La Scortecata, texte et mise en scène d’Emma Dante
La Scortecata, texte et mise en scène d’Emma Dante
Un titre signifiant en napolitain: écorchée. Sur le plateau, au fond, une cantine en fer avec quelques vêtements et un drap, une porte en contre-plaqué posée au sol, la maquette d’un château et de petites chaises pliantes en bois où sont assises face à face, deux sœurs célibataires proches de la centaine en combinaison blanche.
Elles sucent avec le plus grand soin leur doigt comme les petiotes qu’elle sont un peu redevenues, et elles parlent beaucoup… De tout, et de rien comme pour tromper l’ennui et la solitude. Ce que le grand Roman Jacobson appelait la fonction phatique du langage où l’énoncé révèle les liens et/ou maintient les contacts entre les gens..
Elles se livrent à des comparaisons anatomiques peu flatteuses vu leur âge, du genre : «Tu es tellement laide que tu dégoûtes même l’obscurité. » « Bouche édentée », « sorcière poilue », « morue qui pue »…. Elles ne cessent de s’engueuler mais sont inséparables et, pour passer le temps, elles vont imaginer une histoire… Un jeune roi aussi riche que beau, est tombé amoureux de la voix de l’une d’elles et veut la rencontrer. Elle montrera son doigt lisse et doux comme celui d’une jeune fille par le trou de la serrure. Et cela marche…La vieille dame est invitée au château mais bien entendu, exigera que ce soit dans l’obscurité…
Une curieuse fable où le fantastique et l’érotisme font bon ménage librement adaptée par l’autrice et metteuse en scène napolitaine. Les Deux Vieilles, est tiré du Pentamerone, un recueil de cinquante contes populaires du Napolitain Giambattista Basile (1566-1632). Publié après sa mort, le livre a inspiré nombre d’auteurs italiens mais aussi… Charles Perrault et les frères Grimm.
Salvatore D’Onofrio et Carmine Maringola sont exceptionnels. Avec des voix rauques, ils marchent, voûtés, peinent à se lever de leur chaise, ont des gestes maladroits… comme les très vielles dames de cent ans qu’ils incarnent. Et ils jouent aussi les autres personnages de cette commedia dell’arte. Très bien dirigés par Emma Dante, ils donnent vie au langage truculent, voire salé, de Giambattista Basile.
Oui, mais voilà! Comme les acteurs s’expriment et souvent très vite, il y a donc obligatoirement un surtitrage mais, comme avec tous les surtitrages, il faut choisir et quand on n’a pas le bonheur d’être napolitain, lire les répliques en français: c’est perdre la majeure partie de la gestuelle des personnages. Ou faire sans arrêt l’aller et retour… Ce qui devient vite lassant et peu efficace.
Bref, un savoureux produit local, créé depuis trois ans mais par moments, assez statique dans la mise en scène. Il doit réjouir nos amis italiens mais est sans doute difficilement exportable. On rit de temps à autres mais ces soixante minutes nous ont ont paru longuettes. Une dizaine de spectateurs est sortie et le public a surtout applaudi ces acteurs exceptionnels: ils le méritent.Pour le reste, ce second spectacle d’Emma Dante ne nous a pas non plus vraiment convaincus…
Philippe du Vignal
Jusqu’au 28 juin, Théâtre de la Colline, 15 rue Malte Brun, Paris XX ème). T. 01 44 62 52 52.
Du 3 au 5 décembre, La Filature, Mulhouse (Haut-Rhin).