7. 7 7 7

7. 7 7 7…avec un peu de retard

 

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En grec, ἑπτὰ, en basque : zazpi, en japonais: なな (aligato), le chiffre 7 nombre dit premier, est souvent considéré comme magique, voire sacré surtout en Occident. Avec les six jours où dans La Genèse, Dieu a façonné le monde et un de repos, septième aussi le mois d’équinoxe dans l’hémisphère nord. Et le nombre de péchés capitaux mais aussi celui traditionnel des astres. Et le nombre de notes : do, ré, mi, fa, sol, la, si. Mais encore les sept merveilles du monde dans l’Antiquité. 

Et le septentrion : Nord, le nom de la  Petite Ourse  appelée par les Romains septem triones (sept bœufs). Et n’en jetez plus, il y a aussi côté jeu, celui des sept familles, la somme des faces opposées d’un et le chiffre  le plus probable quand on joue avec deux dés.
Côté septième art, tout le monde connait  
Sept ans de malheur (1921) de et avec Max Linder, Blanche Neige  et les sept nains  (1937), La Maison des spept péchés (1954) d’Akira Kurosawa, Sept ans de réflexion (1955) de Billy Wilder et bien entendu Le Septième Sceau (1956) d’Ingmar Bergman... Mais pour le théâtre? Seul le conteur Pépito Matéo a créé une suite de sept monologues avec sept personnages dans sept situations étranges, et en référence aux sept péchés capitaux.

Tout cela pour en arriver à 7.777, le nombre d’articles publiés dans Le Théâtre du Blog depuis dix ans. Et l’occasion de remercier d’abord chaleureusement Claudine Chaigneau qui a assuré depuis le début la gestion technique et la mise en page. Sans elle, rien n’aurait été vraiment possible.
Et tous nos lecteurs qui, jour après jour, et toute l’année, se tiennent quotidiennement au courant de l’actualité du théâtre, de la danse, du cirque, de la magie… et aussi des livres et revues. Comme tous les magazines,
Le Théâtre du Blog a connu quelques mois difficiles avec la pandémie de covid mais sans qu’il y ait bizarrement une véritable influence sur la fréquentation. Malgré la fermeture des salles et lieux de spectacle. Et tous nos collaborateurs  se sont efforcés de ne pas laisser la page blanche et ont continué à envoyer des papiers.

Programmer un magazine de façon régulière n’est pas toujours chose facile et nous tenons à remercier les attachées et attachés de presse des petits et grands théâtres, des festivals en France comme à l’étranger et les professionnels qui nous ont été fidèles et nous ont toujours aidé.
Et un grand merci également tous ceux qui ont écrit et/ou continuent à écrire, de façon régulière ou non des articles, en particulier, nos correspondants à l’étranger. En toute indépendance, ce qui devient rare dans la presse ! « Les critiques ne sont jamais assez sévères et le théâtre, disait Louis Jouvet, c’est un domaine où les êtres et les choses touchent enfin à la liberté. »
Presque un siècle, ces mots sonnent encore plus juste en France mais aussi chez nos proches voisins…

Philippe du Vignal


Archive pour mai, 2023

Adieu Jean Hurstel

Adieu Jean Hurstel

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Ces dernières années auront été rudes: Robert Abirached, Peter Brook, Georges Banu, Lucien Attoun et avant-hier Jean Hurstel… les valeurs théâtrales du XX ème siècle disparaissent…
Cet Alsacien de quatre-vingt quatre ans fut en 59 un des élèves de l’
Ecole  du Centre Dramatique de l’Est devenu Théâtre National de Strasbourg.
Jean Hurstel, militant communiste, codirigea le Centre d’Action Culturelle de Montbéliard, puis celui de Saint-Avold, le Théâtre des Lisières à Strasbourg et l’association Banlieues d’Europe.
De 1991 à 2003, il dirige le Centre européen de la jeune création à Strasbourg, puis crée en 1990 le réseau Banlieues d’Europe, aujourd’hui disparu. Il était aussi devenu président des Halles de Schaerbeek à Bruxelles en 2006.

Fondateur du théâtre universitaire de Strasbourg, il avait aussi fait des études de philo. Dans les quartiers ouvriers de Peugeot et dans le bassin houiller lorrain, il avait une passion : faire bouger les lignes du théâtre…
Il portait très haut l’utopie d’un théâtre du lien et de la critique sociale. Il théorisa ses idées notamment dans Une Utopie culturelle où il constatait que l’édifice,
cinquante après la création du ministère dirigé par André Malraux s’essoufflait, alors que jamais la Culture n’avait joué un rôle aussi important. Avec des friches industrielles se métamorphosant en territoires d’art et des banlieues où naissaient d’autres ferments de culture en France mais aussi dans toute l’Europe. L’esentiel étant pour lui de s’intéresser d’abord aux public concernés

Jean Hurstel dirigea aussi entre autres,un ouvrage collectif qui fait encore référence : La Place et le rôle de la fête dans l’espace public: nouvelles fêtes urbaines et nouvelles convivialités en Europe. Adieu Jean, et merci pour ce que tu auras apporté à la vie du théâtre contemporain.

Jacques Livchine
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odirecteur avec Hervée de Lafond du Théâtre de l’Unité à Audincourt (Doubs).

