La Maison de Bernarda Alba de Federico García Lorca, traduction de Marion Bernède, mise en scène d’Yves Beaunesne

La Maison de Bernarda Alba de Federico García Lorca, traduction de Marion Bernède, mise en scène d’Yves Beaunesne

La dernière œuvre du poète et dramaturge né en 1898 qui l’a écrite en 1936 dans la prison où l’avaient jeté les fascistes de Franco qui le fit assassiner sans aucun scrupule deux mois après! Jouée pour la première fois en 1945 à Buenos Aires, et au Théâtre de l’Oeuvre à Paris et à Biarritz en 51. Mais créée en Espagne… en janvier 1964 seulement! Longtemps censurée par Franco, mort lui en 75. Trois ans avant que la toute jeune Isabelle Adajani incarne superbement Adela, dirigée par Robert Hossein, à Reims…

Cela se passe en Andalousie dans un petit village, il y a presqu’un siècle. Après la mort de son second mari, Bernarda Alba est très autoritaire: ce que je veux c’est que le front de ma maison soit lisse et la paix dans ma famille. » « Le fil et les aiguilles pour les femelles, la mule et le fouet pour le mâle » Et elle défend une sorte d’hypocrisie: « Je ne me mets pas dans les cœurs, mais je veux une façade solide. » Elle a soixante ans comme Poncia, l’intendante de la maison. et exige de ses cinq filles célibataires, un deuil avec isolement pendant huit ans selon la tradition locale! « Le vent des rues ne doit pas entrer dans cette maison »

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Au menu de cette tragédie (la meilleure d’une trilogie comprenant Yerma et Noces de sang) : enfermement, obscurantisme religieux, frustrations, violences morales et physiques, orgueil et soif de domination chez Bernarda, amour caché, fanatisme rural, poids des traditions le plus souvent imposées et par les femmes, et passions dans un village emblématique de l’Espagne il y adonc presque un siècle. Il fallait du courage à Federico García Lorca pour dénoncer à la fois une société fermée sur elle-même et une la religion catholique avec un clergé tout-puissant et intransigeant. Et où le pays entier, surtout les femmes, reste étouffé par les superstitions et où les femmes devaient rester chez elles ou travailler dans un bordel… Et Franco et sa police régnaient partout. Quand le caudillo était mourant depuis deux semaines, un technicien de Radio-France avait osé dire en français dans un café madrilène: « alors le vieux, quand va-t-il enfin crever? Et il avait été immédiatement placé en garde à vue!

« Lorca, dit Yves Beaunesne, nous parle de sa vision de l’apocalypse, non pas pour dire que tout va s’effondrer, ce n’était pas un collapsionniste avant l’heure, mais pour affirmer qu’il n’y aura pas d’autre monde, et, du même coup, qu’il faut recommencer une histoire positive.  Les marges de manœuvre ont toujours existé, à commencer par les forces du désir et de la beauté qui marchent par les rues. Son apocalypse est positive, elle permet de se débarrasser des faux espoirs, il y a plein d’histoires où les perdants gagnent à la fin. Lorca s’est battu trente-huit ans contre la mort de l’espérance. »
Dans La Maison de Bernarda, le désir sexuel et amoureux reste là et le grand  dramaturge met très finement le doigt là où cela fait mal et nous dit bien que, malgré tout, la vie avec toute sa beauté finira par s’imposer mais bien entendu, il y a un prix à payer, et cher : la révolte et la transgression. Le suicide d’Adela aura peut-être permis de faire sauter quelques verrous, même si Bernarda devient encore plus intransigeante. Rien n’est jamais acquis dira plus tard Aragon…

Pour cette tragédie, un lieu tout à fait sublime, avec côté jardin, un mur de chaux orange foncé en partie couvert de vigne vierge, avec une ancienne et belle porte en bois, et plus loin une galerie-balcon aux barreaux de bois, qui rappelle furieusement celle du corral d’Almagro en Espagne (voir Le Théâtre du Blog) ombragée par un beau tilleul. Comme scène, un plateau de bois d’une bonne centaine de m2. En fond de scène, un grand appentis couvert de tuiles romaines. Côté cour, un autre mur plus clair lui aussi en partie couvert de vigne vierge. Au fond, un cèdre du Liban.
Bref, un lieu très silencieux, ancienne cour d’un petit château ou plutôt une grande gentilhommière à Chasselay ayant appartenu à des industriels de Lyon tout proche. Restaurée il y a douze ans et où tout metteur en scène rêverait d’y faire au moins un spectacle dans sa vie. Et un gradin pour deux cent spectateurs, voire plus.
La Maison-Théâtre de Machy est le lieu de résidence, avec une quinzaine de chambres et des espaces de travail, pour la compagnie La Première seconde dirigée par Iris Aguettant et Cécile Maudet avec, chaque été, un spectacle depuis trente ans.

La mise en scène d’Yves Beaunesne, ancien directeur du Centre Dramatique National de Poitiers est d’une honnêteté scrupuleuse, par rapport au texte de Federico Garcia Lorca qui bénéficie d’une nouvelle traduction. Aucune tentative et heureusement pour actualiser cette pièce mais un essai souvent réussi pour associer dialogues, chants et musique (création de Camille Rocailleux) si chère à Lorca.
Yves Beaunesne réussit parfaitement à maîtriser ce grand espace et à créer des images sublimes comme ces femmes toutes en noir arrivant lentement par la porte d’une grange dans le fond. Ou encore Adela marchant sur le toit en tuiles romaines dans le crépuscule, avant de se jeter dans le vide. Sous les belles lumières de Joël Hourbeigt et Pascal Laajili,  et de la lune… Manque parfois à ce travail bien fait, la violence mais aussi la sensualité de ces jeunes femmes dans ce milieu rural fermé.  Mais bon, pas facile à restituer…
Au chapitre des bémols, un plateau encombré par de vieux meubles : grand miroir, canapé vert foncé, haut buffet avec vaisselier… rempli de verres à pied et au dessus, une petite lampe de chevet. Comprenne qui pourra! Il y a aussi un longue table avec tabourets et chaises des années cinquante, un haut garde-manger et un fauteuil hors d’âge, le tout couvert de poussière. Bernarda Alba n’est sans doute pas riche du tout mais de là à vivre avec ses filles dans un telle brocante… On aura connu Damien Caille-Perret plus inspiré.

