Festival La Maison Danse, Uzès

Festival La Maison Danse, Uzès

Rebaptisé par la nouvelle directrice du Centre de Développement Chorégraphique National, le Festival d’Uzès ouvre sa vingt-huitième édition. «Plus dense, pour ramasser l’énergie avec des parcours dansés en journée», dit Émilie Peluchon qui signe sa première programmation.
En cinq dates, dix-sept chorégraphes de tous horizons, pour dix-huit spectacles et vingt-quatre représentations dans l’espace public ou dans la salle municipale polyvalente L’Ombrière. Un parcours dans l’ancienne cité ducale et l’occasion d’apprécier son patrimoine. Venue de Danse Dense, plateforme d’accompagnement et de visibilité pour les chorégraphes, Émilie Peluchon, en première ligne pour le repérage de nouveaux talents, cherche aussi à gagner un public jeune et familial, en sortant du minimalisme conceptuel, sans renoncer à l’exigence.

Né sur la scène du jardin de l’Evêché dominé par une magnifique muraille sous les arbres, cet événement annuel n’est pas la seule activité du C.D.C.N. : « Une scène mobile qui nous incite à aller vers les habitants. » Sans lieu propre, la Maison Danse Uzès essaime dans le Gard, apportant le sixième art dans les localités excentrées, tout en tissant un solide partenariat avec la Scène Nationale d’Alès et le Théâtre de Nîmes-Scène conventionnée pour la danse contemporaine.
Les missions du C.D.C.N. ne s’arrêtent pas à la diffusion de spectacles dans le Gard mais vont au-delà, via le réseau très actif des douze autres C.D.C.N. Émilie Peluchon souhaite aussi développer les pratiques amateurs peu présentes à Uzès et dans le  département: « Le conservatoire municipal d’Uzès n’a pas de section danse.» Mais elle a découvert «un énorme réseau underground de pratique hip-hop et quatre danseurs ont été sélectionnés pour les prochains J.O. dans la nouvelle discipline « break dance ». Elle a donc confié à la chorégraphe Valentine Nagata Ramos la réalisation d’un spectacle de battle pour les réunir.

Autre nouveauté de la Maison Danse : un festival d’automne : « Un espace-temps pour le jeunesse isolée dans une ville sans gare et sans transport en commun le week end. En leur proposant des formes qui peuvent les intéresser. L’idée est de lancer la saison et qu’on se retrouve en fin de parcours au mois de juin.»

Comme annoncé, les propositions du festival sont nombreuses  et en une soirée nous avons pu voir quatre pièces, essentiellement au féminin. Émilie Peluchon souhaite accompagner les chorégraphes émergentes, alors que les créatrices ont de moins en moins accès à des postes de direction des Centres Chorégraphiques Nationaux, comme l’a montré une récente étude…

Magdaléna chorégraphie de Chloé Zamboni

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Magdalena © Òandy Kozekwa

Dans la pénombre, à la lumière rasante d’un projecteur et d’une bougie,  deux corps assis, symétriquement enlacés, déploient lentement bras et jambes… Presque jumelles, Marie Viennot et Chloé Zamboni vont prendre diverses postures, formant des figures sculpturales duelles qui rappellent la statuaire classique. A l’origine, les danseuses ont travaillé sur les Variations Goldberg  de Jean-Sébastien Bach, musique aujourd’hui remplacée par la composition électronique d’ Arthur Vonfelt , sourdes nappes sonores répétitives.

Cette ambiance crépusculaire, cette gestuelle parcimonieuse nous invite à la contemplation : une étroite intimité se noue entre les artistes qui s’étreignent puis se séparent, l’une quittant la scène et laissant l’autre à sa solitude, à tour de rôle. L‘économie des gestes met en exergue les variations d’humeur qui se jouent dans cette rencontre physique. Le moindre mouvement du regard, de la tête, des membres, prend une signification et demande une réelle concentration aux spectateurs. Mais la musique somnanbulique ne permet pas, contrairement à celle de Bach, attentive à tout, de rester en éveil tout au long de cette belle proposition, première création de la chorégraphe.

L‘économie des gestes met en exergue les variations d’humeur qui se jouent dans cette rencontre physique. Le moindre mouvement du regard, de la tête ou des membres, prend une signification et demande une réelle concentration aux spectateurs. Mais la musique somnambulique ne nous permet pas, contrairement à celle de Bach, de rester en éveil tout au long de cette belle et première création de la chorégraphe.

