La Nuit des rois d’après William Shakespeare, mise en scène de Benoît Facerias

La Nuit des rois d’après William Shakespeare, mise en scène de Benoît Facerias 

En anglais Twelfth Night, la douzième nuit, celle d’une fête autour de la Nativité du Christ une sorte de carnaval où tout ou presque, était permis. Une pièce fascinante mais pas des plus faciles à monter. Et Thomas Ostermeier, il y a quelques années à la Comédie- Française s’y était cassé les dents.
Viola et son frère jumeau Sébastien dont le bateau a  fait naufrage en Illyrie se sont trouvés séparés Viola le croit mort. En costume de jeune page, elle entre au service du Duc Orsino et tombe aussitôt amoureuse de lui. Mais le Duc est toujours amoureux d’Olivia et charge Viola, sous son déguisement d’homme, d’aller auprès Olivia pour essayer de la faire changer d’avis.
Mais Olivia ne choisit pas Orsino mais le jeune et beau « garçon » qu’il lui a envoyé. Travestissements, rêves, quiproquos d’une intrigue, musique si chère à Shakespeare… « Duke : If music be the food of love, play on, Give me excess of it. »(Si la musique est l’aliment de l’amour, jouez m’en jusqu’à l’excès). Et rares sont les comédies où il n’en fait pas mention.

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Et dans cette Nuit des rois, il y a des dialogues formidables de vérité et de poésie.  Le duc répond ainsi à Viola : « Votre maître vous rend la liberté; et pour vous remercier des services rendus, Si contraire à la nature de votre sexe, Si indignes de votre douce et tendre éducation, Et puisque si longtemps vous m’avez appelé maître, Voici ma main; vous serez désormais La maîtresse de votre maître. « 
Soit un
triangle amoureux avec d’autres personnages que jouent seulement six acteurs au jeu précis et bien rythmé. « C’est ce côté festif et populaire, dit le metteur en scène, qui m’a poussé à donner vie à ce texte. Humblement, j’ai voulu le rendre aussi simple et accessible que possible, et montrer que l’on peut s’amuser avec du Shakespeare, quel que soit notre âge ou le rapport qu’on entretient avec le théâtre. Nous avons créé une version allégée de la pièce originale, en une heure quinze (contre les trois heures trente usuelles), avec  six comédiens qui interprètent une quinzaine de personnages). »
Tous impeccables avec une remarquable diction:
Grégory Baud, Pierre Boulben, Benoît Facerias, Céline Laugier ou Nolwen Cosmao, Arnaud Raboutet  ou César Duminil. Mention spéciale à Joséphine Thoby qui joue magnifiquement à la fois Olivia et un sorte de conteuse…
La pièce a déjà cinq siècles! Nous préférons peut-être, moins connue: Peines d’amour perdues, tout aussi attachante et qui est encore un délice pour de jeunes acteurs. La Nuit des rois est un peu longue mais Benoît Facerias l’a concentrée avec intelligence et en une heure quinze, missa est. Il a fait résumer bien des scènes secondaires par Joséphine Thoby.  «Vous suivez toujours? demande-t-elle avec malice. »
Pas toujours vraiment
, mais cela n’a aucune importance et nous nous prenons vite à ce jeu amoureux bien servi par des dialogues exceptionnels, avec quelques airs pop à la guitare : « Mieux vaut un fou d’esprit qu’un sot bel esprit…“ « Le plaisir doit se payer tôt ou tard.” « Tout voyage s’arrête au rendez-vous d’amour. ”
Un bémol: des costumes assez laids. Cette jeune compagnie n’a sans doute guère de moyens mais la récup, l’imagination et la débrouille font partie du métier. Cela dit, c’est une des meilleures
Nuit des rois que nous ayons vues depuis longtemps…

Cette adaptation a été jouée depuis six ans, quelque deux cent fois dans des lieux parfois non-théâtraux! Et la représentation est garantie sans fumigènes, lumières stroboscopiques, vidéos, micros H.F… Du théâtre artisanal et sans prétention comme nous l’aimons, loin des technologies sophistiquées et auquel il faudra bien revenir un jour… En tout cas, une compagnie à suivre.

