec des labyrinthes à la M. C. Escher. Dans Les Sous-sols du Révolu, un registre est transmis de main en main, dans Dieu en personne, Dieu est un auteur de best-seller, L’Ascension met en scène un moine bibliothécaire et l’intrigue de Mémoire morte se situe à la  très grande bibliothèque »…

 Le Rêveur rêvé ne déroge pas à ce principe: dans un monde noir, blanc et gris, erre le personnage à chapeau, emblématique de M.A.M. Cette œuvre inédite se présente comme un jeu de quarante cartes aux sous-titres poétiques, avec lesquelles on peut composer son propre itinéraire. Une œuvre ouverte à des combinaisons à l’infini, comme les 100. 000 milliards de poèmes de Raymond Queneau.
Hélène Breschand et Wilfried Wendling, accompagnés
 d’ élèves au Conservatoire du Vle arrondissement, tracent un paysage sonore: « Le nombre de cartes, de combinaisons et leur durée : autant de questionnements essentiels et musicaux prolongeant les réflexions de Marc-Antoine Mathieu sans jamais renoncer à l’exigence poétique. » 

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© Lysiane Louis

 En fond de scène, un mur composé de multiples têtes chapeautées, étranges, ahuries. Ecoulements sonores et gargouillis créent un environnement liquide. Quand les artistes entrent en piste, les têtes s’effacent et l’écran blanc va se découper en cases où seront projetées les images du Rêveur rêvé, dans l’ordre choisi par l’Imaginarium.
Et à partir du traditionnel cyclorama, des lambeaux d’écran sur le plateau reçoivent aussi des projections déformées. Les faisceaux vidéo sortent ainsi d’une exposition frontale dans une mise en abyme chère à Marc-Antoine Mathieu. En passant d’une carte à l’autre, la musique, contrairement à l’oeil, superpose l’ambiance sonore de plusieurs dessins. A côté des images, des personnages surgissent et se démultiplient sur plusieurs mini-écrans, des voix se fondent dans les accords de harpe, soutenus par le continuum électronique de Wilfried Wendling.

En épilogue de ce jeu de cartes onirique qui n’est pas sans rappeler le monde de Little Nemo in Slumberland de Winsor McKay, la harpe devient le personnage principal. Prises dans un balayage de laser, la musicienne et son instrument tourbillonnent sur scène et se décomposent en ombres chinoises sur les écrans, parmi  d’autres ombres. Cette dernière séquence avec jeux de lumière et d’éblouissants éclairs blancs, nous a moins convaincus, que la partie ombreuse initiale. Mais l’ensemble reste d’une grande maîtrise et l’on sort comme d’un rêve éveillé de ce concert visuel et psychédélique, à la croisée des musiques hybrides, des arts numériques, du collage littéraire et de la performance filmique. Imaginarium travaille avec Marc-Antoine Mathieu à un futur spectacle autour de Franz Kafka.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 24 mai au Poc, Scène artistique d’Alfortville, 82 rue Joseph Franceschi, Alfortville (Val-de-Marne) .


Le 24 novembre, à la Muse en Circuit, Alfortville.

Tango y tango, musique de Philippe Cohen Solal, livret de Santiago Amigorena, mise en scène de Marcial di Fonzo Bo

Tango y tango, musique de  Philippe Cohen-Solal, livret de Santiago Amigorena, mise en scène de Marcial di Fonzo Bo 

Un spectacle musical avec une partition d’un fondateur avec l’Argentin Eduardo Makaroff et le Suisse Christoph H. Müller du célèbre groupe Gotan Project (gotan en verlan : tango). Ici les notes de l’électro rejoignent parfois celles du tango.  Cela se passe -remarquable scénographie d’Alban Ho Van- dans une pauvre milonga à Buenos-Aires (le mot désignant un forme musicale et/ou dansée de tango mais aussi le lieu.

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Ici, les murs gris n’ont pas été repeints depuis longtemps… Au centre, un grand espace pour la danse encerclé par un rideau de fils qui servira d’écran comme le fond de scène derrière des portes vitrées, aux belles images vidéo signées Nicolas Vesdom montrant Buenos-Aires comme on s’y était ou presque.
 A cour, une loge en hauteur pour Aurélie Gallois au violon,   Victor Villena au bandonéon, et 
un petit bar minable et quelques tables de café. Jeanne (Rebecca Marder), une jeune Française de père argentin disparu, erre dans cette milonga  et semble vouloir chercher quelqu’un et connaître ses origines. Elle rencontrera Juan (Julio Zurita), un grand homme maigre d’un certain âge, un peu triste, qui aime beaucoup le tango mais qui n’a plus guère envie de le danser. 
Ils parlent de tout et de rien, en français et en espagnol. Mais l’osmose avec le chant et la danse ne se fait pas malgré l’impeccable mise en scène de Marcial di Fonzo Bo. Nous avons peine à croire à cette rencontre qui sonne faux: les dialogues et l’intrigue de
 Santiago Amigorena sont trop minces et il aurait fallu un véritable texte pour raconter l’histoire récente et douloureuse de l’Argentine avec quatre juntes militaires successives de 76 à 83, responsables de la mort ou de la disparition de 30.000 personnes… Des millions d’Argentins se sont aussi exilés. Et ici, les images de télé de l’époque, avec ces mères réclamant leurs enfants sans doute tués par les militaires au pouvoir, font froid dans le dos. Mais le texte reste aux abonnés absents.
Reste la danse et la musique. On pense quelquefois à Pina Bausch passionnée de tango qui avait monté Bandonéon en 1980. 
Matias Tripod a chorégraphié les tangos de plusieurs couples et quelques solos avec une précision et une virtuosité remarquables. Il y a quelques mouvements qui font aussi penser à la danse contemporaine.
Les personnages esquissés deviennent, à la fin surtout, très émouvants et on sent que
Maria-Sara Richter, Sabrina Amuchástegui, Fernando Andrés Rodríguez, Estefanía Belén Gómez, Eber Burger et Sabrina Nogueira sont
heureux de nous transmettre le plaisir de danser et de vivre libres dans une Argentine qui a été, encore longtemps après, marquée par la dictature sanglante des colonels.
Cristina Vilallonga exprime en chantant une véritable mélancolie et s’impose très vite. Mais Rebecca Marder, elle, n’a pas beaucoup de grain à moudre et a donc du mal à imposer un personnage inexistant. Un spectacle très vivant en une heure vingt qui a de grandes qualités, avec des danseurs exceptionnels mais qui vaut seulement pour sa musique, sa chorégraphie et ses images. Manque à l’appel une véritable dramaturgie qui apporterait du souffle à cette pièce remarquablement dirigée mais un peu conventionnelle. Dommage…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 27 juin, Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue, Franklin D. Roosevelt, Paris (VIII ème). T. : 01 44 95 98 21.

 

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