Côté direction d’acteurs, le spectacle bénéficie de l’expérience d’Yves Beaunesne… Mais il y a parfois des longueurs dues à un texte qui aurait mérité d’être resserré avec des personnages mieux affirmés (la distribution est inégale). Iris Aguettant est absolument parfaite en Bernarda autoritaire et menant à la baguette ses cinq filles. Johanna Bonnet-Cortès est une Angustias (la fille aînée) tout à fait crédible. Cécile Maudet est bien aussi en servante et en Prudencia. Héloïse Cholley semble avoir plus de mal à créer Adéla, la jeune et belle amoureuse révoltée… Mais le spectacle a encore le temps de se roder et, si vous êtes dans le coin, allez voir ce spectacle dans un décor naturel aussi magique.

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 28 juin ; jusqu’au 8 juillet au château de Machy (Rhône).

En 2024: le 4 avril, ABC, Dijon. Le 5 avril, Théâtre municipal de Béziers. (Hérault) Du 10 au 12 avril, Comédie de Picardie, Scène conventionnée d’Amiens (Somme).  Du 17 au 19 avril, Théâtre National-Centre Dramatique National de Nice-Côte d’Azur

Le 16 mai, Théâtre de Charleville-Mézières.

En  juin, Le Méta, Centre Dramatique National de Poitiers-Nouvelle-Aquitaine.

 


Archive pour juin, 2023

A nos lecteurs

A nos lecteurs

Notre amie Christine Friedel a été récemment opérée et n’a donc pu aller voir des spectacles et nous envoyer ses précieuses notules sur les récentes créations.
Elle devra aussi subir un traitement qui, cette année, l’éloignera du festival d’Avignon in et off, et des autres événements théâtraux qu’elle couvrait fidèlement depuis une dizaine d’années pour Le Théâtre du Blog. Ce qu’elle regrette beaucoup, et nous aussi.
Nous lui souhaitons de guérir le plus vite possible. A très bientôt, chère Christine.

Philippe du Vignal

Entretien avec René Aubry, créateur musical de Signes, chorégraphie de Carolyn Carlson

© Benoîte Fanton

© Benoîte Fanton

Entretien avec René Aubry, compositeur de Signes, chorégraphie de Carolyn Carlson

Une pièce créée pour le Ballet de l’Opéra de Paris en 1997 a connu un énorme succès à chacune de ses reprises. Signes a été conçu sur une idée originale d’Olivier Debré (1920-1999) qui en a réalisé les décors et costumes.
Cette fois, Carolyn Carlson a travaillé à partir des sept tableaux du peintre, représentatif de l’abstraction lyrique. Avec, ce soir de première, les danseurs-étoiles Hannah O’Neill et Germain Louvet et le Corps de ballet.
Une pièce au croisement de la peinture, de la danse et de la musique. Pour René Aubry, elle est le témoin de sa relation avec la chorégraphe avec qui il a vécu et qu’il voit toujours comme une fée qui l’a initié à la danse.

-Olivier Debré avait proposé à la chorégraphe plusieurs tableaux. Elle en avait retenu sept, très différents les uns des autres par leurs couleurs. Comment votre musique s’est-elle introduite dans cette création ?

 -Ces tableaux, je les ai découverts à la fin. Ma création musicale s’est faite à partir du travail de Carolyn qui a dessiné la scène et les personnages dans l’espace. A l’époque, je ne vivais plus avec elle mais nous étions restés proches. Dès que le projet a été sur les rails, elle m’a donné des indications : « Là, il y aura un duo, là, il y aura toute la troupe ». Alors j’allumais mon Mac et faisais des maquettes de deux où trois minutes. Soit en fonction de ce que j’avais déjà dans la tête, soit inspiré par les indications de Carolyn à qui je faisais écouter un morceau qu’elle choisissait alors pour telle où telle scène.

Ensuite, je creusais ce morceau, le rallongeais et elle le réécoutait. Puis, je le modifiais selon ses remarques. Tout en sachant qu’à trois jours de la première, Carolyn était capable de modifier quelque chose…
Mais, avec l’exigence d’Olivier Debré, sa chorégraphie était plus écrite que d’habitude. Et du fait de la structure de ces tableaux, elle était devenue assez claire. J’avais envie qu’il y ait plusieurs instruments à cordes : guitare, mandoline, bouzouki … Mais le reste était plus orchestral. C’est la première musique que je créais sur disque dur et je découvrais une nouvelle manière de travailler : plus rapide et plus pratique.

 -Pour vous, est-il plus difficile de concevoir une musique de scène pour Carolyn Carlson ou Philippe Genty, avec qui vous avez beaucoup travaillé ? Ou pour le cinéma d’animation comme celle du Gruffalo, de La Sorcière dans les airs, etc.. Ou encore pour un album ?

-Le plus difficile ? Etre seul… pour réaliser  un projet personnel : je n’ai alors ni dialogue ni contrainte immédiate ni «retour». Du coup, j’ai tendance à me satisfaire trop vite du résultat : j’ai ma couleur, mon style et aime bien m’y tenir…
Mais travailler avec des créateurs exigeants m’oblige à aller plus en profondeur et il se passe alors des choses nouvelles dans ma musique. Je m’en étonne moi-même…

 Jean Couturier

Jusqu’au 15 juillet, Opéra-Bastille, Place de la Bastille Paris ( XII ème). T. : 0 892 89 90 90.

Montpellier Danse (suite) Into the Hairy, chorégraphie de Sharon Eyal

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© Katerina-Jebb

 Into the Hairy, chorégraphie de Sharon Eyal, co-auteur : Gai Behar

«Je ne veux pas voir la chorégraphie, je veux voir la magie. Je veux ressentir et je veux que les gens ressentent ce que je veux leur donner. » dit la chorégraphe israélienne qui pénètre « à l’intérieur d’une chevelure  » pour en démêler le mystère. Cette pièce pour sept danseurs nait de la nuit, d’une obscurité profonde qu’il nous  faut scruter, pour distinguer les corps enchevêtrés.

De lents mouvements animent le groupe sur la musique électronique hypnotique du compositeur anglais Koreless ( alias Lewis Roberts) où se glisseront des notes de musique sacrée. Seuls, les visages et les mains d’une blancheur blafarde, sont éclairés. La lumière spectrale (création Alon Cohen ) sculpte une étrange cérémonie: «J’aime le noir, dit Sharon Eyal. Pour moi, le noir est de la lumière et les danseurs apportent la lumière.» Dans cette pénombre permanente d’intensité variable, le mouvement fait jaillir cette humanité somnambule, habillée paar Maria Grazia Chiuri de Christian Dior-Couture, juste-au-corps arachnéides, fins comme une deuxième peau. Une esthétique raffinée jusqu’au bout des doigts, avec ongles et bijoux, mode« gothique ».