Room, conception, musique originale et mise en scène de James Thierrée


Room, conception, musique originale et mise en scène de James Thierrée

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Ce créateur a la même passion pour les objets que son père, auteur et metteur en scène du fabuleux Cirque imaginaire (voir Le Théâtre du Blog).
Ici montés sur des châssis sur roulettes, de hauts pans de murs d’un salon avec miroir au mercure et cheminée et qui a dû autrefois être celui d’une belle demeure.Magistralement patinés et mis en circulation par toute une équipe de techniciens à qui le spectacle doit beaucoup.

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Acrobate virtuose, musicien et acteur, James Thierrée a créé de remarquables spectacles -tous au Théâtre de la Ville- dont sa célèbre Symphonie du hanneton, à vingt-quatre  ans. Il en a maintenant le double;  ses cheveux sont gris, toujours aussi frisés et en bataille.
Mais il a toujours aussi cette gestuelle fabuleuse.
Room est surtout orienté vers la musique mais aussi la corps et il chante le plus souvent en s’accompagnant au synthé, avec dix jeunes et moins jeunes interprètes et chanteurs jouant chacun de plusieurs instruments: Anne-Lise Binard: alto, violoncelle, Mathias Durand: voix, guitares, basses, piano, tempura… Hélène Escriva: euphonium, trompette basse…Steeve Eton : saxophone, voix, clarinette, clarinette basse, flûtes, percussions… Maxime Fleau: clarinette, batterie et percussions, contre-ténor…Il y aussi Ching-Ying Chien et Nora Horvath, danseuses. Et Samuel Dutertre : jeu et danse.« J’ai toujours eu conscience, dit-il, que la musique portait mes spectacles. Mais toujours sur bandes-son enregistrées. Cette fois, j’ai voulu qu’elle soit au cœur du spectacle. »
Ces bons musiciens-chanteurs sont moins convaincants quand ils doivent jouer des dialogues assez pauvrets. Et entre ces châssis que l’on change de place sans arrêt, les chansons en anglais et des moments acrobatiques de James Thierrée, le spectacle part un peu dans tous les sens et souffre d’un réel manque d’unité. Et cet « action painting comme il dit un peu abusivement, créé à partir d’un butin amassé: décor, accessoires, chorégraphies, musiques, personnages idées jetées sur le papier, ne fonctionne pas vraiment …

Un architecte et créateur (James Thierrée lui-même) semble dessiner des plans avec un assistant mais dit-il « dans Room, la chambre ne sait pas qui elle est , elle se cherche d’une certaine manière. Ses murs fuient tout le temps. »
A un moment, comme dans un élan du cœur, le personnage que joue James Thierrée se pose la question : «Où est la dramaturgie? »Mais son auteur, lui, aurait dû se la poser avant! C’est bien là où  Room spectacle fait surtout problème. Ici, nous sommes dans une sorte de théâtre dans le théâtre, un thème pas vraiment original… remontant au XVI ème siècle. Et les gags, souvent un peu lourdingues, ne font pas vraiment rire et sont dignes d’une mauvaise comédie musicale.
Ainsi tout d’un coup, la salle est entièrement plongée plusieurs minutes dans le noir. James Thierrée répète jusqu’à plus soif à l’éclairagiste: «Rallume la lumière. Non. Pourquoi/ Parce que/ Je te dis de rallumer la lumière : Non /Pourquoi /Parce que. Et il finit par faire allumer une barre fluo blanc au dessus du synthé, laquelle clignote sans arrêt… Comment croire une seconde à de tels procédés usés jusqu’à la corde ? Et James Thierrée aurait pu nous épargner des fumigènes qui n’ont rien à faire là comme des lumières stroboscopiques : deux stéréotypes qui sévissent actuellement.Il y a pourtant de magnifiques images: on le voit assis contre le mur seul, désespéré dans ce grand salon abandonné, aux murs gris et, à un moment juste éclairé par deux petites ampoules.
Ou ces pans de murs et ce plafond en toile qui semblent avoir une vie autonome mais que James Thierrée n’en finit pas de faire circuler. alors que ses personnages sont, eux, assez statiques. La mise en place est très précise mais les images souvent répétitives (la répétition dans un théâtre surtout presque muet est tout un art, et là on est loin du compte). Comme il y a plusieurs fausses fins exaspérantes, le spectacle repart mais bancal… Et ce Room se termine, plus qu’il ne finit.

James Thierrée a une gestuelle et une maîtrise de l’espace toujours aussi impeccables mais il a bien du mal à gérer le temps scénique et cabotine un peu, comme pour essayer de remplir un scénario assez vide de sens. Ces  deux heures se laissent voir (il se passe toujours quelque chose sur le plateau) mais restent bien longuettes. Et -il ne le fera sans doute pas- ce Room aux qualités visuelles indéniables et et techniquement parfait, gagnerait beaucoup si son auteur voulait bien éliminer des gags encombrants et vus un peu partout. Vers la fin, ce Room piétine et il faudrait qu’il fasse aussi des coupes sérieuses pour gagner au minimum quelque trente minutes.
James Thierrée n’est pas n’importe qui et il a souvent prouvé qu’il pouvait inventer un nouveau langage scénique avec pas, ou très peu d’oralité, et avec comme ici, des chansons et des parties chorégraphiées. Mais ici, il a raté son coup et Room, malgré des moyens techniques importants, est  prétentieux et très décevant. Le public était visiblement partagé: certains spectateurs applaudissaient de bon cœur (quelques-uns même debout), les autres, pas dupes, très mollement, voire pas du tout.
Alors à vous de voir: les places correctes sont chères: 30 à 45 €… Donc, oui, si vous êtes des inconditionnels de James Thierrée mais sinon cela ne vaut pas le coup…

