Le Printemps des comédiens La Tempête et Le Songe d’une nuit d’été, mise en scène de Marie Lamarchère

Le Printemps des comédiens à Montpellier (suite)

La Tempête et Le Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare, adaptation et mise en scène de Marie Lamachère

Tempête 21A3541

La tempête © Marie Clauzade

Dans La Tempête, Prospéro, duc de Milan, évincé par son frère, se retrouve après un naufrage sur une île déserte, avec sa fille Miranda. Ses livres lui confèrent des pouvoirs magiques qui lui permettent de maîtriser les éléments grâce à Ariel et Caliban, ses serviteurs. Il provoque ainsi une tempête qui va bouleverser l’ordre des choses et, à l’issue de péripéties qu’il contrôle à distance, il assure sa revanche. Le Songe d’une nuit d’été met en scène, dans une Athènes de convention, les chassés-croisés de deux couples d’amoureux orchestrés par les maléfices d’Obéron le roi des fées et de Puck, son serviteur. La même nuit, des acteurs-amateurs, des artisans, s’apprêtent à jouer une pantomime. Sous une bannière commune: Such stuff as dreams (L’Etoffe des rêves), Marie Lamachère réunit ces pièces où elle décèle l’omniprésence de la magie et elle finalise ici un projet au long cours depuis 2019 avec La Bulle bleue.

Cette compagnie de théâtre professionnelle de Montpellier est constituée de personnes en situation de handicap, regroupées en ESAT (Établissement et Services d’Aide par le Travail). Ses interprètes ont été formés au travail créatif lors de stages, en lien avec les sections inclusives au Conservatoire de la ville ou avec des artistes invités. Au croisement de l’art et du soin cette « fabrique artistique » induit un nécessaire déplacement de l’écriture théâtrale, et du regard des spectateurs.

Après  Jacques Allaire, Evelyne Didi, Bruno Geslin, Marie Lamachère, artiste associée depuis 2019, a déjà réalisé Betty devenue Boop ou les Anordinaires, actuellement en tournée. Elle mêle ici aux onze interprètes de cette troupe avec  dix de ses acteurs et du Jeune Théâtre National ( organisme en charge de l’insertion professionnelle). Soit une distribution homogène mais des spectacles marqués par une démarche particulière.

 «Cette année, ils fêtent leurs dix ans de troupe et j’ai pensé qu’ils étaient à un moment propice pour travailler des rôles de pièce dites classiques, où ils se projettent dans les personnages, dit la metteuse en scène. J’ai choisi ces pièces en fonction des acteurs et de leurs particularités. Il y a en effet quelque chose de très étrange, dans le rapport de certains acteurs avec le langage. J’ai choisi de mettre en valeur cette étrangeté qui correspondent à celles de la pièce de Shakespeare et je creuse, grâce à La Bulle bleue, le psychisme des textes, là où il y a des torsions.»

Dans une traduction inédite, Joris Lacoste et Julie Etienne ont privilégié la dimension ludique, les jeux et les écarts d’un langage parlé, plutôt que la versification. Traitées de façon onirique avec un montage de séquences, les scènes révèlent la singularité de ces interprètes, dans un entre-deux qu’il faut décrypter.

 La Tempête est construit en partant du constat que, chez certains des acteurs, le rapport au langage ne va pas de soi. Marie Lamarchère a confié le rôle de Prospéro à un homme qui, suite à un accident de la vie, a dû entièrement réapprendre à marcher et parler. La mise en scène s’appuie sur ses difficultés d’élocution et fait intervenir les voix de Caliban et Ariel en écho, comme si ces génies, l’un bon et l’autre mauvais, mais les deux fort bavards, émanaient de l’esprit du magicien. Le texte lui-même se diffracte en une série de lettres projetées sur le décor. Et la matière sonore est très présente, avec bruitages insolites, chansons en français et en anglais, mises en musique par Sarah Métais-Chastanier.

Un film montre les naufragés sur la plage avec d’une part les seigneurs italiens fomantant leurs intrigues, d’autre part  des matelots enivrés en sarabande avec Caliban.  Hors-champ de l’action principale qui a lieu au plateau: la rencontre amoureuse entre Ferdinand, fils du roi de Naples et Miranda, la fille de Prospéro ; ce dernier ne voit pas d’un bon œil cet hymen mais il finira par les marier. Puis il libérera Ariel et Caliban et renoncera à la magie pour retrouver son duché…`
Avec un montage baroque, la metteuse en scène voudrait nous entraîner dans un monde bizarre mais n’y réussit pas tourjours : «Je ne vais pas, dit-elle,  chercher un monde magique par projection, en misant sur la singularité de ces interprètes.  » Reste que  le jeu de ces acteurs et actrices pas hors norme n’a rien à envier à ceux du J.T.N. 

