L’Homme de plein vent de Pierre Meunier, Hervé Pierre et Marguerite Bordat

L’Homme de plein vent de Pierre Meunier, Hervé Pierre et Marguerite Bordat

 L’un s’envole, l’autre pas. Et ils continuent à marcher ensemble  quelques décennies plus tard. Pierre Meunier et Hervé Pierre (les deux faces d’une même pièce) reprennent chacun la fonction qu’ils on créée ensemble en 1996 puis repris en 2019.

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Le professeur Leopold von Fligenstein (Pierre Meunier né de la Volière Dromesko dont on ne vous dira pas tout). C’est une belle histoire du théâtre des années quatre-vingt dix et il faut avoir les vécues pour en comprendre la richesse et les résonances. Les oiseaux sont lourds mais s’envolent pour la plupart, à l’exception justement du marabout des Dromesko : cela donne des idées…
On dira que les comédiens ne sont pas sérieux, et  que le désir de voler est un histoire de fous, mais franchement, quand au C.N.R.S., existe un Laboratoire de Gravitation et Cosmologie Relativiste, et un autre de Matériaux Désordonnés et Hétérogènes Pierre Meunier en a fait le siège avec succès pour en savoir plus sur la gravité. On se demande si la science est bien raisonnable et on finit par croire aux mythes du savant fou. À côté, le théâtre, finalement….

Mais du sérieux, à la gravité, il n’y a qu’un pas. L’Homme de plein vent n’est pas le premier de Pierre Meunier, auteur mais une étape dans sa guerre à la gravité. Une autre fut Le Tas : le suspense le plus tendu qu’on ait vu au théâtre dans les cinquante dernières années (à quel moment une bâche peu à peu remplie de pierres va-elle craquer sur la tête du comédien ? Et par quelle pirouette va-t-il échapper à ce sort tragique ?
Le Chant du ressort fut l’étape la plus bondissante: à l’aide de puissantes orbes de métal, La Bobine de Ruhmkorff ,  une visite passionnée d’un cabinet de curiosités scientifiques avec la magie des anciens instruments brillant de laiton astiqué. Bref, toujours la matière, toujours la science, la recherche, la surprise et le sérieux qui n’est pas la gravité.

Don Quichotesques, le professeur Leopold Von Fligenstein et son ami Kustch (Hervé Pierre qui a quitté la Comédie-Française) essayent d’échapper à la pesanteur. L’un avec plus de conviction que l’autre, attaché au plancher des vaches.
 Cette salle est bien choisie pour cette quête, avec ses cintres, perches, guindes, haubans et harnais qui permettent aux acteurs de s’envoler, mais aussi ses planches où on prend pied fermement.  C’est aussi un terrain d’expérience, plein de tuyaux, poids, pains de fonte, boules de pétanques et d’un fameux ressort récalcitrant.
Tout cela chante, crie, grince, s’oppose à l’envol, ou bien en contrepoids, l’autorise. Les acteurs caressent le métal comme un animal familier ou essayent de le dresser, le rangent, le soumettent, le craignent ou lui échappent avec une souplesse et une virtuosité parfaites. Un énorme crochet pendu aux cintres peut leur effleurer l’oreille : ça ira, ils continueront sereinement leurs tâches et leur chemin….

Ce n’est pas qu’un jeu avec la matière où ils se relaient et Jeff Perlicius, leur marin organise pour eux (mais jamais contre eux ou alors, avec leur complicité) la partition de tout ce gréement. Mais il y a aussi un jeu d’amitié entre ces personnages, le Terrien aidant, contre ses convictions « l’Aérien» à s’envoler, quitte à lui faire croire qu’il s’envole. Et ils ont une philosophie : garder ou ne pas garder  les pieds sur terre , renoncer à l’utopie ou persister, se soumettre ou non au poids d’un réel discutable, prendre le temps sans en perdre !
Et ils ont encore beaucoup d’autres choix à faire, sans lâcher au moins sur un point : faire une place au soulèvement. Donc, vers le haut… Pierre Meunier et Hervé Pierre ont pris du galon, depuis la première version du spectacle en 1996 et ont sans doute perdu en force musculaire. Mais il leur en reste bien assez pour créer des moments de grâce, pensée, rire, et silence et le public suspend son souffle.
Ils évoluent parmi un fatras de ferrailles sonores et puissantes qui tirent justement leur beauté de n’être-elles même… Une blague modeste, au passage : «Soyez vous-même, les autres sont déjà pris ».  Ici tout est vrai, matières, objets, sons et hommes. L’Homme de plein vent est une grande œuvre d’art plastique mais le théâtre, lui ôte la la solennité dans un rapport modeste et urgent avec un public sidéré, captivé et fraternel. Le spectacle ne ressemble à rien et, en cela, il est beau et profond.