Issue de la Batsheva Dance Company où elle a été interprète, puis chorégraphe et directrice artistique associée, Sharon Eyel développe un style minimaliste, mêlant techniques gaga d’Ohad Naharin et classique, avec un penchant pour le « groove » et l’«underground clubbing culture». Un monde d’où vient aussi Gai Behar qui a lancé avec elle, en 2015,  leur compagnie de danse : L-E-V.

Into the Hairy, comme une œuvre picturale, se compose et se défait en permanence, avec d’étranges postures, silhouettes déformées en figures grotesques ou images allégoriques rappelant un retable : bras en croix, bustes inclinés ou exposés nus, à la manière d’un  Christ…
La chorégraphe demande à ses interprètes un engagement extrême et une tension physique intense pour traduire des états émotionnels par le corps « Je travaille à l’instinct, je mets la peau de mon âme à nu, dit Sharon Eyel.» Telle une armée de l’ombre, les danseuses et danseurs avancent, reculent, se dispersent pour créer d’impressionnants tableaux. «Ce n’est pas un récit mais une expérience, j’ai l’impression de faire du cinéma. »

Nous recevons Into the Hairy comme une toile de maître. En répétitions, Sharon propose images et mots qui stimulent l’imagination : « Deep into the hairy. Dirty and gentle. Broken. Alon. Alone. Alone. Alone. Deeper. Stronger. Weaker. SAdder. More alone. Hole….  » (Profond dans la chevelure… Sale et doux. Brisé. Seul. Seul. Seul. Plus fort. Plus faible. Plus triste. Plus seul. Plus profond. Vide ) … »

Dans ses trois pièces précédentes, OCD Love, Love Chapter 2 et The brutal Journey of the heart, il s’agissait d’amour.
Ici, nous touchons au cœur d’une intimité tribale en forme de rituel ésotérique qui exige du public, comme des artistes, une grande concentration. Il faut aller découvrir cette artiste qui projette d’installer sa compagnie en France. A côté de leurs pièces réalisées à la L-E-V, Sharon Eyal et Gai Behar en créent d’autres pour le Nederlands dans Theater, le Ballet royal de Suède et le Göteborgs Operans Danskompani….

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 22 juin à l’Opéra-Comédie de Montpellier.

Montpellier-Danse se poursuit jusqu’au 4 juillet: 18 rue Sainte-Ursule, Montpellier (Hérault). T. : 04 67 60 83 60.

Du 30 juin au 3 juillet, Festival de Spoleto, (Italie) ; 6 au 8 juillet, Julidans, Amsterdam (Pays-Bas).

Du 17 au 20 août, Festspiele, Salzburg (Autriche).

Du 5 au 7 octobre, Théâtre des Louvrais, Cergy-Pontoise (Val d’Oise; le 17 octobre, Stadsschouwburg, Bruges (Belgique) ; du 20 au 22 octobre, Internationaal kunstcentrum deSingel, Anvers (Belgique) et du 26 au 28 octobre, Dampfzentrale, Berne (Suisse).

Les 11 et 12 novembre, Wiesbaden, (Allemagne).

Le 24 novembre, Festival de danse, Cannes.

Vaincre à Rome, texte de Sylvain Coher, mis en scène de Thierry Falvisaner

Vaincre à Rome, texte de Sylvain Coher, mise en scène de Thierry Falvisaner

Abebe Bikila, était né le 7 août 1932 en Éthiopie…le jour du marathon des Jeux olympiques de Los Angeles. Ce jeune caporal s’entraîne seul pendant deux ans avant d’être repéré en 1959 par son pays et par Onni Niskanen, un Suédois membre de la Croix-Rouge et passionné d’athlétisme. Sélectionné pour participer au marathon des Jeux olympiques de Rome en 1960, pour remplacer un coureur blessé et gagne pieds nus, en deux heures quinze minutes seize secondes (record du monde) devant le favori, le Marocain Abdeslam Radi. Il sera le premier athlète africain médaillé d’or olympique.

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Il  accélère près de l’obélisque d’Aksoum et arrive à l’Arc de Constantin, un quart de siècle après l’invasion de l’Éthiopie par l’Italie… En récompense, il recevra une voiture et un appartement de l’empereur Hailé Sélassié. Impliqué presque malgré lui dans un coup d’État manqué après les Jeux, le coureur sera gracié.

En 1964, il doit être opéré d’une appendicite aiguë, trente jours avant les Jeux de Tokyo mais il court cette fois avec des chaussures et gagne en 2 h 12 min 11 secondes, nouveau record du monde, plus de quatre minutes avant le suivant!  Il est le premier athlète africain à remporter le marathon olympique deux fois de suite. A une vitesse de 18, 73 kms, puis de 19, 5 kms à l’heure. Mais, à son quatorzième marathon en 68, il devra abandonner à cause d’une fracture du péroné. Un an après, victime d’un grave accident de voiture, il perdra l’usage de ses jambes. Mais il se met alors à la course en fauteuil roulant et remporte le tournoi de tir à l’arc des Jeux de Stoke Mandeville, en Angleterre, précurseurs des Jeux paralympiques. Ce héros national meurt à quarante-deux ans seulement.

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C’est son histoire qui est le thème du roman de Sylvain Coher qu’il a, non adapté mais converti à la scène. Sur le plateau, quelques éléments pour évoquer un studio de radio, un salon et au centre, une bande au sol avec une technique, bluffante quand on est un peu loin: une projection d’une vidéo sur le lieu concerné. Ici, une route romaine où a lieu le marathon et qui se déroule à mesure que le coureur avance… sur place. Incarné, c’est le cas de le dire, par le danseur et comédien Timothée Ballo qui va courir environ une demi-heure. Très impressionnant… Soutenu par le percussionniste Adrien Chennebault.

 

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Cela se passe en Italie et en Éthiopie en 1960 à Rome près du forum où a lieu le marathon. Mais aussi dans l’appartement à Addis-Abeba, avec le souvenir d’Abebe Bikila, Donc ici quatre personnages: le double champion olympique, sa femme Yewebdar ( Gane Raymond) qui l’attend au pays. Mais aussi son entraîneur suédois Onni Niskanen et le journaliste Loys Van Lee (Thomas Cerisola) qui va relater ce marathon du 10 septembre 1960.