 Philippe du Vignal

 Jusqu’au I er juin, Théâtre du Châtelet (Théâtre de la Ville hors-les murs), 1 place du Châtelet, Paris (Ier). T. : 01 40 28 28 40.

Danse dans les nymphéas par le Ballet de Lorraine

 Danse dans les nymphéas par le Ballet de Lorraine

Le ballet lorrain a été  invité avec deux courtes pièces. Un  lundi par mois, le Musée de l’Orangerie à Paris programme des chorégraphies contemporaines (répertoire et création), devant Les Nymphéas de Claude Monet:  ces huit fresques aquatiques  trouvent ainsi dans le mouvement des corps un nouvel éclairage. Avec des artistes comme François Chaignaud, Carolyn Carlson, Noé Soulier, Fabian Barba, ou des compagnies  comme le Ballet de Lorraine, le  C.N.D.C. d’Angers ou la compagnie Trisha Brown. 

 Twelve Ton Rose, chorégraphie de Trisha Brown, musique d’Anton Webern

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Réalisée en 1996 à l’Arsenal de Metz, ce ballet a été recréé l’an passé par la Trisha Brown Dance Company avec le Centre Chorégraphique National- -Ballet de Lorraine. Second opus du « cycle musical » de la chorégraphe américaine,  il se réfère, par son titre, à « twelve ton rows  » (dodécaphonisme), une forme de composition musicale empruntée par Anton Webern à Arnold Schönberg.  expérimentales, dit Kathleen Fisher, répétitrice de la compagnie Trisha Brown. »

 Sur les Cinq mouvements pour quatuor à cordes, op. 5 et sur les Quatre pièces pour violon et piano, op. 7 et le Quatuor à cordes, op. 28, dans les sobres costumes noir et rouge de Burt Barr, six danseuses et six danseurs combinent une phrase unique conçue pour cette pièce, avec des mouvements puisés dans le vaste vocabulaire de Trisha Brown.
Les positions géométriques des bras et les jeux précis de pieds et doigts, contrastent avec les arabesques glissées, les cabrioles, la décontraction mesurée de ces improvisations structurées. Soit vingt-huit minutes denses, avec ensembles, duos et solos d’une belle fluidité.
Dans ce même esprit, la chorégraphie enjambe les phrases musicales du quatuor à cordes ou du duo piano/violon en un mouvement perpétuel. Elle est comme libérée de la partition mais en résonance avec elle. Les interprètes habitent avec talent cette danse abstraite et ludique à la fois et la proximité des corps permet de distinguer la personnalité de chaque interprète.

Access to pleasure, chorégraphie et interprétation: Petter Jacobsson et Thomas Caley

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© Ballet de Lorraine

  Sur Put the blame on Mame, la fameuse chanson de Rita Hayworth dans Gilda (1946), puis sur des airs de jazz et dans le style music-hall de l’époque, ces complices dansent, en miroir l’un avec l’autre. Une rencontre ironique entre la voix féminine d’un sexe-symbole d’hier, et les corps masculins d’aujourd’hui. Décalage : «Cette imitation d’un classique de la danse est une sorte de reprise, une version très personnelle où on peut interroger les notions de beauté, âge, et genre »,  disent les auteurs de ce duo vaudevillesque. Une performance de dix minutes en forme de clin d’œil au glamour et aux clichés genrés.

 Mireille Davidovici

 Spectacle vu le 20 mai au Musée de l’Orangerie, Jardin des Tuileries, Paris (Ier).
Danse dans les Nymphéas le 19 juin: Sept vies de Nach et Ruth Rosenthal.

Le Ballet de Lorraine ouvrira le festival Paris l’été au Musée du Louvre, dans la cour Lefuel , le 10 et 11 juillet avec Static Shot de Maud Le Pladec, (voir Le Théâtre du blog). T. : 01 44 94 98 00.

Ça Dada ,écriture et mise en scène d’Alice Laloy

Ça Dada ,écriture et mise en scène d’Alice Laloy 

2018-02 Cie Sappel Reviens Tjéâtre de Montreuil ÇA DADA  spectacle de Alice LaloyScéno Jane JoyetMusique Eric Recordieravec Eric Caruso, Stéphanie Farison et Marion Verstraetenavec la voix de Valérie Schwarcz

