Domaine de Chaumont-Sur-Loire : festival international des jardins 2023, saison d’art
Domaine de Chaumont-Sur-Loire : festival international des jardins 2023, saison d’art
Dominant la Loire et entouré de parcs paysagers, le château de Chaumont n’est plus celui d’origine, construit aux environs de l’an mil par Eudes I er, comte de Blois, pour surveiller sa frontière avec le comté d’Anjou.
Rasé en 1465 sur ordre de Louis XI pour punir Pierre Ier d’Amboise, impliqué dans la Ligue du bien public, une coalition de grands vassaux avec, entre autres, Charles de France, frère du roi, et Charles le Téméraire, fils aîné du duc de Bourgogne, Philippe le Bon, pour lutter contre la politique autoritaire de Louis XI. Au retour en grâce de Pierre Ier, le château sera reconstruit mais conservera son style médiéval avec une tour massive.
Ensuite il bénéficia d’agrandissements et embellissements avec un magnifique parc. Et à la mort d’Henri II, il fut offert par la reine Catherine de Médicis à Diane de Poitiers, maîtresse du défunt roi, en échange du château de Chenonceau. Après être passé de famille en famille, sans trop subir les outrages du temps et des guerres, en 1938, il sera donné à l’Etat , par la princesse de Broglie, sa dernière propriétaire. Appartenant à la Région-Centre depuis 2007, le domaine de Chaumont-sur-Loire est maintenant un Centre d’arts et de nature, voué à la relation entre Nature et Culture avec créations artistiques et interventions paysagères.
Son immense parc en balcon sur le fleuve accueille des installations d’artistes, temporaires ou pérennes qui ornent les allées, à l’ombre de cèdres bicentenaires, les appartements seigneuriaux mais aussi les greniers, cuisines, granges et écuries… De l’autre côté du château, pour chaque édition du festival international des jardins au printemps, sont attribués à des artistes jardiniers,venus du monde entier,vingt-cinq lopins de terre pour donner libre cours à leur créativité.
Mireille Davidovici
Jardin résilient
Jardiniers, paysagistes, entrepreneurs, architectes, artistes… mais en équipe (c’est indispensable) dont la candidature a été retenue pour l’édition 2023 ont remodelé le terrain, créé des circuits fermés de récupération des eaux, transplanté les variétés végétales nécessaires et ensuite laisser faire la nature avec le plus grand respect.
Cela exige en amont un travail colossal de projets et d’imagination et de solides connaissances pour arriver à ces jardins insolites, qu’on pourrait presque dire militants.
Le thème choisi cette année, Le Jardin Résilient répond aux inquiétudes du jour. Déjà mille hectares en feu dans les Pyrénées-Orientales ce 16 avril, après la sécheresse et les incendies l’été dernier : il faut trouver des ouvertures, des réponses. Ces créateurs ont pensé aux angoisses humaines -après tout, un jardin c’est une nature humanisée – et inventé des jardins protecteurs et nourriciers, des abris comme ce Couloir végétal, encore un peu dégarni mais qui protègera bien des chaleurs excessives, ou Une (presque)île vertueuse, « réservoir du vivant sur pilotis avec une autonomie vivrière circulaire » Et ils ont imaginé que Demain tout ira bien, un équilibre entre le végétal et l’urbain et ont surtout misé sur la force du végétal, en imaginant divers jardins après la catastrophe comme Oasis fissuré, Cendres fertiles, Brèches ouvertes. Avec une végétation spontanée qui permettra plus tard à d’autres espèces de s’installer sur une terre revitalisée. Et l’on voit déjà, en effet, sur de petits lopins carbonisés, de « mauvaises herbes» réintroduites avec délicatesse, s’enraciner et se développer.
Tout ce travail repose sur une observation obstinée de la nature, des jardins, des plantes «réparatrices» et de très ancienne coutumes d’associations de plantes, comme ce trio mexicain: qui constitue aussi un repas végétarien idéal: maïs-courge-haricot.
Les «plantes-compagnes» se rendent des services réciproques: ainsi les couvre-sols maintiennent une précieuse humidité au pied des buissons qui les protègent en retour de leur ombre. La technologie la plus fine qui reprenant des pratiques anciennes, associe dans L’Alliance des courants, permaculture et électro-culture (oui !) « captant l’électricité statique, la force du vent et l’énergie de l’eau pour stimuler la croissance des plantes ».
Le Chant du sel, est artistiquement, l’un des plus beaux jardins sur fond de gravier de verre au bleu unique. Avec toujours cette fonction de l’art : nous inviter à poser sur le réel un regard neuf.
Ces plantes halophiles, oyats, salicornes, criste marine -nous marchons dessus en allant nous baigner dans la mer- sont peut-être elles qui vont sauver la vie des rivages, à la montée des océans…
On n’oubliera pas, un peu caché, le Jardin de la Fontaine Anémone, doux feu d’artifice de verdure, broderie délicate, qui vous parlera d’une résilience aussi inespérée qu’obstinée, celle de la beauté.