Tout ici sonne juste dans ce spectacle créé il y a deux ans et qui va être joué en Avignon. Sylvain Coher a repris les bases de son roman pour le recréer sur une scène, loin d’une quelconque hagiographie, mais en mettant en valeur avec Thierry Falvisaner, l’impression d’un effort pendant quarante kms, avec des scènes de préparation, départ, course de plus en plus rapide puis arrivée en vainqueur… à quelques minutes du suivant. Et cela fonctionne.
Les quelques images vidéo d’époque en noir et blanc d’Abebe Bikila sont justifiées et plus qu’émouvantes, écho lointain de ce coureur exceptionnel. Timothée Ballo court sur cette route goudronnée. « Pour le spectateur, disent l’auteur et le metteur en scène, c’est une plongée sensible dans un monde où l’apparente simplicité d’un acteur sportif dévoile des motivations plus complexes.» A quelques mois des Jeux Olympiques en France, une piqûre de rappel qui n’est pas inutile…

Mais la grande salle du Théâtre Gérard Philipe à Orléans-La Source n’est sans doute pas l’idéal pour ce spectacle et le metteur en scène a eu du mal à mettre en place une balance correcte entre un texte, la musique en direct, les images vidéo et une lumière beaucoup trop limitée. On peut le comprendre mais cela diminue -et c’est dommage- l’intensité de cette forme théâtrale surtout fondée sur une conversation entre le coureur, son épouse restée au pays et qui verra son mari subir les coups du sort, puis mourir, son entraîneur et le récit du journaliste sportif qui recrée la dimension temporelle de cet exploit hors-normes. D’autant plus que ses interprètes sont impeccables…
Mais bon, ce spectacle est proche d’un théâtre documentaire: un évènement sportif mais aussi historique à base de documents historiques. Quand il sera joué et mieux éclairé dans une salle plus petite, il devrait prendre toute sa dimension. Cette légende ici portée sur la scène «de l’homme-panthère capable de courir du coucher au lever du soleil» ne peut laisser indifférent. Et les collégiens qui étaient là, semblaient subjugués, ce qui est toujours bon signe…

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 22 juin au Théâtre Gérard Philipe, Orléans-La Source (Loiret).

Festival off d’Avignon: La Manufacture: attention représentations au château de Saint-Chamand (accessible en navette de La Manufacture avec départ: rue des Écoles, et en tramway.

La Nuit des rois d’après William Shakespeare, mise en scène de Benoît Facerias

La Nuit des rois d’après William Shakespeare, mise en scène de Benoît Facerias 

En anglais Twelfth Night, la douzième nuit, celle d’une fête autour de la Nativité du Christ une sorte de carnaval où tout ou presque, était permis. Une pièce fascinante mais pas des plus faciles à monter. Et Thomas Ostermeier, il y a quelques années à la Comédie- Française s’y était cassé les dents.
Viola et son frère jumeau Sébastien dont le bateau a  fait naufrage en Illyrie se sont trouvés séparés Viola le croit mort. En costume de jeune page, elle entre au service du Duc Orsino et tombe aussitôt amoureuse de lui. Mais le Duc est toujours amoureux d’Olivia et charge Viola, sous son déguisement d’homme, d’aller auprès Olivia pour essayer de la faire changer d’avis.
Mais Olivia ne choisit pas Orsino mais le jeune et beau « garçon » qu’il lui a envoyé. Travestissements, rêves, quiproquos d’une intrigue, musique si chère à Shakespeare… « Duke : If music be the food of love, play on, Give me excess of it. »(Si la musique est l’aliment de l’amour, jouez m’en jusqu’à l’excès). Et rares sont les comédies où il n’en fait pas mention.

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Et dans cette Nuit des rois, il y a des dialogues formidables de vérité et de poésie.  Le duc répond ainsi à Viola : « Votre maître vous rend la liberté; et pour vous remercier des services rendus, Si contraire à la nature de votre sexe, Si indignes de votre douce et tendre éducation, Et puisque si longtemps vous m’avez appelé maître, Voici ma main; vous serez désormais La maîtresse de votre maître. « 
Soit un
triangle amoureux avec d’autres personnages que jouent seulement six acteurs au jeu précis et bien rythmé. « C’est ce côté festif et populaire, dit le metteur en scène, qui m’a poussé à donner vie à ce texte. Humblement, j’ai voulu le rendre aussi simple et accessible que possible, et montrer que l’on peut s’amuser avec du Shakespeare, quel que soit notre âge ou le rapport qu’on entretient avec le théâtre. Nous avons créé une version allégée de la pièce originale, en une heure quinze (contre les trois heures trente usuelles), avec  six comédiens qui interprètent une quinzaine de personnages). »
Tous impeccables avec une remarquable diction:
Grégory Baud, Pierre Boulben, Benoît Facerias, Céline Laugier ou Nolwen Cosmao, Arnaud Raboutet  ou César Duminil. Mention spéciale à Joséphine Thoby qui joue magnifiquement à la fois Olivia et un sorte de conteuse…
La pièce a déjà cinq siècles! Nous préférons peut-être, moins connue: Peines d’amour perdues, tout aussi attachante et qui est encore un délice pour de jeunes acteurs. La Nuit des rois est un peu longue mais Benoît Facerias l’a concentrée avec intelligence et en une heure quinze, missa est. Il a fait résumer bien des scènes secondaires par Joséphine Thoby.  «Vous suivez toujours? demande-t-elle avec malice. »
Pas toujours vraiment
, mais cela n’a aucune importance et nous nous prenons vite à ce jeu amoureux bien servi par des dialogues exceptionnels, avec quelques airs pop à la guitare : « Mieux vaut un fou d’esprit qu’un sot bel esprit…“ « Le plaisir doit se payer tôt ou tard.” « Tout voyage s’arrête au rendez-vous d’amour. ”
Un bémol: des costumes assez laids. Cette jeune compagnie n’a sans doute guère de moyens mais la récup, l’imagination et la débrouille font partie du métier. Cela dit, c’est une des meilleures
Nuit des rois que nous ayons vues depuis longtemps…

Cette adaptation a été jouée depuis six ans, quelque deux cent fois dans des lieux parfois non-théâtraux! Et la représentation est garantie sans fumigènes, lumières stroboscopiques, vidéos, micros H.F… Du théâtre artisanal et sans prétention comme nous l’aimons, loin des technologies sophistiquées et auquel il faudra bien revenir un jour… En tout cas, une compagnie à suivre.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 27 août, Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame des Champs, Paris ( VI ème). T. :  01 45 44 57 34

La Scortecata, texte et mise en scène d’Emma Dante

La Scortecata, texte et mise en scène d’Emma Dante

Un titre signifiant en napolitain: écorchée. Sur le plateau, au fond, une cantine en fer avec quelques vêtements et un drap, une porte en contre-plaqué posée au sol, la maquette d’un château et de petites chaises pliantes en bois où sont assises face à face, deux sœurs célibataires proches de la centaine en combinaison blanche.
Elles sucent avec le plus grand soin leur doigt comme les petiotes qu’elle sont un peu redevenues, et elles parlent beaucoup… De tout, et de rien comme pour tromper l’ennui et la solitude. Ce que le grand Roman Jacobson appelait la fonction phatique du langage où l’énoncé révèle les liens et/ou maintient les contacts entre les gens..

