Molière-matériau(x) de et avec Pierre Louis-Calixte
Molière-matériau(x) de et avec Pierre Louis-Calixte
«Je t’appellerai Jean-Baptiste»: les premiers mots de ce portrait de Molière qui ressemble aussi aussi une confession intime sur l’influence que le grand dramaturge a pu avoir sur l’acteur encore enfant, quand il jouait maquillé en Harpagon dans la salle de classe, puis enfin quand il fut appelé par Muriel Mayette pour reprendre le rôle de Cléante dans Tartuffe à, ce qu’on appelle encore et heureusement, la maison de Molière. Adolescent, il y vit ses pièces avec son autre grand-père. Donc une très ancienne et belle complicité avec le plus grand dramaturge français.
Sur le plateau, une petite table avec une lampe, un fauteuil de salle et un portant avec des costumes. Au sol, quelques livres sur Molière dont il citera quelques extraits. Molière, un dramaturge et un personnage d’exception pour lui comme pour tout Français qui a lu ou au moins entendu quelques répliques. (Nous avions neuf ans seulement quand notre instituteur nous faisait lire les célèbres mots d’ Harpagon : «Ma cassette , ma cassette. »
Molière-matériau(x) est comme une sorte de monologue directement adressé à l’écrivain et acteur qui vécut dans une maison située à l’endroit où se trouve le Studio. «Quelque chose de sa personne privée, dit Pierre-Louis Calixte, que j’aimerais cerner, qui se devine dans ses pièces, comme voilé, entre les lignes, et qui me permettrait d’accéder à celui qu’il était derrière son masque de comédie, à celui qu’il était une fois le rideau tombé. Un rêve donc, une utopie, toujours devant, toujours fuyante, vers laquelle je marche. »
Mais à travers la vie de Molière, que l’acteur tutoie et appelle Jean-Baptiste « comme on le ferait avec un aïeul bienveillant », il a cherché et trouvé des correspondances entre sa vie et la sienne. Et la vie d’un acteur, c’est souvent passionnant. Pierre -Louis Calixte évoque les souvenirs qu’il a de son grand-père, et de sa canne qu’il a sur le plateau. Objets inanimés, avez-vous donc une âme, disait Lamartine. L’acteur raconte comme un signe du destin le canapé qu’il est allé acheter pour meubler sa loge dans un immeuble situé à Auteuil, petit village de campagne à l’endroit même où Molière allait écrire loin des tumultes de la ville. (Au début du XX ème siècle, il y avait encore des vaches place de la Muette ! )
Il raconte aussi qu’Éric Ruf lui avait téléphoné pour lui proposer de faire un hommage à Molière, au moment où, chez ses parents, il voyait les dégâts de la maladie d’Alzheimer sur son père. Une mémoire qui disparait et une autre qu’il allait faire revivre. Comment ne pas être ému par cette coïncidence… Et nous savons tous que les histoires qui ne se racontent plus ou très peu, basculent vite dans l’oubli et surtout celles concernant le théâtre contemporain très fragiles et les représentations de pièces encore plus vite. Qui est ce Jean Vilar dont on voit le nom et le visage partout, nous demandait l’an passé à Avignon un jeune apprenti-comédien. Même chose à Chaillot quelques années seulement après la mort d’Antoine Vitez !
Pierre-Louis Calixte évoque aussi avec une émotion qui gagne vite le public une soirée où trois acteurs du Français dont le grand Daniel Znyk, jouaient à contrefaire le mort. Mais le soir même, celui-ci s’écroulait, victime d’une crise cardiaque dans le hall de son immeuble. Il avait joué notamment dans L‘Opérette Imaginaire de Valère Novarina, Cléante dans le Tartuffe de Molière, mis en scène par Marcel Bozonnet, Géronte dans Le Menteur de Pierre Corneille et L’Espace furieux de Valère Novarina. Et Pierre-Louis Calixte fait aussi le lien avec les mots d’Argan dans Le Malade imaginaire que Molière joua quatre fois seulement avant de mourir: « N’y a-t-il point quelque danger à contrefaire le mort ? » Et l’acteur se souvient sans doute de Louis Jouvet qui avait lu la prière de Willette à la messe du mercredi des Cendres à Saint-Germain-l’Auxerrois pour ceux qui vont mourir dans l’année. Il disparut six mois plus tard…
Et Pierre-Louis Calixte dit aussi avoir rencontré cette fois un personnage: Louis, le narrateur de Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce qui avait monté Le Malade imaginaire de Molière, alors qu’il se savait atteint par le sida. Et l’acteur arrive à faire partager avec le public, une question qui ne cesse de le tarauder. «Quel est l’étrange parcours des mots d’un personnage au-dedans du corps des acteurs ? Qu’est-ce qu’ils y sèment ? Pour engendrer quelles secrètes métamorphoses ?
Ce très bon acteur, sociétaire de la Comédie-Française, a aussi un don merveilleux de conteur et il nous embarque en un peu plus d’une heure dans son aventure humaine et artistique. Et quand il évoque la mort de Daniel Znik juste devant son costume de Cléante et que les couturières ont dû ensuite ajuster pour lui, c’est un grand moment de théâtre.
Mais pourtant cet acteur, des plus expérimentés, a bizarrement par moments une diction approximative et surtout, au début, adopte un rythme saccadé : au neuvième rang de cette petite salle, on l’entendait très mal. A ces réserves près, ce solo très intense qui sonne toujours juste (et garanti sans fumigènes et lumières stroboscopiques!) mérite amplement d’être vu.
Philippe du Vignal
Jusqu’au 11 juin, Comédie-Française, Studio, Galerie du Carrousel du Louvre, place de la Pyramide inversée, 99 rue de Rivoli, Paris (Ier). .T. : 01 44 58 98 41
Le texte est publié aux éditions Actes Sud.