©Elisabeth Carecchio_

 L’esprit Dada imprègne la pièce de cette metteuse en scène qui avait créé un remarquable Pinocchio (Live) au festival d’Avignon et Untitled,  tohu-bohu débridé, au théâtre Mouffetard où elle fut artiste associée (voir Le Théâtre du Blog). Alice Laloy s’interroge ici sur les traces de cette révolution artistique et veut explorer ce qu’il en reste, un siècle plus tard.
«Tzara a trouvé le mot Dada le 8 février 1916 à 6 heures du soir,  dit Hans Arp, et j’étais présent avec mes douze enfants, quand Tzara a prononcé pour la première fois ce nom qui a déchaîné en nous un enthousiasme légitime. Cela se passait au Café de la Terrasse à Zurich et je portais une brioche dans la narine gauche. »

Ici, trois acteurs créent un lien actif avec le jeune public qui reçoit de petits messages, au hasard de jets de lance-pierre. Ils posent aussitôt la règle du jeu avec des formules à l’emporte-pièce, issues de ce mouvement artistique: «Nous allons manger Dada, qui mange Dada meurt, s’il n’est pas Dada. « Dada est né dans la caca dans le chaos. »

Et les battements de tambour, harmonisés par Éric Recordier, accompagnent cette fronde  selon les préceptes «négativistes» d’Hugo Ball et Richard Huelsenbeck en 1915: «Nous ne nous occupons avec amusement, que de l’aujourd’hui. Nous voulons être des mystiques du détail, des taraudeurs et des clairvoyants, des anti-conceptionnistes et des râleurs littéraires. »

Dada est né sur les restes de la première guerre mondiale et ses créateurs espéraient faire table rase du vieux monde. Ici, les interprètes commencent par démolir de minces parois érigées sur le devant de la scène. « La métamorphose de l’espace devient la première structure du spectacle, dit la metteuse en scène. L’écriture est bâtie sur la progression des acteurs dans un décor évolutif. Au fur et à mesure, les parois seront repoussées, les frontières s’éloigneront. Se créent alors, de nouveaux territoires à investir. »

De ces ruines, les acteurs tirent objets et étranges mannequins. Et des machines bizarres, conçues par Davide Cornil et François-Xavier Thien, sillonnent le plateau, comme ces catapultes qui lancent des coulées d’encre sur une bâche ou des micros qui font entendre des textes lettristes. Puis «un grand jeu de rien» sera proposé aux enfants mais on n’y gagne rien et il ne sert à rien.

Alice Laloy a fait le pari de semer le désordre sur un plateau face à un public aussi réactif. Mais elle maîtrise les codes et ne verse jamais dans l’incohérence, tout en s’autorisant toutes les fantaisies, libertés, folies et quelques petits gestes osés qui font bien rire: Éric Caruso retire son pantalon, Stéphanie Farison et Marion Verstraete se livrent à des contorsions clownesques. Et l’une ou l’autre parade, affublée d’une grande tête et d’une queue de cheval,  «au galop au-dessus de la vie » (Dada est aussi le sobriquet de ce noble quadrupède).

La scénographe Jane Joyet a créé un espace qui s’ouvrira au fur et à mesure pour finit sur une galerie de tableaux académiques tous identiques (des natures mortes) qui se détachent des parois et se délitent comme par enchantement. Remplacés à la fin par des coupures de journaux collées sur le mur du fond qui formeront un immense puzzle coloré, où s’inscrit :  »Dada est vivant. » De quoi offrir des idées aux jeunes spectateurs : «Prenez un journal, prenez des ciseaux, découper des mots, mettez-les dans un grand sac et, piochés au hasard, ils composeront un poème qui vous ressemble. »

À travers un chaos d’inventions sonores et visuelles, Ça Dada est en accord avec la tendance naturelle des enfants à utiliser tout ce qui est à leur portée pour créer avec ciseaux, marteau, peinture, colle… Ici, ils participent avec fougue à un réjouissant tintamarre..

S’Appelle Reviens, compagnie créée en 2002 par Alice Laloy est installée depuis janvier à Dunkerque. Elle prépare avec des jeunes de cette ville pour septembre prochain une nouvelle version de Pinocchio(live) qui sera présentée au Festival mondial de marionnettes à Charleville-Mézières, puis en tournée. Suivra Le Ring de Katharsy 1.0, «récit dystopique grand format où se jouent à nouveau les limites du réel et du vivant» créé  au Théâtre de Gennevilliers, dans le cadre du Festival d’automne 2024.

Mireille Davidovici

Jusqu’au 27 mai, T 2G, 41 avenue des Grésillons, Gennevilliers (Hauts-de-Seine). T. : 01 41 32 26 26.

S’appelle Reviens, 60 rue du Fort Louis, Dunkerque (Nord). T. : 03 28 61 85 85.

Une Saison en enfer d’Arthur Rimbaud, mise en scène d’Hervée de Lafond et Jacques Livchine

Une Saison en enfer d’Arthur Rimbaud, mise en scène d’Hervée de Lafond et Jacques Livchine

