Sur les ossements des morts, d’après Olga Tokarczuk, mise en scène de Simon McBurney (en anglais, surtitré en français)

Sur les ossements des morts, d’après Olga Tokarczuk, mise en scène de Simon McBurney (en anglais, surtitré en français)

Toute adaptation d’un roman comporte un risque comme celui qu’a pris Simon McBurney, en adaptant au théâtre, le roman de cette autrice polonaise, prix Nobel de littérature 2018. Avec une série de crimes mystérieux touchant braconniers ou policiers, sur des lieux où on retrouve toujours des traces animales, il y a ici un douloureux constat prémonitoire. En détruisant sans arrêt la Nature, l’humain masculin dominateur creuse sa propre tombe.

« C’est pourtant simple, l’homme a un énorme devoir à accomplir envers les animaux: les aider à vivre leur vie jusqu’au bout; quant aux espèces apprivoisées, il doit leur procurer amour et tendresse, car les bêtes nous donnent bien plus qu’elles ne reçoivent de nous.Il est important qu’elles puissent vivre leur vie dignement, qu’elles se mettent en règle avec leur milieu naturel et valident leur semestre dans le registre karmique: ”J’ai été un animal, j’ai vécu et mangé; je suis allée dans les pâturages verts, j’ai mis bas et j’ai réchauffé mes petits de mon corps; j’ai construit des nids, j’ai fait ce qui était de mon devoir.”

(c) Alex Brenner

©Alex Brenner

“Quand, dit le personnage principal Janina Duszejko, on tue des animaux et qu’ils meurent dans la peur et la terreur, comme ce sanglier dont le corps s’étalait hier à mes pieds, et qui doit se trouver au même endroit, couvert de boue et de sang séché, transformé en charogne, alors on les condamne à aller en enfer et le monde entier devient l’enfer. Les gens ne le voient-ils pas? Leur esprit est-il capable de dépasser leur petit plaisir égoïste? « 
Cette ingénieure à la retraite vit seule dans un village au sud de la Pologne. Elle nous parle souffrance animale, débilité et violence des chasseurs nocifs, hyper-protégés par nos sociétés occidentales. Un « lobby » qui est une honte institutionnelle, y compris en France.

Ce roman est une fable écologique, féministe et ésotérique où son autrice dénonce le patriarcat et ses dérives, en particulier dans la Pologne actuelle. Mais nous n’avons pas retrouvé cette condamnation de la violence dans cette forme de théâtre-récit trop lisse.
Nous retenons surtout les meurtres et l’enquête mais on ne vous dévoilera pas le dénouement… Tel Don Quichotte, Janina Duszejko, jouée avec conviction par Amanda Hadingue, s’oppose à un petit monde de notables qui la prend pour une folle.
Elle vient de perdre ses deux chiennes, ses « petites filles » comme elle dit et est un témoin privilégié. Micro à la main, elle prend le public à témoin. Tous les acteurs sont remarquables comme la scénographie de Rae Smith. Mais trop souvent, règne une demi-obscurité pour que nous puissions voir les vidéos des lieux de l’intrigue. Ce spectacle de deux heures cinquante avec entracte, à la réalisation impeccable est décevant à cause de son côté trop sage….

 Jean Couturier

 
Jusqu’au 18 juin, Théâtre de l’Odéon, place de l’Odéon, Paris (VI ème). T : 01 44 85 40 40.

Le roman, traduction française de Margot Carlier, est publié aux éditions Libretto.