Philippe du Vignal

Jusqu’au 27 août, Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame des Champs, Paris ( VI ème). T. :  01 45 44 57 34


Archive pour 26 juin, 2023

La Scortecata, texte et mise en scène d’Emma Dante

La Scortecata, texte et mise en scène d’Emma Dante

Un titre signifiant en napolitain: écorchée. Sur le plateau, au fond, une cantine en fer avec quelques vêtements et un drap, une porte en contre-plaqué posée au sol, la maquette d’un château et de petites chaises pliantes en bois où sont assises face à face, deux sœurs célibataires proches de la centaine en combinaison blanche.
Elles sucent avec le plus grand soin leur doigt comme les petiotes qu’elle sont un peu redevenues, et elles parlent beaucoup… De tout, et de rien comme pour tromper l’ennui et la solitude. Ce que le grand Roman Jacobson appelait la fonction phatique du langage où l’énoncé révèle les liens et/ou maintient les contacts entre les gens..

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Elles se livrent à des comparaisons anatomiques peu flatteuses vu leur âge, du genre : «Tu es tellement laide que tu dégoûtes même l’obscurité. » « Bouche édentée », « sorcière poilue », « morue qui pue »…. Elles ne cessent de s’engueuler mais sont inséparables et, pour passer le temps, elles vont imaginer une histoire… Un jeune roi aussi riche que beau, est tombé amoureux de la voix de l’une d’elles et veut la rencontrer. Elle montrera son doigt lisse et doux comme celui d’une jeune fille par le trou de la serrure. Et cela marche…La vieille dame est invitée au château mais bien entendu, exigera que ce soit dans l’obscurité…
Une curieuse  fable où le fantastique et l’érotisme font bon ménage librement adaptée par l’autrice et metteuse en scène napolitaine.
Les Deux Vieilles, est tiré du Pentamerone, un recueil de cinquante contes populaires du Napolitain Giambattista Basile (1566-1632). Publié après sa mort, le livre a inspiré nombre d’auteurs italiens mais aussi… Charles Perrault et les frères Grimm. 

Salvatore D’Onofrio et Carmine Maringola sont exceptionnels. Avec des voix rauques, ils marchent, voûtés, peinent à se lever de leur chaise, ont des gestes maladroits… comme les très vielles dames de cent ans qu’ils incarnent. Et ils jouent aussi les autres personnages de cette commedia dell’arte. Très bien dirigés par Emma Dante, ils donnent vie au langage truculent, voire salé, de Giambattista Basile.

Oui, mais voilà! Comme les acteurs s’expriment et souvent très vite, il y a donc obligatoirement un surtitrage mais, comme avec tous les surtitrages, il faut choisir et quand on n’a pas le bonheur d’être napolitain, lire les répliques en français: c’est perdre la majeure partie de la gestuelle des personnages. Ou faire sans arrêt l’aller et retour… Ce qui devient vite lassant et peu efficace.
Bref, un savoureux produit local, créé depuis trois ans mais par moments, assez statique dans la mise en scène. Il doit réjouir nos amis italiens mais est sans doute difficilement exportable. On rit de temps à autres mais ces soixante minutes nous ont ont paru longuettes. Une dizaine de spectateurs est sortie et le public a surtout applaudi ces acteurs exceptionnels: ils le méritent.Pour le reste, ce second spectacle d’Emma Dante ne nous a pas non plus vraiment convaincus…

Philippe du Vignal

Jusqu’au 28 juin, Théâtre de la Colline, 15 rue Malte Brun, Paris XX ème). T. 01 44 62 52 52.

Du 3 au 5 décembre, La Filature, Mulhouse (Haut-Rhin).

Festival Montpellier Danse: Annonciation/ Torpeur/ Noces, chorégraphies d’Angelin Preljocaj

Festival Montpellier Danse: Annonciation/Torpeur/ Noces, Chorégraphies d’Angelin Preljocaj

Pour ouvrir ce festival, une création, Torpeur et les reprises d’Annonciation et Noces par cette compagnie avec aujourd’hui, trente danseurs permanents. Un parcours dans l’œuvre de l’artiste , auteur d’une soixantaine de pièces, du solo aux grandes formes, dans un style résolument contemporain, alternant fresques narratives et projets plus abstraits. Nous avons ici un belle sélection qui permet de voir la permanence et les évolutions de son style.