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Elles se livrent à des comparaisons anatomiques peu flatteuses vu leur âge, du genre : «Tu es tellement laide que tu dégoûtes même l’obscurité. » « Bouche édentée », « sorcière poilue », « morue qui pue »…. Elles ne cessent de s’engueuler mais sont inséparables et, pour passer le temps, elles vont imaginer une histoire… Un jeune roi aussi riche que beau, est tombé amoureux de la voix de l’une d’elles et veut la rencontrer. Elle montrera son doigt lisse et doux comme celui d’une jeune fille par le trou de la serrure. Et cela marche…La vieille dame est invitée au château mais bien entendu, exigera que ce soit dans l’obscurité…
Une curieuse  fable où le fantastique et l’érotisme font bon ménage librement adaptée par l’autrice et metteuse en scène napolitaine.
Les Deux Vieilles, est tiré du Pentamerone, un recueil de cinquante contes populaires du Napolitain Giambattista Basile (1566-1632). Publié après sa mort, le livre a inspiré nombre d’auteurs italiens mais aussi… Charles Perrault et les frères Grimm. 

Salvatore D’Onofrio et Carmine Maringola sont exceptionnels. Avec des voix rauques, ils marchent, voûtés, peinent à se lever de leur chaise, ont des gestes maladroits… comme les très vielles dames de cent ans qu’ils incarnent. Et ils jouent aussi les autres personnages de cette commedia dell’arte. Très bien dirigés par Emma Dante, ils donnent vie au langage truculent, voire salé, de Giambattista Basile.

Oui, mais voilà! Comme les acteurs s’expriment et souvent très vite, il y a donc obligatoirement un surtitrage mais, comme avec tous les surtitrages, il faut choisir et quand on n’a pas le bonheur d’être napolitain, lire les répliques en français: c’est perdre la majeure partie de la gestuelle des personnages. Ou faire sans arrêt l’aller et retour… Ce qui devient vite lassant et peu efficace.
Bref, un savoureux produit local, créé depuis trois ans mais par moments, assez statique dans la mise en scène. Il doit réjouir nos amis italiens mais est sans doute difficilement exportable. On rit de temps à autres mais ces soixante minutes nous ont ont paru longuettes. Une dizaine de spectateurs est sortie et le public a surtout applaudi ces acteurs exceptionnels: ils le méritent.Pour le reste, ce second spectacle d’Emma Dante ne nous a pas non plus vraiment convaincus…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 28 juin, Théâtre de la Colline, 15 rue Malte Brun, Paris XX ème). T. 01 44 62 52 52.

Du 3 au 5 décembre, La Filature, Mulhouse (Haut-Rhin).

Festival Montpellier Danse: Annonciation/ Torpeur/ Noces, chorégraphies d’Angelin Preljocaj

Festival Montpellier Danse: Annonciation/Torpeur/ Noces, Chorégraphies d’Angelin Preljocaj

Pour ouvrir ce festival, une création, Torpeur et les reprises d’Annonciation et Noces par cette compagnie avec aujourd’hui, trente danseurs permanents. Un parcours dans l’œuvre de l’artiste , auteur d’une soixantaine de pièces, du solo aux grandes formes, dans un style résolument contemporain, alternant fresques narratives et projets plus abstraits. Nous avons ici un belle sélection qui permet de voir la permanence et les évolutions de son style.

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Torpeur (création 2023) © JCCarbone

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Interprétée par deux danseuses, la visite de l’Ange Gabriel à Marie. Il n’est pas la créature éthérée, le Saint-Esprit qui ensemence la Vierge, mais un être à la gestuelle puissante. Comme un extra-terrestre qui arrive sur une musique vrombissante dans une trainée de lumière rouge, il vient troubler la quiétude de la jeune femme. Assise sur un banc, elle semble attendre dans des postures lentes et épurées, nimbée d’un halo de lumière froide: à l’image de l’iconographie traditionnelle représentant souvent cette scène fondatrice de la religion chrétienne dans un jardin clos, symbole de virginité.

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© JC Carbonne-

L’intrusion bruyante et mouvementée de l’Ange, incarné avec fougue par Clara Freschel (en alternance avec Mirea Delogu) s’apparente ici à une pénétration fécondatrice : d’abord, tout feu tout flamme, comme sorti des Enfers, la créature s’approche avec douceur de Marie (Florette Jager, en alternance avec Verity Jacobsen) , au physique plus frêle qu’elle. Celle-ci tente quelques esquives et pas de côté, mais sera submergée par la gestuelle impérieuse de ce visiteur, sans céder pleinement à son emprise.
Les corps s’effleurent avec pudeur, dégageant une sensualité sereine. Un baiser s’échange, léger comme un souffle… Puis l’Ange disparaît comme il est venu, laissant l’héroïne songeuse sur son banc. La musique limpide de Stéphane Roy (Crystal Music) alterne avec le Magnificat d’Antonio Vivaldi, mariant profane et sacré sous la lumière toujours précise chez Angelin Preljocaj de Jacques Chatelet.

« Qu’est censé ouvrir en nous cet événement ? De nombreux peintres ne cessent d’interroger ce catapultage de symboles antinomiques qu’est l’Annonciation mais ce thème à la problématique si proche du corps est quasi évacué de l’art chorégraphique», écrivait Angelin Preljocaj à la création à Châteauvallon en 1995.
Cette pièce narrative proposée en ouverture du festival et de la soirée, pose la question de la fécondation et induit habillement la métaphore de la création qui s’ensemence des influences et des frictions d’une œuvre à l’autre, et entre artistes.