Archive pour 15 juin, 2023

On va faire la cocotte de Georges Feydeau, adaptation et mise en scène de Jean-Paul Tribout

On va faire la cocotte de Georges Feydeau, adaptation et mise en scène de Jean-Paul Tribout

© Fabienne Rapeneau

© Fabienne Rapeneau

C’est la dernière pièce du dramaturge écrite peu avant sa mort en 1921. Avec un titre clair, et provocateur du moins il y a un siècle : cocotte n’est plus employé, sinon pour faire des plats longtemps mijotés. On dirait aujourd’hui : pute ou call-girl. Comme dans ses autres comédies, c’est une histoire de couple… voire même de plusieurs. Mais avec une crudité dans ces dialogues très bien écrits et tout à fait étonnants. Du genre : « Tu me trompes cérébralement. L’infidélité de la femme commence au moment même où elle peut envisager sans horreur, la possibilité de se donner à un autre.”proclame Alcide Trévelin (Xavier Simonin), le mari de la jeune et séduisante Emilienne (Caroline Maillard) qui ne va pas le rater: “Oh! Alors! A ce compte-là, il n’y a pas un mari qui ne soit pas cocu.”

Cette jeune bourgeoise en assez de ce mari goujat aux multiples aventures. Il veut cyniquement qu’elle reste à la maison, alors qu’il va rejoindre sans aucun scrupule, une jeune prostituée: “L’homme, dit-il, est un soutien pour sa femme, la femme n’en est pas un pour son mari, donc, il peut sortir sans elle. »Bien entendu, Emilienne va vite lui rendre la monnaie de sa pièce et veut avoir, elle aussi, une sexualité libre, y compris, lui dit-elle, en allant faire le trottoir. Mais aussi une part du gâteau érotique, loin des de la morale conventionnelle. Pas loin d’un siècle avant les revendications féministes…

Sur le petit plateau, rien des accessoires indiqués dans la longue didascalie de l’auteur : La chambre à coucher des Trévelin. Lit de milieu, au fond, face au public. A droite du lit, une table-guéridon tenant lieu de table de nuit ; sur ce guéridon, un téléphone, etc… Ici, des caisses en bois avec portes ou couvercles où les personnages entrent  et sortent, le plus souvent, avec une certaine acrobatie, surtout les actrices en robe longue. La scénographie d’Amélie Tribout, encombre un peu la scène mais fonctionne bien.

Olympe (Claire Mirande), grande amie d’Emilienne pleine d’énergie comme elle… a aussi un mari coureur de filles qu’elle surveille de près. Elle va la pousser à prendre sa liberté et à se trouver un amoureux. Zéro partout: il faut que justice soit faite dans le domaine sexuel. Mais cela se complique : le jeune homme standardiste du téléphone (Samuel Charle) arrive, suivi de peu par une belle et provocante jeune femme (Julie Julien) celle qu’Alcide allait justement rejoindre.Nous ne vous dévoilerons pas la suite que Jean-Paul Tribout a habilement tricoté d’après Guy de Maupassant, comme si c’était du Feydeau pur porc. Ni vu ni connu. Chapeau !

Et il a imaginé une mise en scène avec beaucoup de finesse et d’intelligence, très rythmée et il y a des petits airs joués et quelques chansons, le tout accompagné par Dario Ivkovic à l’accordéon. Jean-Paul Tribout a laissé l’intrigue se dérouler vers 1900. Mais et c’est là tout le génie de Georges Feydeau: actualisée, elle garderait, à quelques détails près, la même force grâce à des dialogues ciselés et à un scénario bien ficelé : Trévelin : Parce que ! les premiers temps, c’est toujours ainsi, c’est l’impatience de l’amour, mais après… après… ça deviendrait de l’animalité. Emilienne ; C’est charmant ! Alors, après, fini l’amour. Trévelin : Non ! non, pas fini l’amour, mais finies ses impatiences. (…) Ou encore : Emilienne : Non, vraiment, c’est pas juste ! Voilà notre lot, à nous autres femmes mariées. On vous dit : vous n’aurez droit qu’à un seul homme pour toute la vie, ou enfin pour toute sa vie… et voilà ce qu’on a , au bout de quelques mois, un monsieur qui a l’air de vous faire une grâce quand on lui dit : « Allons, viens te coucher !  » (..) Mais sapristi ! au moins qu’on vous en laisse prendre un autre de rechange, qu’on nous permette de varier un peu. »
Et une dernière, pour le voyage d’Emilienne au pays de l’amour: « Qui est-ce que je vais trouver ? De qui, ma nuit sera-t-elle faite? C’est l’émotion de la chasse, la course au gibier. Hier, un jeune perdreau, demain, un lièvre. »