Christine Friedel

Jusqu’au 26 mai, Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette, Paris ( XI ème). T. : 01 43 67 20 47.


Archive pour mai, 2023

Invisibles ! montage et mise en scène de François Rancillac, chorégraphie de Valérie Glo, chef de chœur : Arnaud Guillou

Invisibles ! montage et mise en scène de François Rancillac, chorégraphie de Valérie Glo, chef de chœur : Arnaud Guillou

5e Saison - FB - Couv Evnt - 2

© François Rancillac

Trip, comme voyage, mais aussi un acronyme: T.R.I.P., Troupe Itinérante Pluridisciplinaire. Réuni sous l’égide de la Maison des Pratiques Artistiques Amateures (M.P.A.A.) (voir Le Théâtre du Blog), ce collectif d’une quarantaine de personnes tout au long de la saison théâtrale a assisté à des spectacles, rencontré les artistes et participé à des ateliers de jeu.  En juin, il présente une pièce inspirée de celles vues au Théâtre de la Colline, au Mouffetard, et autres théâtre partnaires.

Cette année, la M.P.A.A avait choisi comme thématique « les invisibles »: celles et ceux qui n’ont pas les mots pour dire les choses, ou que l’on ne sait pas écouter… Qui sont «différents» . Ou encore ceux qui, en première ligne et sous les projecteurs pendant le covid,  semblent être à nouveau  transparents…

Chacun a son mot à dire dans la succession de saynètes composée par François Rancillac et rythmée par des intermèdes chorégraphiées, vaste chœur dansant et chantant. Fil rouge de la pièce: Le Vilain petit canard de Hans Christian Andersen,  métaphore de celui qui, pas comme les autres, se trouve, à tort, laid et rejeté.

En deux heures, ces artistes amateurs s’engagent à fond pour défendre des textes qui nous parlent de maladie mentale, vie dans un E. P. H.A.D, homoparentalité, inversion des rôles dans un couple… Avec les mots d’Ahmed Ben Rahdi (A nos espoirs), des Filles de Simone (Derrière le hublo, se cache parfois le linge), de Joël Pommerat (Chambre froide), de Yann Verbrugh (La Nouvelle) Ronde), de Gaëtan Gatien de Clérambault (Etudes psychiatriques), des auteurs rencontrés par ce collectif dans les théâtres partenaires.

Une réalisation rondement menée et sans autre prétention que de témoigner, avec humour, bonne humeur et générosité, du parcours de la T.R.I.P. La mise en scène a été bouclée en deux week-ends et quatre jours de répétition mais chacun peut affirmer sa présence et les séquences chorales dansées et chantées sont tout à fait cohérentes. Un résultat probant et joyeux et l’expérience sera renouvelée l’an prochain. Les candidats sont invités à se présenter à la M.P.A.A. .

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 13 mai, à l’Auditorium Saint-Germain, 4, rue Félibien, Paris (VI ème). .

Festival Les Remontantes, Scènes de mai jusqu’au 3 juin dans les M.P.A.A. de Paris: La Canopée, T. : 01 85 53 02 10 ; Saint Germain,T. :01 46 34 68 58 ; Bréguet, T. : 01 85 53 03 50 ; Broussais, T. :01 79 97 86 00  et Saint-Blaise, T. : 01 46 34 94 90.

