Médée, d’après Euripide, traduction de Florence Dupont, adaptation et mise en scène de Lisaboa Houbrechts
Médée, d’après Euripide, traduction de Florence Dupont, adaptation et mise en scène de Lisaboa Houbrechts
De mémoire de spectateur cette pièce aura rarement été autant bousculée que par cette mise en scène radicale: texte réduit au minimum dont il ne reste que l’intrigue et non la substance tragique. Et, par volonté d’ancrer Médée dans notre quotidien, la metteuse en scène fait glisser les rôles du masculin, au féminin et la condition racisée de Médée devient l’un des fils conducteurs.
Malgré l’élégance du décor et l’utilisation subtile de lumières et clairs-obscurs, nous ne retrouvons rien ici, des qualités de la belle et troublante pièce lyrique Papa Chat ou comment Dieu a disparu (voir Le Théâtre du Blog) de cette artiste belge associée depuis 2017 à la Toneelhuis d’Anvers. Elle y a réalisé des spectacles musicaux avec pour thème, Peter Brueghel ou le génocide des Roms pendant la seconde guerre mondiale.
A l’avant-scène, un personnage déplore l’enchaînement implacable des événements qui a mené Médée au désespoir : « Médée, humiliée, noyée dans le chagrin. Avec pour leitmotiv : « si seulement tout cela ne s’était pas produit. »
Bakary Sangaré ( on le comprend grâce au programme ! ) interprète la Nourrice. Il a plutôt le rôle d’un narrateur qui regarde, tapi dans l’ombre et qui ponctue dans sa barbe, les événements de ce « si seulement ». Témoin des grandes scènes tragiques où les personnages se déchirent, il commente avec ironie : « C’est charmant ! » Il semble représenter la part sorcière de Médée.
Quand le rideau s’ouvre, un voile s’élève, solennel, au centre du plateau, vers les cintres, sur un cri atroce couvert par une musique tonitruante et laisse apparaître une imposante silhouette vêtue de noir, avec sur la poitrine, un gros cœur rouge feu. Séphora Pondi, puissante mais effondrée. A terre, littéralement, elle maudit Créon, le roi de Corinthe, qui veut l’expulser de son pays, Jason, son homme qui va épouser Créuse, la fille de ce roi et Aphrodite qui lui a planté l’amour dans le cœur afin que, par passion pour Jason, elle l’aide à conquérir la Toison d’or.
Pour lui, et elle le répétera à l’envie, elle a trahi son père, tué son frère, quitté son pays pour un exil douloureux… Loin de sa Colchide, la fille du Soleil, déchue, est une étrangère indésirable qu’on exile avec ses deux fils sans autre forme de procès: Créon lui laisse un seul un jour de délai pour partir.
Un temps suffisant pour étrangler mortellement Aphrodite (Léa Lopez), personnage ajouté à la pièce. Puis rencontrer et maudire le fragile Jason. Dans une dernier corps à corps, il essaye de la ramener à la raison et lui explique qu’il épouse la fille de Créon pour le bien de leurs enfants. Enfin, libérée d’Aphrodite, donc de tout affect autre que la soif de vengeance, elle va assassiner Créuse, la promise de Jason avec un voile empoisonné offert en cadeau de noces. Et, acte suprême annoncé depuis le début, elle poignardera ses enfants, réduits ici à de vulnérables baudruches et à quelques pleurs…
Les acteurs, contraints à entrer dans de belles images, sont souvent dans l’ombre et nous aurions aimé mieux entendre et voir Bakary Sangaré avec ses précieux commentaires.
Séphora Pondi, malgré une gestuelle un peu guindée, réussit à exprimer vocalement la douleur sous toutes ses formes, du cri tétanisant, à la rage sourde, du tremblement, aux larmes de chagrin. « J’ai beaucoup travaillé le son, dit-elle, pour montrer plusieurs facettes du personnage. Les murmures, les cris les pleurs… Il s’agit de passer par plusieurs états et établir ainsi une variation autour de la douleur. » Elle retrouve peu à peu ses mots et sa superbe pour trôner en majesté à Athènes où Egée l’a accueillie.
L’excellente Suliane Brahim nous révèle, avec un jeu nuancé, un Jason inhabituel : fragile et émouvant face à son imposante ex-épouse. Didier Sandre, en Créon, peine, malgré son talent à faire le poids face à Médée: ses lamentations, à la mort de Créuse, nous parviennent difficilement. Engoncés dans des costumes stylisés, entre antique et futurisme, les chœurs de Colchide (Serge Bagdassarian) et d’Athènes (Marina Hands) accompagnés de trois actrices de l’Académie de la Comédie-Française, ont du mal à trouver leur place sur le plateau et n’échangent que quelques paroles…
Malgré un brillant emballage – sobre et élégante scénographie de Clémence Bezat- et de bons acteurs ce Médée n’est pas un cadeau! Il promet du moins d’être clivant.
Mireille Davidovici
Jusqu’au 24 juillet en alternance, Comédie-Française, salle Richelieu, Place Colette Paris (Ier). T . : 01 44 58 15 15.