G r oove, chorégraphie et interprétation de Soa Ratsifandrihana

Le mot: groove vient du jazz et, plus précisément, du swing des années trente. Cette danseuse et chorégraphe franco-malgache s’en réapproprie le rythme et glisse en silence, lentement féline, puis amplifie ses mouvements à mesure que montent les sons acérés, métalliques et proches de l’esthétique glitch, de Sylvain Darrifourcq et ceux, plus hip hop, d’Alban Murenzi. « Musicalement, la pièce a deux visages, dit Soa Ratsifandrihana, celui du “glitch“ et du “break“ ; je navigue entre différentes danses que mon corps a traversées. Je cite et transforme des danses de l’afindrafindrao de Madagascar, le madison afro-américain, la danse post-moderne… »« 

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©Sandy Korzekwa

Ce métissage musical et grammatical structure ce solo qui évolue d’une rigueur technique, à une libération progressive du mouvement. La danseuse passe de l’univers contemporain d’Anne Teresa De Keersmaeker ou de Boris Charmatz dont elle a été l’interprète, au rituel des danses malgaches. « La recherche de groove, dit-elle, nécessite de se laisser porter par la musique, avec une marge d’improvisation. »
Elle quitte le costume à larges épaulettes, genre cyborg, conçu par Coco Petitpierre, pour retrouver un corps plus naturel.
Installés tout autour d’elle, sous les  arbres du jardin du temple, nous sommes invités à partager dans une grande proximité, le sens du groove. Ce solo, entre puissance tellurique et grâce féminine, nous communique une énergie roborative. Depuis 2016, Soa Ratsifandrihana a créé ses propres chorégraphies. G r oo v e est la troisième après Tendimite (2016) et Folia (2020). Elle est depuis cette année, artiste associée au Kaaitheater à Bruxelles où elle prépare un trio.


For You / Not for you , chorégraphie et interprétation de Solène Wachter

« Pour vous/ pas pour vous », le titre du solo et la répartition bi-frontale des spectateurs annoncent un espace de représentation divisé en deux, que cette créatrice définit en installant des rampes de led qui éclairent alternativement un gradin et laissent l’autre dans l’ombre. Elle adopte la gestuelle d’une pop-star en concert mais s’est aussi inspirée des gestes pratiques des techniciens, comme : donner des tops, rouler des câbles, installer un pied de micro, voir si tout fonctionne bien : « Côté face, dit Solène Watcher, il y a une qualité explosive dans le mouvement, j’ai regardé des “lives“d’Ariana Grande ou Madonna. Côté pile, j’ai observé les techniciens, les gestes de montage et démontage d’un spectacle qui, invisibles du public, créent une grande machinerie.»

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Four you/not for You © Sandy Korzekwa

Au centre du plateau, la soliste alterne ces styles d’écriture, avec des mouvements nerveux, secs et précis et des motifs répétitifs. Elle opère des basculements incessants et rapides d’un côté à l’autre, changeant de mimique pour raconter aux uns, le concert et, aux autres, l’envers du décor. Elle adopte le visage expressif de la star d’un côté, et de l’autre, concentrée, s’applique à des gestes techniques : faire pivoter les barres de leds, les allumer et les éteindre d’un geste sec, en complicité avec Max Adams qui a créé la lumière et opère à vue. D’un côté, on voit la danseuse éclairée en plein visage, de l’autre, comme nous sommes plongés dans le noir, nous distinguons sa silhouette à contre-jour, dansant devant les gradins, le public faisant office de décor.

Il faut un peu de temps pour saisir le principe de cette dramaturgie complexe et en lire les différentes grammaires mais nous sommes bientôt pris dans le mouvement d’une danse électrisée, réglée au millimètre. Solène Wachter déborde d’énergie et nous communique ses emprunts à l’univers double-face d’un concert avec un certain humour.
Sortie du Conservatoire National Supérieur de Paris puis de l’école P.A.R.T.S., cette remarquable artiste participe aux créations de Boris Charmatz, Ashley Chen, Maud Le Pladec et Anne Teresa de Keersmaeker. En compagnonnage avec le Centre Chorégraphique National d’Orléans, elle est aussi artiste associée à la Ménagerie de verre à Paris.