Torpeur

« La torpeur est un état de corps, entre la sidération, la prostration, la nonchalance, l’abattement, et l’abandon », dit le chorégraphe de sa nouvelle création, dans l’air du temps en ce jour de canicule.

La pièce prolonge l’ambiance pensive d’Annonciation mais démarre en flèche: douze danseurs surgissent des coulisses  en costumes fluides blanc ivoire, flottant dans les contrejours (création lumière Éric Soyer). Sur la musique répétitive de 79Dils se croisent dans des alignements géométriques, des symétries quasi classiques, marchent en agitant bras et jambes, exécutent de petits sauts. Un chœur bourré d’énergie. Puis, cédant à la fatigue, ils suspendent leurs gestes, dans des postures lascives, avec des mouvements de bassin alanguis : la bande son s’assourdit en basses percussives. 

Bientôt ils quitteront les tenues évanescentes concoctées par Elenora Peronetti,  et s’étendent au sol dans une nudité relative (slip et soutien-gorge couleur chair), pour s’aligner les uns derrière les autres en un cercle mouvant. Ronde horizontale, où bras et jambes, alternativement levés dessinent une fresque ajourée à la manière de ces ribambelles découpées dans une bande de papier. Cette pièce léchée, élégante, d’une facture classique nous a laissés un peu à la porte. Un peu loin la sensualité recherchée par l’artiste : « Convoquer les corps, l’espace et le temps, pour donner une forme à l’indolence, pour trouver un rythme à la lenteur et peut-être inventer une nouvelle grammaire paresseuse de l’hébétude ». Mais il faut parfois savoir ralentir, surtout avant le tsunami qui va suivre.

 Noces

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© JC carbone

Point d’orgue de la soirée, cette pièce de 1989 nous a sidéré. La musique d’Igor Stravinsky, écrite entre 1914 et 1917 puis finalisée en 1923 pour les Ballets russes à Paris, mise en scène par Nijinska, la sœur de Nijinski, est interprétée ici par Les Percussions de Strasbourg et le Chœur contemporain d’Aix-en-Provence, dirigé par Roland Hayrabediann. Elle est d’une mystérieuse beauté et d’une modernité étonnante. Percussions éruptives aux accents orientaux, voix chaudes des femmes et ténébreuses des hommes, venues des profondeurs des Balkans.

« Aussi loin que remonte ma mémoire, écrivait le chorégraphe à la création, les Noces ont toujours sonné pour moi comme une étrange tragédie (…) La mariée, s’offrant comme une forme renversée d’un rituel funèbre, verserait les larmes en s’avançant vers un rapt consenti. » Dans la tradition slave, (Angelin Preljocaj est originaire d’Albanie) c’est une marchandise qu’on échange. Ici la mariée est déclinée en cinq exemplaires, avec jupe courte virevoltante, jambes galbées dans des bottines noires, face à cinq hommes en chemise blanche et cravate noire.
Comme offerte en sacrifice, l’une des danseuses est amenée,
yeux bandés sur le plateau, et… s’effondre, poupée de son ! Mais elle se relèvera et rejoindra ses compagnes pour une danse athlétique. Les hommes, eux, en rang d’oignon sur des bancs d’école, attendent leur heure. Les couples évoluent ensemble ou séparément, dans un cercle à géométrie variable délimité par les bancs déplacés au gré des séquences.
Ils se déchaînent en bonds, savants jeux de jambes, bras et bustes, glissades et tournoiements, emportés par la musique. Ensemble ou alternativement, hommes et femmes se cherchent, se trouvent, se fuient dans les savants contrejours et clairs- obscurs, lumières chaudes et froides.
Les danseuses  se dédoublent en cinq grandes poupées de chiffon blanc qu’elles manipulent, émouvantes figures de leur aliénation, puis, jetant ces tristes avatars au loin, elle plongent à plusieurs reprises du haut des bancs dans les bras de leur promis, sauts risqués d’une précision extrême, comme le reste de cette folle cérémonie, à la fois joyeuse et funèbre.

Noces restera longtemps imprimé dans nos mémoires, avec cette musique envoûtante qui soulève et anime les corps. Bravo, Mirea Delogu, Antoine Dubois, Matt Emig, Chloé Fagot, Clara Freschel, Verity Jacobsen, Florette Jager, Erwan Jean-Pouvreau, Florine Pegat- Toquet, Maxime Pelillo, Valen Rivat-Fournier, Lin Yu-Hua.Bravo aussi Caroline Anteski pour ses costumes et Jacques Chatelet pour ses éclairages. Aux saluts, le public s’est levé enthousiaste. Il ne faut pas manquer ce florilège qui bénéficie d’une grande tournée.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 21 juin au Corum, Montpellier ( Hérault).

Montpellier Danse se poursuit jusqu’au 4 juillet, 18 rue Sainte-Ursule, Montpellier. T. : 04 67 60 83 60.

 Du 11 au 14 septembre, Pavillon Noir, Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône).

Du 18 au 20 octobre, Opéra de Rouen ( Seine-Maritime) ; du 7 au 10 octobre, Scène Nationale de Châteauvallon, Ollioules (Var).

Du 1er au 3 décembre, Théâtre des Champs-Elysées, Paris. 

 Les 22 et 23 mars, Scène 55, Mougins  ; 26 mars, Théâtre en Dracénie, Draguignan (Var); du 28 mars au 5 avril, Opéra Royal du château de Versailles ,

Le 7 avril, Théâtre de Thionville ; les 26 et 27 avril, Théâtre Jean Vilar, Suresnes ( Hauts-de-Seine) .

Du 16 au 18 mai, Théâtre National de Nice ; le 24 mai, Auditorium, Dijon ( Côte d’Or) ; 20 juillet, Nuits de la Citadelle, Sisteron (Alpes-de-Haute-Provence).

Festival de Marseille 2023

 «Danse et corps en mouvement sont l’ADN de ce festival créé en 1996 », disait Marie Didier, qui en a pris les rênes l’an dernier à la suite de Jan Goossens (voir Le Théâtre du Blog). Elle y voyait «l’opportunité de mettre en place des projets plus ouverts sur la Méditerranée et des aventures liées à ce territoire phocéen pluriculturel, terre d’exil et d’asile ».

