Granreporterre # 7, La Fabrique de la domination, mise en scène de l’actualité, de et par Carole Thibaut et Lorraine de Foucher

Granreporterre # 7, La Fabrique de la domination, mise en scène de l’actualité, de et par Carole Thibaut et Lorraine de Foucher

Angélique Clairand et Éric Massé dirigent le théâtre du Point du jour, à Lyon (Vème) et on peut être sûr que leur programme ne sera pas «non essentiel». Ils l’axent sur les grandes questions de société et inventent aussi les formes nécessaires pour rassembler le public autour. Et cela marche!
Nous avons un défaut, nous critiques: nous nous intéressons plus souvent au «comment c’est fait», qu’au «de quoi il est question?», en sachant que le théâtre n’a d’intérêt que dans l’articulation entre le quoi et le comment.
Ces directeurs nous mettent face à une question d’une actualité brûlante et qu’ils ont choisie;  ils travaillent sur le : «comment faire» et sur le : « à qui je parle». Pas si simple : l’art s’adresse en principe à tous… mais pas toujours de la même façon ! En tout cas, il doit s’interroger sur ce point. Angélique Clairand et Éric Massé offrent, entre autres, des résidences à des équipes diverses, explorent la ville, vont voir ailleurs « habiter la contradiction » (des mots empruntés à Geneviève Fraisse).

©Bertrand Gaudillère

©Bertrand Gaudillère

Le protocole des Grands ReporTERRE est la traduction directe des principes de ces codirecteurs:ils ont fait  se rencontrer  une artiste et une journaliste et en fonction du thème cela devient une conférence, une performance, un spectacle, un forme inédite… Pour ce septième Reporterre, ils leur ont donné carte blanche, ont pris en charge une partie des coûts de production et une semaine de plateau à Carole Thibaut, directrice du Centre Dramatique national de Montluçon.
Cette autrice, comédienne et metteuse en scène a fait appel à Lorraine de Foucher, journaliste au Monde et réalisatrice de télévision, spécialisée dans les questions de violences et féminicides. Thème choisi : la domination masculine dont le fonctionnement est celui de toutes les dominations.Au commencement est la rencontre, et quelle que soit l’envie des personnes et il faut la prendre au sérieux. Ce qu’ont fait Lorraine de Foucher et Carole Thibaut. L’une préfère regarder, qu’être vue, et ne se fait pas d’illusions sur la neutralité du journaliste. Et l’autre sait s’exposer au théâtre.
Elles ont pris le temps de se parler, de se connaître, de se dire :« chiche » et d’y aller,  de sauter de la falaise en confiance. Et la relation espérée, productive, entre journalisme et théâtre a pu avoir lieu. Elles ont lâché leur « zone de confort » (comme s’il en existait dans des métiers pareils !), disons plutôt leur terrain, pour échanger parfois leurs fonctions et en inventer d’autres, sans crainte de critiquer leur place et leur pratique.

©x

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On connaît l’engagement de Carole Thibaut pour l’égalité entre femmes et hommes (respectons l’ordre alphabétique, le seul vraiment «neutre»). Lorraine de Foucher s’y est toujours intéressée et s’est trouvée elle-même prise à parti en travaillant à la télévision, haut-lieu du pouvoir sexiste, et en a fait, presque malgré elle un combat : comment, en tant que femme, ne pas être impliquée, et durement ?

Elle raconte ainsi aussi sa rencontre avec Hélène Devynk qui l’a amenée à enquêter sur l’affaire Patrick Poivre d’Arvor, avec huit victimes déclarées d’atteintes sexuelles et même de viols, sans parler d’humiliations et mauvaises habitudes: «ne prenez jamais un ascenseur seule avec P.P.D.A. ») Et ses informations certifiées par les juristes de son journal (on connaît le sérieux du Monde), ont persuadé sa hiérarchie de publier la tribune de sa consœur et toute une série d’enquêtes.
Cela ne fait pas du spectacle un exposé sur les objets et méthodes d’une grande journaliste et nous en avons vite senti la force de cette mise en scène. Carole Thibaut, elle, marque cette expérience originale de son efficacité, de son humour.
La place de chacune a souvent varié au fil de leur dialogue mais ensemble, elles réussissent à toucher l’émotion juste : pas celle qui fait pleurer Margot mais celle qui donne accès à une vérité. Sans dépasser la dose, l’humour, le rire partagé. Et elles critiquent les propos, rompent les débordements possibles du sentiment, avec l’obsession d’être juste.

L’image vient en complément de ce jeu à deux, avec les vidéos de Benoît Lahoz et des extraits de films de Lorraine de Foucher, et des photos d’elles, enfants. Sur les premières, elles ont les cheveux courts et pourraient être des garçons ; deux ou trois ans plus tard, les cheveux sont plus longs, la  féminité se dessine (on ne naît pas femme, on le devient…) Elles ont mainteannt chacune une fille adolescente et nous livrent en direct leur interview : «Oui, nous sommes féministes, mais… y a pas que ça, et il y a des mecs très bien »… Toujours les bonheurs de la contradiction.

Alors ? Avec des moments de rire du public, de silence haletant, avec leur vraie colère et surtout aucun optimisme béat, et un beau texte final d’Hélène Cixous, ces femmes vaillantes, chacune ayant savoir-faire et  compétences, nous auront emmenés loin dans leur quête, quitte à faire craquer les frontières de leur métier respectif, et celles de la justesse comme de la justice.

Christine Friedel

Spectacle vu au Théâtre du Point du jour, à Lyon (Vème). 

Les 10 et 11 mai au Théâtre des Ilets, Centre Dramatique National de Montluçon (Allier).


