La Maison de Bernarda Alba de Federico García Lorca, traduction de Marion Bernède, mise en scène d’Yves Beaunesne
La Maison de Bernarda Alba de Federico García Lorca, traduction de Marion Bernède, mise en scène d’Yves Beaunesne
La dernière œuvre du poète et dramaturge né en 1898 qui l’a écrite en 1936 dans la prison où l’avaient jeté les fascistes de Franco qui le fit assassiner sans aucun scrupule deux mois après! Jouée pour la première fois en 1945 à Buenos Aires, et au Théâtre de l’Oeuvre à Paris et à Biarritz en 51. Mais créée en Espagne… en janvier 1964 seulement! Longtemps censurée par Franco, mort lui en 75. Trois ans avant que la toute jeune Isabelle Adajani incarne superbement Adela, dirigée par Robert Hossein, à Reims…
Cela se passe en Andalousie dans un petit village, il y a presqu’un siècle. Après la mort de son second mari, Bernarda Alba est très autoritaire: ce que je veux c’est que le front de ma maison soit lisse et la paix dans ma famille. » « Le fil et les aiguilles pour les femelles, la mule et le fouet pour le mâle » Et elle défend une sorte d’hypocrisie: « Je ne me mets pas dans les cœurs, mais je veux une façade solide. » Elle a soixante ans comme Poncia, l’intendante de la maison. et exige de ses cinq filles célibataires, un deuil avec isolement pendant huit ans selon la tradition locale! « Le vent des rues ne doit pas entrer dans cette maison »
Au menu de cette tragédie (la meilleure d’une trilogie comprenant Yerma et Noces de sang) : enfermement, obscurantisme religieux, frustrations, violences morales et physiques, orgueil et soif de domination chez Bernarda, amour caché, fanatisme rural, poids des traditions le plus souvent imposées et par les femmes, et passions dans un village emblématique de l’Espagne il y adonc presque un siècle. Il fallait du courage à Federico García Lorca pour dénoncer à la fois une société fermée sur elle-même et une la religion catholique avec un clergé tout-puissant et intransigeant. Et où le pays entier, surtout les femmes, reste étouffé par les superstitions et où les femmes devaient rester chez elles ou travailler dans un bordel… Et Franco et sa police régnaient partout. Quand le caudillo était mourant depuis deux semaines, un technicien de Radio-France avait osé dire en français dans un café madrilène: « alors le vieux, quand va-t-il enfin crever? Et il avait été immédiatement placé en garde à vue!
« Lorca, dit Yves Beaunesne, nous parle de sa vision de l’apocalypse, non pas pour dire que tout va s’effondrer, ce n’était pas un collapsionniste avant l’heure, mais pour affirmer qu’il n’y aura pas d’autre monde, et, du même coup, qu’il faut recommencer une histoire positive. Les marges de manœuvre ont toujours existé, à commencer par les forces du désir et de la beauté qui marchent par les rues. Son apocalypse est positive, elle permet de se débarrasser des faux espoirs, il y a plein d’histoires où les perdants gagnent à la fin. Lorca s’est battu trente-huit ans contre la mort de l’espérance. »
Dans La Maison de Bernarda, le désir sexuel et amoureux reste là et le grand dramaturge met très finement le doigt là où cela fait mal et nous dit bien que, malgré tout, la vie avec toute sa beauté finira par s’imposer mais bien entendu, il y a un prix à payer, et cher : la révolte et la transgression. Le suicide d’Adela aura peut-être permis de faire sauter quelques verrous, même si Bernarda devient encore plus intransigeante. Rien n’est jamais acquis dira plus tard Aragon…
Pour cette tragédie, un lieu tout à fait sublime, avec côté jardin, un mur de chaux orange foncé en partie couvert de vigne vierge, avec une ancienne et belle porte en bois, et plus loin une galerie-balcon aux barreaux de bois, qui rappelle furieusement celle du corral d’Almagro en Espagne (voir Le Théâtre du Blog) ombragée par un beau tilleul. Comme scène, un plateau de bois d’une bonne centaine de m2. En fond de scène, un grand appentis couvert de tuiles romaines. Côté cour, un autre mur plus clair lui aussi en partie couvert de vigne vierge. Au fond, un cèdre du Liban.
