Daddy de Marion Siéfert et Matthieu Bareyre mise en scène de Marion Siéfert
Daddy de Marion Siéfert et Matthieu Bareyre mise en scène de Marion Siéfert
Les auteurs se sont documentés avec précision sur les prédateurs sexuels qui sévissent sur les réseaux sociaux. Depuis ses premiers spectacles, Marion Siéfert a mis en scène l’enfance pour faire entendre ses revendications face aux adultes.
Dans Le Grand sommeil, en 2018, une actrice d’une trentaine d’années jouait une fillette de onze ans. Pour Jeanne dark, une adolescente aux prises avec ses ennemis sur les réseaux, l’autrice avait conçu un spectacle dédoublé, à la fois sur scène mais aussi sur Instagram en temps réel. Il obtint, avec mention spéciale, le prix numérique du Syndicat professionnel de la critique de théâtre. Depuis deux ans, Marion Siéfert est artiste associée au Centre Dramatique National d’Angers et au Parvis-Scène nationale de Tarbes.
Ici, Mara a treize ans, habite en province dans une famille où les problèmes d’argent sont quotidiens. Elle rêve de la vie des stars et joue aux jeux vidéo en ligne, où des dizaines de personnes se rencontrent. Elle tombe sur un homme plus âgé, qui l’entraîne dans un autre jeu et il lui offre des gains ou des cadeaux, mais à condition qu’elle se soumette à des épreuves de plus en plus troubles. Ici la réalité numérique où tout s’achète, prend vite le dessus. Ou est le réel, et ce qui ne l’est pas ? La première partie de Daddy, très réussie, est un choc pour les spectateurs d’une société occidentale, dite «civilisée» où sur internet règnent des harcèlements physiques et mentaux comme des crimes pédophiles et les violence faites aux femmes… Jusque là cachés, ils surgissent de plus en plus au quotidien.
« J’avais envie, dit dit Marion Siéfert, de créer une fiction qui mette en rapport les différentes classes sociales dans la France actuelle. Ici, avec Mara, une jeune fille en province dont les membres de la famille aurait pu être des Gilets jaunes qui vont être touchés de plein fouet par la réforme des retraites. » (…) « Comment la machine à rêves fonctionne-t-elle pour une jeunesse connectée au monde via internet, mais laissée à l’écart de tous les dynamismes réels ? Daddy est une pièce sur le pouvoir, sur la prédation des dominants et la manière très particulière dont l’argent peut humilier. «
Spécialement depuis Metoo, on a dénoncé ces harcèlements qui ont aussi lieu dans les milieux artistiques et sportifs. Le titre Daddy est une allusion aux «sugar daddys», ces hommes âgés qui peuvent se payer des jeunes filles souvent mineures et rencontrées sur internet. Ici, Mara, treize ans, formidablement interprétée par Lila Houel (quinze ans), succombera au charme vénéneux de Julien, un jeune prédateur sexuel sur un jeu vidéo en ligne.
Interprété par Louis Peres (vingt-six ans), lui aussi très crédible, il entraîne Mara dans un jeu virtuel auquel nous allons assister. La scène devient ici l’espace d’un abus sexuel sur Mara. Émilie Cazenave, Lou Chrétien-Février, Jennifer Gold et Charles-Henri Wolf sont aussi très justes.
Cette création (trois heures trente avec entracte!) perd dans la seconde partie, sa force dénonciatrice mais elle marquera le public. Qui sera la prochaine victime? Qui arrêtera cette machine numérique mondiale à décérébrer?
Jean Couturier
Jusqu’au 26 mai, Théâtre de l’Odéon, place de l’Odéon, Paris (Vl ème) T. : 01 44 85 40 40.