Le festival tient cette ligne cosmopolite, en proposant trente-deux événements d’artistes venus de vingt-et-un pays (Allemagne, Angleterre, Belgique, Brésil, Canada, Chili, Congo, Écosse, Égypte, France, Grèce, Iran, Kazakhstan, Liban, Maroc, Nouvelle-Zélande, Ouganda, Pologne, Pays-Bas, Sahara occidental, Venezuela). En trois semaines et quatre week-ends, et dans vingt lieux partenaires, on y voit : spectacles de danse, théâtre, concerts, films, expositions, ateliers… Dont Bless the Sound That Saved a Witch Like Me, le beau solo de Sati Veyrunes, chorégraphié par Benjamin Kahn vu récemment au festival d’Uzès danse (voir Le Théâtre du Blog). Et des propositions hors-norme et inattendues, comme ce soir-là.

Waka-Criée, conception et mise en scène d’Éric Minh Cuong Castaing

@Pierre Gondard

@Pierre Gondard

Nous avions été très émus par Phoenix, vu en 2018 à ce même festival : des drones filmaient simultanément trois danseurs sur scène et des artistes à Gaza. (voir le Le Théâtre du blog). Ici, même principe, mais avec un propos plus léger. La scène du théâtre de la Criée est reliée, via des caméras avec le studio d’enregistrement du groupe d’ados Waka Starz, en Ouganda, visible sur un grand écran. En temps réel, nous assistons à un double spectacle.
Devant nous, la chanteuse des Waka Starz, Racheal M. chante et danse avec une folle énergie, avec ses frères et soeurs, eux restés à Wakaliga, quartier défavorisé de Kampala. Ces artistes en herbe nous font visiter le studio familial de Wakaliwood où ils montent et diffusent leurs clips vidéo qu’on peut voir en surimpression, grâce à un savant mixage réalisé par Isaak Ramon. Entre comédie musicale, afro-futurisme, chorégraphie kung-fu et satire politique, ces clips atteignent des millions de vues sur YouTube et Tik Tok.

Les Waka Starz ont un répertoire engagé et leurs musiques croisent les influences reggaeton, afro-beat et pop anglo-saxonne, et des textes en anglais ou en lunganda, langue parlée en Ouganda, s’insurgent contre les violences faites aux enfants et prônent la liberté des femmes. Ils nous font partager le « wag » ( rythme) de leur pays. Abonnés au système D. , ils nous racontent la réalité de leur quartier, leur soif de réussite et nous font entendre avec talent et invention, leur foi en l’avenir. Lève toi et danse, le dernier titre appelle les spectateurs à se lever pour partager leur fougue.

Éric Minh Cuong Castaing, issu des arts visuels, s’est très tôt intéressé aux écritures chorégraphiques en temps réel. Avec sa compagnie Shonen, basée à Marseille, il explore les relations entre danse et nouvelles technologies. Il échange avec les Waka Starz depuis 2019 et nous donne ici une belle leçon d’optimisme !

 Love You, Drink Waterconcert d’Awir Leon, chorégraphie dAmala Dianor, création vidéo de Grégoire Korganow

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© Pierre Gondard

Ce trio est réuni autour du nouvel album d’Awir Leon Love You, Drink Water, prétexte à un show dansé avec projections d’images mêlant captation en direct et film d’art. Le musicien accompagne depuis longtemps les spectacles d’Amala Dianor avec des compositions originales.
Ici, les rôles s’inversent et le danseur chorégraphie son concert. Homme-orchestre, il déplace les instruments de musique, montre des mouvements au chanteur, guide le cadreur autour de lui pour ses prises de vue. Mais il virevolte parfois librement sur la scène dans son style particulier, glissant avec virtuositédu hip-hop aux danses européenne et africaine contemporaines, comme on l’a vu dans son solo Wo-Man (voir Le Théâtre du Blog).

Ce concert dansé trouve son point d’orgue dans une séquence qui rassemble les trois artistes : la caméra bouge et filme, partenaire du chanteur et du danseur. Ceux qui attendent plus de danse seront peut-être déçus : l’essentiel du spectacle met en scène l’opus de François Przybylski, alias Awir Leon. Auteur, chanteur, compositeur, il s’inscrit dans la mouvance indietronic. Un style électro-pop-rock, adouci par une ambiance paisible, avec des fréquences sonores beaucoup moins élevées. La rythmique soutenue apportée par les samples percussifs et mélodiques ne vient pas heurter l’oreille et permet des développements plus poétiques.
« Awir » : ciel, en gallois : la voix rocailleuse de l’interprète évoque des univers rugueux, mais amène aussi des envolées lyriques, avec des paroles dont le sens échappera à ceux qui ne maîtrisent pas bien l’anglais.
Le photographe et réalisateur Grégoire Korganow nous montre des images de forêts brumeuses et d’étendues aquatiques où des corps se noient mais que la danse sublime. Pour cet habitué des plateaux de danse, ces corps
représentent une sorte de paysage intérieur qu’il transcrit, comme ici.
Ses ondins et ondines romantiques, au milieu de zombies sinistres, rappellent-ils que la Méditerranée qui borde Marseille, est un tombeau pour des hommes, femmes et enfants…

Haircuts by children, conception de Darren O’Donnell

Chez Kenze Coiffure, des élèves de CM1 formés en une semaine par des professionnels, tiennent pendant un week-end, un salon de coiffure au centre ville et offrent coupe et coloration gratuites. Ils ont appris, pendant leurs heures de classe, à gérer les rendez-vous, accueillir les clients volontaires avec une citronnade, balayer les cheveux épars.
A l’aise, bienveillants et sérieux : «C’est comme à l’école mais en plus amusant », dit une petite fille qui s’applique à manier peigne et ciseaux, bombes colorantes, avec l’accord des grandes personnes, une fois n’est pas coutume.

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© Estelle Laurentin

Cette action saugrenue est proposée par un collectif canadien avec la perspective de responsabiliser les enfants et d’amener les adultes à leur faire confiance. C’est charmant et, sans doute une expérience enrichissante pour les petits et les grands. Quant au résultat esthétique, ce n’est pas ce qui compte. La coiffure est un métier qui s’apprend et requiert un talent de visagiste.
La démarche vise à ce que « les jeunes changent de statut et deviennent des acteur·rice·s à part entière de la société, les adultes renoncent au contrôle et se fient à leur créativité, leur dextérité et leur sens des responsabilités. » Darren O’Donnell se fait fort de « créer des situations sociales inédites et d’en faire jaillir du sens ». Chacun en tirera les conclusions. Pour autant, ce projet, plus pédagogique qu’artistique, est un exemple des actions culturelles et de sensibilisation des publics menées en marge des œuvres programmées au festival.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 23 juin, au Théâtre de la Criée, 30 Quai de rive neuve, Marseille. T. : 04 91 54 70 54.

