Cahin-Caha, dialogue pour un homme seul de Serge Valletti, mise en scène de Gilbert Rouvière
Deux hommes qui ont un certain âge entament un faux dialogue burlesque. Ils se connaissent depuis longtemps, n’ont plus rien à se cacher, mais très susceptibles, ne supportent souvent pas bien ce que l’un dit à l’autre.
Nous suivons Cahin et Caha dans leur délire pathétique et ce qu’ils peuvent inventer, pour continuer à se parler… Tiens, ils imaginent un crime passionnel pour déguiser une nécessité absolue, celle d’en finir avec la vie mais alors, seul un véritable ami peut vous aider! Et il faut chercher et trouver la bonne méthode pour que cet crime soit parfait en cas d’enquête policière, etc. Il y a du Beckett là-dedans et du burlesque dans leurs échanges. « Le mieux ce serait peut-être de s’organiser, de commencer à s’organiser. Ce que je pourrais proposer, si j’osais, ce serait qu’un de nous deux se débrouille pour supprimer l’autre, en douceur ! Admettons, ce serait toi ! (…) Tu irais dans la cave et tu t’emparerais de la hache verte, et puis tu remonterais en la tenant fermement dans tes mains, tu enlèverais tes chaussures pour éviter que je t’entende, tu arriverais au premier étage en faisant bien attention de ne pas faire grincer l’avant dernière marche. »
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«J’ai écrit un monologue à deux voix, dit Serge Valletti, Il y a bien deux voix mais il y a une seule personne. En fait, on reconnaît le changement de voix, au changement de ton. Au départ, c’était donc une seule personne qui se parlait à elle-même, et puis, chemin faisant, et comme par jeu, ils ont trouvé chacun leur identité.L’un s’appelle Cahin et l’autre Caha. Ils avancent, ils n’en finissent pas d’avancer en s’interrogeant comme chacun de nous quand nous sommes seuls. Cahin devient Caha, et inversement. »
Juste un paravent à quatre grands châssis blanc crème avec des morceaux de papier peint collé représentant des paons. Et un banc en bois blanc où sont assis ces hommes plus tout jeunes mais élégants en costume noir et chemise blanche et pour le burlesque, l’un avec des soquettes rouges et l’autre, des vertes.
Daniel Martin, acteur exemplaire, que nous avons souvent vu au théâtre comme au cinéma, depuis Les Molière d’Antoine Vitez (déjà en 78 et cela donne le vertige!). Avec son vieux complice Jean-Claude Leguay, ils ont un très solide métier.
Au début, ces nouveaux Laurel et Hardy bien dirigés par Gilbert Rouvière (mais eux, parlent et ne bougent pas beaucoup), ont cette longue conversation beckettienne sur le crime à faire entre eux deux et, à la fin, ils développent une belle analyse sur le théâtre d »une rare et efficace drôlerie : - Tu n’es jamais allé au théâtre ? - Jamais ! C’est quoi ?- Eh bien tu entres dans une salle qui s’appelle un théâtre, et là tu regardes des gens qui parlent - Ah bon ? Jamais entendu parler d’un truc pareil !- Tu connais le cinéma ? – Bien sûr ! – Eh bien, c’est comme le cinéma, mais en vrai ! -Dans un endroit ? – Oui ! – Et alors peut-être, comment ils font pour l’attaque de la diligence, les chutes des rapides en radeau, le coucher de soleil sur les rochers du Nevada ? – Eh ! Bien ils disent les mots et les gens les voient !!!! – Ça doit pas être terrible, terrible !!!!
Cette courte pièce de Serge Valletti, même très bien écrite et déjà bien rodée, a tendance, passé une demi-heure, à patiner un peu et il faut tout le savoir-faire de ces acteurs pour que nous restions attentifs. En fait, Cahin-Caha aurait sans doute plus le format d’un sketch, que celui d’une courte pièce.
Malgré tout, on ne s’ennuie pas, et pour une fois que nous avons droit à autre chose qu’à un monologue qui cancérise les salles parisiennes et bientôt celles du off d’Avignon, nous n’allons pas bouder notre plaisir.
Mais le Théâtre des Déchargeurs ferait bien de TOUT faire pour attirer les jeunes gens. Pourquoi, ne pas leur offrir les places non vendues, ou trouver un tarif très très attractif ? Avant-hier, nous étions quatorze spectateurs d’âge disons mûr, à applaudir chaleureusement les acteurs.
Désolé, mais cela ne fait pas vraiment un public et une salle bien remplie leur ferait du bien et il n’y a que trois représentations par semaine ! On va encore nous dire que c’était mieux avant le covid ! Selon une étude Médiamétrie réalisée en juin 2022, la crise sanitaire a profondément modifié les habitudes culturelles :48 % des Français ne vont pas ou plus au spectacle et 23 % y vont moins souvent.Avec le plus souvent , un public pas très jeune (hors matinées scolaires). Quant à la fréquentation des théâtres-théâtres elle serait de l’ordre de 15%! Et le public rural, comme entre autres, celui du pré-festival d’Aurillac dans les villages alentour, ne déplace guère. Ou n’y va jamais, quel que soit l’âge…
Cette pandémie a bon dos et mieux vaudrait aller voir aussi du côté de l’inflation: Motif quasi-absolu de cette désertion: des places trop chères… Cela vaut pour toutes les salles, petite et grandes du secteur public ou privé, ou semi-privé. Français encore un effort, comme disait le marquis de Sade, sinon le théâtre, à part les grands moments des festivals, va disparaître ou être parisien et… marginal. Dommage! Mais ce ne serait pas la première fois de sa longue histoire…
Philippe du Vignal
Jusqu’au 28 juin, Théâtre des Déchargeurs, 4 rue des Déchargeurs, Paris (Ier). T. : 01 42 36 00 50.