Bless The Sound That Saved A Witch Like Me – Cri(s)…chorégraphie de Benjamin Kahn interprétation de Sati Veyrunes

Sur la scène historique du jardin de l’Évéché, postée devant un grand tapis blanc tendu devant le haut mur de pierre, Sati Veyrunes accueille le public en anglais : « Je veux partager un son avec vous, vous offrir un voyage sans but, je veux partager avec vous un cri de vie… » Son regard bleu, agrandi par des lentilles, accroche les spectateurs. Avec calme, elle investit le plateau et soudain pousse un grand cri, puis se lance dans une danse tournoyante jusqu’au vertige.`

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Sati Veyrunes ©Sandy Korzekwa

Comme hallucinée, elle observe un long silence, puis la voilà en transe. Des éclairages tremblotants et la musique de Lucia Ross soulignent les soubresauts qui traversent son corps. Plus tard, elle se jettera théâtralement à terre, comme sous l’emprise d’une rage inextinguible.  Mais la pluie commence à tomber et inonde vite le plateau: le final de cette pièce intense de quarante-cinq minutes prend alors des allures d’apocalypse…

Deuxième volet d’une trilogie de portraits signés Benjamin Kahn, Bless The Sound That Saved A Witch Like Me – Cri(s)  explore le cri et sa nécessité dans le contexte de la crise géopolitique et climatique. « Pour cette seconde pièce, dit le chorégraphe, j’avais envie, avec Sati Veyrune, de nous connecter à quelque chose de physique. Le cri m’est alors apparu, en tant que forme rapide, en tant que chemin court entre l’intime et le collectif. »
De cri en transe, entrecoupés par de longs silences et des paroles au public, il émane de Sati Veyrunes à la fois une grande candeur, et une puissance de vie et de révolte. Sa danse, magnifiée par la remarquable création-lumière de Nils Doucet, force l’admiration.

Mireille Davidovici

Spectacles vus le 9 juin à Uzès. Le festival La Maison Danse a eu lieu du 7 au 11 juin, 2 place aux Herbes Uzès (Gard) T. : 04 66 03 15 39.

Magdaléna

Le 22 juin, Mouvement sur la ville, Montpellier/plateforme professionnelle.

Du 13 au 17 juillet La Parenthèse, La Belle Seine Saint-Denis, au festival d’Avignon off.

Les 25 et 26 octobre, P.S.O., Comédie de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme).  

Les 28 et 29 novembre, Festival Danse Dense Paris -Théâtre de Vanves (Hauts-de-Seine) .

Le 26 mars, Immersion Danse, L’Étoile du Nord Paris ( XVIII ème)

Groove

Le 14 juin, C.C.N. Normandie, Caen (Calvados) .

Le 10 septembre Plastic Dance Flore, Versailles ( Yvelines) ; le 22 septembre, Danse à tous les étages ! Rennes (Ile-et Vilaine).

Le 8 octobre, C.C.N. de Tours (Indre-et-Loire).

Le 4 et 5 décembre, Dance collection, (Japon).

Du 6 au 8 février, Les 2 scènes-Scène Nationale de Besançon (Doubs).

du 1 au 5 avril T2G, Gennevilliers (Seine-Saint-Denis)

For you not for you

Le 11 juin Festival Nomadanse,  Rennes (Ile-et-Vilaine).

Du 23 au 25 novembre, La Ménagerie de Verre et Danse Dense, Paris (XI ème).

Les 23 et 24 janvier, Pôle-Sud, C.D.C.N. de Strasbourg (Bas-Rhin) ; le 31 janvier, La Place de la danse-C.D.C.N. et le Théâtre Garonne, Toulouse (Haute-Garonne).

Le 23 mars, L’Étoile du Nord, Paris (XVIII ème).

Le 23 mai, Le Manège-Scène nationale, Reims (Haute-Marne).

Bless The Sound That Saved A Witch Like Me-Cri(s)…

Le 13 juin, Théâtre de l’Échangeur, Bagnolet (Seine-Saint-Denis) et le 30 juin, festival de Marseille (Bouches-du-Rhône).


Archive pour 11 juin, 2023

Kap O Monde, texte d’Alice Carré et Carlo Handy Charles, mis en scène d’Olivier Coulon-Jablonka

Kap O Monde, texte d’Alice Carré et Carlo Handy Charles, mis en scène d’Olivier Coulon-Jablonka

Sur le petit plateau, quelques cubes de bois blanc et au fond, un châssis avec la fameuse devise en lettres lumineuses : Liberté Egalité Fraternité. Incarnés en alternance par Roberto Jean ou Sophie Richelieu, et Charles Zevaco ou Simon Bellouard, deux étudiants se rencontrent à Paris. Lui ou Elle a réussi à venir d’Haïti y faire des études tout en gagnant sa vie. Une ascension sociale dont rêvent ses parents qui, est-il précisé, ne sont pas des prolétaires.

