Nous n’irons pas au paradis ce soir d’après La Divine Comédie de Dante Alighieri, de et par Serge Maggiani
Nous n’irons pas au paradis ce soir d’après La Divine Comédie de Dante Alighieri, de et par Serge Maggiani
Ce soir, les portes de l’Enfer s’ouvrent : «Nel mezzo del cammin di nostra vita/mi retroivai per una selva oscura/ ché la dirrita via era smarrita » (Au milieu du chemin de notre vie, / Je me retrouvai dans une forêt obscure,/ car la voie droite était perdue). Ainsi commence cette Commedia que Boccace et les autres après lui, qualifia de « Divine ». Et avec Serge Maggiani comme guide, nous pénétrons de plain-pied dans les chants I et III de ce monument littéraire qui en compte trente-trois.
L’acteur nous prend par la main, nous entraîne sur les pas du poète, dans la «forêt obscure », et éclaire le chemin avec des commentaires à la fois érudits et malicieux. Rien de cuistre dans cette mise en perspective. Serge Maggiani veut nous faire entendre ce récit comme une série d’épisodes concrets. « Dante est un aventurier, dit-il. Il a traversé le pays le plus dangereux, le plus effrayant qui soit; il a traversé la mort. Il a respiré la puanteur des enfers, il a volé sur le dos de monstres, il a traversé des parois de flammes et des étangs de glace. Il a pleuré aussi. Il a aimé, à la hauteur du divin, cette Béatrice qu’il a connue enfant et qui est morte. Il la retrouvera, loin très loin, au paradis. Elle sera le dernier guide de ce voyage ». Dante vit aussi les tourments de l’exil, quand, en 1300, à l’âge de trente-cinq ans, il compose son poème, et il mourra à Ravenne en 1321 sans avoir jamais revu sa Toscane natale.
Nous suivons Dante, lui-même guidé par Virgile (un prédécesseur avec son Orphée et Eurydice), à la rencontre de célébrités, prophètes, divinités ou simples damnés: des animaux féroces lui barrent le chemin, une histoire d’amour tragique retient son attention… autant d’anecdotes, dans une langue imagée et inventive que l’acteur fait sonner dans sa langue maternelle et traduit dans la version française sans fioriture de Jacqueline Risset.
Aucune ambition de tout embrasser, dans ce modeste solo d’une heure, sans décor, effets de lumière ou fumigènes… Sur le plateau nu, éclairé par un projecteur, le comédien se vit comme un messager du poète. « Je ne sais pas si ce spectacle est un spectacle, dit-il. C’est un moment. C’est un peu comme si un acteur, faisant partie d’un groupe, se détache, vient s’assoir au devant de la scène, et raconte au public des histoires. »
Nous n’irons pas au Paradis ce soir est un projet au long cours, né en en 2012 à la suite d’une lecture d’extraits de la Divine Comédie, dirigée par Valérie Dreville en contrepoint au travail de Romeo Castellucci, dans la Cour d’Honneur au festival d’Avignon 2008. Serge Maggiani en faisait partie. « Il apporta, dit Valérie Dréville, des éléments d’exégèse et commentaires fameux, mais aussi sa connaissance native du chef- d’œuvre. Il m’a aidée à comprendre que tout est vrai dans la Divine Comédie, que tout est le fruit d’une expérience. »
Serge Maggiani poursuivit seul l’aventure, avec la complicité de l’actrice, et le voici de nouveau en scène, pour dire ce poème inscrit dans la mémoire des Italiens et dont certains vers sont devenus des expressions du langage courant. Dante qui a quitté le latin de l’époque a, en quelque sorte, inventé l’italien et l’acteur se délecte à nous faire entendre cette langue à la fois proche et lointaine. « Dante ne vieillit pas, écrit le poète Yves Bonnefoy, parce que sa décision d’assumer la langue vernaculaire s’est transmutée en un acte qui vaut pour tous les temps, celui par lequel le poésie accède à soi en s’attachant au mot comme tel, en le «creusant ». Et justement Serge Maggiani prend Dante au mot et ce spectacle est une excellente introduction à son œuvre.
Il faut espérer qu’après cette dernière série parisienne, qu’il poursuive sa route. Avis aux programmateurs. On peut aussi retrouver Dante Alighieri aux rendez-vous de la Société dantesque de France et lors des flâneries de Bruno la Brasca sur les pas de Dante à Paris…
Mireille Davidovici
Spectacle vu le 29 avril à La Reine Blanche, 2 bis passage Ruelle Paris ( XVIII ème). T. : 01 42 05 47 31.
Prima donna – Hélène Icart T.: 06 23 54 53 42 helene.icart@prima-donna.fr
La traduction de Jaqueline Risset est publiée dans La Pléiade chez Gallimard.