Nous avons souvent ri de bon cœur: le théâtre contemporain est du genre pingre côté comique. Ici, pas de note d’intention prétentieuse, fumigènes, micros H.F., lumières compliquées… Mais du vrai et bon théâtre, très simplement et bien joué.  Mention spéciale à Caroline Maillard. Ne vous en privez pas, même si l’horaire : 18 h 30, n’est pas des plus faciles. Le spectacle sera sans doute repris. Allez-y, vous ne le regretterez pas.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 17 juin, Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame des Champs, Paris (VI ème). T. :  01 45 44 57 34

Festival Départ d’incendies Méphisto de Klaus Mann, adaptation de Jérémie Lebreton et Joseph Olivennes, mise en scène de Jérémie Lebreton

Festival Départ d’incendies

Méphisto de Klaus Mann, adaptation de Jérémie Lebreton et Joseph Olivennes, mise en scène de Jérémie Lebreton

Ce festival de théâtre réunit des jeunes compagnies au Théâtre du Soleil. Inspiré de Premiers Pas créé par Alexandre Zloto et Ariane Bégoin sous l’impulsion d’Ariane Mnouchkine de 2003 à 2012. Méphisto, un roman qui a fait l’objet de nombreuses adaptations au théâtre, comme celle d’Ariane Mnouchkine en 77 au Théâtre du Soleil, à quelques dizaines de mètres de cette salle…
En 1936, Klaus Mann, fils de Thomas, l’écrit pour lutter contre la mollesse et la passivité des artistes envers le régime du Troisième Reich, mis en place par Hitler trois ans avant. Une histoire vraie, celle de Gustaf Grundgens, un grand acteur qui fréquentait l’avant-garde artistique sous la République de Weimar.  Ancien mari d’Erika, la sœur aînée de Klaus Mann, il était un ami personnel de l’épouse de Göring et se ralliera au Troisième Reich. Paradoxe allemand, il continua à jouer après la guerre jusqu’à sa mort en 1963…

On croise dans ce roman, une jeune femme Nicoletta qui rappelle Pamela, l’actrice et fille du grand auteur Wedekind; elle se fiance en 1924 avec Klaus Mann, son ami d’enfance. Mais elle épousera le dramaturge Carl Sternheim. Il y a aussi Carola Martin, un double de Carola Neher, la jeune actrice de Brecht et Wedekind, chassée par le nazisme… Et Theresa, un personnage inspiré de Theresa Giehse, décoratrice et comédienne au Moulin à Poivre, un cabaret littéraire et satirique qu’elle créa avec courage en 1933 pour lutter contre le nazisme, juste un mois avant qu’Hitler ait pris le pouvoir. Un monde artistique où tout le monde se connaissait, voire plus si affinités, et qui s’écroulera…
Trois ans avant, Klaus Mann avait dénoncé le danger nazi et avec sa sœur Erika, il essayera de mobiliser contre Hitler les intellectuels en Europe, avec leur oncle Heinrich, André Gide et Aldous Huxley. En 1933, son père Thomas s’exile en France, puis en Suisse. Klaus, lui, déchu un an après, de la nationalité allemande, part pour Amsterdam où il dirige Die Sammlun, une revue antifasciste ouverte aux émigrés. Il se suicidera sur la Côte d’Azur en 49. Il avait quarante-deux ans!
© Nicolas Brodard