Le 24 juin, Chez Kenze Coiffure, 7 rue de la République, Marseille (II ème). T. : 04 91 91 39 79.

Festival de Marseille jusqu’au 9 juillet, 7 rue de la République, Marseille (II ème). T.:  04 91 99 00 20. Entrée parfois gratuite ou à 10 €; billetterie solidaire de 2.000 places à 1 €. Contact : rp4@festivaldemarseille.com T. : 04 91 99 02 53.

Montpellier Danse :quarante-troisième édition Prophétique (on est déjà né.es) Chorégraphie de Nadia Beugré

Montpellier Danse : quarante-troisième édition

Comme les précédentes, cette manifestation conjugue passé et présent avec, souvent, la recréation d’œuvres de Dominique Bagouet, chorégraphe, fondateur du C.C .N. de Montpellier et du festival, mort en 1992  et celle d’autres artistes qui sont invités à revenir sur des pièces anciennes :  Angelin Preljocaj, Kader Attou, Boris Charmatz et pour, la première fois à Montpellier Danse, Jean-Claude Gallotta, avec Ulysse Grand large (1981). Mais comme d’habitude, le directeur Jean-Paul Montanari, dénicheur de talent, nous fait aussi découvrir et suivre de jeunes créateurs. En ces premiers jours, une programmation très contrastée et majoritairement féminine, qui ne laissera personne indifférent, comme ce festival avec, en deux semaines, deux à trois spectacles par soir…

 Prophétique (on est déjà né.es) Chorégraphie de Nadia Beugré

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©Werner Strouven

Nous sommes invités sur une musique électro et un DJ exubérant, à partager la vie intense d’un salon de coiffure…qui décoiffe. Sur le plateau, jonché de mèches de cheveux et tresses, s’alignent des chaises en plastique blanc et pendent des étoffes pailletées scintillant dans les lumières… Le maître de cérémonie chauffe la salle, bientôt électrisée et encourage les interprètes dans leurs déhanchements et galipettes acrobatiques : postures mêlant twerk, breakdance, coupé-décalé et voguing… En costumes extravagants, mi-hommes, mi-femmes, sept artistes non binaires ou transgenre nous font pénétrer dans leur univers décalé, leurs rêves et revendications pour le droit à la différence.

Rencontrés à Abidjan, Beyoncé, Canel, Jhaya Caupenne, Taylor Dear, Kevin Kero ont inspiré cette étrange pièce queer : «Des personnes drôles, émouvantes et talentueuses, dit la chorégraphe. Le voguing, leur vocabulaire venu du coupé-décalé, la façon dont elles marchent, dansent, parlent, c’est toute une culture puissante et singulière .» Se sont jointes à elles Jhaya Caupenne, Belge d’origine ivoirienne et la travestie brésilienne Acauã El Bandide Shereya, la plus exubérante et sans doute la plus expérimentée (elles ne sont pas toutes professionnelles). « La plupart jonglent avec une double vie, précise Nadia Beugré. La journée, esthéticiennes, coiffeuses sur les marchés, elles essayent la nuit de trouver des endroits à elles pour se retrouver, rêver, et délirer. »

La chorégraphe a capté cette énergie, laissant libre cours au style de chacune, quitte à être un peu débordée par leurs propositions, souvent provocatrices à l’extrême. Quand retentir Le Boléro de Maurice Ravel, elles se lancent dans un concert de chiens et elles, aboient ou se lancent dans des bagarres canines…  Suivront une série de performances où les corps se déchainent et où elles montrent leur plastique séduisante: dos musculeux, jambes gainées de résille, fesses rebondies frémissantes, strings moulant les sexes,  interrompues par adresses au public et jeux de scène.

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©Werner Strouven

Le salon de coiffure est le lieu où l’on se maquille, on se travestit, on se perruque, et où le ballet se développe autour de la métaphore capillaire. Une des artistes se revêt d’une carapace de cheveux emmêlés que ses partenaires tressent en lock dreads… Solos dansés, distribution de bonbons au public, exhibitions corporelles, concours à-qui-fera-la-plus-belle-bulle-de-chewing-gum: ces «folles » (sic), nous entraînent dans une ronde endiablée puis, au final, égrainent une comptine enfantine en rupture avec l’insolence et la trivialité de certains moments. 

Jean-Christophe Lanquetin a donné une touche de chic à cet univers précaire: tissus chamarrés, fils tendus derrière les chaises de jardin, puis croisés dans la lumière d’Anthony Merlaud ouvrent une échappée poétique dans ce monde où la misère se dit avec humour. Celle de la vie marginalisées de personnes non binaires et transgenres, en butte à l’homophobie et à la transphobie, voire menacées de mort. Elles nous le racontent ici, mais l’excès risque de masquer leurs revendications.

Le public est baladé entre séquences performatives impressionnantes et vulgarité caricaturale. La provocation plait à certains, mais en révulse d’autres qui n’en ressentent pas la dimension parodique. Bref, quelque chose ne passe pas… Et, dans l’ensemble, cette création est encore décousue : le rythme du début se relâche dans les séquences où la parole de cette curieuse tribu prend le pas sur la danse. Une parole qui émerge aujourd’hui sur de nombreuses scènes de théâtre et de danse avec plus ou moins de bonheur…

 Prophétique (on est déjà né.es) est l’aboutissement d’un long travail poursuivi par Nadia Beugré entre Montpellier où elle a installé sa compagnie depuis 2015 et Abidjan, sa ville natale.. Elle y a commencé la danse avec Béatrice Kombé, avant de rejoindre l’École des Sables de Germaine Acogny au Sénégal. Après cette première un peu «chaude» sans doute la pièce évoluera-t-elle vers plus de rigueur, comme le rythme et le climat qui nous embarquent au début.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 21 juin au Théâtre de la Vignette, rue du Val de Montferrand, Montpellier.

Les 11 et 12 août, Tanz im August, Berlin.

Du 18 au 20 octobre, Théâtre Garonne, La Place de la Danse, C.D.C.N. Toulouse Occitanie, Toulouse; les 14 et 15 novembre, Points communs, Cergy ; du 29 novembre au 2 décembre, Festival d’Automne, Centre Pompidou, Paris.

Montpellier Danse jusqu’au 4 juillet, 18 rue Sainte-Ursule, Montpellier. T. :04 67 60 83 60 .

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