Bref, un lieu très silencieux, ancienne cour d’un petit château ou plutôt une grande gentilhommière à Chasselay ayant appartenu à des industriels de Lyon tout proche. Restaurée il y a douze ans et où tout metteur en scène rêverait d’y faire au moins un spectacle dans sa vie. Et un gradin pour deux cent spectateurs, voire plus.
La Maison-Théâtre de Machy est le lieu de résidence, avec une quinzaine de chambres et des espaces de travail, pour la compagnie La Première seconde dirigée par Iris Aguettant et Cécile Maudet avec, chaque été, un spectacle depuis trente ans.
La mise en scène d’Yves Beaunesne, ancien directeur du Centre Dramatique National de Poitiers est d’une honnêteté scrupuleuse, par rapport au texte de Federico Garcia Lorca qui bénéficie d’une nouvelle traduction. Aucune tentative et heureusement pour actualiser cette pièce mais un essai souvent réussi pour associer dialogues, chants et musique (création de Camille Rocailleux) si chère à Lorca.
Yves Beaunesne réussit parfaitement à maîtriser ce grand espace et à créer des images sublimes comme ces femmes toutes en noir arrivant lentement par la porte d’une grange dans le fond. Ou encore Adela marchant sur le toit en tuiles romaines dans le crépuscule, avant de se jeter dans le vide. Sous les belles lumières de Joël Hourbeigt et Pascal Laajili, et de la lune… Manque parfois à ce travail bien fait, la violence mais aussi la sensualité de ces jeunes femmes dans ce milieu rural fermé. Mais bon, pas facile à restituer…
Au chapitre des bémols, un plateau encombré par de vieux meubles : grand miroir, canapé vert foncé, haut buffet avec vaisselier… rempli de verres à pied et au dessus, une petite lampe de chevet. Comprenne qui pourra! Il y a aussi un longue table avec tabourets et chaises des années cinquante, un haut garde-manger et un fauteuil hors d’âge, le tout couvert de poussière. Bernarda Alba n’est sans doute pas riche du tout mais de là à vivre avec ses filles dans un telle brocante… On aura connu Damien Caille-Perret plus inspiré.
Côté direction d’acteurs, le spectacle bénéficie de l’expérience d’Yves Beaunesne… Mais il y a parfois des longueurs dues à un texte qui aurait mérité d’être resserré avec des personnages mieux affirmés (la distribution est inégale). Iris Aguettant est absolument parfaite en Bernarda autoritaire et menant à la baguette ses cinq filles. Johanna Bonnet-Cortès est une Angustias (la fille aînée) tout à fait crédible. Cécile Maudet est bien aussi en servante et en Prudencia. Héloïse Cholley semble avoir plus de mal à créer Adéla, la jeune et belle amoureuse révoltée… Mais le spectacle a encore le temps de se roder et, si vous êtes dans le coin, allez voir ce spectacle dans un décor naturel aussi magique.
Philippe du Vignal
Spectacle vu le 28 juin ; jusqu’au 8 juillet au château de Machy (Rhône).
En 2024: le 4 avril, ABC, Dijon. Le 5 avril, Théâtre municipal de Béziers. (Hérault) Du 10 au 12 avril, Comédie de Picardie, Scène conventionnée d’Amiens (Somme). Du 17 au 19 avril, Théâtre National-Centre Dramatique National de Nice-Côte d’Azur
Le 16 mai, Théâtre de Charleville-Mézières.
En juin, Le Méta, Centre Dramatique National de Poitiers-Nouvelle-Aquitaine.