© Brigitte

© Brigitte Briet

Il y a longtemps que ce poème trottait dans la tête de Jacques Livchine: «Si seulement je pouvais expliquer le magnétisme qu’exercent ses textes… Rimbaud, tu ne l’aimes pas, tu ne l’apprécies pas, tu ne le dégustes pas, tu ne le savoures pas mais, de façon naturelle, il t’envahit, le monstre.  Et surtout Une Saison en enfer, tu ne la comprends pas… Elle s’incruste.
Soixante ans que je la fréquente et un jour, j’ai décidé de m’accaparer le texte en l’apprenant par cœur. (…) Rimbaud sort de son corps, une histoire d’amour déjantée et qu’il regrette, il vomit, il crache, c’est un texte sans ossature réelle. En perpétuel mouvement, il aime la religion puis la foule aux pieds. Il tente de se comprendre lui-même, se fouette.
Bizarrement, il écrit à dix-neuf ans, sa mort d’infirme des pays chauds. Alors voilà, c’est un combat, une bataille, un corps à corps une empoignade.
 Dans la bouche, 7.464 mots comme des balles de fusil que je projette sur des pauvres innocents. Un paysage parsemé de pièges tels les mines dans les zones de combat. Et bien sûr, la légende, le mythe, le mauvais garçon, le marginal. À vingt ans il arrête, considérant que la littérature n’est que “rinçures”. Et il ne jette plus aucun mot sur papier, il ne sera pas écrivain de salon, il le dit : je déteste tous les métiers.  Mais il sera un homme vivant. Le théâtre n’est peut être pas essentiel, mais Rimbaud lui, l’est. »

Rendez-vous donc avec le Théâtre de l’Unité et une vingtaine de participants à Roche, à quarante kms de Charleville-Mézières. Devant une petite maison rénovée par Patty Smith, chanteuse, poète et peintre américaine, initiatrice du mouvement punk rock et grande admiratrice de Rimbaud. Elle l’a prêtée pour qu’elle serve de loges aux acteurs de ce spectacle itinérant. A côté, un mur envahi par le lierre : tout ce qui reste de la ferme familiale de madame Rimbaud née Cuif, avant qu’elle n’aille habiter avec ses enfants à Charleville-Mézières. Mais le poète y reviendra plus tard. «Quelle horreur que cette campagne française! Mon sort dépend de ce livre pour lequel une demi-douzaine d’histoires atroces sont encore à inventer. Comment inventer des atrocités ici ? »

Après une n ième dispute avec Verlaine, il y écrira pourtant Une Saison en enfer dans un grenier de la ferme maternelle. Mais le texte une fois édité à Bruxelles, Arthur Rimbaud s’en ira en Orient où il mènera une vie d’aventurier et de commerçant, pour revenir mourir à Marseille. Il avait trente-sept ans. Comme lui, nous allons prendre le chemin à travers champs et prairies pour aller à la gare de Voncq dans les bois. Il en partait pour rejoindre Paris, Bruxelles, l’Allemagne…
Hervée de Lafond, est à la fois récitante et interprète la mère d’Arthur, une femme autoritaire et très admirative de son fils. Et Jacques Livchine, Faustine Tournan, Marie-Leila Sekri, Alexandre Santoro vont s’emparer de ce texte monument de la littérature française. Clément Dreyfus abrité sous un grand parapluie les suit et diffuse la musique qu’il a écrite à partir d’extraits de morceaux classique ou pas.
 Cela dure presque deux heures mais on ne voit pas le temps passer, le chemin est boueux mais la forte pluie et le vent se sont calmés, il y a un beau ciel bleu chargé de cumulus, les oiseaux chantent… Et nous suivons, munis d’un tabouret en tôle pour écouter assis, les acteurs, seuls ou parfois en chœur, dire la presque totalité de cette œuvre. Diction et gestuelle parfaites (mention spéciale à Faustine Tournan): nous entendons magnifiquement bien ces vers inoubliables de ce jeune poète qui s’est arrêté d’écrire à vingt ans.  


Mise en scène de haute volée: Hervée de Lafond et Jacques Livchine ont toujours le même sens de l’image avec trois fois rien mais d’une rigueur absolue comme ces personnages  vêtus de noirs foulant l’herbe vert acide du printemps et disant du Rimbaud… Nous repensons aux vers de Sensation: Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,Picoté par les blés, fouler l’herbe menue: Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds. Je laisserai le vent baigner ma tête nue. »

De telles images ne sont pas à la portée de tous les metteurs en scène : il faut pour arriver à cette beauté, des années d’expérience et de pratique en salle mais surtout en plein air. Un travail sans filet et très réussi, où les deux metteurs en scène arrivent à créer une complicité entre les spectateurs /marcheurs. Comme dans ce fabuleux Vania à la campagne de Tchekhov  du Théâtre de l’Unité que nous avions vu il y a presque vingt ans, assis sur des bottes de paille dans la belle prairie verte d’une ferme à Porrentruy en Suisse et joué ensuite dans des cadres différents, quelque quatre-vingt fois. Avec, au lointain, absolument imprévus, les bruits et chansons d’un mariage, puis la sirène d’un petit train…
Il y a ici, dans cette façon de créer une réalité poétique, du Tadeusz Kantor, celui de 
La Classe morte (1975) ou de Wielopole, Wielopole (1980) et du Bob Wilson au temps où il savait imaginer de formidables images, comme pour le célèbre Einstein on the beach (1976) où il y avait aussi l’image d’un train…
A la toute fin, après deux heures que nous n’avons pas vues passer, nous arrivons doucement sur un étroit chemin goudronné. Hervé de Lafond, assise en tête sur son tabouret, demande le silence absolu. Sagement alignés les uns derrière les autres comme des enfants, nous obéissons et voyons arriver de nulle part et s’éloigner de plus en plus cinq silhouettes noires. Magnifique image chapelinesque… 