Tartuffe de Molière, traduction d’Andreas Staïkos, mise en scène de Yannis Dalianis

Tartuffe de Molière, traduction d’Andreas Staïkos, mise en scène de Yannis Dalianis 

Sans doute dans l’intention d’attaquer le parti dévot et, en particulier, les membres de l’influente Compagnie du Saint-Sacrement, Molière a-t-il voulu peindre un hypocrite prêchant la religion la plus austère pour mieux profiter de la naïveté de sa future victime.
Tartuffe parvient ainsi à s’introduire dans la maison d’Orgon, un grand bourgeois dont il veut capter la fortune et séduire l’épouse. Deux camps se forment alors: Orgon et sa mère, Madame Pernelle qui croient en la sincérité de cet imposteur.
Mais Dorine, la fidèle servante,  Elmire, l’épouse et Damis et Marianne, les enfants d’Orgon, son beau-frère, Cléante et sa femme Elmire sont eux beaucoup plus lucides. Leurs actions combinées finiront par ouvrir les yeux d’Orgon, mais trop tard! Tartuffe a déjà pris possession de la maison , grâce à un acte qu’il a discrètement fait signer à Orgon. Mais un deus ex machina, en l’occurrence, Louis XIV lui-même, sauvera au dernier moment le patrimoine de cette famille.

© Patroklos Skafidas

© Patroklos Skafidas

Yannis Dalianis nous offre un spectacle moderne, plein de musique et de couleurs, dans une version qui respecte l’esprit du texte. Mais en dialoguant avec l’actualité. Belles trouvailles, jeux de mots, scènes improvisées et allusions discrètes rappellent et commentent l’abus de pouvoir, les harcèlements sexuels et tous les côtés négatifs de la vie politique contemporaine. Le rôle de Valère, le jeune amoureux de Marianne, a été supprimé: selon le metteur en scène, il retardait l’évolution  de la pièce… Marianne, elle, devient une vivante-morte qui se sacrifie et Damis, un homosexuel. Et il y a très intéressant, un rôle-surprise: le valet de Tartuffe qui reste silencieux quand à  la fin, il dévoile ses vraies intentions. Le metteur en scène utilise les chansons d’Elvis Prisley comme moyen de séduction.
Le jeu des comédiens est plein de brio et d’énergie et Manos Karatzoyannis incarne un Tartuffe exceptionnel. Il réussit à bien mettre en valeur le sarcasme et l’obscurité de ce personnage complexe. Une adaptation à ne pas manquer.

Ce spectacle est dédié à la mémoire du grand metteur en scène Lefteris Voyatzis, mort en 2013. Il avait mis en scène L’Ecole des Femmes et Le Misanthrope, que le public et la critique avait beaucoup appréciés. Et il avait aussi joué le rôle de Tartuffe sous la direction de Spiros Evaggelatos. 

Nektarios-Georgios Konstantinidis 

Théâtre Stathmos, 55 rue Victor Hugo, Athènes. T. : 0030210523026 https://www.youtube.com/watch?v=-RxsSdZdcnI

Irrésistible Offenbach de Bruno Druart et Patrick Angonin, mise en scène d’Anne Bourgeois

Irrésistible Offenbach de Bruno Druart et Patrick Angonin, mise en scène d’Anne Bourgeois

Un beau rideau rouge de cet ex-cinéma devenu un petit théâtre (d’habitude, c’était plutôt le contraire!) s’ouvre et le spectacle commence sur Belle Nuit, ô nuit d’Amour de La Barcarolle, un opéra fantastique de Jules Barbier et Jacques Offenbach. Avec tous les personnages de cette pièce. Nous sommes dans le bureau du compositeur qui était aussi mais on le sait moins, le directeur du théâtre des Bouffes Parisiens dont la scène est  évoquée avec quelques châssis à l’envers et une belle toile peinte dans le fond.
Le thème : les dix dernières années de sa vie, moins connue que ses célèbres opérettes. Ce personnage fantasque et haut en couleurs, excellent musicien, avait nombre d’amoureuses, dépensait sans compter, et cherchait sans cesse à éponger ses dettes.

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  Amandine, sa secrétaire dévouée fait preuve d’une insolente autorité (Claudine Barjol), Pitou, son fidèle régisseur grognon (Daniel-Jean Colloredo et son vieil ami, un ancien soldat (David Le Roch) l’entourent. Comme sa muse, la brillante et insupportable cantatrice Hortense Schneider (Héloïse Wagner) qu’il finit par renvoyer mais qui réapparait à la fin.
Mais aussi de jeunes actrices et chanteuses qui feraient l’impossible pour être recrutées par le maître. Comme cette jeune fille sortie d’un couvent  et donc un peu naïve (Alexie Ribes)  à qui Jacques Offenbach fait passer une audition. Un peu naïve sans doute mais qui saura ensuite très bien le séduire: un bon moment de cette pièce.