© Nicolas Brodard

Grundgens rêve de jouer au Théâtre National de Berlin, au mieux avec le régime nazi.  L’acteur renonce aux valeurs  pour satisfaire une ambition artistique sans limites. «L’une des premières intentions de ce projet, dit le metteur en scène, est de mettre en dialogue et en perspective les questions de fond que soulève cette histoire: l’ambition, le pouvoir, l’art, le bien, le mal, l’intégrité artistique…
Mephisto
 est un spectacle pensé comme une méditation sur les pouvoirs du théâtre: jouer de la fascination pour en interroger les travers. (…)
Travailler la multiplicité des sources et des matières, c’est tenter une approche polysémique de la question et éviter un discours unique, polarisant, entre bien d’un côté, et mal de l’autre. »Notre adaptation qui s’inspire librement du roman, convoque à la fois les figures historiques et romanesques. Nous racontons l’histoire d’un groupe d’amis qui veut, par l’art, changer le monde. Nous suivons leurs évolutions dans le monde théâtral des années 1920 en nous concentrant sur la trajectoire de l’un d’eux : Gustaf Grundgens, alias Hendrik Höfgen. « 

Et si c’était de nos jours?  On comprend que Jérémie Lebreton ait eu envie de mettre le doigt là où cela faisait mal: des choix à la fois personnels et politiques au mauvais moment  et au mauvais endroit. Un tel roman peut aussi «faire théâtre», comme disait Antoine Vitez et il y a eu de nombreuses adaptations comme celle en 77, dans une mise en scène exemplaire d’Ariane Mnouchkine au Théâtre du Soleil, donc à quelques dizaine de mètres de cette salle. Avec une remarquable scénographie bi-frontale du regretté Guy-Claude François. Souvenirs, souvenirs…
Ici, dans cette grande salle de répétition, cela commence plutôt bien : trois jeunes actrices drôles et emperruquées offrent gentiment des bières aux spectateurs. Sur le plateau au sol noir, quelques chaises pliantes en bois, des caisses de rangement sur roulettes, une malle en fer d’où seront extraits quelques costumes. Et côté cour, une  longue table de maquillage. Dans le fond, un rideau rouge; à côté, une batterie et son interprète.
C’est un texte où il y a beaucoup de faux monologues mais finalement peu de substance, avec un dramaturgie aussi prétentieuse que la note d’intention citée plus haut et où les personnages sont seulement esquissés. Le spectacle souvent couvert par cette batterie amplifiée, ce qui n’arrange rien.
Angèle Arnaud Cyprien Colombo, Jeanne Guittet, Théo Kailer, Alba Porte et Isaline Prévost Radeff ont tous une bonne diction mais crient sans arrêt ou presque et, quand c’est au micro, cela devient insupportable. Bref, la direction d’acteurs est aux abonnés absents!

Côté mise en scène, nous avons droit aux poncifs habituels: jeu dans la salle, spectateur invité sur le plateau à faire de la figuration intelligente, lumières stroboscopiques rouge et vert… L’ensemble, malgré la belle présence, la générosité de tous les interprètes surtout des jeunes actrices, distille un ennui de premier ordre pendant la première heure d’un spectacle qui en dure presque deux!
Quand arrivent alors de très épaisses nappes de fumigène auxquelles par miracle, nous avions jusque là échappé! Là, stop! La vie est courte et il restait encore trois quarts d’heure à supporter! Nous avons donc quitté, et sans aucun état d’âme, cette mauvaise chose dans une salle surchauffée pour aller retrouver la verdure bienfaisante de la Cartoucherie.

Mais pourquoi un tel choix? Qui, des organisateurs de ce festival, a vu ce spectacle et lu ce texte avant qu’il soit programmé? Que sauver du naufrage? Pas grand chose, sinon le professionnalisme des acteurs que nous aimerions voir dans une véritable mise en scène. Va-t-on jusqu’à la Cartoucherie pour quelques belles images? Non! On ose espérer que les autres spectacles de ce festival ne sont pas tous du même tonneau…

Philippe du Vignal

Spectacle vu le 12 juin à la salle de répétition du Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes.
Le festival se poursuit jusqu’au 4 juillet.

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