L’affaire Krystian Lupa… suite
L’une, lapidaire où son auteur dresse un constat impitoyable et l’autre, nuancé, et clairvoyant, d’une metteuse en scène qui a connu Krystian Lupa en Pologne et son travail il y a vingt ans lors d’un stage.
L’affaire, triste sans doute mais pas non plus catastrophique, suscite bien des réactions, le plus souvent en chaîne. Et, soyons clairs, il aura eu au moins le mérite de faire réfléchir le milieu théâtral qui, on l’oublie souvent, n’est pas toujours celui de la tendresse (et c’est un euphémisme!).
Avec toutes les difficultés relationnelles et les contradictions inhérentes à un travail en commun d’artistes, de techniciens mais aussi d’administratifs qui n’ont pas toujours la même vision du théâtre et la même culture. Il faut espérer que Krystian Lupa arrivera quand même avec ce spectacle à l’Odéon… Il reste encore sept mois et nous vous tiendrons au courant. Philippe du Vignal
Juste on mettra du temps à réparer le mal laissé par l’ego et l’auto-célébration maladive de mauvais génies. Celles de petits garçons pourris-gâtés, aux cheveux blancs.
Ils aiment la violence ? Grand bien leur fasse. Qu’ils continuent leurs postures perverses de violence autant qu’ils veulent, mais loin de nous. Nous prenons la main, merci. Nous, c’est la vie que nous aimons.
Eva Doumbia, autrice et metteuse en scène (extraits de texte)
Malgré l’affection et l’admiration que j’éprouve pour ce metteur en scène, je reconnais que les faits décrits ne sont pas défendables. Je connais Lupa et Piotr, et cette histoire me fait penser à ces calques que l’on pose sur des dessins et qui ne correspondent pas.
À ce moment-là, et je crois que c’est important, les plus pragmatiques d’entre nous disaient que c’était inapplicable en France où personne n’avait huit mois pour faire une création. La démarche créative de Lupa nécessite en effet de sortir du temps compartimenté.Le travail d’entrainement qu’il propose, permet d’être toujours en improvisation. Cela a quelque chose du rituel et nécessite un guide, comme dans les cérémonies.
Sans doute, Krystian et Piotr ont sans doute été méprisants et n’ont pas calculé le temps de présence de ceux qui n’étaient pas ses interprètes. C’est une faute que de ne pas embarquer l’ensemble d’une équipe de création. Et cela doit changer.
Mais je n’ai pas le souvenir d’avoir vu en 2003 un tyran maltraitant techniciens et acteurs, mais peut-être étais-je aveuglée… J’ai été embarquée dans un monde poétique, infiniment littéraire, d’une grande spiritualité et où surtout, se posait chaque jour la question la plus essentielle pour moi au théâtre : qu’est-ce qu’être humain ? Cette idée du corps rêvant, du fou intérieur. Quelque chose de la transe qui m’était familier.(…)
Avec des monologues incessants durant des mois. Mais, si on ne sait pas à quoi ça correspond, on a tous les éléments constituant le pire du patriarcat: un homme d’un certain âge qui monopolise l’espace verbal et physique. Tout ce que, personnellement, je ne supporte pas et contre lequel je me bats. (…)
Le « costumier ivre » dont parle le texte, est Piotr, le compagnon de Lupa. Un des plus grands acteurs que j’ai jamais vus et une personne attachante. Mais je crois qu’il souffre d’addictions et qu’il est bipolaire. Et nous connaissons tous des artistes, hommes et femmes, et d’autres personnes dans tous les milieux professionnels qui ne gèrent pas bien les croisements entre vie affective et travail. Cela m’est aussi arrivé. (…)
J’en suis désolée mais je ne regrette rien. C’est aussi la vie: les erreurs, les choix qu’on n’arrive pas à faire. J’ai aussi été soumise dans le travail à des affects envers des personnes qui m’étaient beaucoup moins proches, et j’en ai été parfois dévastée.
Nous avons tous été, ou nous le serons tous et toutes un jour, en contradiction avec nos idéaux, parce qu’on aime telle ou telle personne qui se comporte de telle ou telle manière. Ce que j’écris, n’excuse ni les insultes, ni la violence, ni aucun débordement. Je ne pratique pas la violence dans le travail et nulle part. Mais je me dis que s’identifier à ceux que l’on dénonce, est une manière de lutter contre tout ça: les dominations, la violence…