CFTSA-4-2012-08-05Nous les retrouverons quelques minutes plus tard à l’ancienne et curieuse  gare de Voncq, allongés sur la voie ferrée… Puis nous serons conviés à boire une petite absinthe en l
honneur d’Arthur Rimbaud. Une ballade en sa compagnie et celle du Théâtre de l’Unité qui se mérite, mais que nous ne regrettons pas.
Si tous les spectacles avaient cette exigence artistique, cette poésie et cette intensité, le théâtre français, au lieu de se cantonner trop souvent à une série de monologues ou adaptations approximatives de romans ou nouvelles, y gagnerait beaucoup.  Une Saison en enfer sera jouée au festival de Chalon: surtout ne la ratez pas. Mais il serait étonnant que ce spectacle ne soit pas repris ailleurs…

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 13 mai, à Roche (Ardennes).

Le 20 et 22 juillet, festival de Chalon (Saône-et-Loire).

Les 28 et 29 juillet, Aix-Les-Thermes ( Ariège).

Les 3 et 4 décembre, Harrar (Ethiopie).

 

Daddy de Marion Siéfert et Matthieu Bareyre mise en scène de Marion Siéfert

 

Daddy de Marion Siéfert et Matthieu Bareyre mise en scène de Marion Siéfert

Les auteurs se sont documentés avec précision sur les prédateurs sexuels qui sévissent sur les réseaux sociaux. Depuis ses premiers spectacles, Marion Siéfert a mis en scène l’enfance pour faire entendre ses revendications face aux adultes.
Dans 
Le Grand sommeil, en 2018, une actrice d’une trentaine d’années  jouait une fillette de onze ans. Pour Jeanne dark, une adolescente aux prises avec ses ennemis sur les réseaux, l’autrice avait conçu un spectacle dédoublé, à la fois sur scène mais aussi sur Instagram en temps réel. Il obtint, avec mention spéciale, le prix numérique du Syndicat professionnel de la critique de théâtre. Depuis deux ans, Marion Siéfert est artiste associée au Centre Dramatique National d’Angers et au Parvis-Scène nationale de Tarbes.

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© Matthieu Bareyre

Ici, Mara a treize ans, habite en province dans une famille où les problèmes d’argent sont quotidiens. Elle rêve de la vie des stars et joue aux jeux vidéo en ligne, où des dizaines de personnes se rencontrent. Elle tombe sur un homme plus âgé, qui l’entraîne dans un autre jeu et il lui offre des gains ou des cadeaux, mais à condition qu’elle se soumette à des épreuves de plus en plus troubles. Ici la réalité numérique où tout s’achète, prend vite le dessus. Ou est le réel, et ce qui ne l’est pas ? La première partie de Daddy, très réussie, est un choc pour les spectateurs d’une société occidentale, dite «civilisée» où sur internet règnent des harcèlements physiques et mentaux comme des crimes pédophiles et les violence faites aux femmes… Jusque là cachés, ils surgissent de plus en plus au quotidien.
« J’avais envie, dit dit Marion Siéfert, de créer une fiction qui mette en rapport les différentes classes sociales dans la France actuelle. Ici, avec Mara, une jeune fille en province dont les membres de la famille aurait pu être des Gilets jaunes qui vont être touchés de plein fouet par la réforme des retraites. » (…) « Comment la machine à rêves fonctionne-t-elle pour une jeunesse connectée au monde via internet, mais laissée à l’écart de tous les dynamismes réels ? Daddy est une pièce sur le pouvoir, sur la prédation des dominants et la manière très particulière dont l’argent peut humilier. «
Spécialement depuis Metoo, on a dénoncé ces harcèlements qui ont aussi lieu dans les milieux artistiques et sportifs. Le titre Daddy est une allusion aux «sugar daddys», ces hommes âgés qui peuvent se payer des jeunes filles souvent mineures et rencontrées sur internet. Ici, Mara, treize ans, formidablement interprétée par Lila Houel (quinze ans), succombera au charme vénéneux de Julien, un jeune prédateur sexuel sur un jeu vidéo en ligne.
Interprété par Louis Peres (vingt-six ans), lui aussi très crédible, il entraîne Mara dans un jeu virtuel auquel nous allons assister. La scène devient ici l’espace d’un abus sexuel sur Mara. Émilie Cazenave, Lou Chrétien-Février, Jennifer Gold et Charles-Henri Wolf sont aussi très justes.
Cette création  (trois heures trente avec entracte!) perd dans la seconde partie, sa force dénonciatrice mais elle marquera le public. Qui sera la prochaine victime? Qui arrêtera cette machine numérique mondiale à décérébrer?

Jean Couturier

Jusqu’au 26 mai, Théâtre de l’Odéon, place de l’Odéon, Paris (Vl ème) T. : 01 44 85 40 40.

Athéna Panagoulis (Αθηνάς Παναγούλη Επιτάφιος) de Yannis Soldatos, mise en scène de Kostis Kapelonis

Athéna Panagoulis (Αθηνάς Παναγούλη Επιτάφιος) de Yannis Soldatos, mise en scène de Kostis Kapelonis

Ce spectacle fait partie du projet: Mon fils… où sont mis en scène des monologues de mères de personnages grecs importants comme ici, Alexandros Panagoulis (1939-1976), figure de proue de la lutte contre la dictature, à travers les souvenirs de sa mère, avec, en commentaire, les événements les plus importants de notre histoire récente.