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Torpeur (création 2023) © JCCarbone

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Interprétée par deux danseuses, la visite de l’Ange Gabriel à Marie. Il n’est pas la créature éthérée, le Saint-Esprit qui ensemence la Vierge, mais un être à la gestuelle puissante. Comme un extra-terrestre qui arrive sur une musique vrombissante dans une trainée de lumière rouge, il vient troubler la quiétude de la jeune femme. Assise sur un banc, elle semble attendre dans des postures lentes et épurées, nimbée d’un halo de lumière froide: à l’image de l’iconographie traditionnelle représentant souvent cette scène fondatrice de la religion chrétienne dans un jardin clos, symbole de virginité.

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© JC Carbonne-

L’intrusion bruyante et mouvementée de l’Ange, incarné avec fougue par Clara Freschel (en alternance avec Mirea Delogu) s’apparente ici à une pénétration fécondatrice : d’abord, tout feu tout flamme, comme sorti des Enfers, la créature s’approche avec douceur de Marie (Florette Jager, en alternance avec Verity Jacobsen) , au physique plus frêle qu’elle. Celle-ci tente quelques esquives et pas de côté, mais sera submergée par la gestuelle impérieuse de ce visiteur, sans céder pleinement à son emprise.
Les corps s’effleurent avec pudeur, dégageant une sensualité sereine. Un baiser s’échange, léger comme un souffle… Puis l’Ange disparaît comme il est venu, laissant l’héroïne songeuse sur son banc. La musique limpide de Stéphane Roy (Crystal Music) alterne avec le Magnificat d’Antonio Vivaldi, mariant profane et sacré sous la lumière toujours précise chez Angelin Preljocaj de Jacques Chatelet.

« Qu’est censé ouvrir en nous cet événement ? De nombreux peintres ne cessent d’interroger ce catapultage de symboles antinomiques qu’est l’Annonciation mais ce thème à la problématique si proche du corps est quasi évacué de l’art chorégraphique», écrivait Angelin Preljocaj à la création à Châteauvallon en 1995.
Cette pièce narrative proposée en ouverture du festival et de la soirée, pose la question de la fécondation et induit habillement la métaphore de la création qui s’ensemence des influences et des frictions d’une œuvre à l’autre, et entre artistes.

Torpeur

« La torpeur est un état de corps, entre la sidération, la prostration, la nonchalance, l’abattement, et l’abandon », dit le chorégraphe de sa nouvelle création, dans l’air du temps en ce jour de canicule.

La pièce prolonge l’ambiance pensive d’Annonciation mais démarre en flèche: douze danseurs surgissent des coulisses  en costumes fluides blanc ivoire, flottant dans les contrejours (création lumière Éric Soyer). Sur la musique répétitive de 79Dils se croisent dans des alignements géométriques, des symétries quasi classiques, marchent en agitant bras et jambes, exécutent de petits sauts. Un chœur bourré d’énergie. Puis, cédant à la fatigue, ils suspendent leurs gestes, dans des postures lascives, avec des mouvements de bassin alanguis : la bande son s’assourdit en basses percussives. 

Bientôt ils quitteront les tenues évanescentes concoctées par Elenora Peronetti,  et s’étendent au sol dans une nudité relative (slip et soutien-gorge couleur chair), pour s’aligner les uns derrière les autres en un cercle mouvant. Ronde horizontale, où bras et jambes, alternativement levés dessinent une fresque ajourée à la manière de ces ribambelles découpées dans une bande de papier. Cette pièce léchée, élégante, d’une facture classique nous a laissés un peu à la porte. Un peu loin la sensualité recherchée par l’artiste : « Convoquer les corps, l’espace et le temps, pour donner une forme à l’indolence, pour trouver un rythme à la lenteur et peut-être inventer une nouvelle grammaire paresseuse de l’hébétude ». Mais il faut parfois savoir ralentir, surtout avant le tsunami qui va suivre.

