Voix, texte et mise en scène de Gérard Watkins
Plurielles, amicales ou hostiles, drôles ou insupportables, elles hantent les esprits à les rendre fous ; elles sifflent, susurrent, envahissent, harcèlent et prennent souvent le pouvoir sur l’individu. Comment vivre avec ces voix ? Gérard Watkins les convoque avec un groupe de parole qu’il dirige depuis le fond de la salle ; ces voix vont nous révéler les tourments de ceux qu’il nomme entendeuses et entendeurs de voix, jusqu’à ce que ces entités se matérialisent, voire s’incarnent dans un cabaret fantasmagorique.
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Après Ystéria, une pièce sur les troubles mentaux, l’auteur s’interroge sur ce phénomène psychique souvent taxé de schizophrénie. Dans cette pièce créée au Théâtre des Ilets à Montuçon, il se met dans la peau de celui qui écoute avec bienveillance quatre “patients“, chacun visité par des hôtes importuns. « J’ai voulu, dit-il, dessiner des portraits humains, imaginer les ressentis de ces êtres singuliers pour favoriser le voyage du public avec leur existence.» Ces personnages vont donner à entendre ce qui est pour l’auteur « un mystère porteur de sens » et essayer, avec l’écrivain, promu soignant, d’apprivoiser ces phénomènes. Ce faisant, celui qui écoute met en pratique une méthode thérapeutique, hors des sentiers battus de la psychiatrie orthodoxe visant à croire ce que disent les voix, à sentir d’où elles viennent et ce qu’elles révèlent. Cette approche mène à une meilleure gestion de leurs allers et venues, qu’elles soient hostiles ou amicales.
«Pour donner vie à ces personnages fictifs, dit l’auteur, je me suis beaucoup documenté, notamment en lisant Living with voices : 50 Stories of recovery de Marius Romme et Sandra Escher, sur le rétablissement d’entendeurs et d’entendeuses de voix. Ensuite, l’écriture s’est développée à partir de séances d’improvisation au plateau. » C’est là toute la subtilité de Voix : faire théâtre avec des histoires de cas analysées dans les ouvrages spécialisés.
La pièce se découpe en trois moments. Elle met d’abord en scène, dans une salle aux murs décrépis, un groupe de parole : trois jeunes gens répondent aux questions adressées par une voix invisible parmi les spectateurs et dialoguent entre eux: Manon (Marie Razafindrakoto) a réussi à gérer Frau, une vieille femme « frippée, avec chignon, à la voix perchée comme un oiseau » qui juge à sa place et la conseille ; elle perçoit aussi la présence d’un garçon « chafoin » rencontré dans les bois : « un souffle chaud comme une enveloppe ou une écharpe ».
Héloïse (Lucie Epicureo) se plaint d’Amandine qui parle du nez, une voix négative, toujours à se plaindre; elle lui préfère celle de Gérôme : «Il me défend, il me rassure ». Et Clément (Malo Martin), lui, tente de piéger la voix qui l’insulte avec un accent flamand et il veut savoir si elle émane de lui ou vient d’ailleurs. Heureusement, il peut appeler Schopenhauer « Shopi » qui le fait rire.
Les jeunes comédiens trouvent la juste distance avec leurs personnages et il se dégage un certain humour et une légèreté dans ces entretiens et ces échanges. L’arrivée de Véronique (Valérie Dréville) met fin à l’atelier et la pièce prend un tour plus dramatique. Cette femme, habitée par des présences contradictoires dit pour la première fois, une souffrance accumulée depuis soixante ans. A mesure de son récit, Valérie Dréville rend concrets celles et ceux qui parlent à Véronique. On comprend qu’ils sont là pour couvrir une blessure tue depuis l’enfance. La voix de la Petite, comme elle l’appelle, ne lâche jamais Véronique, contrairement à celles du garçon, de Dieu, ou du Morse : «Elle débarque à n’importe quel moment et me scie les tympans.»
Grâce à un coup de théâtre audacieux, les trois démons de Véronique apparaissent, figures quasi mythologiques forgées par l’imagination fertile de son âme troublée. Et Gérard Watkins donne le mot de la fin à la Petite, drôle et troublante Lucie Epicuréo: «Ecoute ce qu’elle n’a pas dit, dis-lui ce qui m’est arrivé. » L’auteur montre que les voix ne sont pas si folles : elles sont là aussi pour raviver des traumatismes refoulés et il faut parfois les croire.
Le metteur en scène part de situations quasi cliniques et d’un jeu froid, pour basculer vers la tragédie de Véronique, puis dans une théâtralité baroque, avec Camille Prenant au piano. Faisant fi de ceux qui portent un regard purement médical sur ces “symptômes“, Gérard Watkins s’est inspiré des Réseaux des Entendeurs de Voix, un mouvement né en 1987 aux Pays-Bas : «Ces femmes et ces hommes soutiennent que ce n’est pas parce que l’on entend des voix, que l’on doit être enfermé, médicamenté ou stigmatisé. »
Mais Voix met aussi en question une soi-disant normalité. Qui n’a jamais eu sa petite voix intime ? Jeanne d’Arc, Moïse, Jésus, Gandhi… n’ont-il pas été guidés par Dieu ? Platon évoque : «Ce démon attaché à moi dès mon enfance; c’est une voix qui ne se fait entendre que lorsqu’elle veut me détourner de ce que j’ai résolu, car jamais elle ne m’exhorte à rien entreprendre. » Et bien d’autres racontent avoir obéi à des voix: Winston Churchill, Zinedine Zidane, Sigmund Freud, Carl Jung, William Blake, Andy Warhol, Philip K. Dick, Rainer Maria Rilke…
Mais certains n’ont pu vivre avec, comme Virginia Woolf qui écrit dans une lettre d’adieu à son mari : «J’ai la certitude que je vais devenir folle. Je commence à entendre des voix et ne peux pas me concentrer. Alors, je fais ce qui semble être la meilleure chose à faire. Je ne peux plus lutter, je sais que je te gâche la vie. » Pour ne pas sombrer, il faut apprendre à dompter ses voix, comme le fait Gérard Watkins en nous les rendant plus familières et en jouant le jeu avec elles.
Mireille Davidovici
Du 5 au 21 mai, Théâtre de la Tempête, route du Champ de Manœuvre, Cartoucherie de Vincennes. Métro château de Vincennes puis navette gratuite. T.: 0143 28 36 36
Du 5 au 8 décembre, Comédie de Saint-Etienne, (Loire).
Le texte est édité aux éditions Esse.