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Lui ou elle, a été déçu par la politique menée par les dirigeants de son pays. Discipliné et volontaire, il mettra toutes les chances de son côté pour un jour essayer de le faire progresser. Il ne sera pas admis à Sciences-Po comme son ami Matthieu mais fera de brillantes études à Dauphine et pourra entrer dans un organisme international. La roue aura tourné…
Matthieu, lui, habite en banlieue parisienne. Ce fils de professeur d’histoire a envie de sortir au plus vite de ce milieu où il se sent au bord de l’asphyxie. Il abandonnera ses études pour aller faire de l’action humanitaire…justement, cela tombe bien, à Haïti. Mais il comprendra vite qu’il a vécu coupé de la population et que son travail n’aura pas finalement  servi à grand-chose.
«Si les livres d’histoire, les chansons populaires, la culture vaudou, disent Alice Carré et Carlo Handy Charle, parlent sans cesse de la révolution française et haïtienne, si le culte de l’indépendance est au cœur du récit national haïtien, la France délivre de son côté une image très hexagonale de sa révolution et n’y mentionne aucunement ses colonies. »

Exact, ou à peu près. Qui de nous se souvient en avoir eu même un écho au lycée? Avec cette petite forme, bien mise en scène sur le thème des relations que peut avoir ou non, la France avec son ancienne colonie appelée autrefois Saint-Domingue, nous pouvons au besoin en apprendre davantage sur cette île qui subit un fort séisme tous les cinquante ans. Malgré tout, ses habitants les premiers révolutionnaires, réussirent à acquérir leur indépendance… en 1794 et votèrent l’abolition de l’esclavage. Mais Napoléon envoie en 1801, quelque 30.000 hommes, avec pour mission de démettre Toussaint Louverture et de rétablir l’esclavage.
Et cette pauvre île sera ensuite colonisée de 1918 à 1934 par les Etats-Unis, ce qu’on oublie trop souvent! Avec à la clé, des milliers de Haïtiens morts en combattant cette domination. Quant à la France, il faudra attendre 2010 ! pour qu’un Président de la République y vienne. Nicolas Sarkozy y passera quelques heures et ensuite François Hollande viendra quelques jours. Mais jamais Macron!

En une heure et sans aucune prétention, Olivier Coulon-Jablonka réussit à imposer un dialogue philosophico-politique très crédible entre ces jeunes gens qui s’opposent à peu près sur tout, mais avec une vraie complicité, voire une amitié qui restera intacte. Cela tient un peu d’un débat simple et efficace comme on en voit rarement. Pas loin à la fois d’un dialogue platonicien et d’un théâtre de tréteaux, avec parfois juste ce qu’il faut d’humour pour que cette leçon d’histoire de la colonisation française ne soit pas trop didactique.
Un bon spectacle, court, souvent passionnant et très bien joué : ce n’est pas si fréquent et il faut s’en réjouir! Olivier Coulon-Jablonka, en une heure, réussit à donner un autre éclairage sur cet île si loin de nous mais où on parle français. Et où un écrivain comme Dany Laferrière est entré à l’Académie Française…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 30 juin, Théâtre de Belleville, 94, rue du Faubourg du Temple, Paris (XI ème) . T. : 01 48 06 72 34.
Du 12 au 19 janvier 2024, Théâtre de Brétigny-sur-Orge (Essonne).

Pupo di zucchero, texte et mise en scène d’Emma Dante

 Pupo di zucchero, texte et mise en scène d’Emma Dante

Cette créatrice sicilienne est maintenant bien connue en Europe et chez nous, avec vingtaine de spectacles. Entre autres et au festival d’Avignon, en 2014  Les Sœurs Macaluso (Le sorelle Macaluso), puis Bestie di scena où sept sœurs vivent ensemble dans leur quotidien souvent misérable et il y a deux ans Misericordia où trois prostituées élèvent le fils d’une amie décédée.
Emma Dante considère son théâtre comme social; et pas politique. Les acteurs de la compagnie Sud Costa Occidentale parlent en sicilien mais il y a un bon sur-titrage… Elle a ici adapté un conte de l’auteur napolitain Giambattista Basile (1566-1632), tiré de son Pentamérone où dix conteuses narrent cinq histoires différentes pendant cinq jours. Un recueil où se trouvent déjà les plus anciennes versions de Cendrillon, Le Chat botté, Peau d’âne, Blanche Neige, et qui a inspiré, entre autres, Charles Perrault…

Le jour du 2 novembre, c’est la fête des morts en Sicile. «Le théâtre, dit Emma Dante, est donc devenu pour moi le lieu de ces retrouvailles pour ne pas mourir de solitude. A la fois une célébration et un gymnase de la mémoire, un lieu où où s’entraîner à à maintenir vivant le souvenir de ceux qui sont partis.  »

