Cendres sur les mains de Laurent Gaudé, mise en scène d’Alexandre Tchobanoff
Cendres sur les mains de Laurent Gaudé, mise en scène d’Alexandre Tchobanoff
Une pièce inspirée par un fait divers et créée l’an passé dans ce même studio Hébertot. Sur le plateau dans un air empesté de fumigènes dispensés à gogo que nous sommes priés de respirer, bien avant même que le rideau s’ouvre. (Merci M. Tchobanoff pour ce cadeau et ras-le bol des fumigènes maintenant presque dans chaque spectacle! ), un escabeau tel qu’il y en avait dans les années cinquante, des sacs de sable (mais très légers!) pour protéger les tranchées, un arrosoir et une bassine en zinc. Bref, une scénographie du bois dont on ne fait pas les flûtes…
Des fossoyeurs (les impeccables Arnaud Carbonnier et Olivier Hamel) font un travail pas facile, souvent méprisé (les candidats ne se bousculent pas et dans les villages et souvent le maçon est de service) mais dont toute la société a besoin.
Ces hommes sans âge mais plus tout jeunes, parlent, épuisés de leur quotidien et de l’absurdité de leur vie. Sans illusion aucune : -Alors il faut reprendre les va-et-vient, des camions au bûcher et du bûcher à la forêt ? -Oui. -Avec le dos qui se voûte et les bras qui tirent ? -Oui. Nous sommes des chevaux de trait, de pauvres chevaux de trait, exsangues et stupides. » On pense, bien sûr, aux célèbres Vladimir et Estragon d’En attendant Godot… Mais peut-être encore plus désespérés quant au sort de l’humanité.
Mais tiens ici, il y a une femme (Prisca Lona) apparemment morte dont ils tirent le corps sur une toile. Mais elle va se remettre debout un chandelier à la main. Cette sorte d’Ophélie incarne, si on a bien compris, une rescapée de l’enfer des guerres, bombardements de civils, exodes, charniers et autres joyeusetés un peu partout: Syrie, Afrique et maintenant Ukraine et dont notre époque, comme les autres, est si friande!) et aux images distillées en permanence par les journaux télévisés d’Europe.
« J’ai ramassé mes affaires, dit cette rescapée, et j’ai quitté la maison. Ma vie entière tenait en deux valises. Ma vie entière m’encombrait et m’obligeait à m’arrêter souvent pour reprendre mon souffle. J’ai marché le long des routes, avec mes valises, mes sacs et mes couvertures sur moi. J’ai marché Sans savoir où j’allais, Essayant de mettre le plus de terre entre elle et moi. J’étais à pied, Sur des routes de poussière. J’avais peur.»
Bref,un univers pas des plus réjouissants mais superbement mis en écriture par Laurent Gaudé. Une note d’espoir ? Peut-être à la fin, il y a ce beau monologue de la Rescapée: « Je vais dire la longue liste de ceux que j’ai touchés. Les hommes et les femmes viendront m’écouter. Chacun s’approchera pour savoir si, parmi ceux que je dis, il est un proche ou un ami d’autrefois. Oui. Je serai parmi eux Celle dont les mains ont gardé la trace des corps avalés par la guerre. Je vais rester là. Je ne bougerai plus. Je suis épuisée de fumée. Je ne sais plus rien de moi. Un jour, peut-être, quelqu’un, dans ce campement sans fin, me reconnaîtra. Il doit bien rester cela. Quelqu’un qui m’arrêtera, me dira qui je suis et d’où je viens. Il doit bien rester quelqu’un. Je serai patiente. J’attendrai qu’il vienne à moi. Il doit bien y avoir cela, Ici-bas. Quelqu’un pour se souvenir de moi. Et me raconter la vie d’autrefois. »
Mais ce texte à l’écriture ciselée aurait mérité une réalisation moins sèche, plus raffinée, avec une vraie scénographie et de meilleurs éclairages (aïe! cette pénombre permanente au début dans la fumée qui ne sert strictement à rien! et cette lumière rouge à un moment!). C’est con, comme dirait un de nos confrères du Masque et la Plume. Bref, ainsi mis en scène, cette courte pièce (une heure dix) de Laurent Gaudé a bien du mal à prendre son envol. Même si les acteurs font -et très bien- leur travail, il manque une véritable émotion et nous n’avons pas été vraiment convaincus. Enfin, d’ici Avignon, il y a encore du temps pour revoir cette mise en scène. Donc, à suivre…
Philippe du Vignal
Spectacle vu le 11 avril au Studio Hébertot, 78 bis boulevard des Batignolles, Paris (XVII ème).T. : 01 42 93 13 04.
Festival d’Avignon, du 6 au 26 juillet, Théâtre des Carmes, 6 place des Carmes.