Anne Bourgeois a choisi Jean-Paul Farré pour être Jacques Offenbach.  Une belle idée: cet acteur qui a récemment créé Dessine-moi un carré  (voir Le Théâtre du Blog), a une véritable passion pour la musique et joue aussi du piano.
Ici, à peu près toujours en scène, il s’amuse beaucoup à recréer ce personnage excentrique et savoureux. Côté diction et gestuelle, il est vraiment impeccable et tient tout le spectacle. Le reste de la distribution et la direction d’acteurs sont assez inégaux et le texte, souvent pauvret… Et on oubliera vite le semblant de scénographie et les costumes un peu tristounets.
Mais cela peut se voir avec plaisir si on n’est pas trop exigeant. Mais nous aurions quand même bien aimé entendre un peu plus les airs de Jacques Offenbach, que lors de petits intermèdes…Bref, on reste sur sa faim. Dommage.

Philippe du Vignal

Théâtre de Passy,  95 rue de Passy, Paris ( XVI ème). T. : 01 82 28 56 40.

Daphnis et Chloé de Maurice Ravel, version piano, chorégraphie de Florent Mélac

Daphnis et Chloé de Maurice Ravel, version piano, chorégraphie de Florent Mélac

Dans sa version orchestrale, ce ballet avait été chorégraphié par Michel Fokine avec la troupe des Ballets russes, au théâtre du Châtelet à Paris en 1912. Mais Serge Diaghilev retira les chœurs, ce qui entraîna une rupture entre Maurice Ravel et lui.

Ici, la musique au piano, remarquablement interprétée par Claire-Marie Le Guay, nous fait voyager avec Hanna O’Neill et Florent Mélac, parmi les œuvres exposées au musée d’Orsay et les vidéos des rochers de la forêt de Fontainebleau. Ce qui magnifie les corps de ces athlètes de la danse.

© J. Benhamou

© J. Benhamou

L’anatomie sculpturale de Florent Mélac se confond avec les personnages des grands tableaux. Celle d’Hanna O’Neill, qui vient d’être nommée danseuse-étoile à l’Opéra de Paris, rappelle la finesse de certaines sculptures en marbre du musée d’Orsay. Le côté pastoral de l’œuvre est renforcée par un film tourné au milieu de ces rochers qui finissent par ressembler à une création d’Anselm Kiefer.

Portés exacts, pas de deux fluides et l’entente entre les interprètes est totale. On ressent leur réel bonheur à évoluer ensemble, en fusion avec la musique. L’éveil amoureux de ces adolescents mythiques devient ici une évidence et la proximité avec les spectateurs ajoute un supplément d’âme à cette soirée très réussie.

Jean Couturier

Spectacle vu le 11 mai à l’auditorium du Musée d’Orsay, 1 rue de la Légion d’Honneur, Paris (VII ème). T. : 01 53 63 04 63.

Le 14 mai à 15 h.

Sirènes, mise en scène et jeu d’Hélène Bertrand, Margaux Desailly, Blanche Ripoche

Sirènes, mise en scène et jeu d’Hélène Bertrand, Margaux Desailly, Blanche Ripoche

 

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Trois jeunes femmes nues entrent sur le plateau où il y a quelques modules en polystyrène expansé et de gros ballons à moitié dégonflés. Un petit poste de radio noir transmet des informations incompréhensibles.
L’une est grande avec une longue chevelure blonde, l’autre aussi grande mais avec une  longue chevelure brune et la troisième, tout aussi grande, mais aux cheveux coupés très courts et laqués. Chacune enfile sa queue de sirène et elles vont se balader dans un silence complet, juste souligné par un fond de musique électronique. C’est un peu long, mais tellement loufoque… Elles se regardent, se caressent, et la brune va dévorer avec rage et délice un gros poisson en plastique. Une des autres sirènes se met à chanter un petit air ridicule.

