L’Amant d’Harold Pinter, mise en scène de Ludovic Lagarde
L’Amant d’Harold Pinter, mise en scène de Ludovic Lagarde
Un couple apparemment heureux et marié depuis dix ans -cela sera dit deux fois- habite dans une belle maison en banlieue chic londonienne. Richard va travailler en voiture à la la City et Sarah, sa femme reste seule. Les jours se suivent et se répètent : départ et retour le soir de Richars, dîner cuisiné par Sarah, avec avant quelques verres de whisky, puis coucher.
Avant de quitter la maison, Richard demande calmement si elle pense recevoir son amant cet après-midi pour que lui ne revienne pas trop vite. Sarah lui répond que oui. Le matin, coup de sonnette du livreur de lait auquel Sarah n’est pas indifférente. Mais il la quitte très vite. L’après-midi, l’amant arrive mais, curieusement, à part une casquette noire, il ressemble exactement à son mari… qui reviendra le soir. Il avoue à Sarah qu’il voit aussi non une maîtresse, mais une prostituée régulière.
Le public comprend après un moment que Sarah joue à être cette prostituée et que ce petit jeu qui se répète plusieurs fois par semaine; il correspondrait en fait à la recherche d’un équilibre sexuel, loin du petit confort du mariage… Refrain connu: l’herbe est toujours plus savoureuse chez le voisin mais quand ce voisin est aussi Richard (enfin on ne sait pas trop bien, du moins au début).
Et alors tout se complique. Ce mari jusqu’ici tolérant, va se mettre en colère contre le prétendu amant à qui il veut interdire à jamais sa maison pour faire l’amour à sa belle Sarah, qui, elle, ne semble pas tout à fait d’accord.. Ici, tout se joue sur fond de de sexualité (le trio classique : le mari, la femme, l’amant mais aussi une invisible prostituée) mais avec un dialogue des plus cyniques entre le mari et son épouse, alors que son prétendu amant vient la voir plusieurs après-midis, comme elle le reconnait. En fait, Sarah, comme on va le soupçonner, mais pas tout de suite… Harold Pinter est un virtuose du genre pour brouiller les pistes. Et l’épouse joue à être la maîtresse de Richard.
Fin de la pièce sur le lit où il sont enlacés comme un début toujours recommencé mais bien entendu, nous ne saurons jamais la suite. Comment ce couple (sans enfants) arrivera-t-il à vivre longtemps encore ensemble? Ce jeu d’illusion volontairement partagée (mais qui en eu l’idée?) est-il un remède suffisant à long terme pour ce couple résiste à l’usure? Des questions sans réponse distillées avec une certaine perversité par le grand dramaturge. Soixante après, bien des changements dans les rapports dans le couple, puisque même le mariage est moins fréquent que l’union libre, voire le P.A.C.S. Mais comme on a pu aussi le voir ici dans La Collection, la gestion de la liberté sexuelle n’est toujours pas vraiment résolue!
Comme déjà il y a un siècle dans On va faire la cocotte, le racontait Georges Feydeau dans sa dernière pièce restée inachevée pour cause de maladie et décès, avec des répliques virulentes de l’épouse annonçant Mi-Tout. Pas loin de Marivaux et proches de Pinter… Très bien mise en scène par Jean-Paul Tribout au Lucernaire et dont nous vous reparlerons. A se demander même si Harold Pinter ne l’avait pas lue!
L’Amant est une pièce courte mais serrée, et où il y a suffisamment de matière pour que ses interprètes y trouvent du grain à moudre. Gérard Poitrenaux, dès qu’il entre sur le plateau, est Richard ce mari attentionné envers Sarah mais il sait dégager aussi quelque chose d’un peu faux. Comme s’il mentait tout le temps en vrai professionnel de la chose. Mais l’acteur mari du matin ou du soir n’en rajoute jamais, quand il devient l’amant de l’après-midi. Du grand art. Valérie Daswood est aussi très juste dans ce rôle de grande bourgeoise d’un calme étonnant mais aux paroles cyniques qui vont droit au but. On pourrait juste comme dans La Collection lui demander, surtout quand elle est allongée sur la méridienne ou sur le lit, de parler un peu plus fort.
C’est un très bon spectacle un peu cher mais la qualité franco-anglaise, cela se paye… Harold Pinter comme Samuel Beckett dont il était l’ami, est devenu un classique du théâtre contemporain. Il aura écrit au moins cinq pièces remarquables: Le Retour, L’Anniversaire et Ashes pour Ashes et celles que Ludovic Lagarde a bien fait d’avoir remontées, La Collection et L’Amant.
Même si elle est plus jouée, c’est toujours un plaisir rare de la revoir ou de la voir. A conseiller à tous les jeunes gens des écoles et conservatoires de théâtre, s’ils peuvent obtenir un tarif réduit. Ces futurs professionnels y apprendront tout le bonheur qu’on peut ressentir devant une véritable dramaturgie et une mise en en scène solide, sans esbroufe, avec des acteurs expérimentés. Et garantie sans ces très laids micros H.F., fumigènes à gogo, retransmissions-vidéo du visage des acteurs sur le plateau, jeu dans la salle ou longuement face public, lumières stroboscopiques aveuglantes. Bref, toutes les conneries actuelles que nous voyons chaque soir ou presque, en ce moment…
Philippe du Vignal
Jusqu’au 25 juin, Théâtre de l’Atelier, Place Charles Dullin, Paris (XVIII ème). T. : 01 46 06 48 24.