Morphé, texte, mise en scène et jeu de Simon Falguières (à partir de huit ans)

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage


Morphé
, texte, mise en scène et jeu de Simon Falguières  (à partir de huit ans)

Morphée, dans la mythologie grecque, est le fils d’Hypnos (le Sommeil) et de Nyx (la Nuit).  Devant le beau rideau rouge à franges dorées du théâtre à l’italienne d’Evreux, entre un jeune homme ( Simon Falguières) entre : « Mon grand-père était un acteur. Mon grand-père était acteur dans un théâtre au centre d’une petite ville, loin d’ici, dans ce pays où je ne suis jamais allé. Il n’était pas qu’un acteur… Il était aussi le directeur du théâtre. Pour tout vous dire, c’est lui qui l’avait construit. Un tout petit théâtre en bois qu’il avait appelé : La Baleine Bleue !
Et c’est un peu vrai, du présent, surgit le passé et nous avions vu ici en quatre-vingt deux, un spectacle de Jacques Falguières, autrefois directeur de ce même théâtre, le père de Simon qui joue ici ce personnage fantasque. Une belle idée, et sans doute une grande émotion pour eux deux…

Puis le rideau s’ouvre sur une pièce close sans aucune porte avec de hauts murs en planches verticales de sapin et des fenêtres fermées, l’une à l’avant-scène jardin, l’autre au lointain. Au centre du plateau, deux tonneaux devant un étroit matelas dans lesquels s’enfermera Morphé. A cour, dans le fond, une petite table en bois avec un tiroir qui s’ouvrira et se refermera tout seul, une étagère, jusqu’en haut remplie de bocaux. Sept cordelettes noires sur le plateau. Et une grande et d’autres petites trappes dans les mur.
Un solo avec deux régisseurs en noir, inspiré par Les Métamorphoses d’Ovide où l’auteur et metteur en scène joue ce Morphé, un jeune homme d’abord allongé et qui parle dans son sommeil. Soit la conjugaison d’un texte poétique, avec une remarquable scénographie tout aussi poétique, faite de matériaux de récupération. De larges planches percées de trappes d’où s’échapperont de petits pavés noirs qui s’éclaireront en tombant au sol et que Morphé placera dans un des tonneaux. Il y a aussi de longues cordelettes noires sur le plateau comme des serpents et qui seront aspirées par les murs en bois.

On entend une phrase en voix off qui dit quelques phrases inspirées des Métamorphoses d’Ovide: «Alors tu vois, au commencement, il y avait le chaos. Kaos. Et puis Kaos enfanta Gaïa la terre. Puis Kaos enfanta Éros, l’amour. Lui c’est le plus beau des dieux. Puis Kaos enfant Ereb, les ténèbres et Nix, la nuit obscure. Puis Ereb et Nix par leur amour, enfantèrent la lumière du jour. Puis Gaïa, la terre, et la lumière du jour, par leur amour, enfantèrent Ouranos, le ciel couronné d’étoiles. Puis Gaïa, la terre, et Ouranos, le ciel couronné d’étoiles, par leur amour enfantèrent les montagnes, les plaines, les rivières, les fleuves, les mers et l’océan… »
Il va aussi y avoir la naissance d’un petit baleineau chéri : «Demain tu seras grand et tu seras heureux. Dans l’eau de l’océan tu verras le ciel bleu. Dors bien dors bien… Et il est question d’une altesse qui déteste les baleine bleues… On entend des bruits de bombardements puis dans un épilogue, l’acteur dit qu’il y aura toujours des poèmes dits par des anciens pour nous le rappeler. Il y aura toujours des baleines sorties du livre dessiné venu à notre rencontre pour nous emporter sur leur dos et supporter le reste. « 
Et vers la fin,  Morphé va accrocher aux murs de bois plusieurs feuilles de papier qui sont sorties des trappes comme par miracle et qui, en une longue tache bleu Yves Klein vont comme en rhizome, devenir une grande et belle peinture non figurative : une sorte de baleine bleue.

On se perd quelquefois un peu dans cet univers onirique aux multiples ramifications mais rien de grave, et il suffit de s’abandonner à ce texte où nous retrouvons ici les thèmes de la magnifique Nuit de cendres en treize heures que Simon Falguières avait créée l’an passé en Avignon (voir Le Théâtre du Blog).
Morphé a la toute la force du conte avec ses personnages mythiques (voir Homère, etc.) etc la figure emblématique du Père, le sommeil et les monstres qu’il enfante, le monde des contes et celui bien réel mais voué à l’effondrement, le tonnerre et  l’obsession des objets qui arrivent à avoir une vie propre, comme ce tiroir qui s’ouvre et se referme quand il veut, C’est dire toute l’importance de la scénographie imaginée aussi par Simon Falguières avec des éléments récupérés et qui ont donc eu une vie passée..
Apparait ici comme l’idée d’une transmission d’une génération et d’un lieu à un autre. Clea fait penser au fameux bureaux en bois d’une pauvre salle d’école primaire polonaise dans La Classe morte de l’immense Tadeusz Kantor (1915-1990) dont il avait conçu, et placé lors d’une cérémonie, une réplique en bronze sur la tombe de sa mère. « Objets inanimés, avez-vous donc une âme », écrivait déjà Lamartine.
Simon Falguières a traduit plastiquement un univers personnel avec un récit qui se fait théâtre. Comment ne pas être séduit par cet acte poétique fondé sur cette scénographie de toute beauté?