 Noces

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© JC carbone

Point d’orgue de la soirée, cette pièce de 1989 nous a sidéré. La musique d’Igor Stravinsky, écrite entre 1914 et 1917 puis finalisée en 1923 pour les Ballets russes à Paris, mise en scène par Nijinska, la sœur de Nijinski, est interprétée ici par Les Percussions de Strasbourg et le Chœur contemporain d’Aix-en-Provence, dirigé par Roland Hayrabediann. Elle est d’une mystérieuse beauté et d’une modernité étonnante. Percussions éruptives aux accents orientaux, voix chaudes des femmes et ténébreuses des hommes, venues des profondeurs des Balkans.

« Aussi loin que remonte ma mémoire, écrivait le chorégraphe à la création, les Noces ont toujours sonné pour moi comme une étrange tragédie (…) La mariée, s’offrant comme une forme renversée d’un rituel funèbre, verserait les larmes en s’avançant vers un rapt consenti. » Dans la tradition slave, (Angelin Preljocaj est originaire d’Albanie) c’est une marchandise qu’on échange. Ici la mariée est déclinée en cinq exemplaires, avec jupe courte virevoltante, jambes galbées dans des bottines noires, face à cinq hommes en chemise blanche et cravate noire.
Comme offerte en sacrifice, l’une des danseuses est amenée,
yeux bandés sur le plateau, et… s’effondre, poupée de son ! Mais elle se relèvera et rejoindra ses compagnes pour une danse athlétique. Les hommes, eux, en rang d’oignon sur des bancs d’école, attendent leur heure. Les couples évoluent ensemble ou séparément, dans un cercle à géométrie variable délimité par les bancs déplacés au gré des séquences.
Ils se déchaînent en bonds, savants jeux de jambes, bras et bustes, glissades et tournoiements, emportés par la musique. Ensemble ou alternativement, hommes et femmes se cherchent, se trouvent, se fuient dans les savants contrejours et clairs- obscurs, lumières chaudes et froides.
Les danseuses  se dédoublent en cinq grandes poupées de chiffon blanc qu’elles manipulent, émouvantes figures de leur aliénation, puis, jetant ces tristes avatars au loin, elle plongent à plusieurs reprises du haut des bancs dans les bras de leur promis, sauts risqués d’une précision extrême, comme le reste de cette folle cérémonie, à la fois joyeuse et funèbre.

Noces restera longtemps imprimé dans nos mémoires, avec cette musique envoûtante qui soulève et anime les corps. Bravo, Mirea Delogu, Antoine Dubois, Matt Emig, Chloé Fagot, Clara Freschel, Verity Jacobsen, Florette Jager, Erwan Jean-Pouvreau, Florine Pegat- Toquet, Maxime Pelillo, Valen Rivat-Fournier, Lin Yu-Hua.Bravo aussi Caroline Anteski pour ses costumes et Jacques Chatelet pour ses éclairages. Aux saluts, le public s’est levé enthousiaste. Il ne faut pas manquer ce florilège qui bénéficie d’une grande tournée.

Mireille Davidovici

Spectacle vu le 21 juin au Corum, Montpellier ( Hérault).

Montpellier Danse se poursuit jusqu’au 4 juillet, 18 rue Sainte-Ursule, Montpellier. T. : 04 67 60 83 60.

 Du 11 au 14 septembre, Pavillon Noir, Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône).

Du 18 au 20 octobre, Opéra de Rouen ( Seine-Maritime) ; du 7 au 10 octobre, Scène Nationale de Châteauvallon, Ollioules (Var).

Du 1er au 3 décembre, Théâtre des Champs-Elysées, Paris. 

 Les 22 et 23 mars, Scène 55, Mougins  ; 26 mars, Théâtre en Dracénie, Draguignan (Var); du 28 mars au 5 avril, Opéra Royal du château de Versailles ,

Le 7 avril, Théâtre de Thionville ; les 26 et 27 avril, Théâtre Jean Vilar, Suresnes ( Hauts-de-Seine) .

Du 16 au 18 mai, Théâtre National de Nice ; le 24 mai, Auditorium, Dijon ( Côte d’Or) ; 20 juillet, Nuits de la Citadelle, Sisteron (Alpes-de-Haute-Provence).

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