Puis elles se maquillent. Celle aux cheveux courts se fait une barbe et des moustaches noires.L’autre se met du rouge aux pommettes et la troisième se peint le visage tout en rose bonbon… Puis elles se demandent: qu’allons-nous faire de nos mythes? Et en particulier, celui de la sirène, celle qui essayait de séduire Ulysse évoqué ici vite fait avec une colonne corinthienne et une toile blanche servant de voile. Puis, arrivera sur le plateau un grand et beau tableau façon XIX ème représentant un bateau sur une mer agitée… histoire de nous raconter une autre histoire. « Mi-femme mi-animal, la sirène, disent les actrices et metteuses en scène, est dans notre imaginaire collectif, une représentation du féminin associée au glamour, à l’érotisme, à la tentation, à la cruauté, ou encore à la naïveté voire à l’idiotie… »

Hélène Bertrand, Margaux Desailly et Blanche Ripoche ont bien compris que la mythologie de la Grèce antique faisait encore sens pour nous Occidentaux du XXI ème siècle et en ont fait un des bases de leur premier spectacle: ces histoires écrites par des hommes pouvaient être aussi de merveilleuses bases de lancement pour un règlement de compte, écrit, mis en scène, éclairé, sonorisé exclusivement… par des femmes.
«Il s’agit de mettre à nu des fantasmes millénaires sur le féminin mais aussi sur le sauvage et la façon dont l’humain s’acharne à domestiquer corps humains ou animaux pour en faire des êtres de divertissement. (..) Sirènes secoue notre patrimoine fictionnel pour laisser advenir, qui sait, de nouveaux récits et de nouveaux liens au sein du vivant. »

Il y a ici, dans cette mise en scène et ce jeu aussi intelligents que sensibles c’est à dire presque impeccables, juste ce qu’il faut de dérisoire, onirisme, absurdité et humour. Mais aussi, par moments, une belle louche de merveilleux, comme ces minutes exceptionnelles de poésie où un gros poisson parle au micro dans son langage de poisson, aussitôt traduit en français par une des sirènes.
Monique Wittig, célèbre écrivaine féministe que nous avons un peu connue, si elle était encore de ce monde, aurait chaleureusement applaudi, comme le public, ce petit spectacle hors-normes, d’une rare poésie, et encore une fois très bien réalisé.

Un belle surprise en ce mois de mai théâtral pas toujours fructueux… Que deviendront ces trois sirènes singulièrement douées après leur première création, si les gros requins du théâtre ne les mangent pas? Le meilleur à coup sûr:  elles l’auront et le méritent amplement.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 15 mai, Théâtre Gérard Philipe-Centre Dramatique National 59 boulevard Jules Guesde, Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). T. : 01 48 13 70 00.

Biennale des Arts de la Marionnette Move on over Or we’ll move on over you(L’Atelier des Black Panthers), texte et mise en scène de Stéphanie Farison

Vanguard of the revolution © Jeanne Bodelet


Biennale des Arts de la Marionnette 2023

Move on over or we’ll move on over you (L’Atelier des Black Panthers), texte et mise en scène de Stéphanie Farison

Le collectif F 71 interroge une fois de plus l’histoire d’hier pour éclairer les luttes d’aujourd’hui et l’«exaspération de notre sensibilité de tous les jours».  Avec un spectacle ayant pour titre un slogan des Black Panthers et un chant révolutionnaire (en français: « Passez à autre chose, ou nous passerons à autre chose », la metteuse en scène, nous emmène dans l’imprimerie imaginaire de ce mouvement d’autodéfense (Party for Self Defense) né à Oakland (Californie) en 1966.

Ici, trois militants vont fabriquer une affiche, tout en évoquant les actions menées contre le racisme et la répression, pour la dignité de la communauté noire américaine. Suspendues à des fils, de grandes et belles images  couvertes de slogans sèchent. Joris Avodo, Maxence Bod et Camille Léon-Fucien élaborent la prochaine sérigraphie et discutent idéologie et ligne politique, en dialoguant aussi avec le public. La mise en scène s’appuie autant sur le texte, que sur l’iconographie et la fabrication d’une affiche : composition, insolation à la lumière, tirages… 

