Montpellier Danse :quarante-troisième édition Prophétique (on est déjà né.es) Chorégraphie de Nadia Beugré
Montpellier Danse : quarante-troisième édition
Comme les précédentes, cette manifestation conjugue passé et présent avec, souvent, la recréation d’œuvres de Dominique Bagouet, chorégraphe, fondateur du C.C .N. de Montpellier et du festival, mort en 1992 et celle d’autres artistes qui sont invités à revenir sur des pièces anciennes : Angelin Preljocaj, Kader Attou, Boris Charmatz et pour, la première fois à Montpellier Danse, Jean-Claude Gallotta, avec Ulysse Grand large (1981). Mais comme d’habitude, le directeur Jean-Paul Montanari, dénicheur de talent, nous fait aussi découvrir et suivre de jeunes créateurs. En ces premiers jours, une programmation très contrastée et majoritairement féminine, qui ne laissera personne indifférent, comme ce festival avec, en deux semaines, deux à trois spectacles par soir…
Prophétique (on est déjà né.es) Chorégraphie de Nadia Beugré
Nous sommes invités sur une musique électro et un DJ exubérant, à partager la vie intense d’un salon de coiffure…qui décoiffe. Sur le plateau, jonché de mèches de cheveux et tresses, s’alignent des chaises en plastique blanc et pendent des étoffes pailletées scintillant dans les lumières… Le maître de cérémonie chauffe la salle, bientôt électrisée et encourage les interprètes dans leurs déhanchements et galipettes acrobatiques : postures mêlant twerk, breakdance, coupé-décalé et voguing… En costumes extravagants, mi-hommes, mi-femmes, sept artistes non binaires ou transgenre nous font pénétrer dans leur univers décalé, leurs rêves et revendications pour le droit à la différence.
Rencontrés à Abidjan, Beyoncé, Canel, Jhaya Caupenne, Taylor Dear, Kevin Kero ont inspiré cette étrange pièce queer : «Des personnes drôles, émouvantes et talentueuses, dit la chorégraphe. Le voguing, leur vocabulaire venu du coupé-décalé, la façon dont elles marchent, dansent, parlent, c’est toute une culture puissante et singulière .» Se sont jointes à elles Jhaya Caupenne, Belge d’origine ivoirienne et la travestie brésilienne Acauã El Bandide Shereya, la plus exubérante et sans doute la plus expérimentée (elles ne sont pas toutes professionnelles). « La plupart jonglent avec une double vie, précise Nadia Beugré. La journée, esthéticiennes, coiffeuses sur les marchés, elles essayent la nuit de trouver des endroits à elles pour se retrouver, rêver, et délirer. »
La chorégraphe a capté cette énergie, laissant libre cours au style de chacune, quitte à être un peu débordée par leurs propositions, souvent provocatrices à l’extrême. Quand retentir Le Boléro de Maurice Ravel, elles se lancent dans un concert de chiens et elles, aboient ou se lancent dans des bagarres canines… Suivront une série de performances où les corps se déchainent et où elles montrent leur plastique séduisante: dos musculeux, jambes gainées de résille, fesses rebondies frémissantes, strings moulant les sexes, interrompues par adresses au public et jeux de scène.
Le salon de coiffure est le lieu où l’on se maquille, on se travestit, on se perruque, et où le ballet se développe autour de la métaphore capillaire. Une des artistes se revêt d’une carapace de cheveux emmêlés que ses partenaires tressent en lock dreads… Solos dansés, distribution de bonbons au public, exhibitions corporelles, concours à-qui-fera-la-plus-belle-bulle-de-chewing-gum: ces «folles » (sic), nous entraînent dans une ronde endiablée puis, au final, égrainent une comptine enfantine en rupture avec l’insolence et la trivialité de certains moments.
Jean-Christophe Lanquetin a donné une touche de chic à cet univers précaire: tissus chamarrés, fils tendus derrière les chaises de jardin, puis croisés dans la lumière d’Anthony Merlaud ouvrent une échappée poétique dans ce monde où la misère se dit avec humour. Celle de la vie marginalisées de personnes non binaires et transgenres, en butte à l’homophobie et à la transphobie, voire menacées de mort. Elles nous le racontent ici, mais l’excès risque de masquer leurs revendications.
Le public est baladé entre séquences performatives impressionnantes et vulgarité caricaturale. La provocation plait à certains, mais en révulse d’autres qui n’en ressentent pas la dimension parodique. Bref, quelque chose ne passe pas… Et, dans l’ensemble, cette création est encore décousue : le rythme du début se relâche dans les séquences où la parole de cette curieuse tribu prend le pas sur la danse. Une parole qui émerge aujourd’hui sur de nombreuses scènes de théâtre et de danse avec plus ou moins de bonheur…
Prophétique (on est déjà né.es) est l’aboutissement d’un long travail poursuivi par Nadia Beugré entre Montpellier où elle a installé sa compagnie depuis 2015 et Abidjan, sa ville natale.. Elle y a commencé la danse avec Béatrice Kombé, avant de rejoindre l’École des Sables de Germaine Acogny au Sénégal. Après cette première un peu «chaude» sans doute la pièce évoluera-t-elle vers plus de rigueur, comme le rythme et le climat qui nous embarquent au début.
Mireille Davidovici
Spectacle vu le 21 juin au Théâtre de la Vignette, rue du Val de Montferrand, Montpellier.
Les 11 et 12 août, Tanz im August, Berlin.
Du 18 au 20 octobre, Théâtre Garonne, La Place de la Danse, C.D.C.N. Toulouse Occitanie, Toulouse; les 14 et 15 novembre, Points communs, Cergy ; du 29 novembre au 2 décembre, Festival d’Automne, Centre Pompidou, Paris.
Montpellier Danse jusqu’au 4 juillet, 18 rue Sainte-Ursule, Montpellier. T. :04 67 60 83 60 .