Dans cet immense parc, il y a une variété et une qualité de jardins permanents et des œuvres d’art qui ont été installées mais il faut aussi voir le château et ses manifestations. Et ici, cela exige du temps. Mais déjà le soleil et un peu de pluie ont permis aux jardins tout juste plantés, de commencer à s’épanouir. Et ce n’est que le début.
Christine Friedel
Saison d’art 2023
Moins connues que le festival horticole, les installations et expositions artistiques dans le parc, les salles du château et les communs, sont une autre façon de mettre en scène la Nature et le patrimoine. On peut donc compléter la visite des jardins et voir ces œuvres commandées à des artistes de tous horizons. Les pérennes que nous avons eu plaisir à retrouver. Comme dans la Grange aux Abeilles, Momento fecundo, une impressionnante spirale en bois de palissade du Brésilien Henrique Oliveira, qui s’enroule dans les escaliers jusqu’à la charpente rustique. En face, dans le Fenil, les tapisseries monumentales en relief du Ghanéen El Anatsu habillent les murs, tissage minutieux de matériaux de récup : capsules de bière, canettes concassées, tôles découpées.
Dans la chapelle du château, Gerda Steiner et Jörg Lenzlinger ont composé devant les vitraux fleuris Les Pierres de printemps:un fouillis arachnéen de feuillages, graminées, fleurs séchées recueillis dans les jardins du domaine.
D’autres œuvres nous attendent dans le parc dominant la Loire que l’on peut contempler du promontoire conçu par Tadashi Kawamata. Dans les arbres, s’érigent les cabanes de cet artiste japonais.
Les sévères sculptures de Christian Lapie, des troncs d’arbre taillés à la tronçonneuse prennent la forme d’une armée humaine, recouverte d’une gangue noirâtre, tout à la fois hiératique, spectrale.
Heureusement, Arbre chemin de Guiseppe Penone vient nous dérider. Et Ugwu, d’El Anatsui, est un très bel amoncellement de vieux bois et métaux colorés au pied des arbres vivants… Il y a une vingtaine d’œuvres permanentes dans les jardins et des installations théâtrales de Sarkis dans les greniers du château, Ailleurs, ici : bric-à-brac organisé autour de vitraux suspendus aux fenêtres à tabatière, avec échappée belle sur le fleuve.
Pour les expositions temporaires, quinze artistes ont été invités cette année. Au cœur du château dans les Galeries hautes, une pléthore de gravures, estampes, lithographies de tous formats d’Alechinsky couvre les murs.
Celui qui fut d’abord typographe et imprimeur s’amuse à mettre les petits carrés et rectangles dans les grands, joue avec les images, les écritures, les mots. Il fait la part belle au recyclage de carnets, factures, notes… et passe du monochrome à la couleur, du naïf à l’érudit. Mais où trouver une logique dans cette rétrospective de 1948 à 2020, avec des œuvres accrochées dans le désordre. Mais profitons de l’humour présent dans les photos de quelque deux cents tableaux dans un livre-catalogue Alechinsky à l’imprimerie (Gallimard).
C’est aussi l’univers des livres que célèbre Stefan Râmniceanu, dans la Galerie basse, le vestibule et la salle de billard. Cet artiste roumain aime travailler la matière: papier, carton et peinture par couches épaisses, simulant des grimoires. Des dossiers calcinés en feuilles de bitume et zinc assemblées avec des ficelles ornent tristement une étagère, restes d’archives désormais illisibles.
Plus évanescents, les Livres étrangement cristallisés par le feu, d’un blanc opalescent comme de l’albâtre, s’ouvrent sur la table de la bibliothèque Ces livres fantomatiques caractérisent le travail de Pascal Convert, hanté par la question de la mémoire, qui est aussi présente aussi dans Vestigium, un alignement de candélabres immaculés, sur la table de la salle à manger de la princesse de Broglie.
Par contraste, dans la galerie du Porc-Epic, la noirceur austère du sculpteur Christian Lapie s’exprime dans ses dessins au fusain estompés par des lavis à l’encre de Chine.
Entre bâtiments et parc, nous sommes loin d’avoir tout exploré et une journée n’y suffirait pas. Quelques coups de cœur cependant:
Etre seul avec toi de l’Irlandaise Claire Morgan dans la Grange aux abeilles. D’une oie naturalisée suspendue tête en bas, s’échappent de délicats envols neigeux. Fragiles éclats de plastique translucide oscillant dans les courants d’air, pétales ou plumes artificielles, pour une étrange assomption de l’être animal saigné à blanc.
Et dans l’Asinerie, Sophie Blanc a poudré d’or herbes folles et feuilles de chêne, fleurs des champs ou de jardins. Doreuse et restauratrice de bois doré, l’artiste plaque au pinceau des végétaux qu’elle a fait sécher pour des compositions sculpturales installées sous cloche. La nature ainsi sublimée nous semble d’autant plus précieuse…
M. D.
Domaine régional de Chaumont-sur-Loire (Loir-et-Cher). T. : 02 54 20 99 22.
Nocturnes au jardin, du 1er juillet au 31 août, Les Botaniques de Chaumont-sur-Loire, les 16 et 17 septembre, Quand fleurir est un art, du 6 au 10 octobre.