L’image, support concret des débats militants, traduit les positions politiques et la présence d’armes sur les affiches pose question : provocation ou signe d’autodéfense ? Dans leur matériel de propagande et leurs slogans, les Black Panthers revendiquent le droit à porter des armes comme tout citoyen des Etats-Unis, selon le deuxième article de la Constitution.
A mesure que le mouvement s’enracine dans tous les Etats avec « contre-patrouilles» armées et comités d’entraide populaire, le F.B.I. lui, multiplie attaques et arrestations… Comment revendiquer son identité noire, comment trouver des espaces de protestation, quand toutes les formes d’expression vous sont successivement ôtées, et interdites ? Comment rêver et écrire « un poème noir dans un monde noir » ?
Faut-il répondre à la violence des «pigs» par la violence? Autant de thèmes que les acteurs abordent et renvoient aux spectateurs, quelquefois de façon un peu trop pédagogique.

Le texte et les argumentations parfois traînent en longueur surtout vers la fin mais, les problématiques exposées, nous découvrons sous un autre jour la genèse et l’histoire de ce mouvement étouffé par la répression. Et nous ne nous lassons pas de voir ce ballet de châssis, la manipulation des encres et des instruments, l’accrochage des affiches fraîchement imprimées, la beauté et l’invention des images.  L’espace scénographique proposé par  Lucie Auclair donne libre cours à ce déploiement visuel. La création sonore d’Eric Recordier et les airs chantés par Camille Léon-Fucien, les slogans repris en choeur, accompagnent discrètement la narration.
Au croisement du théâtre documentaire et du théâtre d’objets, ce spectacle nous replace dans une époque d’effervescence socio-politique et de création collective qui éclaire aussi la nôtre. Il devrait, au fil des représentations et avec quelques coupes, trouver son allure de croisière.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 11 mai, Théâtre au fil de l’eau, 20 rue Delizy, Pantin( Seine-Saint-Denis)

 Du 5 au 7 décembre, Théâtre de la Manufacture, Nancy ( Meurthe et Moselle).

Le 9 février 2024, Centre Culturel Jean Houdremont, La Courneuve (Seine-Saint-Denis)
Le 10 mars 2024 dans le cadre du festival MARTO , Théâtre Firmin Gémier, Antony (Hauts-de Seine)
La B.I.A.M.  se poursuit jusqu’au 4 juin, Théâtre Mouffetard, Centre national de la marionnette. T. : 01 44 64 82 33

 

Résistance(s), texte et mise en scène de Jean-Bernard Philippot

Résistance(s), texte et mise en scène de Jean-Bernard Philippot

Un spectacle joué en français, mais aussi un seul jour en allemand par des  acteurs bilingues: Clément Bernard, Agathe Heidelberger, Alex Gangl, Marie Recours, Anna Maceda, Marcel Korenhof, Lili Markov, Charles Morillon et Raphaël Plockyn.

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Une jeune Picarde, Doucette, fille de cheminot, cache une amie juive et fait véridique-une jeune Allemande, Sophie Scholl, jeune militante avec son frère Hans, du mouvement La Rose Blanche qui va distribuer des tracts entre Stuttgart et Munich, contre le régime nazi.
Ces jeunes femmes ont choisi avec courage leur destin: rejoindre la Résistance dans leur pays, malgré un antisémitisme galopant, de nombreuses arrestations, puis des déportations.
Les interrogatoires vont se succéder et elle devront se justifier devant les autorités allemandes. Mais Doucette, en particulier, a du mal à les persuader que son combat à elle, est parfaitement juste. Toutes les deux savent bien qu’elle mettent leur vie en danger pour rester au service d’un idéal démocratique. Et vers la fin, il y a un rappel des camps avec des prisonniers vêtus des trop célèbres veste et pantalons rayés.