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Ici sur le grand plateau avec des rideaux noirs, aucun décor, juste quelques chaises en bois, une petite table carrée… Cela commence en silence. Dans sa maison, un vieil homme en proie à la solitude, face aux souvenirs et aux images des disparus: son épouse marseillaise, ses trois filles en belle robe noire mortes du typhus, un gendre violent avec son épouse… Que nous verrons revivre bien entendu.
Alors, pour fêter ce jour des morts, il va préparer la petite table, avec du sucre et de la pâte à pain, une sorte de figure humaine qui sera ensuite colorée,  comme le font les familles en Sicile et en Italie du Sud à cette occasion.

Peu de texte, de la musique et des danses… Emma Dante a imaginé une sorte de rituel, avec toujours en arrière-plan, la présence de ses disparus. «L’humanité, disait Auguste Comte, se compose de plus de morts que de vivants. »Ici, la mort se marie avec la vie et le vieil homme reste là seul face à son passé. Au début, il y a ce moment où l’acteur qui joue le vieil homme pétrit cette pâte à pain qui va devenir ce « puppo di zuchero », décoré de sucre vert et boules rouges et qui sera présenté aux spectateurs sur la petite table inclinée.

© Christophe Raynaud de Lage

© Christophe Raynaud de Lage

Plus tard, arriveront ensuite deux portants sur roues qui  se rejoignent avec, au milieu un grand crucifix. Le vieux monsieur va regarder les neuf autres personnages accrocher leurs corps momifiés. Chacun à une place marquée par un numéro et  la sienne occupée par une grande et merveilleuse poupée en longue robe blanche. il posera devant cet autel une quinzaine de petites bougies. Aucune musique, silence complet sur le plateau et dans la salle très recueillie. Un magnifique moment de théâtre.

Cette sculpture-installation a été commandée par Emma Dante à Cesare Inzerillo, un sculpteur palermois comme elle, Une idée théâtrale, de toute beauté et sans aucun doute influencée à la fois par ces corps momifiés et habillés, au couvent des Carmes à Palerme -les derniers, il y a un siècle- et par les spectacles de l’immense Polonais Tadeusz Kantor ( qu’Emma Dante admire beaucoup. Mais quand elle parle d’un «théâtre inachevé, imparfait » que je voulais aussi faire ».
Désolé,mais là, il y a maldonne: nous avons aussi vu tous les spectacles de Tadeusz Kantor (1915-1990) en France comme en Italie et l’avons bien connu. Il était d’une rigueur exemplaire à la fois dans ses mises en scène et scénographies.

Il faut espérer qu’un jour cette sculpture reste intacte et trouve sa place dans un musée d’art contemporain, ou de scénographie comme celui de Moulins (Allier) qui s’est récemment ouvert et dont nous vous parlerons.

Malheureusement, tout le spectacle n’a pas cette grâce et cette rare beauté. Et la gestuelle est inégale, avec à la fois, des mouvements d’ensemble très bien réglés, les belles danses des trois sœurs, ou ce magnifique solo en marche arrière de l’acteur ivoirien Tiebeu Marc-Henry Brissy Ghadout. Mais quand l’acteur qui joue le vieil homme essaye de marcher comme un vieil homme, puis oublie, là, cela ne va pas du tout. Et quand le mari donne des coups de pied dans le ventre de sa femme, il faut se pincer pour y croire! Désolé, mais au théâtre comme le dit souvent notre amie Christine Friedel, il ne peut y avoir ni détails ni excuses, surtout dans la direction d’acteurs. Et il y a des longueurs, alors que le spectacle dure soixante minutes.

En fait tout se passe comme si Emma Dante avait eu du mal à dire à la fois son obsession d’être un jour mangée par les vers et «à raconter quelque chose qui fait partie de la vie. » Ici, ces personnages de conte semblent un peu minces et souvent perdus sur ce plateau noir, jusqu’à la magnifique scène finale, elle exemplaire mais qui exige un grand espace pour être bien mise en valeur.

Alors à voir? Comment ne pas être partagé? Ce spectacle a quelque chose de décevant. A la fois, une réussite indéniable avec des images de toute beauté mais le texte est assez faible faible, un temps et un espace pas très bien gérés. Dommage… Nous vous parlerons aussi de La Scortecata, l’autre spectacle d’Emma Dante qui commencera ici le 17 juin.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 28 juin, Théâtre de la Colline, 17 rue Malte Brun, Paris (XX ème). T. : 01 44 66 52 52.

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