Cette réalisation est d’une rigueur et d’une unité indispensables pour que l’ensemble puisse fonctionner.  Les images se succèdent comme autrefois dans Le Regard du sourd de Bob Wilson: de toute beauté comme, entre autres et presque à la fin, de grands dessins non figuratifs tombant des trappes que Morphé va accrocher sur les planches des murs.
Lesquelles planches, comme si elles en avaient assez, commenceront à tomber les unes après les autres et où  il y a sur d’eux d’entre elles de petits personnages blancs alignés : six d’un côté et cinq de l’autre. Et créant un enchevêtrement occupant tout le plateau métamorphosé en une sculpture impressionnante.
Une déconstruction/reconstruction qu’on peut lire comme seule trace et héritière d’humains disparus… Et surtout comme un acte théâtral poétique, réalisé et joué avec un soin extrême par ce jeune auteur.
Avec les belles lumières de Léandre Gans, Simon Falguières réussit à créer un monde imaginaire des plus étranges souvent silencieux, entre théâtre de texte coloré de surréalisme, et peinture et sculpture contemporaines. Et où les dieux protecteurs du Théâtre et de la Nature ont eu aussi  leur mot à dire. Un spectacle d’une heure et quelque, chaleureusement applaudi par les collégiens mais qui fera aussi la joie des adultes.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 5 mai, spectacle vu le 2 mai au Tangram-Théâtre Legendre, Evreux ( Eure).

Du 22 au 27 juillet, en tournée  avec Les Tréteaux de France-Centre Dramatique National. 

Le 2 septembre, festival du Moulin de l’Hydre, Saint-Pierre-d’Entremont (Orne).
Du 19 octobre au 5 novembre, Théâtre Paris-Villette ( XIX ème).Du 25 au 29 mars 2024, Comédie de Caen- Centre Dramatique National de Normandie (Calvados).

En avril 2024, Transversales,  Scène conventionnée de Verdun (Meuse).


Le Nid de Cendres de Simon Falguières est publié chez Actes Sud-Papiers.

 


Archive pour 5 mai, 2023

Morphé, texte, mise en scène et jeu de Simon Falguières (à partir de huit ans)

© Ch. Raynaud de Lage

© Ch. Raynaud de Lage


Morphé
, texte, mise en scène et jeu de Simon Falguières  (à partir de huit ans)

Morphée, dans la mythologie grecque, est le fils d’Hypnos (le Sommeil) et de Nyx (la Nuit).  Devant le beau rideau rouge à franges dorées du théâtre à l’italienne d’Evreux, entre un jeune homme ( Simon Falguières) entre : « Mon grand-père était un acteur. Mon grand-père était acteur dans un théâtre au centre d’une petite ville, loin d’ici, dans ce pays où je ne suis jamais allé. Il n’était pas qu’un acteur… Il était aussi le directeur du théâtre. Pour tout vous dire, c’est lui qui l’avait construit. Un tout petit théâtre en bois qu’il avait appelé : La Baleine Bleue !
Et c’est un peu vrai, du présent, surgit le passé et nous avions vu ici en quatre-vingt deux, un spectacle de Jacques Falguières, autrefois directeur de ce même théâtre, le père de Simon qui joue ici ce personnage fantasque. Une belle idée, et sans doute une grande émotion pour eux deux…

Puis le rideau s’ouvre sur une pièce close sans aucune porte avec de hauts murs en planches verticales de sapin et des fenêtres fermées, l’une à l’avant-scène jardin, l’autre au lointain. Au centre du plateau, deux tonneaux devant un étroit matelas dans lesquels s’enfermera Morphé. A cour, dans le fond, une petite table en bois avec un tiroir qui s’ouvrira et se refermera tout seul, une étagère, jusqu’en haut remplie de bocaux. Sept cordelettes noires sur le plateau. Et une grande et d’autres petites trappes dans les mur.
Un solo avec deux régisseurs en noir, inspiré par Les Métamorphoses d’Ovide où l’auteur et metteur en scène joue ce Morphé, un jeune homme d’abord allongé et qui parle dans son sommeil. Soit la conjugaison d’un texte poétique, avec une remarquable scénographie tout aussi poétique, faite de matériaux de récupération. De larges planches percées de trappes d’où s’échapperont de petits pavés noirs qui s’éclaireront en tombant au sol et que Morphé placera dans un des tonneaux. Il y a aussi de longues cordelettes noires sur le plateau comme des serpents et qui seront aspirées par les murs en bois.

