Le Monde et son contraire de Leslie Kaplan, mise en scène d’Anthony Devaux et Esther Wahl

Le Monde et son contraire de Leslie Kaplan, mise en scène d’Anthony Devaux et Esther Wahl

Deuxième volet (peut-être y en aura-t-il d’autres ?), après Louise elle est folle, Esther Wahl dirige Anthony Devaux dans ce texte écrit pour un acteur qui voudrait jouer Kafka. Ce fut en plein confinement, d’abord Marc Bertin, mis en scène par Elise Vigier aux Plateaux sauvages, avec, affichés, les reproductions de dessins de Franz Kafka, métaphysiques et non dépourvus humour. Mais on sait que le comédien idéal pour jouer Kafka (qui n’a pas écrit pour le théâtre), était Charlie Chaplin, et pas seulement parce qu’ils avaient le même chapeau.

© Fracas Lunaire

© Fracas Lunaire

On reconnaît ici mais modifié et précisé pour la circonstance, le costume du cafard dans Louise elle est folle, agrémenté d’une carapace, exosquelette de la fameuse vermine de La Métamorphose. Anthony Devaux s’en empare avec brio, évoquant la mue de l’adolescence, le complexe du homard de Françoise Dolto), la gêne sociale d’un homme transplanté hors de son milieu, l’embarras, bref, les tourments de ceux qui se sentent à la fois coincés et méprisés, mais aussi la métamorphose de l’acteur au théâtre.

Tout cela joué avec une merveilleuse aisance. Acrobaties chorégraphiées par Anthony Devaux et Esther Wahl, essai moins heureux d’une entrée de clown, « stand up » un peu appel du pied. Il en ressort avant tout le plaisir de jouer, de tout son corps.
Formée à la danse, au mime et au théâtre gestuel, Esther Wahl « mène une recherche sur le mélange entre texte et mouvement, entre théâtre et danse », dont on avait vu une première expérimentation avec Louise elle est folle…Mais il y a ici un peu trop de mouvements et démonstrations de virtuosité. On aimerait que le corps se taise un peu, que l’illustration de Kafka et de ce qu’il inspire à son jeune interprète soit moins volontariste, moins bavarde. Laissez-nous du temps pour rêver, laissez-nous cauchemarder un peu Kafka en gourou de la joie de vivre sur scène, dans un corps jeune, bondissant et précis…

Trahison ? Mais tout le monde trahit Franz Kafka, à commencer par son ami Max Brod, à qui il avait fait jurer de brûler ses manuscrits après sa mort. Mais il a choisi, grâce lui en soit rendue, de les publier. Ce que c’est d’être un génie ! Tout le monde en veut un morceau, pour sa survie mais il est à vous dans la fameuse Pléiade chez Gallimard et aussi en livres de poche, en toutes sortes d’adaptations et peut-être même, en contrefaçon…

Christine Friedel

Jusqu’au 20 mai , Théâtre des Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs, Paris (Ier). T. : 01 42 36 00 02.


Archive pour 11 mai, 2023

Intérieur de Maurice Maeterlinck, traduction de Dimitris Dimitriadis, mise en scène de Panagiotis Gizotis

Intérieur de Maurice Maeterlinck, traduction de Dimitris Dimitriadis, mise en scène de Panagiotis Gizotis

Cette pièce créée au théâtre de l’Œuvre à Paris en 1895, sera redécouverte plus tard et mise en scène par Claude Régy avec des acteurs japonais à Paris. Et enfin à la Comédie-Française il y six ans. Cette fable qui allie simplicité et profondeur du symbolisme dont les dramaturges des années 1950-60 comme entre autres, Bob Wilson se souviendront, est aussi dans cette réalisation,prétexte à une scénographie en décalage et à une création poétique du silence.