Archive pour 10 mai, 2023

Granreporterre # 7, La Fabrique de la domination, mise en scène de l’actualité, de et par Carole Thibaut et Lorraine de Foucher

Granreporterre # 7, La Fabrique de la domination, mise en scène de l’actualité, de et par Carole Thibaut et Lorraine de Foucher

Angélique Clairand et Éric Massé dirigent le théâtre du Point du jour, à Lyon (Vème) et on peut être sûr que leur programme ne sera pas «non essentiel». Ils l’axent sur les grandes questions de société et inventent aussi les formes nécessaires pour rassembler le public autour. Et cela marche!
Nous avons un défaut, nous critiques: nous nous intéressons plus souvent au «comment c’est fait», qu’au «de quoi il est question?», en sachant que le théâtre n’a d’intérêt que dans l’articulation entre le quoi et le comment.
Ces directeurs nous mettent face à une question d’une actualité brûlante et qu’ils ont choisie;  ils travaillent sur le : «comment faire» et sur le : « à qui je parle». Pas si simple : l’art s’adresse en principe à tous… mais pas toujours de la même façon ! En tout cas, il doit s’interroger sur ce point. Angélique Clairand et Éric Massé offrent, entre autres, des résidences à des équipes diverses, explorent la ville, vont voir ailleurs « habiter la contradiction » (des mots empruntés à Geneviève Fraisse).

©Bertrand Gaudillère

©Bertrand Gaudillère

Le protocole des Grands ReporTERRE est la traduction directe des principes de ces codirecteurs:ils ont fait  se rencontrer  une artiste et une journaliste et en fonction du thème cela devient une conférence, une performance, un spectacle, un forme inédite… Pour ce septième Reporterre, ils leur ont donné carte blanche, ont pris en charge une partie des coûts de production et une semaine de plateau à Carole Thibaut, directrice du Centre Dramatique national de Montluçon.
Cette autrice, comédienne et metteuse en scène a fait appel à Lorraine de Foucher, journaliste au Monde et réalisatrice de télévision, spécialisée dans les questions de violences et féminicides. Thème choisi : la domination masculine dont le fonctionnement est celui de toutes les dominations.Au commencement est la rencontre, et quelle que soit l’envie des personnes et il faut la prendre au sérieux. Ce qu’ont fait Lorraine de Foucher et Carole Thibaut. L’une préfère regarder, qu’être vue, et ne se fait pas d’illusions sur la neutralité du journaliste. Et l’autre sait s’exposer au théâtre.
Elles ont pris le temps de se parler, de se connaître, de se dire :« chiche » et d’y aller,  de sauter de la falaise en confiance. Et la relation espérée, productive, entre journalisme et théâtre a pu avoir lieu. Elles ont lâché leur « zone de confort » (comme s’il en existait dans des métiers pareils !), disons plutôt leur terrain, pour échanger parfois leurs fonctions et en inventer d’autres, sans crainte de critiquer leur place et leur pratique.

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On connaît l’engagement de Carole Thibaut pour l’égalité entre femmes et hommes (respectons l’ordre alphabétique, le seul vraiment «neutre»). Lorraine de Foucher s’y est toujours intéressée et s’est trouvée elle-même prise à parti en travaillant à la télévision, haut-lieu du pouvoir sexiste, et en a fait, presque malgré elle un combat : comment, en tant que femme, ne pas être impliquée, et durement ?

Elle raconte ainsi aussi sa rencontre avec Hélène Devynk qui l’a amenée à enquêter sur l’affaire Patrick Poivre d’Arvor, avec huit victimes déclarées d’atteintes sexuelles et même de viols, sans parler d’humiliations et mauvaises habitudes: «ne prenez jamais un ascenseur seule avec P.P.D.A. ») Et ses informations certifiées par les juristes de son journal (on connaît le sérieux du Monde), ont persuadé sa hiérarchie de publier la tribune de sa consœur et toute une série d’enquêtes.
Cela ne fait pas du spectacle un exposé sur les objets et méthodes d’une grande journaliste et nous en avons vite senti la force de cette mise en scène. Carole Thibaut, elle, marque cette expérience originale de son efficacité, de son humour.
La place de chacune a souvent varié au fil de leur dialogue mais ensemble, elles réussissent à toucher l’émotion juste : pas celle qui fait pleurer Margot mais celle qui donne accès à une vérité. Sans dépasser la dose, l’humour, le rire partagé. Et elles critiquent les propos, rompent les débordements possibles du sentiment, avec l’obsession d’être juste.

L’image vient en complément de ce jeu à deux, avec les vidéos de Benoît Lahoz et des extraits de films de Lorraine de Foucher, et des photos d’elles, enfants. Sur les premières, elles ont les cheveux courts et pourraient être des garçons ; deux ou trois ans plus tard, les cheveux sont plus longs, la  féminité se dessine (on ne naît pas femme, on le devient…) Elles ont mainteannt chacune une fille adolescente et nous livrent en direct leur interview : «Oui, nous sommes féministes, mais… y a pas que ça, et il y a des mecs très bien »… Toujours les bonheurs de la contradiction.

Alors ? Avec des moments de rire du public, de silence haletant, avec leur vraie colère et surtout aucun optimisme béat, et un beau texte final d’Hélène Cixous, ces femmes vaillantes, chacune ayant savoir-faire et  compétences, nous auront emmenés loin dans leur quête, quitte à faire craquer les frontières de leur métier respectif, et celles de la justesse comme de la justice.

Christine Friedel

Spectacle vu au Théâtre du Point du jour, à Lyon (Vème). 

Les 10 et 11 mai au Théâtre des Ilets, Centre Dramatique National de Montluçon (Allier).

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