Festival Montpellier Danse: Annonciation/ Torpeur/ Noces, chorégraphies d’Angelin Preljocaj
Festival Montpellier Danse: Annonciation/Torpeur/ Noces, Chorégraphies d’Angelin Preljocaj
Pour ouvrir ce festival, une création, Torpeur et les reprises d’Annonciation et Noces par cette compagnie avec aujourd’hui, trente danseurs permanents. Un parcours dans l’œuvre de l’artiste , auteur d’une soixantaine de pièces, du solo aux grandes formes, dans un style résolument contemporain, alternant fresques narratives et projets plus abstraits. Nous avons ici un belle sélection qui permet de voir la permanence et les évolutions de son style.
Annonciation
Interprétée par deux danseuses, la visite de l’Ange Gabriel à Marie. Il n’est pas la créature éthérée, le Saint-Esprit qui ensemence la Vierge, mais un être à la gestuelle puissante. Comme un extra-terrestre qui arrive sur une musique vrombissante dans une trainée de lumière rouge, il vient troubler la quiétude de la jeune femme. Assise sur un banc, elle semble attendre dans des postures lentes et épurées, nimbée d’un halo de lumière froide: à l’image de l’iconographie traditionnelle représentant souvent cette scène fondatrice de la religion chrétienne dans un jardin clos, symbole de virginité.
L’intrusion bruyante et mouvementée de l’Ange, incarné avec fougue par Clara Freschel (en alternance avec Mirea Delogu) s’apparente ici à une pénétration fécondatrice : d’abord, tout feu tout flamme, comme sorti des Enfers, la créature s’approche avec douceur de Marie (Florette Jager, en alternance avec Verity Jacobsen) , au physique plus frêle qu’elle. Celle-ci tente quelques esquives et pas de côté, mais sera submergée par la gestuelle impérieuse de ce visiteur, sans céder pleinement à son emprise.
Les corps s’effleurent avec pudeur, dégageant une sensualité sereine. Un baiser s’échange, léger comme un souffle… Puis l’Ange disparaît comme il est venu, laissant l’héroïne songeuse sur son banc. La musique limpide de Stéphane Roy (Crystal Music) alterne avec le Magnificat d’Antonio Vivaldi, mariant profane et sacré sous la lumière toujours précise chez Angelin Preljocaj de Jacques Chatelet.
« Qu’est censé ouvrir en nous cet événement ? De nombreux peintres ne cessent d’interroger ce catapultage de symboles antinomiques qu’est l’Annonciation mais ce thème à la problématique si proche du corps est quasi évacué de l’art chorégraphique», écrivait Angelin Preljocaj à la création à Châteauvallon en 1995.
Cette pièce narrative proposée en ouverture du festival et de la soirée, pose la question de la fécondation et induit habillement la métaphore de la création qui s’ensemence des influences et des frictions d’une œuvre à l’autre, et entre artistes.
Torpeur
« La torpeur est un état de corps, entre la sidération, la prostration, la nonchalance, l’abattement, et l’abandon », dit le chorégraphe de sa nouvelle création, dans l’air du temps en ce jour de canicule.
La pièce prolonge l’ambiance pensive d’Annonciation mais démarre en flèche: douze danseurs surgissent des coulisses en costumes fluides blanc ivoire, flottant dans les contrejours (création lumière Éric Soyer). Sur la musique répétitive de 79D, ils se croisent dans des alignements géométriques, des symétries quasi classiques, marchent en agitant bras et jambes, exécutent de petits sauts. Un chœur bourré d’énergie. Puis, cédant à la fatigue, ils suspendent leurs gestes, dans des postures lascives, avec des mouvements de bassin alanguis : la bande son s’assourdit en basses percussives.
Bientôt ils quitteront les tenues évanescentes concoctées par Elenora Peronetti, et s’étendent au sol dans une nudité relative (slip et soutien-gorge couleur chair), pour s’aligner les uns derrière les autres en un cercle mouvant. Ronde horizontale, où bras et jambes, alternativement levés dessinent une fresque ajourée à la manière de ces ribambelles découpées dans une bande de papier. Cette pièce léchée, élégante, d’une facture classique nous a laissés un peu à la porte. Un peu loin la sensualité recherchée par l’artiste : « Convoquer les corps, l’espace et le temps, pour donner une forme à l’indolence, pour trouver un rythme à la lenteur et peut-être inventer une nouvelle grammaire paresseuse de l’hébétude ». Mais il faut parfois savoir ralentir, surtout avant le tsunami qui va suivre.
