Baal de Bertolt Brecht, traduction d’Eloi Recoing,mise en scène d’Armel Roussel

Baal de Bertolt Brecht, traduction d’Eloi Recoing, mise en scène d’Armel Roussel

© simon-gosselin

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Après cette guerre qui a dévasté deux pays pour longtemps,  Brecht, à dix-neuf ans, écrit ce premier texte qui le hantera toute sa vie et qu’il ne cessa de remanier. «C’est vraiment une pièce de jeunesse très différente du reste de son œuvre, dit Armel Roussel, j’ai souvent été attiré par les premiers écrits, parce qu’ils sont encore bouillonnants, parce qu’il y a encore un côté très brut, très pulsionnel dans l’écriture et en même temps, très poétique.» Le metteur en scène a choisi la deuxième version de Baal (1919)  peut-être plus radicale et  nihiliste que la première, comme devait l’être ce jeune poète qui, on l’oublie trop souvent, fuyant le nazisme passera onze ans de son existence en exil!  Au Danemark puis en Suède, Finlande, Californie, et enfin Suisse, avant de pouvoir s’installer à Berlin-Est.

Mireille Davidovici avait rendu compte ici de ce spectacle créé l’an passé au Théâtre du Nord et qui devait être joué dans le bois de Vincennes… Sans doute pour dire avec la terre, la nuit, la puissante animalité de Baal,  ivre d’alcool et de sexe en permanence.
Changement probable : nous sommes dans la grande salle du Théâtre de la Tempête et cela se passe sur le parquet de bal d’un cabaret, avec, côtés cour et jardin, des tables rondes et chaises de bistrot. Dans le fond, un bar plutôt chic  genre boîte de nuit avec, sur les étagères, des dizaines de bouteilles.Nous sommes accueillis par une bonne rasade de fumigènes, la sixième en une semaine! Un véritable fléau dans les spectacles actuels que rien ne justifie ! Mais aussi par quelques verres de blanc et rosé servis par les actrices.

En fait, tout se passe comme si nous étions invités à voir des acteurs qui vont jouer à représenter Baal dans un cabaret… Un lieu qui a toujours fasciné le jeune Brecht qui y allait parfois jouer de la guitare entouré de femmes, comme il l’aura toujours été. Il était déjà père à vingt ans!) et multipliait les conquêtes… Comme Elisabeth Hauptmann qui fut aussi sa collaboratrice. Elle écrivit une grande partie de cet Opéra de Quat’sous qui le rendit célèbre mais toucha peu de droits!
Depuis le mur de Berlin est tombé, les colonies des pays européens en Afrique du Nord et sub-saharienne ont disparu, les guerres ont surgi un peu partout dans le monde, le mouvement Mi-Tout est arrivé,  bref le monde occidental a bien changé. Alors comment aujourd’hui monter cette pièce qui a plus d’un siècle?
Armel Roussel n’a pas pas voulu tomber dans un réalisme teinté de misérabilisme. Mettre en scène  Baal (une trentaine de personnages) avec dix acteurs n’est pas chose facile. « Et L’art de vivre de Baal partage le sort des autres en régime capitaliste, disait Brecht en 1954, il est combattu. Baal est asocial mais dans une société asociale. »

© Simon Gosselin

© Simon Gosselin

Anthony Ruotte joue Baal et endosse sans difficulté avec toute la fougue, l’impudeur radicale de ce jeune poète et son ivresse en permanence. Un rôle pas commode, surtout quand il est nu sur scène. Mais ce jeune acteur a une belle présence et pratiquement tout le temps sur scène. Bien dirigé par par Armand Roussel
Même si la direction des autres acteurs Romain Cinter, Émilie Flamant, Vincent Minne, Sigfrid Moncada, Berdine Nusselder, Eva Papageorgiou, Lode Thiery et Uiko Watanabe est aussi cousue main et d’une extrême précision, cette façon de dire l’errance un peu partout dans la ville de ce jeune Baal, entouré de prostituées- ici de jeunes actrices habillées de façon provocante mais trop bcbg, ne nous a pas paru très crédible et cette mise en scène a quelque chose de démonstratif.
Bref, cette mise en scène, à la fois trop sage et pas assez impertinente, ne fonctionne pas vraiment. En fait Armel Roussel gomme sans doute toute la noirceur (moins la violence) et le tragique de la vie de ce jeune homme qui vit dans une mansarde et s’en va se réchauffer l’âme et le corps au schnaps dans des cabarets sordides. Et il fait jouer la vieille mère par un acteur travesti. Pourquoi pas, mais cette mise en scène tient plutôt d’une relecture de Baal... Nous sommes partagés et aurions aimé qu’Armel Roussel aille plus loin dans cette relecture qui manque d’émotion.

C’est un spectacle généreux et réalisé avec précision, mais franchement le metteur en scène aurait pu nous épargner ces lieux communs du théâtre actuel, du genre : fumigènes à gogo, jeu dans la salle, ou statique et face  à la salle et en bord de plateau, comme chez Stanislas Nordey, inversion de rôles féminins, adresses au public, acteurs sagement assis sur les côtés en attendant de jouer, un truc archi-usé, hérité de Brecht qui faisait « moderne» mais il y a déjà plus de cinquante ans.
Tout cela reste assez conventionnel, même s’il y a de belles images comme, à la fin, le mur du côté jardin qui s’ouvre sur… le jardin de la Tempête. Apportant enfin un peu d’air dans la salle surchauffée et de nouveau envahie par les fumigènes… Là aussi, le procédé a beaucoup servi depuis son invention par Maurice Pottecher au Théâtre de Bussang (Vosges) avec deux portes coulissantes ouvrant sur la proche forêt de sapins il y a un siècle déjà. Depuis, on l’aura vu à Bussang mais aussi chez les plus grands: Matthias Langhoff à Bobigny, Claude Régy aux Amandiers à Nanterre pour La Trilogie du revoir de Botho Strauss, etc.
Bref, cette relecture de Baal est un spectacle inégal avec de bons moments mais aussi des longueurs surtout vers la fin (deux heures vingt sans entracte) et il  ne nous a pas vraiment convaincu. Et le public? Quelques spectateurs sont partis, les autres, mais pas tous, ont applaudi un peu mollement.
A vous de voir si cela vaut le coup. Mais il y a aussi le charme des arbres avec fleurs et chants d’oiseaux par une chaude soirée de juin sur la terrasse du Théâtre de la Tempête, et cela n’a pas de prix. Et Brecht aurait sûrement aimé cette Cartoucherie…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 23 juin, Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ de Manœuvre. T. :  01 43 28 36 36. Métro : Château de Vincennes + navette gratuite (attention la station a été déplacée et se trouve sur le terre-plein central près des bus la R.A.TP. mais difficile à trouver ! Sinon, bus 122 direct mais il faut attendre.

 

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