Et cela donne quoi? Le texte est souvent un peu laborieux: on ne fait jamais du vrai théâtre avec de bons sentiments. Seuls quelques dialogues arrivent à émerger comme celui où un officier allemand interroge Doucette. Et la scénographie n’est pas du bois dont on fait les flûtes :avec une barrière rouge et blanche pléonastique, des jets de fumigènes, de grands châssis en toile triangles blancs qui réunis, formeront à la fin l’étoile de David… Les acteurs font leur boulot mais cela irait mieux si sur ce grand plateau, la musique jouée en direct et presque en permanence au synthé, à l’accordéon et à la guitare, ne couvrait leurs voix. Il y a une belle fin avec Liberté le célèbre poème de Paul Eluard.
Un spectacle honnête mais qui demanderait à être encore travaillé. Il a au moins le mérite de faire un travail de mémoire sur une triste période de l’Histoire de France et d’Allemagne, et peut-être donnera-t-il des envies de la recréer au théâtre à de jeunes metteurs en scène…
Après tout, cette histoire n’est pas si loin et nous a marqué: pouvoir absolu de la Kommandantur, soldats allemands dans les rues, descente aux abris pendant les bombardements, fusées V 2 dans le ciel, marché noir et tickets de rationnement et, à la Libération, son du gros bourdon de Notre-Dame de Paris en août 44, défilé sur les Champs-Elysées avec de Gaulle. Mais aussi un souvenir épouvantable: camions où debout, étaient exposées aux sifflets et crachats, les femmes amoureuses ou supposées telles qui avaient été tondues, puis retour des prisonniers… Dans une France pauvre aux nombreux logements détruits, et encore traumatisée, qui avait du mal à repartir. 

Philippe du Vignal

Jusqu’au 28 mai, les jeudi, vendredi à 19h et les samedi et dimanche à 14 h 30: en français.Et les samedi à 19 h,  en allemand.
Théâtre de l’Épée de Bois, route du Champ de Manœuvre, Cartoucherie de Vincennes. T.  : 01 48 08 39 74.
Métro : Château de Vincennes. Attention: pas de navette mais bus 112.

Bleu, Petit opéra de chambre à plumes, conception de Damien Bouvet, texte et mise en scène d’Ivan Grinberg (à partir de quatre ans)

Biennale internationale des arts de la marionnette

Bleu, Petit opéra de chambre à plumes, conception de Damien Bouvet, texte et mise en scène d’Ivan Grinberg (à partir de quatre ans)

 Sur le plateau noir, deux grands pupitres avec des morceaux de partition déchirée set ressemblant à des arbres dont l’un sera en effet un arbre et l’autre, une tour. Entre une sorte de chefd’orchestre avec chaussures, pantalons et T. shirt noir.
Comme dans de nombreux contes de fées, il est question d’une très jeune, adorable, fraîche et belle princesse nommée Florine, parce qu’elle ressemble à Flore et de Truitonne, sa demi-sœur, elle, très méchante.
Quand survient le prince Charmant… Ebloui par Flore, il en est vite très amoureux. Mais Truitonne est inconsolable de n’avoir pas la préférence et la fait enfermer en haut de la tour, pendant le séjour de Charmant. Et bien entendu, le prince amoureux, qui sera transformé en oiseau bleu pour sept ans, retrouvera quand même sa bien-aimée…

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Ivan Grinberg qui a écrit ce «petit opéra de chambre à plumes» conçu par Damien Bouvet qui va interpréter une version très édulcorée et mal écrite du conte bien connu L’Oiseau bleu de Marie-Catherine d’Aulnoy (1650-1705) qui, on l’oublie souvent, est aussi une bonne autrice contemporaine de Charles Perrault… mais plus critique de la noblesse, que lui,.
Reste à savoir comment faire passer un texte inspiré de ce conte sur un plateau avec un seul acteur, à la fois récitant et manipulateur, d’autant plus que le metteur en scène indique ce spectacle comme étant un théâtre gestuel et d’objets. Le spectacle est bien rodé et Damien Bouvet a une excellente diction, une bonne gestuelle et une solide technique de manipulation héritée du maître Philippe Genty.
Oui, mais voilà, le compte n’y est pas du tout sur le plan artistique : récit dit sur une musique presque permanente comme pour soutenir un texte médiocre,
mise en scène laborieuse (nous aurons même droit à une petite dose de fumigène), objets dénués de toute poésie (non signés) pour figurer les personnages (comme avec deux baudruches roses ou un gros pompon bleu) d’une rare laideur.
Un théâtre d’objets, c’est d’abord et surtout un artiste qui sait opérer un décalage avec des objets quels qu’ils soient, fabriqués ou naturels, pour créer des personnages poétiques.
A cette représentation scolaire, les enfants de C.P. se prenaient parfois au jeu mais leurs accompagnateurs s’ennuyaient ferme. Quelqu’un de la Biennale, et/ou du Théâtre Dunois, a-t-il vu ce
Bleu, avant de le programmer? En tout cas, un spectacle à éviter… par les petits qui ont pourtant droit au meilleur et par les plus grands qui ne vont pas au théâtre pour s’ennuyer.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 18 mai, Théâtre Dunois, 7 rue Louise Weiss, Paris (XIII ème). T : 01 45 84 72 00.