On entend une phrase en voix off qui dit quelques phrases inspirées des Métamorphoses d’Ovide: «Alors tu vois, au commencement, il y avait le chaos. Kaos. Et puis Kaos enfanta Gaïa la terre. Puis Kaos enfanta Éros, l’amour. Lui c’est le plus beau des dieux. Puis Kaos enfant Ereb, les ténèbres et Nix, la nuit obscure. Puis Ereb et Nix par leur amour, enfantèrent la lumière du jour. Puis Gaïa, la terre, et la lumière du jour, par leur amour, enfantèrent Ouranos, le ciel couronné d’étoiles. Puis Gaïa, la terre, et Ouranos, le ciel couronné d’étoiles, par leur amour enfantèrent les montagnes, les plaines, les rivières, les fleuves, les mers et l’océan… »
Il va aussi y avoir la naissance d’un petit baleineau chéri : «Demain tu seras grand et tu seras heureux. Dans l’eau de l’océan tu verras le ciel bleu. Dors bien dors bien… Et il est question d’une altesse qui déteste les baleine bleues… On entend des bruits de bombardements puis dans un épilogue, l’acteur dit qu’il y aura toujours des poèmes dits par des anciens pour nous le rappeler. Il y aura toujours des baleines sorties du livre dessiné venu à notre rencontre pour nous emporter sur leur dos et supporter le reste. « 
Et vers la fin,  Morphé va accrocher aux murs de bois plusieurs feuilles de papier qui sont sorties des trappes comme par miracle et qui, en une longue tache bleu Yves Klein vont comme en rhizome, devenir une grande et belle peinture non figurative : une sorte de baleine bleue.

On se perd quelquefois un peu dans cet univers onirique aux multiples ramifications mais rien de grave, et il suffit de s’abandonner à ce texte où nous retrouvons ici les thèmes de la magnifique Nuit de cendres en treize heures que Simon Falguières avait créée l’an passé en Avignon (voir Le Théâtre du Blog).
Morphé a la toute la force du conte avec ses personnages mythiques (voir Homère, etc.) etc la figure emblématique du Père, le sommeil et les monstres qu’il enfante, le monde des contes et celui bien réel mais voué à l’effondrement, le tonnerre et  l’obsession des objets qui arrivent à avoir une vie propre, comme ce tiroir qui s’ouvre et se referme quand il veut, C’est dire toute l’importance de la scénographie imaginée aussi par Simon Falguières avec des éléments récupérés et qui ont donc eu une vie passée..
Apparait ici comme l’idée d’une transmission d’une génération et d’un lieu à un autre. Clea fait penser au fameux bureaux en bois d’une pauvre salle d’école primaire polonaise dans La Classe morte de l’immense Tadeusz Kantor (1915-1990) dont il avait conçu, et placé lors d’une cérémonie, une réplique en bronze sur la tombe de sa mère. « Objets inanimés, avez-vous donc une âme », écrivait déjà Lamartine.
Simon Falguières a traduit plastiquement un univers personnel avec un récit qui se fait théâtre. Comment ne pas être séduit par cet acte poétique fondé sur cette scénographie de toute beauté?

Cette réalisation est d’une rigueur et d’une unité indispensables pour que l’ensemble puisse fonctionner.  Les images se succèdent comme autrefois dans Le Regard du sourd de Bob Wilson: de toute beauté comme, entre autres et presque à la fin, de grands dessins non figuratifs tombant des trappes que Morphé va accrocher sur les planches des murs.
Lesquelles planches, comme si elles en avaient assez, commenceront à tomber les unes après les autres et où  il y a sur d’eux d’entre elles de petits personnages blancs alignés : six d’un côté et cinq de l’autre. Et créant un enchevêtrement occupant tout le plateau métamorphosé en une sculpture impressionnante.
Une déconstruction/reconstruction qu’on peut lire comme seule trace et héritière d’humains disparus… Et surtout comme un acte théâtral poétique, réalisé et joué avec un soin extrême par ce jeune auteur.
Avec les belles lumières de Léandre Gans, Simon Falguières réussit à créer un monde imaginaire des plus étranges souvent silencieux, entre théâtre de texte coloré de surréalisme, et peinture et sculpture contemporaines. Et où les dieux protecteurs du Théâtre et de la Nature ont eu aussi  leur mot à dire. Un spectacle d’une heure et quelque, chaleureusement applaudi par les collégiens mais qui fera aussi la joie des adultes.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 5 mai, spectacle vu le 2 mai au Tangram-Théâtre Legendre, Evreux ( Eure).

Du 22 au 27 juillet, en tournée  avec Les Tréteaux de France-Centre Dramatique National. 

Le 2 septembre, festival du Moulin de l’Hydre, Saint-Pierre-d’Entremont (Orne).
Du 19 octobre au 5 novembre, Théâtre Paris-Villette ( XIX ème).Du 25 au 29 mars 2024, Comédie de Caen- Centre Dramatique National de Normandie (Calvados).

En avril 2024, Transversales,  Scène conventionnée de Verdun (Meuse).


Le Nid de Cendres de Simon Falguières est publié chez Actes Sud-Papiers.

 

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