Vaincre à Rome, texte de Sylvain Coher, mis en scène de Thierry Falvisaner
Vaincre à Rome, texte de Sylvain Coher, mise en scène de Thierry Falvisaner
Abebe Bikila, était né le 7 août 1932 en Éthiopie…le jour du marathon des Jeux olympiques de Los Angeles. Ce jeune caporal s’entraîne seul pendant deux ans avant d’être repéré en 1959 par son pays et par Onni Niskanen, un Suédois membre de la Croix-Rouge et passionné d’athlétisme. Sélectionné pour participer au marathon des Jeux olympiques de Rome en 1960, pour remplacer un coureur blessé et gagne pieds nus, en deux heures quinze minutes seize secondes (record du monde) devant le favori, le Marocain Abdeslam Radi. Il sera le premier athlète africain médaillé d’or olympique.
Il accélère près de l’obélisque d’Aksoum et arrive à l’Arc de Constantin, un quart de siècle après l’invasion de l’Éthiopie par l’Italie… En récompense, il recevra une voiture et un appartement de l’empereur Hailé Sélassié. Impliqué presque malgré lui dans un coup d’État manqué après les Jeux, le coureur sera gracié.
En 1964, il doit être opéré d’une appendicite aiguë, trente jours avant les Jeux de Tokyo mais il court cette fois avec des chaussures et gagne en 2 h 12 min 11 secondes, nouveau record du monde, plus de quatre minutes avant le suivant! Il est le premier athlète africain à remporter le marathon olympique deux fois de suite. A une vitesse de 18, 73 kms, puis de 19, 5 kms à l’heure. Mais, à son quatorzième marathon en 68, il devra abandonner à cause d’une fracture du péroné. Un an après, victime d’un grave accident de voiture, il perdra l’usage de ses jambes. Mais il se met alors à la course en fauteuil roulant et remporte le tournoi de tir à l’arc des Jeux de Stoke Mandeville, en Angleterre, précurseurs des Jeux paralympiques. Ce héros national meurt à quarante-deux ans seulement.
C’est son histoire qui est le thème du roman de Sylvain Coher qu’il a, non adapté mais converti à la scène. Sur le plateau, quelques éléments pour évoquer un studio de radio, un salon et au centre, une bande au sol avec une technique, bluffante quand on est un peu loin: une projection d’une vidéo sur le lieu concerné. Ici, une route romaine où a lieu le marathon et qui se déroule à mesure que le coureur avance… sur place. Incarné, c’est le cas de le dire, par le danseur et comédien Timothée Ballo qui va courir environ une demi-heure. Très impressionnant… Soutenu par le percussionniste Adrien Chennebault.
Cela se passe en Italie et en Éthiopie en 1960 à Rome près du forum où a lieu le marathon. Mais aussi dans l’appartement à Addis-Abeba, avec le souvenir d’Abebe Bikila, Donc ici quatre personnages: le double champion olympique, sa femme Yewebdar ( Gane Raymond) qui l’attend au pays. Mais aussi son entraîneur suédois Onni Niskanen et le journaliste Loys Van Lee (Thomas Cerisola) qui va relater ce marathon du 10 septembre 1960.
Tout ici sonne juste dans ce spectacle créé il y a deux ans et qui va être joué en Avignon. Sylvain Coher a repris les bases de son roman pour le recréer sur une scène, loin d’une quelconque hagiographie, mais en mettant en valeur avec Thierry Falvisaner, l’impression d’un effort pendant quarante kms, avec des scènes de préparation, départ, course de plus en plus rapide puis arrivée en vainqueur… à quelques minutes du suivant. Et cela fonctionne.
Les quelques images vidéo d’époque en noir et blanc d’Abebe Bikila sont justifiées et plus qu’émouvantes, écho lointain de ce coureur exceptionnel. Timothée Ballo court sur cette route goudronnée. « Pour le spectateur, disent l’auteur et le metteur en scène, c’est une plongée sensible dans un monde où l’apparente simplicité d’un acteur sportif dévoile des motivations plus complexes.» A quelques mois des Jeux Olympiques en France, une piqûre de rappel qui n’est pas inutile…
Mais la grande salle du Théâtre Gérard Philipe à Orléans-La Source n’est sans doute pas l’idéal pour ce spectacle et le metteur en scène a eu du mal à mettre en place une balance correcte entre un texte, la musique en direct, les images vidéo et une lumière beaucoup trop limitée. On peut le comprendre mais cela diminue -et c’est dommage- l’intensité de cette forme théâtrale surtout fondée sur une conversation entre le coureur, son épouse restée au pays et qui verra son mari subir les coups du sort, puis mourir, son entraîneur et le récit du journaliste sportif qui recrée la dimension temporelle de cet exploit hors-normes. D’autant plus que ses interprètes sont impeccables…
Mais bon, ce spectacle est proche d’un théâtre documentaire: un évènement sportif mais aussi historique à base de documents historiques. Quand il sera joué et mieux éclairé dans une salle plus petite, il devrait prendre toute sa dimension. Cette légende ici portée sur la scène «de l’homme-panthère capable de courir du coucher au lever du soleil» ne peut laisser indifférent. Et les collégiens qui étaient là, semblaient subjugués, ce qui est toujours bon signe…
Philippe du Vignal
Spectacle vu le 22 juin au Théâtre Gérard Philipe, Orléans-La Source (Loiret).
Festival off d’Avignon: La Manufacture: attention représentations au château de Saint-Chamand (accessible en navette de La Manufacture avec départ: rue des Écoles, et en tramway.