Le Père, la Mère que nous apercevons derrière leurs fenêtres avec deux filles et un enfant endormi, ne savent pas encore qu’une autre de leurs filles, sortie le matin même, s’est sans doute suicidée (mais l’auteur ne le précise pas). Le Vieillard, qui a découvert son corps dans la rivière, attend dehors avec l’Etranger et n’osent pas entrer dans la maison annoncer l’horrible nouvelle. La force et l’originalité de l’œuvre tiennent aussi aux espaces conçus: l’intérieur, où la famille que l’on voit seulement vivre, insouciante et muette et l’extérieur, où sont les témoins, retardant le moment de pénétrer dans la maison, suspendent le temps.

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Le Vieillard et l’Inconnu assument ainsi la fonction de narrateurs épiques et leurs  s’apparente à une longue didascalie alternée où ils commentant les humbles gestes de ceux qui, dans le silence, au lointain, vivent encore dans l’ignorance et la tranquillité. Ce drame statique associant images et silence mais ici en séparant action et dialogue, trouve une remarquable expression. Et cette première mise en scène de Panagiotis Gizotis est un bel essai poétique sur «l’espace dans l’espace». Avec une sorte de rituel aux images fortes, avec un silence, une gestualité, des sons et une lumière de grande qualité.

La représentation a lieu au premier étage d’un ancien immeuble style néoclassique de l’avenue Alexandras au centre d’Athènes. Une actrice nous accueille et nous  fait monter dans l’appartement où nous serons les témoins de la vie de quatre personnages autour de la table du salon.
Un spectacle dans le spectacle avec des actions en parallèle où le metteur en scène donne une lecture originale de deux espaces: une miniature de la maison et la projection de ce qui se passe à l’intérieur. Sur un écran, nous voyons les personnages agir dans cet espace clos. Joués par d’excellents acteurs créant une illusion qui fascine le public grâce à une gestion exceptionnelle du rythme, des intonations et de l’expression corporelle par Panagiotis Gizotis.

Le magnétophone, les enregistrements sur cassettes que les comédiens changent eux-même, donnent à cette mise en scène un aspect mystique. Intimité et étrangeté, à la fois entre artificiel et naturel, se conjuguent pour souligner le «tragique quotidien» de Maeterlinck. Une expérience théâtrale à ne pas manquer!

Nektarios Georgios Konstantinidis

Jusqu’au 12 mai, Πάνω Σπίτι (Maison), 37 Alexandras avenue, Athènes. T. : 00306986614274

Festival à vif 2023 à Vire: Métamorphoses

Festival à vif  2023, à Vire: Métamorphoses 

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Lancement du festival à vif © M. Davidovici

 Lancé en 2009 par Pauline Sales et Vincent Garanger, alors à la tête du Centre dramatique national de Vire Normandie, ce festival ADO devenu Festival à vif sous la houlette de la nouvelle directrice,  Lucie Berelowitsch, se veut «une fête théâtrale autour de l’adolescence ».
Métamorphoses, thème proposé à quelque soixante-dix élèves de première:spécialité théâtre, de Caen, Alençon, Le Havre et Vire. Ils assurent l’ouverture de cette manifestation sur le parvis du Préau, un bâtiment impressionnant p
our cette petite ville du Calvados, avec une salle de cinq cent quatre vingt places. Garçons et filles  ont improvisé en une après-midi des séquences collectives sur ces questions de mutations et de transformations, propres à leur âge, avec plus ou moins de bonheur mais ils ont impulsé une joyeuse dynamique à cette entrée en matière festive  et conclu leurs interventions scéniques par un bouillant défilé costumé en musique….

Spectacles, ateliers et rencontres essaiment au Préau et hors les murs, dans les salles de fête de villages ou préaux de lycées. Cette année, surtout mis en scène par des femmes «le hasard d’une programmation pro-active», selon la directrice. Et l’année prochaine, dit-elle, les lycées de Rouen et d’Evreux seront aussi de la partie

Pénélopes, mise en scène de Céleste Germe, collectif Das Plateau

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Qui sont les Pénélopes d’aujourd’hui ? Qu’en est-il du mythe de l’épouse d’Ulysse fidèle à ce mari volage et qui ruse pour ne pas tomber dans les rets des Prétendants. Réalisée à partir d’entretiens avec des femmes et interprétée par Maëlys Ricordeau, Pénélopes parle de la manière dont elles vivent une double injonction: accès à la liberté mais interdiction de l’exercer… Depuis deux ans, Céleste Germe et l’actrice se sont mises à l’écoute de femmes de plusieurs régions et, à partir de conversations enregistrées au téléphone, ont réalisé un montage sonore de courtes séquences, diffusées à l’oreille de la comédienne.