©Panagoyli

©Panagoyli

Le texte de Yannis Soldatos est un récit fort et riche en informations, à l’émotion maîtrisée et sans facilités ou didactisme. Les matériaux (documents et photos de la famille Panagoulis) ont été tirés du livre de Kostas Mardas. Kostis Kapelonis a enrichi le spectacle de photos, images de films et autres documents précieux qui en renforcent l’esprit politique. Il faut signaler l’efficacité de la musique de Stavros Siolas sur les vers de Panagoulis. Mania Papadimitriou, cette très grande actrice, crée ici un personnage exceptionnel: la mère de Panagoulis et elle sait nous toucher profondément. Un spectacle à ne pas manquer ! 

Nektarios-Georgios Konstantinidis

Théâtre Vault, 26 rue Melenikou, Athènes. T. : 0030 213 0356472.

Le texte de Yannis Soldatos est publié aux éditions Aigokerws.

 

 

Biennale internationale des Arts de la Marionnette La Simplicità ingannata , de et avec Marta Cuscunà (en italien surtitré)

Biennale internationale des Arts de la Marionnette 2023

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©Alessandro Sala Cesuralab

La Simplicità ingannata de Marta Cuscunà (en italien surtitré)

L’artiste italienne, invitée avec trois spectacles à la B.I.A.M., est seule en scène comme dans Sorry Boys, mais cette fois, elle nous réserve un amusant prélude avant de faire corps avec ses marionnettes: des têtes alignées comme des oiseaux sur une branche.

En robe de mariée, elle nous invite dans l’Italie du XV ème siècle et décrit la condition des jeunes filles qu’il faut marier à tout prix, moyennant une dot versée à l’époux et qui dépend de leur beauté, et surtout de leur soumission. Economiquement parlant, avoir une fille n’est pas une bonne affaire : marchandise périssable, elle se déprécie avec l’âge, et si aucune homme ne se porte acquéreur, ou si l’on ne peut la doter suffisamment, ce sera le couvent. Ainsi Angela qui boite, est placée à six ans chez les sœurs avec la promesse de félicité. Mais, au moment de renoncer au monde pour épouser le Christ, elle découvre avec horreur le cloître. Le titre : La Simplicité trahie renvoie à la tragédie de ces filles mariées au Christ contre leur gré.

Mais tout n’est pas perdu et, en deuxième partie, les marionnettes vont nous raconter la résistance des Clarisses d’Udine ( Frioul), à peu près à la même époque. Ces religieuses italiennes ont transformé leur couvent en espace de contestation libéré des dogmes religieux et de la culture machiste : une histoire d’émancipation collective impensable pour l’époque !

Marta Cuscunà construit ses spectacles à partir d’éléments historiques. Pour la première partie de cette pièce, elle se réfère à L’Inferno monacale, témoignage d’Arcangella Tarabotti (1604-1652). Cette écrivaine et religieuse vénitienne rapporte, à l’aune de son vécu, la tragédie des moniales cloîtrées de force.

Mais l’actrice en tire une charge amusante contre la société patriarcale. De même qu’elle met en boîte la misogynie de l’église catholique quand elle raconte l’histoire des insoumises d’Udine, telle qu’elle l’a lue dans Lo spazio del silenzio où l’historienne Giovanna Paolini publie les minutes du procès en hérésie intenté en 1590 par l’Inquisition contre ces Clarisses.

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©Alessandro Sala Cesuralab

Les têtes parlantes des six religieuses, animées avec maestria, sont confrontées au méchant Barbaro, inquisiteur à la figure patibulaire, à qui Marta Cuscunà prête aussi voix et expressions menaçantes. Les Clarisses se sont instruites malgré les interdits de l’Eglise, et sont capables de ruser et de jouer les bécasses, seront innocentées…. Courte victoire mais signe, pour Marta Cuscunà, qu’ensemble, les femmes sont capables de s’organiser et de vaincre :  » La simplicità ingannata n’est pas un documentaire mais un projet où le théâre donne aussi la possibilité de trahir le fait établi ou au moins de la considérer comme un point de départ permettant de rebondir sur une histoire qui a comme sujet principal la société, les femmes et les hommes qui la composent. « 

La scénographe Elisabetta Ferrandino a donné à ces nonnes, qui ne sont pas sans rappeler les figures aux yeux effarés de Tim Burton, une personnalité correspondant au caractère de chacune. Ces délicieuses poupées, serrées les unes contre les autres « comme des oiseaux piégés dans la glue », selon Marta Cuscunà, ont beaucoup à nous dire sur la sororité.

