L’Esthétique de la résistance, d’après le roman de Peter Weiss, adaptation et mise en scène de Sylvain Creuzevault
L’Esthétique de la résistance, d’après le roman de Peter Weiss, adaptation et mise en scène de Sylvain Creuzevault
Le spectre du communisme hantait autrefois l’Europe: comment peut-on être communiste, à l’époque du nazisme et de la seconde guerre mondiale quand, de la Révolution d’octobre, émanent la bureaucratie et la dictature d’Hitler et Staline ? Le pacte germano-soviétique était expliqué aux militants comme nécessaire, puis il fut rompu pour des raisons tout aussi nécessaires… Un petit siècle plus tard, le poids de l’Histoire est toujours là. On nous dira que le communisme est mort et enterré depuis la chute du mur de Berlin en novembre 1989. Voire? Tout le refoulé socio-politique, ce que le spectre agite dans son sommeil, n’est pas résolu et le mérite de ce spectacle est de le réveiller.
Avec Peter Weiss, on ne peut séparer art et politique. Gabriel Garran, fondateur du Théâtre de la Commune d’Aubervilliers récemment disparu avec son maire Jack Ralite lui aussi décédé (voir Le Théâtre du Blog) le fit découvrir en France avec L’Instruction (1966) et Comment Monsieur Mockinpott fut libéré de ses tourments 1970). En 2010, Gwenaël de Gouvello avait mis en scène Monsieur Mockinpott et replacé Peter Weiss dans la lumière. À son tour, Sylvain Creuzevault avec une adaptation de son roman autobiographique L’Esthétique de la résistance, poser la question qui le taraude : celle de la révolution et celle, indissociable, du théâtre et plus largement de l’art.Un objet non essentiel ? Jamais, en tout cas, pour le narrateur de cette histoire. Celle des vaincus, tués, exilés qui ont ouvert la brèche et donnent à penser.
Le Guernica de Picasso remue en eux leur expérience des brigades internationales pendant la guerre d’Espagne, un terrain d’exercice pour les dictatures et l’aviation nazie pour la seconde guerre mondiale. Dans Le Massacre des innocents de Brueghel l’ancien (1585), ils lisent le crime contre l’Humanité et dans la frise du grand autel de Pergame ( II ème sicèle avant J.C.) les corps magnifiques et torturés des hommes dans leur combat avec les Dieux. Et c’est leur regard qui ouvre celui du spectateur d’aujourd’hui.
Le metteur en scène use de tous les procédés de la distance et pas seulement brechtienne -nous aurons quand même droit à la carriole de Mère Courage- avec numéros de cabaret, projections, adresses au public, éléments d’agit-prop comme ces pancartes suspendues au cou des personnages (surtout Le Narrateur et Peter Weiss ).
Sylvain Creuzevault donne un rythme parfait au spectacle mais laisse se développer une scène mais parfois avec une rupture de ton, un changement de décor, au moment où la fiction prend trop de pouvoir. Pour aller vers la tragédie finale où chacun des condamnés porte son nom, en l’honneur de tous ceux dont les noms ont été oubliés.
La Halle Gruber, ainsi appelée en hommage au grand metteur en scène, (1941-2008) est un ancien bâtiment industriel début XX ème siècle avec hautes colonnes de fer: un lieu idéal pour ce grand projet avec un espace offrant toute liberté à une scénographie frontale.
Cette Esthétique de la Révolution est un spectacle d’école mais cette Ecole travaille, comme celle de feu l’Ecole de Chaillot, au cœur d’un théâtre national. Les futurs interprètes y apprennent en vraie grandeur que la mis en scène, le jeu, l’interprétation ne sont pas une affaire individuelle mais une construction réalisée avec plusieurs corps de métiers, et à plusieurs corps. Avec aussi plusieurs générations de femmes et d’hommes aux expériences différentes : Des métiers tout aussi essentielles : construction, couture, mécanique, électronique son et image… Et les élèves ont la chance de travailler avec des professionnels et sur la durée.
Le théâtre est aussi un artisanat… Le T.N.S. a eu cette trouvaille de ne pas appeler ce travail : spectacle de sortie d‘école mais spectacle d’entrée dans la vie professionnelle. Et quelle entrée ! Sylvain Creuzevault a suivi ce Groupe 47 dont il faut citer tous les élèves: Jonathan Bénéteau de Laprairie, Juliette Bialek, Yanis Bouferrache, Gabriel Dahmani, Hameza El Omari, Jade Emmanuel, Felipe Fonseca Nobre, Chalottte Issaly, Vincent Padauc, Naïssa Randrianasolo, Lucie Rouxel, Thomas Stachorsky, Manon Xardel, sur scène. Et à la scénographie, Louise Beauseigneur et Valentine Lê ; aux costumes : Jeanne Daniel Nguyen ; à la lumière : Charlotte Moussié, au son : Lï Waridel, à la vidéo : Simon Anquetil, à la régie plateau :Léa Bonhomme, à la régie générale : Arthur Mandô et, comme assistant à la mise en scène ; Ivan Marquez. Le metteur en scène a travaillé avec eux pendant presque un an et a joint à ce Groupe 47, plusieurs de ses comédiens Boutaïna El Fekkak, Vladislav Galard, Arthur Igual, Frédéric Noaille.
Un grand spectacle qui est à la fois politique et populaire, a besoin d’un collectif fort et de cette importance où tous ces métiers sont aussi représentés. Les jeunes acteurs professionnels ont eu une formidable chance qu’ils n’auront plus de sitôt : participer à une aventure de cette envergure et cela aura au moins placé haut la barre de leurs ambitions et de leurs exigences. C’est toute l’histoire de l’Ecole du T.N.S… Déjà, Sylvain Creuzevault a choisi certains d’entre eux pour jouer dans Edelweiss (France Fascisme), un spectacle où il poursuit une réflexion engagée avec Esthétique de la résistance.
Christine Friedel
Spectacle vu à la Halle Gruber, Théâtre National de Strasbourg.
Les 9 et 10 juin, Printemps des comédiens, Montpellier (Hérault).
Du 9 au 12 novembre, MC 93-Bobigny (Seine-Saint-Denis) dans le cadre du Festival d’automne à Paris.
Edelweiss (France Fascisme), Théâtre national de l’Odéon-Ateliers Berthier, du 21 septembre au 22 octobre, dans le cadre du Festival d’automne à Paris.