Noces
Point d’orgue de la soirée, cette pièce de 1989 nous a sidéré. La musique d’Igor Stravinsky, écrite entre 1914 et 1917 puis finalisée en 1923 pour les Ballets russes à Paris, mise en scène par Nijinska, la sœur de Nijinski, est interprétée ici par Les Percussions de Strasbourg et le Chœur contemporain d’Aix-en-Provence, dirigé par Roland Hayrabediann. Elle est d’une mystérieuse beauté et d’une modernité étonnante. Percussions éruptives aux accents orientaux, voix chaudes des femmes et ténébreuses des hommes, venues des profondeurs des Balkans.
« Aussi loin que remonte ma mémoire, écrivait le chorégraphe à la création, les Noces ont toujours sonné pour moi comme une étrange tragédie (…) La mariée, s’offrant comme une forme renversée d’un rituel funèbre, verserait les larmes en s’avançant vers un rapt consenti. » Dans la tradition slave, (Angelin Preljocaj est originaire d’Albanie) c’est une marchandise qu’on échange. Ici la mariée est déclinée en cinq exemplaires, avec jupe courte virevoltante, jambes galbées dans des bottines noires, face à cinq hommes en chemise blanche et cravate noire.
Comme offerte en sacrifice, l’une des danseuses est amenée, yeux bandés sur le plateau, et… s’effondre, poupée de son ! Mais elle se relèvera et rejoindra ses compagnes pour une danse athlétique. Les hommes, eux, en rang d’oignon sur des bancs d’école, attendent leur heure. Les couples évoluent ensemble ou séparément, dans un cercle à géométrie variable délimité par les bancs déplacés au gré des séquences.
Ils se déchaînent en bonds, savants jeux de jambes, bras et bustes, glissades et tournoiements, emportés par la musique. Ensemble ou alternativement, hommes et femmes se cherchent, se trouvent, se fuient dans les savants contrejours et clairs- obscurs, lumières chaudes et froides.
Les danseuses se dédoublent en cinq grandes poupées de chiffon blanc qu’elles manipulent, émouvantes figures de leur aliénation, puis, jetant ces tristes avatars au loin, elle plongent à plusieurs reprises du haut des bancs dans les bras de leur promis, sauts risqués d’une précision extrême, comme le reste de cette folle cérémonie, à la fois joyeuse et funèbre.
Noces restera longtemps imprimé dans nos mémoires, avec cette musique envoûtante qui soulève et anime les corps. Bravo, Mirea Delogu, Antoine Dubois, Matt Emig, Chloé Fagot, Clara Freschel, Verity Jacobsen, Florette Jager, Erwan Jean-Pouvreau, Florine Pegat- Toquet, Maxime Pelillo, Valen Rivat-Fournier, Lin Yu-Hua.Bravo aussi Caroline Anteski pour ses costumes et Jacques Chatelet pour ses éclairages. Aux saluts, le public s’est levé enthousiaste. Il ne faut pas manquer ce florilège qui bénéficie d’une grande tournée.
Mireille Davidovici
Spectacle vu le 21 juin au Corum, Montpellier ( Hérault).
Montpellier Danse se poursuit jusqu’au 4 juillet, 18 rue Sainte-Ursule, Montpellier. T. : 04 67 60 83 60.
Du 11 au 14 septembre, Pavillon Noir, Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône).
Du 18 au 20 octobre, Opéra de Rouen ( Seine-Maritime) ; du 7 au 10 octobre, Scène Nationale de Châteauvallon, Ollioules (Var).
Du 1er au 3 décembre, Théâtre des Champs-Elysées, Paris.
Les 22 et 23 mars, Scène 55, Mougins ; 26 mars, Théâtre en Dracénie, Draguignan (Var); du 28 mars au 5 avril, Opéra Royal du château de Versailles ,
Le 7 avril, Théâtre de Thionville ; les 26 et 27 avril, Théâtre Jean Vilar, Suresnes ( Hauts-de-Seine) .
Du 16 au 18 mai, Théâtre National de Nice ; le 24 mai, Auditorium, Dijon ( Côte d’Or) ; 20 juillet, Nuits de la Citadelle, Sisteron (Alpes-de-Haute-Provence).