Dans tous ses spectacles, Marta Cuscunà a fait le choix d’être seule avec ses personnages: au début, dit-elle, pour des raisons budgétaires mais ensuite elle a pris goût à faire entendre une multitude de voix et, quand le corps n’est plus suffisant au besoin d’un chœur, elle se glisse comme ici , derrière ces têtes auto-portées pour aller à l’essentiel : l’expression des visages et des voix et elle passe ainsi  très vite de l’une à l’autre… `

Après avoir vu ces deux spectacles déjà anciens, nous avons hâte de découvrir d’autres pièces de cette artiste aux multiples visages.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 16 mai au Théâtre Mouffetard, Centre national de la marionnette 73 rue Mouffetard Paris (Vème). La B.I.A.M. se poursuit jusqu’au 4 juin. : T. 01 84 79 44 44.

Cendres sur les mains de Laurent Gaudé, mise en scène d’Alexandre Tchobanoff

Cendres sur les mains de Laurent Gaudé, mise en scène d’Alexandre Tchobanoff

Une pièce inspirée par un fait divers et créée l’an passé dans ce même studio Hébertot. Sur le plateau dans un air empesté de fumigènes dispensés à gogo que nous sommes priés de respirer, bien avant même que le rideau s’ouvre. (Merci M.
Tchobanoff pour ce cadeau et ras-le bol des fumigènes maintenant presque dans chaque spectacle! ), un escabeau  tel qu’il y en avait dans les années cinquante, des sacs de sable (mais très légers!) pour protéger les tranchées, un arrosoir et une bassine en zinc. Bref, une scénographie du bois dont on ne fait pas les flûtes…

Des fossoyeurs (les impeccables Arnaud Carbonnier et Olivier Hamel) font un travail pas facile, souvent méprisé (les candidats ne se bousculent pas et dans les villages et souvent le maçon est de service) mais dont toute la société a besoin.

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Ces hommes sans âge mais plus tout jeunes, parlent, épuisés de leur quotidien et de l’absurdité de leur vie. Sans illusion aucune : -Alors il faut reprendre les va-et-vient, des camions au bûcher et du bûcher à la forêt ? -Oui. -Avec le dos qui se voûte et les bras qui tirent ? -Oui. Nous sommes des chevaux de trait, de pauvres chevaux de trait, exsangues et stupides. » On pense, bien sûr, aux célèbres Vladimir et Estragon d’En attendant Godot… Mais peut-être encore plus désespérés quant au sort de l’humanité.
Mais tiens ici, il y a une femme
(Prisca Lona) apparemment morte dont ils tirent le corps sur une toile. Mais elle va se remettre debout un chandelier à la main. Cette sorte d’Ophélie incarne, si on a bien compris, une rescapée de l’enfer des guerres, bombardements de civils, exodes, charniers et autres joyeusetés un peu partout: Syrie, Afrique et maintenant Ukraine et dont notre époque, comme les autres, est si friande!) et aux images distillées en permanence par les journaux télévisés d’Europe.
« 
J’ai ramassé mes affaires, dit cette rescapée, et j’ai quitté la maison. Ma vie entière tenait en deux valises. Ma vie entière m’encombrait et m’obligeait à m’arrêter souvent pour reprendre mon souffle. J’ai marché le long des routes, avec mes valises, mes sacs et mes couvertures sur moi. J’ai marché Sans savoir où j’allais, Essayant de mettre le plus de terre entre elle et moi. J’étais à pied, Sur des routes de poussière. J’avais peur.»

Bref,un univers pas des plus réjouissants mais superbement mis en écriture par Laurent Gaudé. Une note d’espoir ? Peut-être à la fin, il y a ce beau monologue de la Rescapée: « Je vais dire la longue liste de ceux que j’ai touchés. Les hommes et les femmes viendront m’écouter. Chacun s’approchera pour savoir si, parmi ceux que je dis, il est un proche ou un ami d’autrefois. Oui. Je serai parmi eux Celle dont les mains ont gardé la trace des corps avalés par la guerre. Je vais rester là. Je ne bougerai plus. Je suis épuisée de fumée. Je ne sais plus rien de moi. Un jour, peut-être, quelqu’un, dans ce campement sans fin, me reconnaîtra. Il doit bien rester cela. Quelqu’un qui m’arrêtera, me dira qui je suis et d’où je viens. Il doit bien rester quelqu’un. Je serai patiente. J’attendrai qu’il vienne à moi. Il doit bien y avoir cela, Ici-bas. Quelqu’un pour se souvenir de moi. Et me raconter la vie d’autrefois. »

Mais ce texte à l’écriture ciselée aurait mérité une réalisation moins sèche, plus raffinée, avec une vraie scénographie et de meilleurs éclairages (aïe! cette pénombre permanente au début dans la fumée qui ne sert strictement à rien! et cette lumière rouge à un moment!). C’est con, comme dirait un de nos confrères du Masque et la Plume. Bref, ainsi mis en scène, cette courte pièce (une heure dix) de Laurent Gaudé a bien du mal à prendre son envol.  Même si les acteurs font -et très bien- leur travail, il manque une véritable émotion et nous n’avons pas été vraiment convaincus. Enfin, d’ici Avignon, il y a encore du temps pour revoir cette mise en scène. Donc, à suivre…

 Philippe du Vignal

Spectacle vu le 11 avril au Studio Hébertot, 78 bis boulevard des Batignolles, Paris (XVII ème).T. : 01 42 93 13 04.

Festival d’Avignon, du 6 au 26 juillet, Théâtre des Carmes, 6 place des Carmes.

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