Songe 21A2856

Le songe d’une nuit d’été © Marie Clauzade

 Le Songe d’une nuit d’été  nous mène plus facilement dans un univers onirique et sans les séquences de la pièce où apparaissent les dignitaires d’Athènes, cette féérie se prête mieux à une traversée de l’étrange. Nous glissons naturellement du monde des artisans, à celui des elfes et fées et des amoureux : Lysandre, Hermia, Démétrius et Héléna. Au fronton d’un décor  sylvestre( scénographie de Delphine Brouard) est inscrite la devise : «Les choses semblent si ténues».

Cette mise en scène met en valeur la structure feuilletée et le génie dramaturgique de William Shakespeare. Avec une belle énergie, l’acteur qui joue le tisserand Bottom, entraîne ses compères : le menuisier, le tailleur, le chaudronnier… dans une version farcesque de «la très cruelle mort de Pyrame et Thisbé». L’univers des fées est aussi bien rendu, avec les chamailleries entre  Obéron et Titania et les maladresses du lutin Puck qui sème la confusion chez les amoureux aux relations déjà compliquées.

Nous tombons sous le charme de ces scènes bien écrites et dirigées, où Lysandre et Hermia s’enfuient dans la forêt, poursuivis par Démétrius, lui-même poursuivi par Héléna… Marie Lamachère, avec une bonne maîtrise des codes théâtraux, réalise avec ce Songe  un tissage cohérent, et à la hauteur de ses ambitions et aux engagements des comédiens de la Bulle bleue et des autres.

Mireille Davidovici

Spectacle vu au Théâtre de 13 vents, Montpellier (Hérault).

Jusqu’ au 21 juin, se poursuit Le Printemps des comédiens, Cité du Théâtre, Domaine d’Ô. : T. 04 67 63 66 67.
Places de 6 à 38 €.
Printempsdescomediens.com


Archive pour 8 juin, 2023

Baal de Bertolt Brecht, traduction d’Eloi Recoing,mise en scène d’Armel Roussel

Baal de Bertolt Brecht, traduction d’Eloi Recoing, mise en scène d’Armel Roussel

© simon-gosselin

© simon-gosselin

Après cette guerre qui a dévasté deux pays pour longtemps,  Brecht, à dix-neuf ans, écrit ce premier texte qui le hantera toute sa vie et qu’il ne cessa de remanier. «C’est vraiment une pièce de jeunesse très différente du reste de son œuvre, dit Armel Roussel, j’ai souvent été attiré par les premiers écrits, parce qu’ils sont encore bouillonnants, parce qu’il y a encore un côté très brut, très pulsionnel dans l’écriture et en même temps, très poétique.» Le metteur en scène a choisi la deuxième version de Baal (1919)  peut-être plus radicale et  nihiliste que la première, comme devait l’être ce jeune poète qui, on l’oublie trop souvent, fuyant le nazisme passera onze ans de son existence en exil!  Au Danemark puis en Suède, Finlande, Californie, et enfin Suisse, avant de pouvoir s’installer à Berlin-Est.

Mireille Davidovici avait rendu compte ici de ce spectacle créé l’an passé au Théâtre du Nord et qui devait être joué dans le bois de Vincennes… Sans doute pour dire avec la terre, la nuit, la puissante animalité de Baal,  ivre d’alcool et de sexe en permanence.
Changement probable : nous sommes dans la grande salle du Théâtre de la Tempête et cela se passe sur le parquet de bal d’un cabaret, avec, côtés cour et jardin, des tables rondes et chaises de bistrot. Dans le fond, un bar plutôt chic  genre boîte de nuit avec, sur les étagères, des dizaines de bouteilles.Nous sommes accueillis par une bonne rasade de fumigènes, la sixième en une semaine! Un véritable fléau dans les spectacles actuels que rien ne justifie ! Mais aussi par quelques verres de blanc et rosé servis par les actrices.