Ici, les habitantes de toutes générations, à Vire et aux environs, se sont confiées aux artistes, une heure et demi durant, pour dire le poids de la maternité, l’ombre des pères et des frères, la place de la mère, le désir contradictoire d’attachement et d’émancipation…

Chacune de ces femmes s’exprime pendant sept à dix minutes: des paroles que l’actrice reproduit ici avec tics de langage et débit d’élocution.  Elles prennent vie sous nos yeux : la première évoque sa grand-mère à qui elle doit sa soif d’émancipation et non à sa mère restée soumise. Une adolescente intimidée, dit comment, malgré la sévérité d’un père sicilien, elle a «cassé ses fiançailles». Et elle ne veut plus s’attacher à quiconque.
Une femme mûre raconte comment, issue d’une « relation adultérine», elle a vu sa mère galérer et «devenir guimauve» devant son père, un amant volage. Elle est fidèle à son mari mais dit à sa fille : « Ne dépends pas d’un homme. »
Il y a aussi celle qui se demande comment elle a pu entrer «dans le schéma mariage-enfants » et trouve enfin des «poches de solitude », après un divorce et la garde partagée des enfants. Et une autre a peur de son père et du regard des hommes: «J’ai été violée, j’en ai jamais parlé.» Moment poignant que cet aveu jamais confié à personne, dit Maëlys Ricordeau.

Il  suffit à l’actrice d’une veste, une coiffure, un maquillage  et d’une attitude dictée par le timbre, la scansion d’une voix, et une femme est là devant nous: un léger fond sonore accompagne les images : des rues et places de Vire projetées sur le mur du fond, dans le gymnase du lycée agricole en rase campagne. Un joli moment de théâtre documentaire pour révéler les violences subies et le besoin de liberté de ces Pénélopes d’ici ou ailleurs.

Chaque Pénélopes  a été créé in situ : Avant ce tout nouveau  Pénélopes Vire,  il y a eu Pénélopes, à Tarbes, Ulis, Nanterre, Vitry, Lyon et Pénélopes Brétigny verra bientôt le jour. Une forme aujourd’hui rodée avec une semaine d’entretiens, quatre jours de montage et une semaine de répétitions: seul change le texte. «Les femmes, dit Maëlys Ricordeau, quand on leur donne la parole, elles parlent.»

Dans ta peau, texte et mise en scène de Julie Ménard

Moins réussie, cette création de Julie Ménard auquel un public nombreux de jeunes et moins  jeunes assistait dans la grande salle du Préau, L’autrice et metteuse en scène s’est associée au compositeur et interprète Romain Tiriakian pour réaliser ce «conte musical fantastique ». Sybille, chanteuse timide et effacée, inconsolable après la mystérieuse disparition de son amoureux musicien, s´invente un double à son image, change de peau et renaît en vedette androgyne, sous le masque de cet alter ego fantomatique. Léopoldine Hummel incarne avec justesse et énergie cette Sybille hantés par la figure mythique de son amant.

Malgré la qualité de la musique, le talent des interprètes, aussi bons chanteurs que comédiens, une scénographie, des costumes et éclairages réussis, cette fable confuse et à l’écriture laborieuse ne nous a pas convaincu! Dommage car le thème collait parfaitement à celui de la manifestation qui se poursuit encore une semaine

 

 Mireille Davidovici

Jusqu’ au 17 mai  dans le Bocage et au Préau, Centre Dramatique National de Normandie-Vire, 1 place Castel, Vire (Calvados).

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