Biennale internationale des arts de la marionnette Sorry Boys de Marta Cuscunà

Biennale internationale des arts de la marionnette

Sorry Boys de Marta Cuscunà

Onzième édition de la biennale avec, en coup d’envoi, un spectacle venu d’Italie.  Et elle se clôturera avec un Bal marionnettique conçu par la compagnie Les Anges au plafond. Entre temps, une grande diversité de spectacles, dans trente lieux d’Ile de France, principalement à Paris. Notamment trois de Marta Cuscunà qui avait déjà joué Sorry Boys en 2020 aux Chantiers d’Europe du Théâtre de la Ville et qu’on a plaisir à découvrir ou à revoir.

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© alessandro-salace

Des têtes s’alignent: côté jardin des garçons, et côté cour, plusieurs personnages d’adultes. Ces têtes prendront vie entre  les mains expertes de l’artiste démiurge: seule en scène, on la devine derrière les châssis d’où émergent ces visages. Le titre (en français: « Désolées, les gars! » s’adresse comme un pied de nez à une bande de gamins immatures qui discutent sexe et films d’action et aussi à ces parents qui s’agitent par ces têtes interposées, inquiets pour leurs filles disparues. La cause de cet émoi : dix-huit lycéennes  de moins de seize ans,  toutes  enceintes ont signé un « pacte secret de grossesse » pour élever leurs enfants ensemble dans une communauté de femmes. 

 Tirée d’un fait divers survenu au lycée de Gloucester (Massachusetts) petite ville du Massachusetts en 2000, la pièce nous invite à rire des remous créés par cette initiative féministe « révolutionnaire», et un téléphone géant affiche sous forme de textos, les échanges entre les jeunes filles. On suit donc  l’évolution de leur grossesse mais sans jamais les voir… Seuls les témoignages des autres nous narrent leur aventure.

Tout ce petit monde s’agite et nous apprécions la virtuosité de Marta Cuscunà à animer seule cette foule de personnages, passant de l’un à l’autre avec une célérité remarquable. Elle prête ainsi à chaque visage en latex une expression et une voix particulière.

Sorry Boys, résolument polémique, met en boîte des gamins plutôt couillons: ignorants qu’ils sont de la sexualité et abreuvés de films pornos ils ne comprennent rien à leur copines. Leur sexisme ordinaire se nourrit des clichés masculins du cinéma hollywoodien. Les parents ne valent guère mieux, avec leur prêchi-prêcha conservateur et leur peur du lendemain. Les conversations tournent vite à l’affrontement politique. Seul, Joseph Sullivan, le proviseur du lycée semble entendre le projet des lycéennes et, avec l’infirmière, leur facilite la tâche en secret… Il les aide à fuir et lui revient le mot de la fin : «Elles avaient un drôle de sourire quand elles sont parties ».

Ce sourire, explique la marionnettiste surgie de l’ombre, est une réponse aux boucheries perpétrées par les hommes. Nous recevons cinq sur cinq le message de Marta Cuscunà qui s’est engagée à défendre l’indépendance et la résistance féminine, d’autant plus qu’elle le fait avec humour. Nous sommes curieux de découvrir ses deux autres pièces.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 10 mai au Carreau du Temple, 4 rue Eugène Spuller, Paris (III ème) T. : 01 83 81 93 30

Les 13 et 14 mai, Canto della caduta de Marta Cuscunà, salle Jacques Brel, 42 avenue Edouard Vaillant, Pantin (Seine-Saint-Denis). 

 Les 16 et 17 mai La Simplicita ingannata de Marta Cuscunà, Le Mouffetard, 73 rue Mouffetard Paris (Vème). T. : 01 84 79 44 44.

La B.I.A.M. se poursuit jusqu’au 4 juin. Le Mouffetard-Centre national de la marionnette. T. : 01 44 64 82 33.

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