En fait, tout se passe comme si nous étions invités à voir des acteurs qui vont jouer à représenter Baal dans un cabaret… Un lieu qui a toujours fasciné le jeune Brecht qui y allait parfois jouer de la guitare entouré de femmes, comme il l’aura toujours été. Il était déjà père à vingt ans!) et multipliait les conquêtes… Comme Elisabeth Hauptmann qui fut aussi sa collaboratrice. Elle écrivit une grande partie de cet Opéra de Quat’sous qui le rendit célèbre mais toucha peu de droits!
Depuis le mur de Berlin est tombé, les colonies des pays européens en Afrique du Nord et sub-saharienne ont disparu, les guerres ont surgi un peu partout dans le monde, le mouvement Mi-Tout est arrivé,  bref le monde occidental a bien changé. Alors comment aujourd’hui monter cette pièce qui a plus d’un siècle?
Armel Roussel n’a pas pas voulu tomber dans un réalisme teinté de misérabilisme. Mettre en scène  Baal (une trentaine de personnages) avec dix acteurs n’est pas chose facile. « Et L’art de vivre de Baal partage le sort des autres en régime capitaliste, disait Brecht en 1954, il est combattu. Baal est asocial mais dans une société asociale. »

© Simon Gosselin

© Simon Gosselin

Anthony Ruotte joue Baal et endosse sans difficulté avec toute la fougue, l’impudeur radicale de ce jeune poète et son ivresse en permanence. Un rôle pas commode, surtout quand il est nu sur scène. Mais ce jeune acteur a une belle présence et pratiquement tout le temps sur scène. Bien dirigé par par Armand Roussel
Même si la direction des autres acteurs Romain Cinter, Émilie Flamant, Vincent Minne, Sigfrid Moncada, Berdine Nusselder, Eva Papageorgiou, Lode Thiery et Uiko Watanabe est aussi cousue main et d’une extrême précision, cette façon de dire l’errance un peu partout dans la ville de ce jeune Baal, entouré de prostituées- ici de jeunes actrices habillées de façon provocante mais trop bcbg, ne nous a pas paru très crédible et cette mise en scène a quelque chose de démonstratif.
Bref, cette mise en scène, à la fois trop sage et pas assez impertinente, ne fonctionne pas vraiment. En fait Armel Roussel gomme sans doute toute la noirceur (moins la violence) et le tragique de la vie de ce jeune homme qui vit dans une mansarde et s’en va se réchauffer l’âme et le corps au schnaps dans des cabarets sordides. Et il fait jouer la vieille mère par un acteur travesti. Pourquoi pas, mais cette mise en scène tient plutôt d’une relecture de Baal... Nous sommes partagés et aurions aimé qu’Armel Roussel aille plus loin dans cette relecture qui manque d’émotion.

C’est un spectacle généreux et réalisé avec précision, mais franchement le metteur en scène aurait pu nous épargner ces lieux communs du théâtre actuel, du genre : fumigènes à gogo, jeu dans la salle, ou statique et face  à la salle et en bord de plateau, comme chez Stanislas Nordey, inversion de rôles féminins, adresses au public, acteurs sagement assis sur les côtés en attendant de jouer, un truc archi-usé, hérité de Brecht qui faisait « moderne» mais il y a déjà plus de cinquante ans.
Tout cela reste assez conventionnel, même s’il y a de belles images comme, à la fin, le mur du côté jardin qui s’ouvre sur… le jardin de la Tempête. Apportant enfin un peu d’air dans la salle surchauffée et de nouveau envahie par les fumigènes… Là aussi, le procédé a beaucoup servi depuis son invention par Maurice Pottecher au Théâtre de Bussang (Vosges) avec deux portes coulissantes ouvrant sur la proche forêt de sapins il y a un siècle déjà. Depuis, on l’aura vu à Bussang mais aussi chez les plus grands: Matthias Langhoff à Bobigny, Claude Régy aux Amandiers à Nanterre pour La Trilogie du revoir de Botho Strauss, etc.
Bref, cette relecture de Baal est un spectacle inégal avec de bons moments mais aussi des longueurs surtout vers la fin (deux heures vingt sans entracte) et il  ne nous a pas vraiment convaincu. Et le public? Quelques spectateurs sont partis, les autres, mais pas tous, ont applaudi un peu mollement.
A vous de voir si cela vaut le coup. Mais il y a aussi le charme des arbres avec fleurs et chants d’oiseaux par une chaude soirée de juin sur la terrasse du Théâtre de la Tempête, et cela n’a pas de prix. Et Brecht aurait sûrement aimé cette Cartoucherie…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 23 juin, Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de Manœuvre. T. :  01 43 28 36 36. Métro : Château de Vincennes + navette gratuite (attention la station a été déplacée et se trouve sur le terre-plein central près des bus la R.A.TP. mais difficile à trouver ! Sinon, bus 122 direct mais il faut attendre.

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...